Étymologie :
PATELLE, subst. fém.
Étymol. et Hist. I. 1555 « mollusque » (P. Belon, Nat. et div. des poissons, p.396 ds DG). II. 1824 terme d'antiq. (Boiste). I empr. au lat. de la terminol. zool. patella (propr. « plat rond », p. anal. de forme) mot utilisé au xve s. par Th. Gaza (cf. 1558, L. Joubert, trad. Rondelet, Hist. des Poissons, II, 2 ds Barb. Misc. t. 2 1928-32, p. 63 : Nous dirons premierement de celui qui est nommé en Grec λ ε π α ́ ς, en Latin patella selon Gaze, en Provence é en Languedoc lapedo, à Venise pantalena, en Normandie berdin é berlin, en France œil de bouc). II empr. au lat. class. patella « petit plat servant aux sacrifices ».
ARAPÈDE, subst. masc.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1751 (Encyclop. t. 1, s.v. patelle). Empr. au prov. mod. alapedo, arapedo « genre de mollusques qui s'attache aux rochers » (Mistral t. 1 1879), lui-même issu du lat. lĕpas lepădis « patelle » (gr. λ ε π α ́ ς, -α ́ δ ο ς « id. ») (Plaute, Rud., 2, 1, 8 ds Forc. t. 1 1864-1926) avec infl. du lat. lappa « bardane » pour le changement de la voyelle du rad. -e- > -a- et le doublement du -p- > -pp- (cf. infr. availlon « id. », Palissy ds Gdf.) ; le rapprochement avec lappe est prob. dû à l'analogie entre le mollusque attaché à son rocher et la bardane qui s'attache aux vêtements (Barbier ds R. Lang. rom. t. 51, no1, p. 276).
BERNIQUE, interj.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1725 arg. brenicle (Granval, Cartouche, gloss. dans Sain. Lang. par., p. 77 : Brenicle, rien, non); 1756 bernique (J.-J. Vadé, Nicaise, p. 62 : [MmeClément :] Mais sçachons donc pour quel motif vous ne voulez plus de ma nièce ... Julien, Bernique, J'aime st'objet charmant. Nicaise, ça Manzell'Angelique [?]). Orig. obsc.; l'hyp. la plus vraisemblable est celle d'une forme normanno-pic., dér. de bren, bran* « excrément, ordure » lui-même empl. comme interj. dep. le xves.; à rapprocher des dér. emberniquer, déberniquer ... (berniquet*), répandus dans le Nord-Ouest et le centre de la France; un croisement est possible avec d'autres interj. d'un emploi similaire au xvies. : brique euphémisme pour bren (Hug.) et nique* (J. Orr, v. bbg.); Sain. Lang. par., p. 77, P. Guiraud, L'Arg., p. 24 et K. E. M. George dans Fr. Mod., t. 38, p. 309 voient dans bernique le même mot que bernicle* « coquillage » d'où « objet sans valeur », mais cette hyp. est rejetée sans doute avec raison par EWFS2et J. Orr; il en est de même pour celle de L. Spitzer dans Z. rom. Philol., t. 42, p. 193, qui rattache bernique au nom d'un jeu de cartes connu en Picardie : jeu de barnik ou bernik, sorte de jeu de drogue (qui aurait désigné primitivement les coups donnés avec le jeu de cartes sur les doigts du perdant : le perdant ayant bernique « rien » au lieu du gain espéré) rapproché lui-même de bernicles « instrument de torture » du xiiies. (Joinville, S. Louis dans Gdf.), et de bericle, besicles* « lunettes ».
Lire également la définition des noms patelle, bernique et arapède afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Patella - Bernache - Bernicle - Bernique - Brenique - Brennig - Chapeau chinois - Flie - Jambe - Lampote - Ormet -
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Zoologie :
Le symbolisme se construisant toujours à partir de la réalité biologique et comportementale des animaux, il est toujours intéressant de s'y attarder. Ainsi, selon le site de la Baie de Saint-Brieuc, on apprend que :
La Patelle ou arapède ou bernique possède une coquille conique épaisse qui lui a valu le surnom de « chapeau chinois ».
La Patelle passe la moitié du temps à l’air et l’autre sous l’eau car elle aime se trouver sur la zone de balancement des marées. Ce mollusque gastéropode, c’est-à-dire dont l’estomac se situe dans le pied (comme l’escargot).
Adhérant par son pied faisant office de ventouse, elle peut ainsi retenir suffisamment d’eau pour assurer sa survie entre les marées. Elle est capable de mener une vie ralentie, de supporter de longues dessiccations et des variations importantes de salinité et de température. La légende veut que la patelle reste toute sa vie au même endroit, sur son même rocher….mais c’est une légende….
La patelle est une mangeuse de micro-algues ; tout en rampant sur son pied, elle est capable de se nourrir en raclant les rochers avec sa radula, sorte de langue pourvue de nombreuses rangées de petites dents, au rythme moyen de 5mm/min. Elle peut vivre une quinzaine d’années. A leur maturité sexuelle (vers 9 mois) toutes les patelles sont mâle avant de devenir femelle entre 4 à 7 ans plus tard.
En février 2015, les dents de patelles ont été élevées au rang de matériau biologique le plus résistant au monde. Asa Barber de l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni et ses collègues ont en effet analysé la structure et le matériau, cent fois plus fin que le diamètre d’un cheveu, pour conclure que les dents des patelles contiennent de la goéthite, un minéral très résistant, et qu’il faut une pression d’au moins 3 gigapascal pour les fissurer.
A noter que l’Huîtrier-pie peut consommer les patelles en arrivant à la décoller de son rocher. Sur l’île de Lundy au sud-ouest de l’Angleterre, ces beaux oiseaux que sont les Huîtriers pie se nourrissent presque exclusivement de patelles.
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Symbolisme :
Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Ce mollusque à coquille qui s'accroche aux rochers, de création diabolique selon une croyance de la région trégorroise, passait pour être un œil de noyé (littoral de la Manche) ; à la fin du monde, la patelle devait se doter d'ailes et réintégrer la tête du cadavre dont elle dépendait. Les grosses patelles blanches étaient considérées également comme issues des corps des noyés dont elles se nourrissaient et l'on répugnait à les manger de peur d'attraper la rage. Est-ce en vertu de leur caractère diabolique et morbide qu'autrefois les enfants de l'île anglo- normande de Guernesey les ramassaient le vendredi saint pour les faire cuire ?
Sa mauvaise réputation ne l'empêcha pas d'être utilisée dans la médecine populaire : les Bretons donnaient à manger des patelles bouillies à leurs cochons malades, tandis que leurs enfants les portaient en collier contre les vers intestinaux. Les coquilles de bernique appliquées sur les seins étaient également censées faire passer le lait.
Dans un article intitulé "Quoi de neuf chez les patelles" (in Pen Ar Bed n°212, novembre 2012, p. 29), Auguste Le Roux évoque rapidement des pratiques ancestrales concernant la bernique :
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Une authentique célébration de la bernique reste encore à écrire. Elle pourrait être le couronnement d’une étude historique et anthropologique de la consommation (si possible quantifiée) de cette espèce sur l’ensemble du littoral breton. Au-delà de son rôle purement alimentaire, cette consommation pouvait revêtir un aspect rituel, comme celle que décrit P.-J. Hélias (1975) à Penhors le Vendredi Saint où la population des environs descendait massivement à la côte et se gavait, exceptionnellement, de coquillages. Tout le contraire de ce qui se passait à Moëlan-sur-Mer où la récolte des berniques était taboue ce jour-là. Gare à ceux qui bravaient l’interdit, ils avaient la désagréable surprise de trouver les animaux au pied ensanglanté !
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Dans le résumé (in Anthropozoologica, 2016, 51/2) de sa thèse intitulée Exploitation et utilisation des invertébrés marins durant la Protohistoire sur le territoire continental et littoral Manche-Atlantique français. (Thèse de doctorat Archéologie-Archéométrie, Université de Rennes 1, Rennes, 2015, 707 p.) Caroline Mougne évoque l'utilisation des patelles à la préhistoire :
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Pratiques alimentaires
L’étude des pratiques alimentaires a souligné des spécificités régionales. La Basse-Normandie, la Bretagne et le Poitou Charentes se caractérisent ainsi par des assemblages malacologiques et un mode de sélection distincts. En Bretagne, la patelle Patella sp. est omniprésente (Mougne et al. 2014a ; Dupont & Mougne 2015). Cependant, cette dernière est totalement absente de l’alimentation des habitants de la Basse Normandie, qui consomment essentiellement des moules communes (Mougne et al. 2013, 2014b, 2015). Pour ce qui est du Poitou-Charentes, le spectre est différent selon les sites, même pour ceux de période identique. Il est à noter que les populations protohistoriques de cette région ne semblent pas s’être focalisées sur le ramassage d’une seule espèce, à l’inverse des régions plus septentrionales.
D’un point de vue diachronique, en Basse-Normandie et en Bretagne, les coquillages marins sélectionnés semblent identiques pendant l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Inversement, en Poitou-Charentes, une évolution des pratiques alimentaires entre le Bronze ancien et La Tène finale est perceptible. En effet, si pendant l’ensemble de la Protohistoire la patelle et la scrobiculaire Scrobicularia plana (da Costa, 1778) sont consommées, la moule commune, l’huître plate Ostrea edulis (Linnaeus, 1758) et la palourde européenne Ruditapes decussatus (Linnaeus, 1758) n’intègrent le régime alimentaire des populations qu’à partir de la fin de l’âge du Fer (Mougne & Dupont 2015).
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Pratiques artisanales et architecturales
- [...] Globalement, il semblerait qu’à l’âge du Bronze, la coquille pour la confection de la parure soit remplacée progressivement par les métaux, matériaux plus résistants et permettant de créer des formes plus complexes ;
- les restes d’invertébrés marins et particulièrement les coquilles de mollusques sont parfois utilisés aussi comme matériaux de construction. Sur la façade atlantique française, le recyclage de coquilles en tant que matériaux de construction dans la construction des murs et pour l’épandage sur le sol concerne deux taxons, à savoir la patelle et l’huître plate. La réutilisation de ces deux espèces est due à leurs propriétés physico-chimiques : leurs coquilles résistent aux pressions mécaniques, drainent les flux d’eau et sont perméables, absorbant l’humidité ambiante, souvent importante en milieu côtier et insulaire. L’utilisation des coquilles dans les constructions est proportionnellement liée à l’importance de leur consommation.
Pratiques funéraires et rituelles
Enfin, les invertébrés marins ont également joué un rôle non négligeable au sein des systèmes de pensée et de croyances des populations protohistoriques. Ils sont ainsi parfois repérés sous forme de dépôts votifs, d’offrandes alimentaires et de reliefs de repas rituels ou communautaires. Ils ont été déposés, voire mis en scène, dans au moins trois secteurs sur la façade française de la Manche et de l’Atlantique : en Plaine de Caen, sur les côtes bretonnes et en Charente-Maritime. Les espèces d’invertébrés marins intervenant dans les pratiques funéraires et cultuelles varient. Il s’agit le plus souvent de taxons consommés de manière régulière et faisant partie du régime alimentaire, comme la patelle en Bretagne ou la moule en Plaine de Caen.
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Littérature :
A lire : Célébration de la Bernique (Éditions Gallimard, coll. "Les Maritimes", 1982) de Gwenn-Aël Bolloré dont on peut lire un résumé proposé par la Librairie Eyrolles :
« Gwenn-Aël Bolloré est un breton comme son nom l'indique et à ce titre il aime la mer donc la navigation, donc la pêche, donc les îles... Il a plus d'un tour dans son sac, dont un tour d'esprit scientifique qui ne contredit en rien les autres. On peut s'intéresser à tout en ne s'intéressant à rien et on peut, durant tout un livre, ne s'intéresser qu'à un innocent petit mollusque... La bernique, ce petit animal si répandu sur nos côtes océaniques et si rare dans les restaurants, a permis à son observateur de tomber pour notre plaisir dans le crime de polygamie. Car il l'aime sa bernique de multiples manières ; il l'aime pour ce qu'elle représente dans l'ordre des êtres vivants, pour son mode de vie, balancée par le mouvement des marées, pour les services inattendus qu'elle peut rendre, grâce à son pied, aux pieds des hommes et à leurs yeux, pour l'étymologie celtique et guerrière de son nom ; il l'aime aussi en beignet, en omelette, en feuilleté... Comme si toutes ces preuves d'amour ne suffisaient pas, l'auteur en a donné une autre à la bernique dont il à fait une héroïne légendaire. Ces contes, je suis tenté de les lire comme des légendes bien qu'elles ne nous aient pas été transmises par les siècles. Bolloré est un savant, un pêcheur, un cuisinier mais il est aussi une âme sensible faite pour vibrer à tous les vents atlantiques... »
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque le mystère des Patelles :
11 févier
(Cap Ferrat)
Il existe une satisfaction particulière à fouler la pointe ultime d'un promontoire - à sentir sous ses pieds le roc le plus engagé dans la mer. Le corps entier, alors, se fait géographe. Les rafales du vent, la vibration des vagues, peut-être quelque obscure perception tellurique, font de l'organisme un privilège. On devient un point sur la carte - et c'est l'éternité.
En même temps, la profondeur glauque de l'eau qui commence a le goût de la mort. Le choc des contraires garantit l'émotion.
Les patelles
Bavent l'écume
De la mer
Volcans de nacre
Escargots cosmogoniques
Patelles
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