Anne
Le Hareng
Étymologie :
HARENG, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1. xiie s. « poisson de mer vivant en bancs souvent immenses » (Glossaire de Tours, 33 ds T.-L.) ; 2. 1878 « gendarme » (Larchey, Dict. hist. arg.). De l'a.b.frq. *hâring, au sens 1, cf. le m. néerl. harinc « hareng », m.b. all. hârinc, a.h. all. harinc. Aringus est attesté en b. lat. (TLL s.v.; v. Hermes t. 8, 1874, pp. 224-227).
Lire également la définition du nom hareng afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Croyances populaires :
Si l'on en croit le site https://calendrier-agenda.fr/ :
"Le hareng vous donnera un aperçu de votre futur, dit une vieille tradition, si vous en mangez un, salé, avec les arêtes, en trois bouchées. Ensuite, vous devez aller vous coucher directement, sans adresser la parole à quiconque et surtout sans rien boire. Durant la nuit, vous rêverez de votre avenir.
Symbolisme :
Selon le site Destination Côte d'Opale :
La fête du Hareng-Roi est organisée à Étaples-sur-mer chaque année au mois de novembre. Autrefois, une bonne saison de pêche au hareng pouvait sauver toute une année de revenus pour les marins. Ce symbole de richesse justifie donc les festivités qui perdurent de nos jours, bien que leur origine n’ait rien de religieuse.
Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
En mangeant le soir un hareng conservé dans du sel depuis trois mois, sans dire un mot et rien boire avant son coucher, une jeune fille peut rêver de son futur mari. En Wallonie, la jeune fille avale entièrement un hareng cru et non nettoyé, tandis qu'en Angleterre,
*
*
Symbolisme alimentaire :
Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :
Le Hareng est formel : quand il dit "non", c'est non. Il ne traîne pas, il ne remet jamais au lendemain, et il n'y va pas par quatre chemins. Ses paroles sonnent radicales, inébranlablement décidées. Il n'y a pas à y revenir. On ne peut le faire changer d'avis. Ce qu'il a dit est irréversible?. Pas une goutte d'hésitation qui puisse s'infiltrer en lui. Dès qu'il a fermé la pote, rien ne passe plus. Ce qui est fait est fait, c'est fini pour de bon. Il ne jette plus un regard en arrière, ne reconsidère plus les choses. Une fois qu'il s'est prononcé, sa décision demeure irrévocable.
Le Hareng est impitoyable avec les apparences. Il ne tolère pas que l'on se joue de lui (ou de sa queue). Sans mot dire, sans explication, il coupe court à toute discussion quand il en ressent la nécessité. Il ne permet pas qu'on joue avec ses pieds ; il ne laisse pas les gens traînailler des heures durant dans son bureau quand il sent que dix minutes suffisent déjà pour écouter quelqu'un.
A suivre
Mythologie :
Selon Marie-Claire Bataille-Benguigui, auteure d'un article intitulé "Des techniques de pêche rituelle aux Îles Tonga (Polynésie occidentale)" (in Anthropozoologica, 1989, troisième numéro spécial)
Les textes traditionnels nous indiquent que le Roi Salomon parlait avec les mammifères, les oiseaux, les poissons et les reptiles par l'intermédiaire d'un anneau magique. Les pêcheurs des iles Tonga parlent eux aussi aux poissons, mais sans artifices, · parce qu'ils entretiennent avec certaines espèces ichtyologiques des relations socialisées qui se manifestent par un langage métaphorique et l'observation de rituels et d'interdits qui relèvent plus de la sphère du religieux que de celle de la magie. C'est ainsi que dans certains endroits précis de l'archipel, liés au mythe d'origine de l'espèce, les techniques de capture de celle-ci sont associées à des pratiques de l'imaginaire transmises par la tradition orale.
[...]
Cinq espèces ichtyologiques sont la source de mythes qui donnent lieu à des techniques de pêche rituelles et qui codifient les gestes techniques et les comportements avant, pendant et après la pêche. Il s'agit du requin en général au nord-est de l'île principale de Tongatapu, du requin-marteau en particulier dans les eaux de la lagune de cette même île, du rouget barbet devant la plage du village de Niutoua (Tongatapu), du hareng devant celle de l'île d'Atata, de la bonite à l'île d'Ha'ano dans l'archipel de Ha'apai et du poisson-lait dans le lac de l'île du Nomuka également située à Ha'apai. Les mythes d'origine de ces espèces (BATAILLE-BENGUIGUI, 1986) indiquent que les trois premières sont des cadeaux des dieux de Pulotu, espace surnaturel où résidaient les dieux et les âmes de certains morts dans la religion traditionnelle. Cette provenance confère à ces espèces une aura divine. Les deux autres viennent des îles Samo'a et cette origine étrangère les personnalise et les fait jouir du respect réservé aux personnes de rang élevé.
D'une manière générale, ces espèces, migratrices pour la plupart (sauf le poisson-lait puisqu'il vit dans les eaux saumâtres d'un lac) reviennent annuellement dans les lieux cités et sont reçues comme des hôtes de qualité auxquels on "sacrifie" du kava, la boisson rituelle faite à partir d'une racine de poivrier, de l'huile de coco ou des guirlandes de fleurs. Le matapule, porte-parole du chef du village et leader de la pêche, s'adresse aux poissons à voix haute avec les termes d'adresse réservés au Roi ou à ses proches afin de les honorer et de les séduire, il les engage à rester et à se laisser prendre facilement. L'année où l'espèce ne se présente pas .à la saison habituelle, il peut même pratiquer une confession publique en s'excusant auprès des poissons des fautes que la communauté villageoise a pu commettre pendant l'année, acte syncrétique qui fusionne paganisme et morale chrétienne.
[...]
La répartition des prises se fait selon l'ordre hiérarchique suivant : le chef du village, les représentants des églises, le matapule et enfin les familles des pêcheurs qui ont participé. Dans le cas du requin et du hareng, les parts s'appellent des inasi, nom donné jadis aux cérémonies bi-annuelles des prémices. Au cours de ces cérémonies, le Roi était considéré comme le représentant sur terre du dieu Hikuleo, il était le symbole d'agent fertilisant de la terre, de pourvoyeur de nourriture et la personnalisation du "mana" qui favorisait les récoltes (SIIKALA, 1982). Il recevait des monceaux de nourriture qui devenait sacrée et qui était ensuite redistribuée. Il reste des traces de cette cérémonie traditionnelle dans le "salon de l'agriculture" contemporain instauré par le Roi actuel en 1967 où celui-ci visite les villages des îles principales et reçoit les offrandes dues à son origine divine, alors que sont exposées les plus belles productions agricoles (BATAILLE, 1975).
Le poisson capturé au cours de ces pêches rituelles est totalement interdit de vente et ne doit être distribué dans un premier temps qu'à l'intérieur du village, alors que ces mêmes espèces, capturées dans d'autres eaux de l'archipel, peuvent l'être avec n'importe quelle technique et peuvent être commercialisées.
Toute transgression individuelle ou collective de ces interdits conduit à l'échec de la pêche : les poissons évitent les filets, s'enfuient et risquent de ne pas revenir les années suivantes. C'est ainsi que les harengs et les bonites ne reviennent plus à Atata depuis 1973 et à Ha'ano depuis 1970 car les premiers ont été vendus et les seconds ont été capturés avec des harpons et des couteaux pour en pêcher plus et les gens se sont eux-mêmes privés de cette nourriture miraculeuse qui s'offrait à eux une fois l'an.
*
*
Littérature :
Le Hareng saur
À Guy.
Il était un grand mur blanc ? nu, nu, nu, Contre le mur une échelle ? haute, haute, haute, Et, par terre, un hareng saur ? sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains ? sales, sales, sales, Un marteau lourd, un grand clou ? pointu, pointu, pointu, Un peloton de ficelle ? gros, gros, gros.
Alors il monte à l’échelle ? haute, haute, haute, Et plante le clou pointu ? toc, toc, toc, Tout en haut du grand mur nu ? nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau ? qui tombe, qui tombe, qui tombe, Attache au clou la ficelle ? longue, longue, longue, Et, au bout, le hareng saur ? sec, sec, sec.
Il redescend de l’échelle ? haute, haute, haute, L’emporte avec le marteau ? lourd, lourd, lourd, Et puis, il s’en va ailleurs ? loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur ? sec, sec, sec, Au bout de cette ficelle ? longue, longue, longue, Très lentement se balance ? toujours, toujours, toujours.
J’ai composé cette histoire ? simple, simple, simple, Pour mettre en fureur les gens ? graves, graves, graves, Et amuser les enfants ? petits, petits, petits.
Charles Cros, "le Hareng saur" in Le coffret de santal, 1873.
*
*
X. Le hareng saur
Ta robe, ô hareng, c’est la palette des soleils couchants, la patine du vieux cuivre, le ton d’or bruni des cuirs de Cordoue, les teintes de santal et de safran des feuillages d’automne !
Ta tête, ô hareng, flamboie comme un casque d’or, et l’on dirait de tes yeux des clous noirs plantés dans des cercles de cuivre !
Toutes les nuances tristes et mornes, toutes les nuances rayonnantes et gaies amortissent et illuminent tour à tour ta robe d’écailles.
A côté des bitumes, des terres de Judée et de Cassel, des ombres brûlées et des verts de Scheele, des bruns Van Dyck et des bronzes florentins, des teintes de rouille et de feuille morte, resplendissent, de tout leur éclat, les ors verdis, les ambres jaunes, les orpins, les ocres de rhu, les chromes, les oranges de mars !
Ô miroitant et terne enfumé, quand je contemple ta cotte de mailles, je pense aux tableaux de Rembrandt, je revois ses têtes superbes, ses chairs ensoleillées, ses scintillements de bijoux sur le velours noir ; je revois ses jets de lumière dans la nuit, ses traînées de poudre d’or dans l’ombre, ses éclosions de soleils sous les noirs arceaux !
Joris Karl Huysmans, "Le Hareng saur " in Le Drageoir à épices (1874).
*
*
Une petite saynète à déguster :
Arts visuels :
Dans le Bulletin annuel n°4 (1980-1981) du Musée des beaux-arts du Canada, Gert Schiff propose une analyse d'un des tableaux de James Ensor, analyse intitulée "James Ensor: Squelettes à l'atelier" dans laquelle il fait du symbolisme du hareng une clef de compréhension de l'œuvre du peintre :
[...] Il est évident que ces spectres se sont exténués dans une bataille féroce d'où la créature en rouge et sa compagne sont sortis victorieux. Ils sont couverts de sang, tout comme le couteau taché de sang près de la compagne qui porte de profondes blessures au front. De leurs yeux exorbités, les crânes vaincus lancent des regards imprégnés de méchanceté. La pomme de discorde était, bien sûr, les harengs.
Quiconque connaît bien le symbolisme intime d'Ensor en saisit d'emblée la signification. À partir de l'homophonie entre « hareng-saur » et « art Ensor », le peintre, badin, fait du hareng le symbole intime de son art. Dans une œuvre exécutée en 1892 et intitulée La Vierge consolatrice, un hareng se trouve sur le plancher parmi les pinceaux du peintre qui rend hommage à une apparition de la Vierge dont il vient de peindre l'icône. Dans Les cuisiniers dangereux (1896), satire de ses critiques, l'artiste peint entre autres Octave Maus, fondateur du groupe artistique.
« Les XX » dont le jury n'a cessé de refuser les œuvres du peintre. Le personnage porte une assiette dans laquelle la tête du hareng a été remplacée par celle d'Ensor. La peinture intitulée Squelettes se disputant un hareng-saur (1891) a un rapport direct avec Squelettes à l'atelier puisqu'on y voit deux squelettes, en fait deux critiques, se disputer l'art d'Ensor et le déchirer littéralement, chacun voulant être responsable de sa mort.
*
*