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Le Caladium




Botanique :


Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau présente la particularité du Caladium :


Lorsqu'on observe attentivement, au moyen du microscope, une feuille de Caladium, on remarque des petits tubes semblables à autant de canons qui, sous l'influence du soleil, lancent, en faisant entendre une petite détonation, des petites aiguilles blanches et transparentes.

« Chaque fois que l'explosion a lieu, dit M. Jules Macé, on remarque dans le tube un mouvement de recul, comme celui qu'on restent lorsqu'on décharge une arme à feu. Les feuilles desséchées de caladium ne perdent pas cette propriété ; il suffit, pour la rappeler, de les plonger un instant dans l'eau bouillante. »

 

Céline Valadeau, dans un article intitulé "Agir en secret: un regard sur la circulation des usages associés aux souchets des jardins, aux fougères des sous-bois et aux caladions des berges chez les Yanesha (Haute Amazonie péruvienne)." (In : Bulletin de l'Institut français d'études andines, 2016, no 45 (1), pp. 173-192) présente une courte description du caladium :


Les aracées cultivées sont des plantes peu décrites. Pour la plupart, elles appartiennent aux genres Caladium, Xanthosoma, Alocasia voire Colocasia dont la diversité est importante à la périphérie du bassin amazonien (Madison, 1981 : 342). Leur usage n’est pas un phénomène récent puisque Cunha les désignait déjà sous le terme mangará et en signalait l’existence au XVI siècle. Plus tard, Grégorio associera ce terme aux Caladium (Grenand & Fleury, 2012 : 15). Ces plantes sont herbacées, leur racine tubéreuse et leurs feuilles cordiformes dont les couleurs varient d’un vert ponctué de blanc au pourpre. Cette coloration variable définit un nombre élevé de cultivars parfois nommés palettes de peintre. D’un point de vue écologique, elles couvrent les sols ensoleillés comme les clairières, les berges des rivières et les bords des chemins. Ces aracées sont domestiquées dans de nombreuses sociétés d’Amazonie où elles poussent dans les jardins, aux abords des maisons et dans les abattis. Caladium bicolor et Xanthosoma sp. sont, par exemple, cultivés par les Aguaruna près des plants de manioc (Katz et al., 2012 : 288).

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Vertus médicinales :


Céline Valadeau, dans un article intitulé "Agir en secret: un regard sur la circulation des usages associés aux souchets des jardins, aux fougères des sous-bois et aux caladions des berges chez les Yanesha (Haute Amazonie péruvienne)." (In : Bulletin de l'Institut français d'études andines, 2016, no 45 (1), pp. 173-192) mentionne également quelques usages traditionnels :


De nombreux écrits mentionnent leur présence en tant que composante du paysage comme chez les Runa Quichua d’Équateur (Kohn, 2002 : 412), chez les Jodï du Venezuela (Zent & Zent, 2012 : 327) ou encore chez les Wayana de Guyane (Chapuis, 1998 : 1186). Il existe peu de littérature décrivant leurs usages, même si quelques textes apportent des témoignages intéressants sur leurs utilisations. Par exemple, les Wayampi frottent sur leur corps les tubercules de Caladium bicolor contre les esprits, en cas de « folie », pour l’ensemble des maladies de l’enfance ou en tant que contrepoison (Folliard, 2008 : 241). Les Palikur les utilisent en poudre frottée sur le visage pour faire disparaître les masques de grossesse ou certaines taches de la peau (Folliard, 2008 : 242). Un répertoire dense sur l’usage de ces plantes dans le bassin des Guyanes a récemment été publié et apporte énormément à la connaissance de leur utilisation (Van Andel et al., 2015).

[...] Les femmes yanomamë du Brésil procèdent à des magies amoureuses avec des poudres de Caladium sp. (Albert, 1985 : 261).

Par ailleurs, ces plantes ont des usages cynégétiques ; par exemple les Piaroa ont recours aux caladions des jardins lors de rituels mineurs de chasse (Heckler, 2004 : 223). Sur le plateau des Guyanes, ces plantes sont principalement utilisées en tant que charme de chasse (Van Andel et al., 2015 : 4). Chez les Wayampi, le tubercule est emporté dans une musette et les feuilles préparées servent à oindre le visage et les poignets avant la chasse. Chez les Tupi-Guarani de Guyane, un rite cynégétique consiste à frotter le tubercule de l’effraie-serpent (Caladium schomburgkii) sur les jambes lors des chasses afin que les serpents aient peur de s’approcher (Grenand, 2001 : 30). Tout comme les souchets, à chaque animal correspond un tubercule spécifique : taiteku pola (Caladium bicolor) pour les pécaris à collier et tapi’i pola (Xanthosoma sp.) pour les tapirs. [...]

À l’instar des puerets, ces aracées sont ambivalentes. En effet, des usages maléfiques ont été mentionnés : les Palikur jettent une pincée de tubercule râpé dans la bière de manioc afin de l’envenimer (Folliard, 2008 : 242). [...]

Dans le piémont central du Pérou, les aracées sont utilisées dans les villages yanesha localisés à une altitude inférieure à 900 m. Les Caladium ne poussant pas à des altitudes bien supérieures, la raison est simplement écologique. Les aracées utilisées sont domestiquées et semées autour des maisons. À la manière des souchets, leurs usages sont gardés secrets et leurs organes souterrains deviennent parfois un objet d’échange.

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Usages traditionnels :


Selon Céline Valadeau, dans un article intitulé "Agir en secret: un regard sur la circulation des usages associés aux souchets des jardins, aux fougères des sous-bois et aux caladions des berges chez les Yanesha (Haute Amazonie péruvienne)." (In : Bulletin de l'Institut français d'études andines, 2016, no 45 (1), pp. 173-192) :


Par ailleurs, d’autres Caladium bicolor sont des charmes de chasse. Ils sont utilisés en poudre et frottés sur les outils de prédation pour attirer le gibier ou le poisson. De la même manière, quelques pincées de poudre mélangées à un broyat de feuilles forment une masse qui est frictionnée entre les mains avant d’aller pêcher des crevettes que l’on peut alors simplement capturer en plongeant les mains dans l’eau.

Certains autres cultivars de feuilles à prédominance rouge sont décrits comme des « plantes de jeu ». Nommées jeretso’pan (jeretso’ lit. Feu du diable), elles attirent les choyeshe’mats, ombres des défunts, et des entités malfaisantes comme Jo’, lorsqu’elles rodent autour des maisons. Occupés à jouer, ces malfaisants ne pensent plus à autre chose. Ces aracées ont donc un pouvoir d’attraction envers les humains, les animaux et les entités du monde non visible.




Symbolisme :


Marc-Alexandre Tareau, auteur de Les pharmacopées métissées de Guyane : ethnobotanique d’une phytothérapie en mouvement. (Thèse de doctorat. Université de Guyane, 2019) montre l'importance du Caladium dans la spiritualité guyanaise :


En Guyane, cette théorie étiologique surnaturelle qui attribue potentiellement la survenue de maladies à des facteurs de type magico-religieux, est bien instituée dans une société plurielle où se rencontrent de nombreuses médecines globalisantes qui prennent en compte l’individu dans une dimension holistique en le plaçant à la fois dans son environnement humain et cosmique (1). Au sein des différents groupes culturels amérindiens, le recours aux charmes magiques (kla : tulala ; ark : bina), dont le rôle est de convoquer la chance lors des différents événements qui rythment la vie quotidienne des Amérindiens (chasse, pêche, amour, entretiens d’embauche) se maintient (13 URs). Il s’agit, selon Silberstein (2002 ; p. 254), d’une « catégorie de plantes utilisées […] en vue d’obtenir certains résultats comme l’apaisement de tensions interpersonnelles, les faveurs d’un homme ou d’une femme, une chasse féconde, etc ». Chez les Kali’na (ainsi que dans plusieurs régions d’Amazonie), tulala est en effet également le nom qualifiant communément une Aracée terrestre (2) comprenant de nombreux cultivars, Caladium bicolor, qui est fréquemment utilisée dans ce type de préparations magiques (Ahlbrinck, 1956 ; Chapuis, 2001 ; de Goeje, 1931 ; Grenand et al., 2004 ; Odonne et al. 2014 ; Tareau et al., 2017 ; Valadeau, 2016 ; van Andel et al., 2015) :


« J’avais des angoisses, les gens parlaient sans arrêt sur moi, je n’arrivais pas à dormir, à bien respirer. J’avais une sorte de peur intérieure, des frissons même. Je sentais le regard des gens bien lourd sur moi, et ça me « marrait » dans mes affaires, je n’avançais pas. J’ai été voir une chamane vers Kourou qui m’a soigné avec des bains et des rituels de chez nous. Ça m’est déjà arrivé aussi d’aller la voir avant un rendez-vous important, pour le travail. Ça t’aide, ça te donne de la chance. Elle a une plante qu’on appelle chez nous tulala, qui est très puissante. »

Femme d’origine kali’na, 46 ans, Iracoubo.


Plusieurs études ont montré à quel point les couleurs pouvaient influencer l’étiquette thérapeutique des plantes (De Craen et al., 1996 ; Geck et al., 2017 ; Moerman et Jonas, 2002 ; Van Andel et al., 2013). Ce résultat semble également opérant en Guyane, où deux couleurs détiennent une importance primordiale dans la sélectivité des plantes médicinales et magiques (1) de plusieurs groupes culturels : le rouge et le blanc (2).

[...]

Parfois, les inventions ethnobotaniques sont également le fruit d’une adaptation à ces relations interculturelles nouvelles. Par exemple, chez les Amérindiens kali’na de Saint-Laurent la variété à tâches blanche de Caladium bicolor est utilisée dans certains charmes (cf. « Une médecine magique ») « pour amadouer les Blancs », notamment pour « faire ses papiers à la préfecture » (3) :


« Avec celui-là, on arrange nos affaires avec les Blancs. Quand on va à la préfecture par exemple, pour faire des papiers, ou quand on travaille pour un patron métro et qu’on veut quelque chose, on prend la racine, on la lave bien et puis on la découpe en petits morceaux qu’on met dans du parfum. »

Homme d’origine kali’na, 59 ans, Iracoubo.

[...]

Tulala (kla) : chez les Kali’na, il s’agit du nom donné aux charmes magiques dont le rôle est de convoquer la chance lors des différents événements qui rythment la vie quotidienne des Amérindiens (chasse, pêche, amour, entretiens d’embauche) et également de la principale espèce utilisée dans la confection de ces charmes et dont de nombreuses variétés sont cultivées dans les villages, l’Aracée Caladium bicolor.


Notes : 1) En 1890 déjà, le voyageur Brunetti (1893 ; p. 287) notait lors de son passage en Guyane : « Ces derniers [les mauvais sorts] sont considérés, à tort ou à raison, comme la cause de la plupart des maladies ou des morts qui surviennent. »

2) Qui, avec les fougères des sous-bois et les souchets des jardins, constituent les trois grandes familles de plantes magiques utilisées dans la confection de « charmes » en Amazonie (Valadeau, 2016). D’ailleurs le terme tulala n’est pas attribuée exclusivement à Caladium bicolor, mais également à d’autres espèces botaniques s’inscrivant dans ce vaste complexe de plantes magiques.

1) La frontière entre les deux – médecine et magie – étant des plus minces (Chapuis, 2015).

2) Cependant, les plantes comportant des fleurs ou des feuillages aux couleurs panachées (notamment les espèces des genres Acalypha, Caladium, Codiaeum, Dieffenbachia, Dracaena ou Polyscias) sont aussi souvent considérées comme protectrices.

3) Notons tout de même que cet usage peut être perçue comme la réadaptation d’une pratique déjà existante (les charmes pour amadouer) à un contexte nouveau.

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Mythologie :


Céline Valadeau, dans un article intitulé "Agir en secret: un regard sur la circulation des usages associés aux souchets des jardins, aux fougères des sous-bois et aux caladions des berges chez les Yanesha (Haute Amazonie péruvienne)." (In : Bulletin de l'Institut français d'études andines, 2016, no 45 (1), pp. 173-192) a du mal à trouver de réels mythes d'origine du caladium :


Il n’a par ailleurs pas été répertorié de mythe relatant leur apparition, seules des bribes ont été évoquées. De manière assez uniforme, les discours se construisent autour de l’idée commune selon laquelle les aracées sa’poque’ auraient poussé sur les rives à partir des cendres enfouies de différentes proies. Une anecdote rapportée par une femme ayant quitté le village en direction de Villa Rica raconte comment elle a tué le boa qui lui barrait la route. Elle n’aurait pas dû l’abattre à coup de bâton s’il ne l’avait pas fixé du regard quelques instants. Des semaines plus tard, elle rapporta un caladion du lieu de leur rencontre et le planta dans son jardin. (1)

Les usages attribués aux aracées sont divers. Certains sont semblables à ceux des puerets puisque les tubercules sont destinés à permettre l’union des personnes, leur attachement irrévocable ainsi que la fertilité des femmes. D’autres sont décrits tels des charmes utilisés dans les rituels mineurs halieutiques ou cynégétiques.

Ces plantes sont communément et principalement connues des femmes qui les choient en les arrosant périodiquement avec un peu de bière de manioc.


Note : 1) Selon cette femme, après avoir abattu le boa, elle s’est enfui. Elle est rentrée chez elle pour demander de l’aide afin de transporter la dépouille de l’animal pour en soustraire la peau et la vendre. Le boa n’était plus là lorsqu’ils arrivèrent quelques heures plus tard (anecdote recueillie à Azulis en 2009)




Littérature :


Dans "Messaline décadente, ou la figure du sang." (In : Romantisme, 1981, vol. 11, no 31, pp. 209-228), Jean de Palacio évoque l'attrait métaphorique des Décadents pour certaines plantes :


L'écriture décadente mêle à dessein les champs sémantiques, substitue volontiers la métaphore à la comparaison. Plus encore, elle approfondit la mièvre analogie de la femme-fleur en faisant du corps féminin « un jardin de fleurs-femmes » (1). Le mot composé volontairement à rebours de l'usage dit bien un nouvel ordre des choses. Même sur la « luxuriante chair flamande » de la placide Madame Lupar, le sang « instillait une bruine de rouges afflux, pareils à de pourpres larmes de fleurs » (2). Mais ce sont surtout la bouche et la fleur qui conjuguent leurs ambiguïtés. Celle qui est « tuméfiée, suant le vin bleu et le sang », ce n'est pas, contrairement aux apparences, la bouche, mais bien la fleur, une variété de Caladium ; quant au « rouge furieux » de la bouche, ce n'est pas celui de l'irrigation sanguine normale, mais généralement celui d'une « aroïdée récemment importée de Colombie », l'anthurium, qui semble avoir eu, dans l'écriture décadente, la mission constante de substituer à l'organe buccal un végétal aussi inquiétant que phallique (3). Le végétal permet ainsi un remodelage, un nouveau dessin du corps féminin, la prédominance d'un nouveau coloris.


Notes : 1) . Camille Lemonnier, Le Possédé, Charpentier, 1890, p. 142 et 178.

2) Madame Lupar, p. 105.

3) On rappellera par exemple, liés à une figure de danseuse, les « anthuriums lascifs » de Félicien Champsaur, « aux fleurs étranges faites d'une spathe étalée, blanche, ton de chair, où se dresse un spadice volupteux [...]» (Miss America, Ollendorff, 1885, p. 192-93) ; Madame Méraude, dans une nouvelle de Jules Ricard, semblable à « une grande fleur d'émail », la bouche « rouge comme sont rouges les anthuriums » (Acheteuses de rêve, Calmann-Lévy, 1894, p. 63) ; la serre italienne, liée au souvenir de Madame de Lyrolle, où Champsaur place « des anthuriums redressa[nt] un dard, comme en rut, sur l'unique pétale écarlate » (La Faute des roses, Charpentier, 1899, p. 272) ; et, chez Mirbeau, les « inflorescences phalliformes et vulvoïdes des plus stupéfiantes aroïdées », « les anthuriums, pareils à des plèvres saignantes » (Le Jardin des supplices [1899] ; Charpentier, 1925, p. 193, 251).

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