Étymologie :
MAHALEB, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1542 Maguelet (Rabelais, Pantagruel, chap. XXIII, éd. V. L. Saulnier, p. 178: drogueurs qui font l'huille de Maguelet [chap. XXXIV ds l'éd. Ch. Marty-Laveaux, p. 384]) ; 1558 macalep (P. Belon, Remonstrances sur le default de labour, fo39 voet 42 rods Arv., p. 308) ; 1561 Mahaleb (Du Pinet, trad. du lat. de Mattioli, Commentaires, p. 79, ibid. [ici, comme citat. d'un mot ar.]) ; 1572 mahaleb (Des Moulins, trad. du lat. de Mattioli, Commentaires, p.123, ibid. [ici comme mot fr.]). Lat. sc. de la Renaissance almahaleb (1479, Mesuae opera, fo55d : Oleum de almahaleb [almachareb ds l'éd. de 1471] ds Fonds Barbier), Mahaleb (1593, Ch. de L'Escluse, Aromatum historia, p. 94 ds Arv., p.307), empr. à l'ar. maḥlab, même sens.
Lire également la définition du nom mahaleb afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Prunus mahaleb - Amarel - Bois de Bagard - Boutiga - Canonier - Canot - Cerisier de Sainte-Lucie - Cerisier mahaleb - Cerisier odorant - Faux merisier - Mahaleb - Malagué - Merisier des pipes - Moussis - Prunier de Sainte Lucie - Prunier odorant - Quenot - Quénot -
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Botanique :
Henri Ferdinand Van Heurck et Victor Guibert, auteurs d'une Flore médicale belge. (Fonteyn, 1864) nous présentent succinctement le Cerisier Mahaleb :
Le Cerasus mahaleb (Mill.) est un arbre qui paraît originaire de l'Asie et qui se rencontre à l'état sauvage dans quelques contrées méridionales ; chez nous il est souvent cultivé et naturalisé dans les haies. Les fruits sont petits , noirâtres et très amers. Les amandes de ces fruits se trouvent dans le commerce sous le nom d'amandes de Mahaleb ; elles ont une odeur très- suave et une saveur douce, parfumée ; les Arabes les prenaient contre les calculs de la vessie ; elles ne servent plus aujourd'hui que dans la parfumerie (Guibourt).
Usages traditionnels :
Sur le site de la Galerie Puiseux, on trouve un article complet qui explique l'histoire des usages du Bois de Sainte-Lucie :
Qu'est-ce que le bois de sainte-Lucie ? Il s’agit d’un bois dur, sans fil aux nuances rouges, provenant d’un cerisier sauvage. On le trouve dans la forêt de Sampigny (Vosges) où l’on dit que sainte Lucie, fille d’un roi d’Ecosse, planta sa quenouille en terre, y faisant pousser un merisier. De ce « bois de sainte Lucie », on commença à façonner des grains de chapelet, objets de dévotion vendus dans les sanctuaires mariaux environnants (Ex : Benoîtevaux) et d’autant plus popularisés durant les périodes troublées (épidémies de peste et guerres) touchant le duché de Lorraine au XVIIème siècle. C’est, semble-t-il un bénédictin, Dom Calmet (1672-1757) qui évoque le premier, le travail sur bois de sainte-Lucie dans un texte paru en 1751, dans la « Bibliothèque Lorraine » : « On fait beaucoup de petits ouvrages en bois de sainte-Lucie et qui occupent plusieurs ouvriers. Les Foulon étaient fort connus autrefois et avaient fait quantité d’ouvrages pour le Dauphin, fils de Louis XIV. » Cette famille d’artistes travaillait avec César Bagard (1620-1709), sculpteur à Nancy, d’œuvres conséquentes en pierre, et en bois, qui lui valent le nom de « Grand César » et dont le patronyme « Bagard » restera synonyme de « bois de Sainte-Lucie ».
Pourquoi un tel engouement pour le bois de sainte-Lucie ? Pour financer les guerres coûteuses (Guerres de la Ligue d’Augsbourg) de la monarchie, Louis XIV ordonne à ses sujets en 1689 puis, en 1709, de fondre leur mobilier et leurs objets d’or et d’argent. Les amateurs vont donc jeter leur dévolu sur le bois de Sainte-Lucie qui se prête à merveille à des ciselures aussi fines que celles des orfèvres. Sa dureté et le savoir-faire des artistes permettent en effet d’imiter parfaitement les formes et dessins des objets en argent. Il est de plus, moins cassant que la laque et moins coûteux que l’ivoire. C’est dans le duché de Lorraine, et donc à Nancy, sa capitale, que vont se développer et prospérer les principaux ateliers de production de bois de sainte-Lucie avec César Bagard, les Foulon, Chassel, Vallier, Lupot, etc……. Connus et appréciés en Lorraine et à la Cour, les objets en bois de Sainte-Lucie sont également prisés dans toute l’Europe. La ville de Nancy en offrait du reste comme cadeaux à ses hôtes de marque. Cet engouement va perdurer jusqu’au milieu du XVIIIème siècle.
Quelles réalisations ? Les premiers objets réalisés en bois de sainte-Lucie sont des objets religieux : des chapelets comme dit précédemment, des têtes de Christ ou de la Vierge ou des statuettes de saints. On trouve également des crucifix, soit sur des piédestaux, soit accrochés sur un fond de velours, dans un cadre aux moulures inversées [...] [L]e thème de la crucifixion est du reste l’objet de la plus ancienne indication de commande d’une statuette en sainte-Lucie, grâce au contrat passé entre Charles Chassel et la ville de Nancy en 1661, pour une Crucifixion à destination du prince de Lillebonne. Par la suite, l’absence de métaux précieux et l’extrême qualité du bois de sainte-Lucie favorisent les commandes d’objets profanes, tels les coffrets à perruques ou à bijoux, les boîtes à poudre, les chandeliers, cadres de miroir et dessus de brosses, écritoires, râpes à tabac ou pièces d’échec, des objets de petite dimension dont l’atelier de Nicolas Foulon (1628-1698) qualifié de « sculpteurs en petit » s’était fait une spécialité. Il existe également des réalisations de plus grande envergure, dont certaines signées, associées à César Bagard (1620-1709) Sculpteur préféré de Charles IV, duc de Lorraine, il va réaliser nombre de sculptures ou de panneaux religieux, dont une Cène (Burghley House, Angleterre), un saint Jean de la Croix (Musée lorrain de Nancy) ou bien encore une statue de Georges d’Aubusson, évêque de Metz. Et malgré la multitude d’ateliers existant, c’est le nom de César Bagard ou la dénomination « bois de Bagard » qui passera à la postérité et perdure jusqu’à aujourd’hui.
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D'après Jean Henri Jaume Saint-Hilaire auteur d'un Traité des arbrisseaux et des arbustes cultivés en France et en pleine terre. (Vol. 1. chez l'auteur, 1825) :
On lui donne vulgairement le nom de bois de Sainte-Lucie, parce qu'il croît abondamment à Sainte-Lucie, en Lorraine.
USAGES. Les tourneurs et les menuisiers de Sainte-Lucie tirent un très bon parti de son bois. Ils en font de petits meubles, dont l'odeur agréable se conserve très longtemps. Autrefois on attribuait aux noyaux de ses fruits la vertu de dissoudre les calculs de la vessie ; mais il paraît que cette vertu était imaginaire. On regarde le bois du mahaleb comme sudorifique, mais il n'est pas employé en médecine. Bauhin dit que les merles et les grives sont très avides de ses fruits.
Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :
Les cerises du bois de Sainte-Lucie, Prunus mahaleb et du bois-joli ou cerisier à grappes, Prunus padus, ne pouvaient guère être mangées que cuites ; plus probablement étaient-elles employées à préparer des boissons fermentées.
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Les cerises sauvages, Prunus avium, celles du bois-joli et du bois de Sainte-Lucie, Prunus padus et Mahaleb sont récoltées ça et là pour en faire du kirsch [...] mais ce sont des pratiques à peu près abandonnées partout.
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Bruno Boulet-Gercourt, dans Le merisier. (Forêt privée française, 1997.) nous apprend que :
Ce petit arbre est odorant, y compris dans son bois qui dégage une forte odeur de coumarine agréable et durable. Il était autrefois recherché par les ébénistes et les tourneurs, en particulier pour la fabrication des pipes.
Jacques Besançon et Bernard Geyer, auteur d' "Un massif calcaire en Syrie du Nord : le Ğebel Zāwiye." (In : Topoi. Orient-Occident. Supplément 12, 2013. Villes et campagnes aux rives de la Méditerranée ancienne. Hommages à Georges Tate) précisent dans une note :
Le Prunus mahaleb [..] est cultivé pour ses amandes dont on tire une épice aromatique.
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Symbolisme :
François Poplin, auteur d'un article intitulé "Du cornouiller magique à Mars sanguineus". (In : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 154e année, N. 1, 2010. pp. 139-162) essaie d'élucider certaines remarques de Pline :
Il en ressort que Pline ne craint pas de parler de cerise même pour un tout petit fruit, ce qui est précieux pour la question du chamæcérasus, cerisier nain qui pourrait bien l’être par ses fruits.
Cette question ne tarde pas à venir, en XV, 104. Le passage commence par une cerise laurée qui, par un phénomène de rappel olfactif dont la madeleine de Proust est à jamais exemplaire, installe l’idée de mahaleb, tant le parfum de celui-ci est proche du laurier, avec une pointe de réglisse en plus. Si ce que je vais dire pouvait activer les recherches sur ce mahaleb (Cerasus mahaleb L.), Sainte-Lucie en arboriculture et dans le travail du bois fi n, sur son introduction chez nous, j’en serais heureux, car son histoire antérieure aux siècles récents chez nous reste à écrire, et il est, lui aussi, un personnage végétal que l’on a tendance à oublier. Il me semble qu’il est arrivé du Proche-Orient comme porte-greffe de cerisiers améliorés, et Pline donne, dans le paragraphe précédent, une date à cette introduction : il y a cent vingt ans, par Lucullus après sa victoire sur Mithridate (la coquille *Mithidrate laissée au milieu de la p. 53 a échappé à l’œil d’examinateur de J. André) en 73 avant J.-C. Puis vient, en 104, cette autre indication : Minus quinquennium est quod prodiere quae uocant laurea, non ingratae amaritudinis, insitae in lauru, où je crois déchiffrer : « Il n’y a pas cinq ans (: un quinquennat) que sont arrivées/apparues (les cerises) qu’on appelle la laurée, à la saveur amère/aigre non déplaisante, (dont les cerisiers sont) greffés sur laurier ». Ceux qui pratiquent la greffe sont particulièrement bien placés pour percevoir l’odeur d’un porte-greffe et l’exprimer, s’il s’agit d’un essence nouvelle, par un moyen terme proche. L’épine noire et l’aubépine en fleur sentent pour moi le miel ; quand je les respire, j’y suis plongé, inséré insitus in melle. Même si tout cela est à prendre comme une jolie allégorie, cela contient sûrement une part de vérité, et si le mahaleb était encore peu développé dans le paysage, et restreint en développement dans sa fonction de socle de cerisier, il a pu inspirer à Pline ayant lu chamækerasos dans Théophraste une idée de nain des cerisiers. Je préfère, sous bénéfice d’inventaire, cette version s’attachant à une espèce proche, utilitaire, bientôt répandue, le mahaleb qui nous est venu d’Orient, à celle d’André allant chercher au fond des bois un arbuste que presque personne ne connaît, aux fruits immangeables, et dont on saisit mal, jusqu’à plus ample informé, comment et par qui l’étiquette de chamécerisier a pu lui être greffée. Le raccourcissement en camérisier, lui, a sûrement eu lieu dans la zone d’influence du Jardin des Plantes (il y apparaît dans Brisson, 1779), dans les échanges de paroles de botanistes avec les jardiniers. La genèse de ce terme n’a pas procédé du développement général de la langue française ; c’en est un particularisme : il n’est pas dans les dictionnaires du français vers d’autres langues, il n’est pas non plus dans le Trésor de la langue française, ni même dans le dictionnaire étymologique (FEW) de von Wartburg. Il fait une apparition dans le Littré, mais décalée, à propos d’une plante d’Afrique du nord, et fugitive en ce sens qu’elle est précédée d’une croix obituaire signifiant qu’il n’est pas au dictionnaire de l’Académie ; cela a pu dissuader les lexicographes de le reprendre dans des dictionnaires nouveaux.
L’idée que le chamaecérasus puisse être le mahaleb n’est du reste pas neuve au Jardin du Roi : son fondateur Guy de la Brosse l’inscrit en toute lettre dans la description qu’il en donne en 1636, avec Macalep seu chamæcerasus petrea. Cette qualification de petrea, dont je n’ai pas encore pu déceler l’intention (les auteurs de ce temps ne se soucient guère de donner la derivatio nominis, l’explicitation des noms qu’ils donnent), est vivement intéressante. Je puis montrer, dans les collines calcaires de l’Auxerrois, des mahalebs poussant sur les meurgers, amoncellements purement calcaires créés par l’épierrement des terres, et, à la fois, cela fait penser à l’Arabie pétrée ; celle-ci est trop au sud du berceau des cerisiers, mais elle connaît parfaitement le mahaleb, amande ou extraits parfumés, qui continue de cheminer de la Syrie du Nord aux rivages de la mer Rouge, ainsi que vers la Grèce pour des pâtisseries choisies, réservées à des circonstances de fêtes.
Car on casse le noyau des cerises du mahaleb dans les pays tels que la Syrie, et c’est une idée folle comme l’est dans le même ordre de la finesse la dentelle d’Alençon. Qu’on y songe bien : ce noyau est le plus petit de tous les arbres fruitiers, et c’est lui que l’homme a choisi d’ouvrir. Mais cela assure un avenir à la recherche sur le rôle culturel de cette espèce particulière, au noyau si nain : lorsqu’on en trouvera des coquilles brisées, on tiendra sous la loupe binoculaire de la carpologie une signature éminente d’une activité de raffinement caractérisé.
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