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La Sarigue




Étymologie :


  • SARIGUE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. 1578 Sarigoy (J. de Léry, Hist. d'un Voy. fait en la Terre du Bresil, p. 156 ds König, p. 186) − 1765, Encyclop.; 2. 1640 Carague (J. de Laet, L'Hist. du Nouv. Monde ou Descr. des Indes Occ., p. 485 ds König, p. 186) − 1763, Buffon, Hist. nat., Quadrup., t. 10, p. 279, ibid. ; 3. 1763 masc. Sarigue (Id., ibid.) ; 1933 fém. (Lar. 20e). Empr. au tupi sarigué ; 1 représente une forme dial. tupi du Sud ; 2 et 3 sont empr. par l'intermédiaire du port. sarigue(i)a (dep. 1560, Anchieta ds Fried.) ; la forme 2 est prob. due à une confusion de sons et de graph., le ç port. étant transcr. en fr. par c (cf. cobaye). Le genre fém. l'a emporté sur le masc. parce que la caractéristique la plus remarquable de cet animal est que la femelle porte les petits sur son dos, accrochés à sa longue queue préhensile. Voir König, pp. 186-187 et FEW t. 20, p. 77b.


Lire également la définition du nom sarigue afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Didelphis virginiana - Opossum d'Amérique - Opossum d'Amérique du Nord - Opossum de Virginie -Rat de bois (Louisianais) - Sarigue de Virginie - Sarigue d'Amérique du Nord - 

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Mythologie :


D'après Sílvia Maria Schmuziger Carvalho et Elena Ralle, respectivement auteure et traductrice de "Soleil et Lune : les jumeaux mythiques et le caractère tricheur" (In : Les grandes figures religieuses : fonctionnement pratique et symbolique dans l'Antiquité. Actes du Colloque international (Besançon, 25-26 avril 1984) Besançon : Université de Franche-Comté, 1986. pp. 159-164. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 329)) :

[...]

Dans la mythologie des peuples Tupi, la création de l'humanité met en scène un chasseur primordial qui, après avoir envahi le territoire du Jaguar, est menacé de mort par celui-ci et lui propose, en échange de sa vie, sa propre fille, pour qu'elle devienne son épouse (la ressemblance avec le conte européen « La Belle et la Bête » est évidente). Ayant échappé à la menace d'être dévoré, le chasseur, de retour chez lui, commence les préparatifs pour envoyer au Jaguar l'une de ses filles (selon d'autres versions, deux filles et même plus). D'après les versions de la région du Xingou, il devra « confectionner » ces filles à partir de bois, de semences de fruits et d'autres « ingrédients » végétaux : il s'agit curieusement de matériaux qui sont des produits cueillis par la femme.

Envoyée chez le Jaguar, la « Belle », sans le savoir, s'égare et finit par arriver chez la Sarigue. Elle passe la nuit dans son hamac et ce n'est qu'au réveil, le lendemain matin, qu'elle s'aperçoit de son erreur. Elle reprend son voyage et arrive, enfin, au village des Jaguars où l'attend son futur époux. C'est un problème de non-respect de l'étiquette, apparemment sans importance, qui la fait tomber en disgrâce auprès de sa nouvelle famille ; elle est tuée (selon la plupart des versions) par sa propre belle-mère. Enceinte à la fois de Jaguar et de Sarigue, elle avait mis au monde des jumeaux qui sont préservés et, devenus adultes, ce sont eux qui vengent leur mère en tuant les Jaguars ou en les expulsant vers le ciel astral. Ils créent l'humanité (les premières tribus indiennes) et sont les grands héros civilisateurs identifiés au Soleil (le fils du Jaguar) et à la Lune (le fils de la Sarigue).

Ce même mythème de la femme cédée au Jaguar et qui a aussi des rapports avec d'autres animaux n'apparaît pas seulement chez les peuples Tupi et semble avoir constitué, d'ailleurs, le noyau de mythologies et de religions américaines très archaïques.

Les jumeaux, enfants du Jaguar, sont les figures centrales de la culture olmèque et le Popol-Vuh se réfère aux premiers jumeaux qui descendent la Sibalba comme Hun ahpu et Wuqub hun ahpu. Le nom de celui-ci contient d'ailleurs le mot Wuc (sarigue).

[...]

Un mythe Waiwai (Karib), analysé par Lévi-Strauss {L'origine des manières de table, p. 136), raconte l'histoire de jumeaux nés de deux œufs d'une tortue primordiale, dévorée par le jaguar. Le jumeau solaire se soucie toujours de son frère (comme Pollux), il le ressuscite à chaque fois qu'il meurt et, en outre - dans une version tenetchara — , il oblige son père à reconnaître Mikura-Yra (le fils de Sarigue) comme son propre fils. C'est ce que fait aussi Pollux (fils de Zeus-Cygne et né d'un œuf pondu par Léda et qui contenait aussi sa sœur Hélène), lorsqu'il partage son immortalité avec Castor (fils mortel de Tyndare, né de l'autre œuf pondu par Léda et qui contenait aussi Clytemnestre).

On remarquera cette correspondance symbolique entre le Jaguar, le Cygne et d'autres oiseaux qui en fait des animaux solaires, et la correspondance entre la Sarigue, le Lièvre, la Tortue, le Tamandua et le Renard qui en fait des animaux lunaires, animaux qui seront d'ailleurs utilisés dans de nombreuses mythologies pour représenter ce qui est périssable et ce qui a mauvaise odeur (la sarigue) ; ce qui meurt et qui renaît constamment et en grand nombre (le lièvre, qui est aussi particulièrement lié à la gémellité, d'après Lévi-Strauss, dans Myth and Meaning, Toronto 1978) ; ce qui est conçu comme pré-culturel (la tortue qui se nourrit de racines, de bois pauvre, qui est nomade, puisqu'elle porte sa maison sur son dos) ; ce qui est en relation avec la vieillesse et avec le monde inférieur (le tamandua, édenté, qui se nourrit d'animaux chthoniens) ; et le tricheur et décepteur par excellence (comme dans le cas du renard, aussi bien dans la mythologie des Dogons que dans le folklore européen).

L'ambiguïté des jumeaux est toutefois facilement repérable. Dans les mythes de la région du Xingou, la Sarigue est présentée comme séducteur, mais ce sont les jaguars qui dévorent la jeune fille enceinte. En outre, c'est parce qu'il reste encore véritablement lié à sa mère (au contraire de son frère, qui, tout en étant le Soleil, est « plus froid ») que le fils de la Sarigue fait échouer la tentative de résurrection de l'héroïne (de la « Belle » livrée aux fauves). C'est encore la même ambiguïté qui apparaît dans le mythe de Castor et Pollux : si Castor et Clytemnestre étaient les enfants mortels - de Tyndare -, pourquoi sont-ils nés aussi d'un œuf ? Il y a d'autres exemples très célèbres : dans le mythe d'Héraclès et de son jumeau Iphiclès, c'est Zeus qui représente le principe éternel (solaire), même si c'est lui (et c'est typique dans les amours de Zeus) le tricheur qui prend la forme d'Amphitryon pour séduire Alcmène, l'étranger qui s'insinue sournoisement dans le monde des humains. Que l'on nous permette d'introduire ici un court commentaire : dans les sociétés archaïques, l'étranger -conçu comme un être d'un autre monde, c'est-à-dire du monde non-humain — était reçu comme un dieu-tricheur, à qui le maître de maison (l'amphitryon) offrait son épouse ou sa fille, exactement comme avait fait le chasseur primordial des mythes du Xingou par rapport aux Jaguars. Le mythe d'Héraclès semble donc attester que cette coutume a aussi existé dans la Grèce antique.

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Selon Dimitri KARADIMAS, auteur de l'article suivant : "La métamorphose de Yurupari : flûtes, trompes et reproduction rituelle dans le Nord-Ouest amazonien" (paru dans le Journal de la Société des Américanistes, 2008, vol. 94, n°94-1, pp. 127-169) :

[...]

Dans le commentaire fait à propos des modèles donnés pour comprendre de quelle façon doit se faire la reproduction (Reichel-Dolmatoff ibid., pp. 12, 96, I, § 196), les deux animaux pris comme modèle sont l’anoure pipa pipa et la sarigue. Ces deux espèces sont emblématiques par leur mode de gestation : la grenouille incube ses œufs dans des cavités dorsales (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de gestation intra-utérine) ; la sarigue, animal marsupial, ne « porte » pas sa progéniture dans une cavité utérine, mais à l’extérieur, dans une poche réservée à cet effet où le petit, qui ne mesure à la naissance que quelques millimètres de longueur et qui ressemble plus à une larve qu’à un mammifère, reste accroché à un téton grâce auquel il se nourrit jusqu’à maturité. Dans l’un comme dans l’autre cas, il s’agit d’une gestation extra-utérine qui, dans le cas de la sarigue, n’implique pas la formation d’un placenta, c’est-à-dire la création d’un double de la personne qui s’est nourri du sang de la mère. Les alliés, dans le texte I, refusent ce mode de reproduction et affirment au contraire que les femmes doivent accoucher.

Vient ensuite l’affirmation que les hommes devraient être des enfants des hommes : « we shall be the sons of men » (Reichel-Dolmatoff ibid., pp. 12, 97, I, § 198), c’est-à-dire idéalement entièrement conçus par les hommes. Pour que ceux-ci puissent construire un rituel dans lequel ils créent une gestation extra-utérine grâce aux trompes de Yurupari, il faut que les femmes se voient imposer une gestation intra-utérine. La récupération des flûtes par les hommes est donc, dans le discours, une justification de la dissymétrie des sexes face à la reproduction humaine. Ce que les femmes ont perdu avec les flûtes est cette faculté de produire de l’humain en dehors de leur corps. Ce que les hommes se sont accaparé est non seulement cette faculté de produire en dehors de l’utérus (c’est ce qu’ils affirment en utilisant des modèles, dans le règne animal, qui possèdent cette faculté), mais aussi la liberté de restreindre cette production aux seuls individus du sexe masculin (rite d’initiation masculine). Les femmes, quant à elles, sont obligées de donner le jour aux deux sexes. Le rite d’initiation de Yurupari justifie la réclusion liée à l’avènement des premières règles, non pas sur le seul rapport au sang, mais sur ce que ce sang produira : l’attraction d’une âme et sa matérialisation sous forme de placenta, chez les Miraña pour le moins.

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Pour Bruce Albert, auteur de "La forêt polyglotte". B. Krause. Le grand orchestre des animaux ; Paris : Fondation Cartier, 2016, pp. 91-99 :

[...]

Les Yanomami considèrent donc que les différentes espèces animales et les individus qu’elles englobent sont des peuples et des personnes tout autant dotés de subjectivité et de socialité (qualités premières) que la gent humaine (en ses variétés) et qui ne s’en distinguent que par leurs corporalités et leurs vocalités différentes (qualités secondes). Les couleurs et motifs des plumages et pelages sont, en cela, autant de peintures corporelles, tandis que cris et appels sont autant de langues naturelles ; tous traits distinctifs acquis à la suite de la métamorphose des premiers ancêtres. Ainsi un récit du premier temps rapporte-t-il l’origine des couleurs des animaux et de leurs parlers, récit dont l’antihéros est Sarigue (Narori a), prétendant malodorant et paresseux qui, se voyant pitoyablement éconduit, inventa la sorcellerie afin de pouvoir se venger de son concurrent plus fortuné, maître du miel (1). Ayant mis à mort Sarigue, écrasé par un énorme rocher dans le tronc creux où il avait trouvé refuge après avoir tué son rival, les ancêtres animaux s’enduisirent le corps de son sang, de sa cervelle et de sa bile afin d’acquérir les couleurs et dessins distinctifs de leurs plumes et de leurs robes (c’est là également l’origine des peintures corporelles humaines actuelles)


Note : 1) : Sarigue est un personnage célèbre des Mythologiques de Claude Lévi-Strauss dont il serait intéressant d’analyser la présence inhabituelle dans ce type de mythe. Le sarigue, ou opossum commun, est un petit marsupial réputé pour sa mauvaise odeur. Il est doté, par ailleurs, d’une longue queue pelée et d’une fourrure terne, jaunâtre mêlée de noir, qui lui donne, selon Buffon, « vilaine figure ». Solitaire, nocturne et omnivore, c’est enfin un piètre chasseur. Son rival est souvent associé au miel des abeilles yamanama naki (Scaptotrigona sp.), parfumé et très apprécié.

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