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La Torpille




Étymologie :


  • TORPILLE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1538 torpile « poisson sélacien pourvu, à la base de la tête, d'organes capables de produire des décharges électriques » (Est., 712a, s.v. torpedo d'apr. H. Vaganay ds Rom. Forsch. t. 32, p. 173). Issu avec changement de suff. de torpin « id. », att. au xvie s. (de 1547, Ch. Estienne ds Gdf., à 1611, Cotgr., qui donne le mot pour « marseillais »), prob. originaire des côtes de Provence et issu du lat. torpedo, -inis « id. » ; v. FEW t. 13, 2, p. 83.


Lire également la définition du nom torpille afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Poisson-torpille ; Raie électrique ; Torpedo ;

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Ichtyologie :


Henriette Walter et Pierre Avenas, auteurs de La fabuleuse histoire du nom des poissons : du tout petit poisson-clown au très grand requin blanc. (Éditions Robert Laffont, 2011) détaillent le fonctionnement électrique de ce poisson mythique :


Un dispositif électrique très performant : Il est normal que le poisson-torpille ait attiré l'attention des hommes depuis la plus haute Antiquité car ses capacités électriques sont extraordinaires. Ses oranges électriques, qui ressemblent à deux grands haricots, un de chaque côté de la tête, sont constitués de centaines de colonnettes, constituées elles-mêmes de centaines de petits éléments empilés comme ceux d'une pile de Volta : ce sont des cellules musculaires transformées (au cours de l'évolution des espèces), de telle sorte qu'elles produisent de l'énergie sous forme électrique, et non plus sous forme mécanique.

Le poisson peut ainsi engendrer une tension allant jusqu'à 220 volts (entre le dos chargé positivement, et le ventre chargé négativement), avec une intensité de plusieurs ampères, pendant un temps court certes, mais suffisant pour tétaniser un poisson qui s'aventure au voisinage. Qui plus est grâce à des capteurs de champ électrique placé sur son dos, ce poisson est capable d'évaluer la taille de la proie visée et d'envoyer une décharge d'intensité adaptée à cette taille, en évitant ainsi de dépenser son énergie pour rien. Nul doute que le pied d'un plongeur imprudent appellera la réaction la plus violente, et on comprend bien que le poisson-torpille soit aussi appelée raie électrique.

Au contact de ce poisson-torpille, le nageur ressent un douloureux choc électrique, qui provoque en lui paralysie et tremblements, d'où en allemand, Zitterrochen, formé de zittern « trembler » et Rochen « raie », et en espagnol, tembladera, de temblar « trembler ». Cette raie électrique se vend d'ailleurs en France sur les marchés sous le nom de tremble.

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


La torpille, poisson voisin de la raie, possède des organes qui émettent une décharge électrique. Au XVIe siècle, quand quelqu'un avait été atteint par ce curieux phénomène, on recommandait d'appliquer la queue du poisson sur un chêne ; l'arbre séchait alors et la personne était guérie. A la même époque, la torpille était surnommée à Marseille « domillouse » car « elle endormait les membres de celui qui la touchait ». « Ce pouvoir est tel », nous dit-on, « qu'elle engourdit même celui qui ne la touche que par l'intermédiaire de l'hameçon et de la ligne. »

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Armelle Debru, autrice d'un article intitulé « Les enseignements de la torpille dans la médecine antique » (In : Le médecin initié par l'animal. Animaux et médecine dans l'Antiquité grecque et latine. Actes du colloque international tenu à la Maison de l'Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux, les 26 et 27 octobre 2006. Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2008. pp. 39-47. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique, 39) s'intéresse aux croyances de l'Antiquité :


[...] La narkè comme symptôme : Le lien entre l’homme et l’animal est déjà dans la dénomination. En grec, le terme le plus anciennement attesté est le nom du symptôme (narkè), lui même lié à un verbe qui signifiait « s’engourdir, devenir paralysé » (narkaô, narkan). Homère décrit cette sensation chez un guerrier frappé par une pierre : « son poignet s’engourdit (narkèsé). Il tomba à genoux et l’arc échappa de sa main (Iliade 8, 328 ). En revanche, nous ne savons pas exactement quand la dénomination du poisson s’est faite. Elle est attestée quelques siècles plus tard dans le Corpus hippocratique. La narkè est à la fois le nom du symptôme et celui du poisson, qui est recommandé pour sa chair particulièrement digeste.

Lequel est le plus ancien ? Comme cela s’est produit dans d’autres cas, notamment en botanique, il est vraisemblable que c’est de sa propriété que la torpille a tiré son nom. Cet effet, la narcose (narkè) apparaît assez souvent dans les écrits de la Collection hippocratique sous la forme du nom ou du verbe simple ou composé. Cette sensation, qu’on peut traduire par le mot « engourdissement » (anglais numbness), qui unit perte de la sensation et difficulté à se mouvoir, comme on le verra, touche de parties du corps : bras, jambes, pieds, le plus souvent la main. On note aussi qu’elle atteint la tête, la langue, le ventre ou le corps tout entier. Les symptômes associés sont la sensation de pesanteur (baros), de lenteur, de faiblesse ou d’impotence (akrateia). On le dit aussi pour la pensée (gnômè).

Ces divers symptômes peuvent renvoyer à des causes diverses et certains traités en proposent une explication. La cause est attribuée dans le traité sur la Maladie sacrée au blocage du mouvement de l’air dans le corps. Ailleurs, comme dans Maladies des jeunes filles, c’est l’effet du blocage du mouvement du sang par compression qui est dit entraîner cette sensation. Un autre rapprochement attire l’attention. Dans beaucoup de cas, l’engourdissement est rapproché du refroidissement, soit comme sensation associée, soit parce que le froid est considéré comme cause. C’est le cas notamment dans les maladies des femmes, où l’association lourdeur, froid, engourdissement a une fréquence toute particulière. Renforçant cette relation entre froid et engourdissement, l’effet anesthésique sur la douleur est noté. L’action symptomatique du refroidissement est clairement exprimée dans Aphorismes où il est dit que, pour certaines douleurs, beaucoup de froid versé dessus fait diminuer et même supprime la douleur. Plus généralement : « Un engourdissement modéré est propre à soulager la douleur ».

Tous ces éléments se retrouvent dans la tradition postérieure. Cependant jusqu’ici nous n’avons retenu que le symptôme, laissant de côté l’animal. De fait, les médecins hippocratiques ne font pas allusion, semble-t-il, au choc de la torpille mais seulement à ses propriétés alimentaires.

Quand se fait le lien en médecine entre le symptôme si bien décrit et l’effet du poisson ? Il est en tous cas clairement établi à l’époque de Platon si l’on en croit la célèbre analogie du Ménon. En effet, pour exprimer l’embarras dans lequel le mettent les paroles de Socrate, Ménon dit qu’il se sent engourdi, quant à son âme et sa bouche, comme ceux qui approchent et touchent une torpille (80 a). À quoi Socrate répond qu’il est lui-même philosophiquement dans l’ embarras, et que si la torpille, avant d’engourdir les autres, est elle-même engourdie, il lui ressemble, sinon non (80 c).

[...] t. Dans le livre IX de l’Histoire des animaux, Aristote s’intéresse au comportement et à l’ingéniosité dont certains animaux font preuve et cite parmi eux le comportement particulier de la torpille : « qui fait s’engourdir (narkān) les proies dont elle veut s’emparer, en les prenant au piège (?) qu’elle a dans le corps et elle s’en nourrit : elle se cache dans le sable ou la vase et prend tous les poissons qui nagent à sa portée et qui s’engourdissent à son contact ». Les poissons de ce type sont capables de s’emparer de poissons beaucoup plus gros et plus rapides qu’eux et même, pour la torpille, des êtres humains.

Au-delà de la description de ce comportement, mainte fois reprise dans la tradition antique, une explication en aurait été tentée par Théophraste, selon un fragment cité par Athénée : « on dit que la torpille envoie d’elle-même une dynamis à travers les épieux de bois et à travers les tridents, qui produit la torpeur à la main de ceux qui les tiennent ». De quelle nature était censée être cette dynamis ? Et quel rapport avec le corps de l’animal ? Malheureusement, Athénée signale bien un traité que Cléarque de Soles, qui avait consacré l’un de ses écrits au sommeil, aurait écrit sur la torpille, en donnant une explication du phénomène. Mais il avoue l’avoir oublié à cause de sa longueur excessive. Un autre savant, Diphile de Laodicée, toujours selon Athénée, aurait fait au terme de nombreuses expériences des découvertes sur la partie de la torpille qui était responsable de la décharge, un détail que l’on retrouve chez Oppien.

Les enseignements de la torpille
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Henriette Walter et Pierre Avenas, auteurs de La fabuleuse histoire du nom des poissons : du tout petit poisson-clown au très grand requin blanc. (Éditions Robert Laffont, 2011) reviennent sur l'étymologie et les croyances à l'origine du nom de ce poisson :


Le poisson-torpille, ou torpille, est très dangereux et son nom évoque la violence. Or, bien qu'on ne s'y attende pas, les noms torpille et torpeur sont de la même famille, et ce la devient évident si l'on sait que le poisson-torpille chasse en produisant une intense décharge électrique lorsque passe à sa portée une proie, qui est alors plongée dans une véritable torpeur. En latin en effet, du verbe torpere « être engourdi (de froid, de paralysie ou d'effroi) » dérive le nom torpedo, torpedinis « torpeur, engourdissement », qui a été appliqué par métonymie au poisson-torpille, comme on le lit par exemple chez Pline (IX, 143).

C'est au nominatif que le nom latin torpedo a été emprunté en espagnol, en anglais et en allemand, alors qu'en italien torpedine vient de la forme de l'accusatif torpedinem et qu'en français torpille est dérivé du nom de ce poisson en provençal, tourpiho.


Le poisson-torpille, un remède ? Incroyable mais vrai : au Ier siècle de notre ère, le médecin personnel de l'empereur romain Claude, Scribonius Largus, prescrivait une décharge électrique de poisson-torpille, soit sur le front, pour soigner les maux de tête, soit sous les pieds, pour soigner la goutte.

[...]

Socrate et le poisson-torpille : Socrate avait une telle emprise sur ses interlocuteurs qu'ils se sentaient comme ensorcelés et plongés dans un état second. Ainsi, dans l'un des Dialogues de Platon, Ménon, ou De la vertu, on assiste à une conversation entre Socrate et Ménon à propos de l'enseignement de la vertu et de sa définition. Les questions de Socrate plongent alors Ménon dans une perplexité telle, qu'il dit ressentir le même effet que celui produit par un poisson-torpille.

Mais Socrate lui répond que cette comparaison ne tient pas, car il es met lui-même dans la perplexité par ses propres questions, alors que le poisson-torpille, lui, ne s'électrocute pas lui-même : il n'engourdit que ses victimes.


A la fois poisson, engin de guerre et automobile : C'est au XIXe siècle qu'est apparu le nom torpedo, en anglais,, traduit par torpille en français, pour désigner une mine sous-marine fixe, imitant le poisson-torpille tapi à l'affût, en attente du passage d'une proie. Plus tard le terme torpille a désigné des mines flottantes et enfin des sortes de missiles sous-marins lancés contre les navires. Dans cette toute dernière acception, il reste quelque chose du poisson-torpille dans ce qu'on appelle un torpillage, qui attaque sournoisement un navire par en-dessous. Mais la torpille moderne est finalement un objet qui ne ressemble plus du tout au poisson, ni par son mouvement, ni par sa forme.

Pourtant, on s'est éloigné encore plus du poisson avec l'automobile baptisée torpedo.

C'est par analogie avec une torpille moderne et en revenant au latin, qu'est apparu au début du XXe siècle un type d'automobile appelée torpedo, et caractérisée par une carrosserie effilée comme un « missile », le capot formant une ligne continue avec les portières et le coffre à l'arrière.

Un destin inattendu pour le latin torpedo, désignant à la fois un poisson et une automobile.

 

Selon Philippe Jaussaud (Lyon I) auteur de "Lacepède et les poissons électriques." (2016) :


Lacepède évoque, essentiellement à propos de la Torpille et du Gymnote, trois caractéristiques de l’électricité émise : ses manifestations physiques, ses effets biologiques, ses organes producteurs et son étude expérimentale. Ainsi, la Torpille « possède la puissance remarquable et redoutable de lancer, pour ainsi dire, la foudre ; elle accumule dans son corps et en fait jaillir le fluide électrique avec la rapidité de l’éclair ». Si les secousses dues à la Torpille font qualifier ce poisson de « fulminant », le fluide électrique du Gymnote est plutôt « torporifique » ou « engourdissant ».

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