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Le Paxille enroulé




Autres noms : Paxillus involutus ; Bolet à lamelles, Chanterelle brune ; Roulette russe ; Paxille à bords enroulés, Paxille involuté ;




Mycologie :


Robert Hofrichter, auteur de La Vie secrète des champignons (Güthersloher Verlagshaus, 2017 ; Éditions Les Arènes, 2019 pour la traduction française) nous présente le paxille enroulé :


Un tueur silencieux : le paxille enroulé

Le paxille enroulé, avec son chapeau marron à la marge fortement enroulée, est la parfaite illustration de cette situation. L'on sait depuis toujours que ce champignon ectomycorhizien, très répandu et vivant en symbiose avec de nombreux feuillus et conifères, est dangereux lorsqu'il est consommé cru ; ses hémolysines et hémagglutinines peuvent provoquer des gastroentérites graves, voire mortelles. Cuit, il était au contraire réputé comestible. En dépit de la multiplication, dès le début des années 1960 des témoignages d'intoxications inexpliquées faisant suite à sa consommation, il fallut encore attendre de nombreuses années avant que le grand public soit alerté du danger et qu'apparaissent les mises en garde idoines dans les guides usuels. Quand j'étais enfant, il était encore très courant de manger des paxilles enroulés. Certains cueilleurs les préféraient même aux cèpes parce qu'il sont très parfumés et qu'ils se prêtaient à la préparation d'un plat rappelant fortement le goulash. On peut supposer que ce plat fut à l'origine du décès d'un nombre non négligeable de mycophages, dont les proches ou les médecins ne s'expliquèrent alors pas la cause. Car le paxille enroulé est un tueur silencieux, qui fait son œuvre lentement : il ne tue souvent qu'au bout de plusieurs mois, parfois même de plusieurs années. Il fallut le traitement de deux cas à Hanovre en 1971 pour qu'une équipe de médecins parvienne à élucider le mécanisme d'intoxication. Les chercheurs tombèrent alors des nues : l'action du paxille enroulé était en effet complétement différente de celle des autres champignons vénéneux, raison pour laquelle il avait pu passer si longtemps pour inoffensif. Le syndrome paxillien, appellation du tableau clinique qu'il provoque, n'apparaît le plus souvent qu'après ingestion répétée du champignon. Il n'est pas simplement causé par une toxine, mais par un allergène responsable de la formation d'anticorps dans le sang du consommateur. Dès lors, ces complexes antigènes-anticorps se déposent dans les globules rouges et occasionnent leur destruction. Il s'ensuit une anémie qui peut avoir une issue mortelle des années plus tard.

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Historique :


Aurélie Roux, autrice d'une thèse intitulée Intoxications par les champignons réputés comestibles. (Sciences pharmaceutiques. Université Joseph Fourier, Grenoble, 2008) détaille les étapes qui ont conduit à requalifier la comestibilité du paxille :


Cette espèce a longtemps été consommée, notamment en Europe de l'Est, où elle pousse en abondance. Elle était considérée comme comestible, à la condition d'être cuite, et l'on trouve encore des fourchettes de gustativité dans les anciens ouvrages. Pourtant dès 1919, un article mentionnait une éventuelle toxicité et mettait en garde contre deux espèces parmi les plus consommées : Paxillus involutus et Paxillus atrotomentosus. L'effet toxique de la première espèce serait lié à une consommation presque exclusive, elle entraînerait des embarras gastriques et un malaise avec impression de vertiges. Puis de nombreux articles des années 30 ont jeté un doute prononcé sur le caractère comestible (MICHELOT, 1986). En 1944, on rapportait le décès d'un célèbre mycologue, le docteur Schaffer, après ingestion de paxilles bien cuits (AZEMA, 1984).

Après la Seconde Guerre Mondiale, la consommation de ce champignon a augmenté fortement en Europe de l'Est, car le besoin de nourriture était criant. En 1945, dans la seule ville de Berlin affamée, on a relevé 50 intoxications et 17 décès (AZEMA, 1984). Dans les années 50 à 60, en Pologne, où il est très répandu, il est considéré comme responsable du tiers des empoisonnements fongiques (MICHELOT, 1986), et a causé entre 1957 et 1962 autant d'intoxications (soit 70) que l'amanite phalloïde (AZEMA, 1984).

En 1963, des chercheurs allemands ont rapporté des cas d'intoxications mortelles à la suite d'ingestion de paxilles cuits, mais d'après eux, il ne s'agissait que de « vieillards de santé délicate » (AZEMA, 1984). En 1964, au premier Congrès de Lutte contre les Poisons à Tours, sa nocivité est clairement démontrée. Mais il faudra attendre 10 ans pour l'officialisation de cette déclaration (MICHELOT, 1986). Dès 1965, on a signalé en France les nombreux accidents causés en Europe Centrale, et on a proposé de considérer cette espèce comme un toxique dangereux pouvant entraîner la mort (AZEMA, 1984). En 1967, on a isolé de Paxillus involutus l'involutine, une dicyclopenténone thermolabile, sans en connaître le rôle.

En 1971 enfin, on a mis en évidence des anticorps spécifiques contre des extraits de Paxillus involutus dans le sérum de deux malades intoxiqués (MICHELOT, 1986).

[...]

Le mécanisme immuno-allergique a trois arguments en sa faveur : la consommation de ce champignon pendant de nombreuses années sans signe apparent de toxicité, l'apparition individuelle des symptômes, et la mise en évidence d'anticorps spécifiques « anti-extraits paxilliens ». Tout se passe comme si l'ingestion répétée de ce champignon provoquait l'apparition dans certains organismes humains d'anticorps dont l'action, de type hémolytique, serait néfaste sur les globules rouges. Les conséquences seraient de plus en plus importantes après chaque ingestion, entraînant une anémie hémolytique et une tubulopathie (AZEMA, 1984).


Recommandations actuelles : L'intoxication par le paxille enroulé est originale :

- elle survient après une consommation prolongée et répétée ;

- l'intervalle de temps entre l'ingestion et les premiers symptômes est court (de 1 à 3 heures contre 8 à 15 heures pour l'amanite phalloïde) ;

- l'hémolyse aiguë associée à la mise en évidence des complexes immuns oriente vers une étiologie d'origine immuno-allergique (MICHELOT, 1986).

Toutes ces caractéristiques expliquent le temps qu'il a fallu pour reconnaître cette espèce comme toxique, et aussi les réticences des consommateurs habitués pour admettre le danger. Difficile en effet de croire qu'un champignon qu'on mange depuis des années peut se révéler tout à coup mortel. Aujourd'hui Paxillus involutus est classé dans les espèces mortelles, au même titre que l'amanite phalloïde.

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