Le Champignon noir
- Anne
- 11 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 20 heures
Étymologie :
ÉTYMOL. ET HIST. I.− a) 1532 doigt auriculaire (Rabelais, Pantagruel, éd. Marty-Laveaux, XIX, p. 35 ); d'où 1866 subst. auriculaire (Lar. 19e) ; b) 1561 confession auriculaire (Calvin, Comm. s. l'harm. evang., fo700 vods Gdf. Compl.) ; c) 1690 témoin auriculaire (Fur.). II.− 1824 anat. « qui concerne les oreillettes du cœur » (Nysten). I empr. au lat. auricularius, méd. « qui a rapport à l'oreille » (Celse, 5, 28, 12, p. 215, 32 ds TLL s.v., 1496, 25); cf. lat. médiév. auricularius, subst. « confesseur » (1204-09, Arnold. Lub., Chron., 3, 8, p. 150, 24 ds Mittellat. W. s.v., 1252, 14) ; II dér. de auricule* ; suff. -aire*.
Lire également la définition du nom auriculaire afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Auricularia polytricha - Auricularia nigricans - Auriculaire - "Champignon-eau" - Kikurage (« méduse d'arbre ») - Oreille de bois poilue (Suisse) -
Mycologie :
Hugues Eyi Ndong, Jérôme Degreef et André De Kesel, auteurs de "Champignons comestibles des forêts denses d’Afrique centrale." (In : Taxonomie et identification. ABC Taxa, 2011, vol. 10, p. 253-671) décrivent précisément le champignon noir :
Auricularia cornea Ehrenb. Horae Phys. Berol. : 91 (1820).
Synonymes : Exidia polytricha Mont., Voy. Indes Or., Bot. 2 : 154 (1834) ; Auricularia polytricha (Mont.) Sacc., Atti. Inst. Veneto Sci. Lett., ed Arti, Sér. 6(3) : 722 (1885). Hirneola nigra Fr., Fung. Natal. 27 (1848). Auricularia tenuis (Lév.) Farl., Bibl. Index N. Amer. Fung. 1(1) : 309 (1905).

Références illustrées : De Kesel et al. (2002), Guide champ. com. Bénin : 125, photo 16 ; Härkönen et al. (2003) (ut A. polytricha), Tanzanian mushrooms : 180, figs 198 & 199 ; Ryvarden et al. (1994) (ut A. polytricha), Introd. Larger Fungi S. Centr. Afr. : 61 + fig.
Macroscopie – En groupe. Chapeau 4-8 (-10) cm diam., conchoïde ou en forme d’oreille, fixé par le sommet ou latéralement ; revêtement brun-rougeâtre [5-6D5, 5-6E7] puis plus clair [5C3-B3], finalement blanchâtre sale, ondulé-ridulé, finement hirsute à grossièrement pubescent, non zoné ; marge lisse à ondulée, parfois enroulée ou réfléchie. Pied absent ou très court (- 4 mm). Surface hyméniale (inférieure) lisse ou parfois localement subveinée, luisante puis poudrée de blanc sur fond brun pourpre à brun-rougeâtre [8D4-F6]. Chair élastique, cartilagineuse, constituée de deux couches facilement séparables. Exsiccatum noirâtre et coriace à l’état sec.
) Microscopie – Basides 45-55 × 5-6.5 μm, cloisonnées à 4 cellules. Spores hyalines, réniformes à allantoïdes, (10-) 8.2-12.7-17.2 (-15) × (4.3-) 3.3-5.0-6.7 (-6.3) μm, Q = (1.97-) 1.61-2.55-3.49(-3.06). Anses d’anastomose présentes.
Ecologie – Saprotrophe, sur bois mort ; large amplitude écologique : forêt dense humide, forêt galerie de grande taille.
Distribution géographique connue – Pantropical. R. Afrique du sud (Doidge, 1950, ut A. polytricha), Bénin (De Kesel et al., 2002), Cameroun (Berthet & Boidin, 1966, ut A. polytricha ; Roberts, 2001 ; van Dijk et al., 2003, ut A. polytricha), Comores (Hennings, 1908), R.D. Congo (Degreef et al., 1997, ut A. tenuis ; De Kesel & Malaisse, 2010, ut A. tenuis ; Gillet & Pâque, 1910 ; Hendrickx, 1948, ut A. polytricha & Hirneola nigra ; Musibono et al., 1991), Côte d’Ivoire (Roberts, 2001), Ethiopie (Castellani & Ciferri, 1937, ut Exidia polytricha), Gabon (Eyi Ndong, 2009), Ghana (Piening, 1962, ut A. polytricha), Madagascar (Hennings, 1908), Malawi (Morris, 1990, ut A. polytricha), Nigeria (Oso, 1975, ut A. polytricha ; Zoberi, 1973, ut A. polytricha), Ouganda (Maitland & Wakefield, 1917, ut A. polytricha), Tanzanie (Eichelbaum, 1906, ut A. polytricha ; Härkönen et al., 2003, ut A. polytricha ; Hennings 1905, ut A. polytricha).
Notes – Auricularia cornea, A. polytricha (Mont.) Sacc. et A. tenuis (Lév.) Farl. étaient jadis séparées sur base de la morphologie du carpophore et de la longueur des poils piléiques (Lowy, 1952). Wong & Wells (1987) proposent de considérer ces trois espèces comme synonymes du fait de leur interfertilité.
Sylvie Rapior et Françoise Fons, autrices d'un article intitulé "Mise au point sur les nouveaux syndromes et les syndromes connus d’intoxications par les champignons." (In : Annales de la Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault, 2011, 151 (2), pp. 64-74) mentionnent un syndrome d'intoxication lié au champignon noir :
Le syndrome de Szechwan ou Purpura de Szechwan : Auricularia auricula-judae (Oreille-de-Judas) ainsi que Auricularia polytricha et Auricularia porphyrea sont des champignons utilisés d'une part, en médecine chinoise pour leur propriété thrombolytique (Ying et al., 1987) et, d'autre part, comme aliment ou condiment dans la cuisine asiatique (chinoise), connus sous le nom de « champignon noir ». Il s'agit de champignons en forme d'oreille, de consistance gélatineuse, de couleur brun rouge à pourpre.
Dans les pays occidentaux où la cuisine asiatique se développe de plus en plus, le syndrome de Szechwan ou Purpura de Szechwan est apparu après consommation de « champignon noir ». Il s'agit d'une inhibition transitoire de l'agrégation plaquettaire se traduisant par des saignements, des hémorragies et des purpuras (Brunelli, 2009 ; Giacomoni L., 2004 ; Hammerschmidt, 1979, 1980).
La molécule responsable pourrait être l'adénosine (9-⬜-D-ribofuranosyl-adénine) selon Markhejan et Bailey (1981).
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Usages traditionnels :
Jules Vidal auteur de "Les Plantes utiles du Laos". (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 6, n°8-9, Août-septembre 1959. pp. 391-404) confirme la comestibilité du champignon noir :
L'étude des champignons n'ayant pu être faite de façon approfondie faute d'échantillons suffisants, je citerai d'abord les espèces ou genres bien déterminés puis les espèces indéterminées d'après leur nom vernaculaire; ce dernier commence toujours par le vocable hét désignant les champignons en général.
Auricularia polytricha (Mont.) Sacc. (Auriculariaceae). NL (Région de Vientiane) : hét hou nou (hou — oreille, nou = souris) ; hét sanoun (sanoun = mou) ; hét tan (tan — mou comme le lobe de l'oreille).
Champignon de bois mort en forme de lame noirâtre plus ou moins cartilagineuse utilisé dans tout l'Extrême-Orient dans toutes sortes de préparations culinaires en particulier dans divers potages (soupe chinoise). Biblio : CPI/I ; Vialard-Goudou, 1956-1959.
Auricularia sp. NL (région de Vientiane) : hét phoung lèn (phoung = estomac, lèn = gros lézard arboricole) ; hét phoung mou (mou = porc) ; hét sai tao (sai = intestin, tao = tortue).
François Malaisse, André De Kesel, Françoise Begaux et al. auteurs de "A propos des champignons comestibles du Tibet centro-austral (RP China)." (Geo-Eco-Trop : Revue Internationale de Géologie, de Géographie et d'Écologie Tropicales, 2007, vol. 31) s'intéressent à la mycophagie des Tibétains :
La consommation de « chucha », parfois encore appelé « mokro », a encore été signalée à plusieurs reprises. Il s'agit d'une Auriculariale, à savoir Auricularia polytricha. Elle est parfois vendue sur les marchés urbains. Ce champignon, littéralement “champignon-eau “, préfère les situations humides. Lorsqu'il croît en cours d'eau pollués, il est délaissé. Il ne doit pas être confondu avec Auricularia auricula-judae, qui est principalement importé des autres provinces chinoises et vendu en ville. Ce dernier, très prisé par les chinois d'autres régions, est plus rarement consommé par les Tibétains, en particulier ceux du sud-ouest, en Gyalthang (CHAMBERLAIN, 1996).
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Enfin Chucha est la troisième espèce assez bien connue [parmi les espèces comestibles consommées]. Moins appréciée que les deux précédentes [la floccule et Agaricus campestris var. squamulosus], elle constitue un met d'accompagnement, surtout servi avec la viande.
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Dans Champignons comestibles d’Afrique de l’Ouest. (Éditions CEBioS, Royal Belgian Institute of Natural Sciences, 2024), André De Kesel, Abdoul-Azize Boukary, Nourou S Yorou., et al. décrivent l'usage alimentaire que l'on fait en Afrique de ce champignon :
Comestibilité et appréciation – Auricularia cornea est connu de longue date comme étant consommé en Afrique tropicale (Hennings 1897 ; Eichelbaum 1906), en particulier au Cameroun (van Dijk et al. 2003 ; Njouonkou et al. 2016), au Gabon (Eyi Ndong et al. 2011), au Malawi (Morris 1987 ; Morris 1990 ; Williamson 1975), en Tanzanie (Härkönen et al. 2003), en Zambie (Härkönen et al. 2015), en R.D. Congo (Gillet & Pâque 1910 ; Musibono et al. 1991) et en R. Afrique du Sud (Levin et al. 1985 ; Gorter & Eicker 1988). En Afrique de l’Ouest, l’espèce est consommée au Nigeria (Zoberi 1979) mais ne l’est ni au Bénin (De Kesel et al. 2002) ni dans les pays voisins.
Auricularia cornea est apprécié car sa durée de conservation peut facilement excéder un à deux ans, à condition que les sporophores soient secs (séchés au soleil) et stockés dans des bocaux fermés hermétiquement. A l’état sec, les sporophores deviennent très foncés, coriaces et cassants et bien qu’ils aient peu de goût à l’état frais, celui-ci est un peu plus prononcé après séchage. Vu que les exigences climatiques de cette espèce correspondent à celles des régions caractérisées par une saison sèche, nous pensons que les conditions pour la culture d’Auricularia cornea sont réunies dans beaucoup de pays ouest-africains et qu’il pourrait faire l’objet d’une culture, comme c’est le cas dans certains pays asiatiques (Oei 1993, 1996).
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Symbolisme :
Selon Jean-Pierre Kouakou Bah, auteur de "Procréation et eugénisme : une lecture socio-anthropologique des enfants hors normes chez les Baoulé de Côte d'Ivoire (In : Revue ivoirienne d'anthropologie et de sociologie, 2011, no 19, p. 57) :
La représentation socioculturelle de l’enfant baoulé : [...] Dans la catégorie des champignons, le genre ‘’champignon noir’’ [il ne s'agit vraisemblablement pas de l'espèce Auricularia polytricha, mais l'homonymie nous intéresse], espèces de petits champignons bruns, qui prennent la couleur noire au cours de leur évolution sont interdits aux gestantes baoulé. La consommation de ce champignon provoquerait la salivation abondante des nouveau-nés. Dans la perspective socioculturelle, la surveillance de la grossesse apparaît comme une surveillance nutritionnelle. Cependant, à contrario de la surveillance nutritionnelle en diététique moderne qui recommande une alimentation riche en vitamines et oligo-éléments, la surveillance nutritionnelle dans la perspective socioculturelle baoulé en interdit. Cette situation trouve son explication dans la représentation socioculturelle de l’enfant baoulé.
La représentation socioculturelle de l’enfant baoulé : La surveillance de la grossesse est un processus de ‘’modelage’’ qui a pour objectif d’aboutir à la naissance d’un enfant socialement acceptable selon la conception baoulé de la beauté. En effet, l’enfant baoulé doit avoir certains traits physiques typiques caractérisant cette beauté. Celle-ci a pour référence la statuette akwaba, d’origine ashanti (Ghana) et adoptée par les Akan (1) de Côte d’Ivoire. Elle symbolise par excellence le bel enfant. La figurine akwaba a une forme cylindrique traduisant les proportions du corps féminin. Sa belle tête mise en relief par un long cou strié et la poitrine surmontée de seins saillants, expriment les traits physiques du bel enfant féminin. Ainsi, « les caractéristiques essentielles de la beauté sont donc la taille moyenne, la noirceur d’ébène, la grandeur des yeux, la blancheur des dents avec un écart central, la finesse des doigts et des orteils, le galbe des jambes » (Konan, 1983 : 6-12). Ces caractéristiques de la beauté baoulé, bien que s’orientant davantage vers l’enfant de sexe féminin, n’en demeurent pas moins pour celui de sexe masculin. En effet, le garçon « se doit d’être musclé, robuste, et avoir des traits réguliers. » (Konan, ibid.). Ce sont donc ces aptitudes physiques attendues de l’enfant baoulé qui expliqueraient le respect des règles sociales (rite pubertaire et interdits alimentaires liés à la surveillance de la grossesse).
Note : 1) Un des quatre grands groupes ethniques de Côte d’Ivoire dont font partie les Baoulé.
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