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La Joubarbe

Dernière mise à jour : 6 oct.




Étymologie :


Étymol. et Hist. xiie s. (Gloss. B.M. Tours 433 ds Bibl. École des Chartes, t. 30, p. 327 : Barba Jovis vel semper viva, jobarbe). Du lat. jovis barba (Pline), ainsi appelée parce qu'elle est censée protéger de la foudre ou parce que ses fleurs s'étendent en panicule, v. André Bot.


Lire également la définition du nom joubarbe afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Sempervivum tectorum - Artichaud bâtard (ariègeois) - Artichaut d'Espagne - Artichaut de Jérusalem - Artichaut de muraille - Artichaut des parois - Artichaut des toits - Artichaut des murs - Artichaut fou - Artichaut sauvage - Barbajou (provençal) - Barbe de Jupiter - Barbian - Bourbon - Chou de chèvre - Chou gras - Erba d'oü-tron (provençal) - Feuilles grasses - Goubèrde - Grande Jômbarbe - Grande joubarbe - Herbe à coupures - Herbe à la blessure - Herbe aux cors - Herbe coupante - Herbe de toit - Herbe de Sainte-Marie - Herbe des gouttières - Herbe des tuiles - Herbe du tonnerre - Herbe sans couture (nissard) - Jobarde - Jombarbe - Joubarbe des toits - Jusbarbe - Oignon de cheminée - Ongle de Mars - Ongle de Vénus - Pomme des murs - Savage articho (Wallonie) - Toujours vive -

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Selon Juliette Brabant, auteure d'un article intitulé "Phytothérapie familiale en Basse Normandie." (Ethnologie française, 15, 1985, 2, pp. 153-168) :


La joubarbe-des-toits, c'est "l'artichaut", parce qu'elle ressemble à un petit artichaut aux feuilles épaisses, charnues. C'est aussi "le cor", parce qu'écrasée, elle est employée en cataplasme de plante fraîche contre les cors aux pieds. Elle était autrefois, selon Eugène Rolland, "l'herbe aux couvreurs" : on avait coutume de la faire pousser sur les toits, vraisemblablement à des fins protectrices. On l'y retrouve encore, près des maisons, dans les cours d'entrée, sur les perrons, accrochée aux auges de pierre, ou dans des chaudrons remplis de terre, devenus décoratifs.

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Botanique :


Selon Laure Haefflinger auteure d'une thèse de pharmacie intitulée La joubarbe des toits, Sempervivum tectorum L., Crassulaceae. Sciences pharmaceutiques, 2006,⟨dumas-01512593⟩ la joubarbe des toits a plusieurs propriétés remarquables :


Il a été démontré que les feuilles et le jus de Sempervivum tectorum renferment des polyphénols. Dans la plante, ils sont présents dans la classe des flavonoïdes et des anthocyanes sous formes glycosylées, dans la classe des tanins sous formes de dimères de catéchines et d'épicatéchines (procyanidines B), de dimères de(-) épigallocatéchine et d'(-) épigallocatéchine-3-gallate (prodelphinidines B) et sous forme de dérivés d'acide gallique et dans la classe des acides phénols libres ou estérifiés. Des acides organiques, des polysaccharides et des minéraux ont été également identifiés. D'un point de vue quantitatif, les feuilles de Sempervivum tectorum d'origine française renferment sept fois plus de tanins que de flavonoïdes. Selon l'origine de la plante, les quantités de flavonoïdes peuvent varier mais les tanins restent toujours majoritaires. Les flavonoïdes les plus fréquemment identifiés sont le kampférol et la quercétine.

Les études concernant la Joubarbe des Toits ont mis en évidence plusieurs propriétés biologiques. Chez le rat soumis à un régime hyperlipidique, Sempervivum tectorum possède un effet hypolipidémiant qui peut s'expliquer par différents mécanismes : une diminution des lipides dans le foie et une activité anti-oxydante qui limite la peroxydation lipidique. Sempervivum tectorum permet également de réguler les minéraux toxiques dont les concentrations sont augmentées dans un foie hyperlipidique ; ce mécanisme est complémentaire de l'effet hypolipidémiant. De plus, sous l'action d'un mécanisme commun, Sempervivum tectorum a des propriétés anti-inflammatoire et analgésique chez l'animal. D'autre part, des effets anti-oxydants et anti-bactériens ont pu être mis en évidence. Enfin, à ces propriétés s'ajoute une inhibition des protéases extracellulaires, en particulier sur l'élastase.

En outre, Sempervivum tectorum semble être dénuée de toxicité, puisque les métaux lourds ne sont pas présents en quantité supérieure aux normes de la Pharmacopée européenne.

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Vertus médicinales :


Henri Ferdinand Van Heurck et Victor Guibert, auteurs d'une Flore médicale belge. (Fonteyn, 1864) nous apprennent les propriétés thérapeutiques de la Joubarbe des toits :


Propriétés Physiques. ― Cette plante est inodore ; elle possède une saveur froide, herbacée, un peu saline et aigre. Les feuilles contiennent un suc astringent abondant en albumine et en surmalate de chaux.


Usages Médicaux ― Le suc de joubarbe est indiqué comme utile par ses propriétés rafraîchissantes et astringentes dans les fièvres bilieuses inflammatoires (60 à 100 grammes), la dysenterie et l'angine. On prétend aussi qu'il possède des propriétés antispasmodiques ; il a été prescrit avec succès dans la chorée, l'épilepsie, l'aménorrhée, la dysménorrhée et les spasmes utérins (Reichel). A l'extérieur, le suc seul, associé à l'huile ou à la graisse, a été préconisé dans diverses affections : surdité pour cause d'endurcissement du cérumen ; eczéma aigu (Forestus, Cazin) ; ophtalmie commençante (Leclercq) ; maladies cutanées, dartres, fissures, ulcérations (Royer). On l'applique aussi sur les brûlures, les piqûres d'abeilles, de guêpes et contre les affections prurigineuses en général.

 

D'après Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) :


226. - Quand on a un coup de soleil, on fait bouillir de la joubarbe et on lave la partie malade avec l'eau dans laquelle elle a infusé.






Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


Nombreux sont les remèdes contre les brûlures : feuilles de l'erba de sen Joset, joubarbe, Sempervirum tectorum et montana.

 

Selon Charles TALON auteur de l'article intitulé "Quelques remèdes populaires du Bugey et du Bas-Dauphiné." paru dans Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, 1976, vol. 4, n°1, p. 85-88 :


Coupures : A Innimont, vers la même époque [1920-1930], certains faisaient couler sur la coupure le liquide issu d'une écaille de joubarbe ; on appelait celle-ci « herbe à coupures » ou « herbe coupante ». […]


Panaris : Placer sur le mal une ou deux feuilles d'une plante grasse ressemblant à la joubarbe et appelée « herbe de sainte Marie » , après avoir ôté la peau des écailles. (Marennes, Rhône, 1965.) [...]


Verrues : A Innimont, Ain, on se frotte avec le liquide des écailles de la joubarbe.

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Françoise Nicollier et Grégoire Nicollier, auteurs de « Les plantes dans la vie quotidienne à Bagnes : noms patois et utilisations domestiques », (Bulletin de la Murithienne, no 102,‎ 1984, pp. 129-158) proposent la notice suivante :


tsôu grâ, m. = « chou gras » / *föle grasa, f. = « feuille grasse » /= joubarbe = Sempervivum sp. (surtout Sempervirum tectorum) : plante en tisane contre la dysenterie ; le jus de feuilles écrasées soulage les brûlures, les piqûres d'abeille.

 

Yannick Romieux, dans un article intitulé « Notte pour faire la pomade pour plusieurs maux » ou la recette d'un guérisseur vendéen. In : Revue d'histoire de la pharmacie, 78ᵉ année, n°287, 1990. pp. 449-452, note que trois ingrédients sont désignés dans cette recette de manière énigmatique. Parmi eux :


La poignée verte de petites boudinés qui sont sur les vieux murs et qui fleurissent jaune. Il s'agit de la joubarbe, plante aux fleurs à corolle jaune disposées en cimes. Selon le Livre des simples médecines [publié par P. Dorveaux, Paris, 1913, p. 180-181], elle est à utiliser fraîche contre les brûlures causées par l'eau ou par le feu en composant un onguent de son jus avec de l'huile rosat et de la cire, mais en ne l'appliquant qu'après trois jours afin que la chaleur et les vapeurs de ces brûlures s'évaporent. Dorvault indique que « la joubarbe des toits, Sempervivum tectorum, plante qui vient sur les vieux murs des fermes, les toits en chaume, et qui, jeune, a tout l'aspect d'une tête d'artichaut, a un suc styptique et passe pour antihémorrhoïdal ».

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Dans sa thèse de pharmacie intitulée La joubarbe des toits, Sempervivum tectorum L., Crassulaceae. Sciences pharmaceutiques, 2006,⟨dumas-01512593⟩ Laure Haefflinger fait le point sur les propriétés de cette plante :


1. Indications officielles : La Pharmacopée Française de 1866 reconnaissait !'utilisation des feuilles de Semperivum tectorum en phytothérapie. Cependant, l'édition actuelle de la Pharmacopée Européenne ne décrit plus cette plante. Elle n'est ni listée dans les cahiers de l'agence n°3 ni dans les monographies de l'ESCOP (European Scientific Cooperative On Phytotherapy) ni dans celle de la commission européenne.


2. Utilisations anciennes : Les premières publications concernant l'utilisation thérapeutique de Sempervivum tectorum parlent d'une action curative sur les pharyngites, les trachéites, le muguet et les otites.


2 .1. Usage externe : Dans la médecine traditionnelle, des feuilles fraîches écrasées de Sempervivum tectorum ou le suc, sont principalement employés en usage externe. Leur pouvoir rafraîchissant, astringent, analgésique et anti-inflammatoire sont utilisés pour soigner :

• des plaies superficielles : blessures, brûlures, piqûres d'insectes, ... • des affections de la bouche : inflammation de la muqueuse buccale, ulcération de la bouche, aphtes, muguet, ...

• des problèmes de peau : dartres, eczéma, gerçures des seins, ... • des affections aux pieds : verrues, cors, œil de perdrix, ... • des problèmes divers : maux de têtes, hémorroïdes, douleurs auriculaires, petites hémorragies, ..


Dans les régions alpines et en Italie, Sempervivum tectorum est utilisé sous forme d'onguent en usage vétérinaire pour traiter des plaies. Pour les cors, les durillons ou les verrues aux pieds, il faut exprimer le suc de la plante et appliquer ensuite la feuille sur le cor ou la verrue. Ceci doit être maintenu quelques instants. Il faut répéter l'opération jusqu'à l'obtention d'un résultat. Une autre opération consiste à réaliser un cataplasme de feuilles broyées mêlées à de l'huile de ricin. Ce cataplasme est utile pour toutes les inflammations. Pour les hémorroïdes, les dartres, les gerçures des seins, les plaies, les brûlures et les piqûres d'insectes, il faut réaliser des cataplasmes de feuilles fraîches aussi souvent que nécessaire. Pour soigner des problèmes de peau ainsi que contre les épanchements ou accumulations de liquides séreux dans une articulation quelconque, une pommade a base de Sempervivum tectorum peut être préparée. Il faut mélanger à feu très doux, 50 g de suc de feuilles fraîches, 50 g de saindoux et 50 g d'huile d'amande douce. Quand le mélange est homogène, il faut mélanger énergiquement jusqu'au refroidissement. Pour les ulcérations de la bouche, les aphtes ou le muguet, il faut employer la décoction de feuilles fraîches (50 g) bouillies pendant quelques minutes dans un demi-litre d'eau. Des gargarismes de 2 à 3 minutes sont alors à

réaliser 2 à 3 fois par jour. De plus, pour des angines, il est possible de mélanger 5 g de suc de Sempervivum tectorum, 50 g d'eau et 5 g de miel pour effectuer des gargarismes. Pour de petites hémorragies, une feuille fraîche épluchée stoppe l'écoulement sanguin..


2. 2 Usage interne : L'infusion préparée à partir des feuilles écrasées est recommandée pour le traitement des ulcères. Le suc est surtout employé pour traiter les diarrhées violentes, les dysménorrhées et les aménorrhées. Mais il pouvait également être utilisé pour les maladies de la vessie et les vers intestinaux.

Pour la dysenterie et les troubles intestinaux, 10 à 15g de feuilles fraîches de Sempervivum tectorum sont laissées infusées 10 minutes. Une tasse doit être bue toutes les 3 heures.


3. Utilisations actuelles : De nos jours, Sempervivum tectorum est encore employée dans certaines médecines populaires. Par exemple, une étude ethnopharmacologique a été réalisée sur l'une des plus petites ethnies d'Europe, les Istro-Romains du village de Zejane en Croatie. La pharmacopée locale et traditionnelle compte environ soixante remèdes, principalement dérivés de plantes et Sempervivum tectorum en fait partie. Son jus est instillé dans l'oreille pour calmer les douleurs liées aux otites. Des feuilles de Joubarbe macérées dans du vinaigre pendant 6 jours sont utilisées pour traiter les cors et les durillons. Le suc frais est employé pour les affections de la peau. Des emplâtres réalisés avec des feuilles de Joubarbe, de l'oignon et de la violette permettent de traiter les gerçures des mains.

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Croyances populaires :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


JOUBARBE. Dans beaucoup de localités, et surtout parmi les populations pastorales des montagnes, on regarde cette plante comme un préservatif contre les maladies qui voudraient s'introduire dans la maison, et c'est alors un véritable sacrilège que de chercher à l'enlever lorsqu'elle croit sur la muraille ou sur les toits. Quand elle est en fleurs, on en forme des bouquets qu'on dispose en croix sur les portes et particulièrement sur celles des étables.

 

Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


En raison du pouvoir protecteur qu'on leur attribue, plusieurs espèces sont cultivées sur les habitations ou dans le voisinage, ou on les conserve au logis. Dans le Maine, la joubarbe qui met à l'abri des mauvais sorts, est souvent plantée sur les maisons ; en Berry où elle s'appelle meure-jamais, elle porte bonheur à celle sur laquelle elle croit et fait vivre longtemps les gens qui y demeurent. Les paysans du Tarn regardaient comme un véritable sacrilège de l'enlever ; ils la considéraient comme un préservatif contre les maladies, et quand elle était en fleur, ils en coupaient les tiges pour les disposer en croix sur la porte des étables.

[...] Les plantes qui constituent une protection contre l'orage sont assez nombreuses : tantôt elles sont efficaces par elles-mêmes, tantôt on croit que leur vertu est augmentée par une cérémonie religieuse. Il semble toutefois qu'elle est intervenue, surtout au début, pour christianiser une antique observance païenne. [...] La joubarbe se rencontre souvent sur les maisons de la Limagne d'Auvergne, mais surtout sur le mur de clôture près de la porte d'entrée.

[...] Les herbes destinées à servir de talismans aux habitations y sont quelquefois placées avec une sorte de cérémonial Le matin de la Saint-Jean, au lever du soleil, les paysans béarnais cueillent dans les vergers et dans les vignes plusieurs pieds d'herbe de la Vierge (sedum ou sempervirens) qu'ils suspendent ensuite aux planchers de leurs maisons et de leur grange en disant :


Herbe, qui t'ès arrrousade

Au cosau et dans la prade,

Biu loungtemps en ma mayson,

Ta qu'oubtienguey moun perdon,

Puisz après he-m plaa mouri,

Chausi mielhe ne pougri.


Herbe qui t'es arrosée.–Au jardin et dans la prairie. Ici longtemps dans ma maison.– Pour que j'obtienne mon pardon – Ensuite fais-moi bien mourir. Choisir mieux je ne pourrais. Pour que la protection soit reconnue entière, il faut que la plante ne se flétrisse que juste un an après, le jour encore de la Saint-Jean, au moment où elle va être remplacée.

[...] Le nouement d'aiguillette, autrefois si redouté, était efficacement combattu par quelques plantes : on se préservait aussi de cet inconvénient en mangeant de la joubarbe.

[...] En Haute-Bretagne, un homme qui mettrait de la joubarbe dans sa poche, et la ferait sentir à une fille, la contraindrait de courir après lui.

[...] En Haute-Bretagne, on dit en appliquant sur les ampoules des pieds, la joubarbe pilée avec de la graisse douce :

Joubarbe

Guéris mes pieds du mal,

Je te donnerai de la salade ;

Si tu ne les guéris pas,

Je te hacherai avec mon couteau

En plus de mille petits morceaux.

[...]

Lorsqu'un marin de Plouër (Côtes-du-Nord) s'embarque pour Terre-Neuve, on suspend un brin de joubarbe, la tète en bas, aux solives du plafond s'il y en a qui poussent et même fleurissent, c'est bon signe pour l'absent si la plante se dessèche et périt, c'est l'annonce de sa mort.

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* D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012),

"Les recettes de plantes protectrices abondent mais si vous devez n'en retenir qu'une, nous vous conseillons d'orienter votre choix sur la joubarbe qui pousse sur les maisons. Surnommée "meure-jamais" dans le Berry, cette plante préserve des maladies, de la foudre, des voleurs et du mauvais œil tout en assurant aux habitants une vieillesse longue et heureuse."

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Symbolisme :


Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Barbe de Jupiter - Prépondérance.

A cause de sa riche végétation et de sa feuille argentée.

 

Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Joubarbe des toits - Je me contente de peu.

C'est sur les toits de chaume que l'on rencontre le plus souvent la joubarbe. Eile vit de l'eau du ciel, de la poussière envoyée par les vents et prospère là où toute autre plante pourrait à peine germer. Sa tige s'élève au milieu de la rosette élégante de ses feuilles et porte dix ou quinze fleurs purpurines. On l'emploie pour réduire les verrues et les corps aux pieds.

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Selon la Flore Alpine (Édition Atar, Genève, 1910) de Henry Correvon et Philippe Robert :


"La joubarbe des toits est réputée diurétique et a1ltiscorbutique. Les a1lciens Danois la tenaient en haute estime car elle était consacrée au dieu Thor et préservait les habitations contre les influences diaboliques. C'est pourquoi on la plaçait sur les toits où, d'ailleurs, elle vit parfaitement, sans autre sol que celui que lui composent les détritus de ses feuilles. Chez les anciens Germains, la plante ainsi placée sur le toit préservait la maison de la foudre. Les latins la nommaient Jovis barba (Joubarbe), c'est-à-dire barbe de Jupiter, dieu de la foudre et du tonnerre, et il est plus que probable que chez eux déjà l'idée de protection des demeures était attachée la plante tectorale.

 

Dans "Hommages à Georges Dumézil" (Collection « Latomus », vol. XLV, 1960. Revue des Études Anciennes, 1962, vol. 64, n°1, p. 136-138), Pierre Grimal signale que :


J.-G. Préaux s'attache à identifier le « rameau d'or », qui serait une variété de joubarbe arborescente.

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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), la Joubarbe (Sempervivum tectorum) a les caractéristiques suivantes :


Genre : Masculin

Planète : Jupiter

Élément : Air

Pouvoirs : Protection ; Chance ; Amour.


Joubarbe : Barba Jovis ou Barbe de Jupiter; qui n'a vu ces rosettes de feuilles grasses, ressemblant à de petits artichauts, dont les colonies serrées s agglutinent sur les toits de tuiles ou de chaume en plaine, et sur les rochers ensoleillés en montagne.


Utilisation rituelle : Des Joubarbes déposées sur le rebord de fenêtre d'une fille signifient symboliquement qu'elle rêvasse aux étoiles plutôt que de s'atteler aux tâches concrètes, qu'elle sera plus souvent sur le toit que dans son intérieur.


Utilisation magique : Noblesse oblige : quand on est la barbe du maître de la foudre, du tonnerre et des éclairs, le moins que l'on puisse faire, lorsqu'on pousse sur le toit d'une maison, c'est de protéger ceux qui y demeurent contre le tonnerre, le sort et les maladies...

Si vous rencontrez souvent ces curieux petits « artichauts des tuile. » en vous promenant, tant mieux pour vous : ils sont porte-chance et favorisent les rentrées d'argent.

Les muets qui y touchent se font comprendre plus facilement (Villefranche d’Albigeois, Tarn).

La « grande jômbarbe » est aussi utilisée pour susciter des sentiments tendres ; si vous la cueillez dans ce but, il convient de le faire au crépuscule, par temps couvert. On portera sur soi un ou deux artichauts bien frais, et on les renouvellera souvent en prélevant les remplaçants sur la même colonie.

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Il ne faut pas enlever cette plante vivace des toits ou des murs car elle préserve des maladies, des sorts, de la foudre, de l'incendie et assure une longue vie aux habitants (elle est d'ailleurs surnommée dans le Berry "meure-jamais"). Toutefois, la première floraison de la joubarbe augure une mort dans la maison. En Angleterre, qui arrache cette plante s'attire des ennuis.

Des bouquets de joubarbe en fleur, disposés en croix sur les portes, protègent, de la même manière, humains et animaux. En manger permet même de lutter contre l'envoûtement de l'aiguillette.

En Italie, on faisait boire à un nouveau-né, le premier vendredi après sa naissance, du jus de sa fleur pilée, pour le protéger des convulsions et lui assurer une longue vie. On croyait aussi que celui qui se frottait les mains avec du jus de joubarbe pouvait saisir, sans douleur, du fer rougi. Selon une croyance du Tarn, les muets qui touchent la plante "se font comprendre plus facilement".

Si la joubarbe protège des maladies à titre préventif, ses feuilles réduites en bouillie et appliquées en cataplasme sur le front agissent activement contre le délire. Il suffit d'en placer sur les ampoules du pied pour être aussitôt soulagé, ou sur des boutons et des éruptions - dans ce cas, la joubarbe sera mélangée à de la farine d'orge et de l'huile - pour les voir disparaître. Les pouvoirs curatifs de la plante sont renforcés lorsqu'elle est passée au feu de la Saint-Jean.

La joubarbe, ou "barbe de Jupiter", qui, croit-on en Lorraine, rend la vache qui en mange amoureuse, peut servir aux charmes de séduction : si un homme la conserve un temps dans sa poche puis la fait sentir à une femme, celle-ci recherchera sans cesse sa compagnie. On dit également qu'en rencontrer au cours d'une promenade promet des rentrées d'argent.

Autrefois, lorsque les marins bretons partaient pour Terre-Neuve, on se servait d'un brin de joubarbe suspendu à l'envers au plafond pour connaître son sort. La floraison de la plante était bon signe tandis qu'on pouvait craindre un naufrage si elle se desséchait.

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Selon Jean-Loïc Le Quellec auteur de "SAINTE BARBE et SAINTE FLEUR Hagiographie, ethnobotanique et traditions locales" paru dans le Bulletin de la Société de mythologie française, 1995, n°178, p. 9-28 :


BARBE ET JOUBARBE : Ce disant, qu'en est-il de sainte Barbe ? On connait bien sûr une sainte de ce nom, martyrisée au IIIe siècle par Dioscore, son propre père, lequel tomba foudroyé sitôt son crime accompli. Cela suffit généralement à expliquer qu'elle soit invoquée par temps d'orage, et aussi qu'elle soit devenue la patronne des artilleurs, des pompiers et des mineurs (à cause des coups de grisou). Cela pourrait également suffire à justifier sa position aux côtés d'une sainte Fleur, dans les oraisons populaires contre l'orage. Mais la connotation "botanique" de sa voisine nous suggère qu'elle pourrait bien être, elle aussi, une plante sanctifiée par la piété populaire. On sait que sainte Barbe a donné son nom à une plante des bords de chemins : Harbaroea vulgaris, dont certains mangent les feuilles en salade. Le Comte de Lapparent, rappelant les termes mêmes du traducteur de Fuchs en 1550, signale que les herbiers du XVIe siècle, '''esmuez par quelque superstition l'ont nommée Herbe sainte barbe". Il semble que cela soit dû à ses propriétés vulnéraires, puisque sainte Barbe est la patronne des militaires exposés à des blessures. Mais cette identification nous éloigne de la foudre et de l'orage. On pense alors naturellement à la Joubarbe (Sempervivum tectorum), appelée localement Herbe à la Tonnerre, Herbe grasse, bourbun (Bocage), marzellull (Maillezais), jhoubarde (Noirmoutier, Vairé), barbagnun et barbegnun (Deux-Sèvres) mais surtout barbajhou, barbejhou ou barbayou, dénominations calquées sur le latin barba Jouis, qui signifie "barbe de Jupiter", et se trouve déjà dans Pline. Les botanistes ne manquent pas d'expliquer que l'allusion à Jupiter aurait été motivée par les caractères externes de la plante : "Joubarbe vient de Jovis barba, barbe de Jupiter, à cause des cils dont les feuilles sont garnies". Mais d'autres plantes, plus "barbues" que la joubarbe, auraient tout aussi bien pu mériter cette appellation, et d'autres barbus que Jupiter auraient également pu la susciter. Il semble donc s'agir là d'une remotivation secondaire, car la barbe et l'orage entretiennent d'autres rapports : qui, mieux que le barbier, saurait "couper" l'orage ? En Russie, la dernière gerbe, formée d'épis tressés, est partout appelée boroda c'est-à-dire la barbe, plus précisément la "barbe d'Ilya". Or, le sens premier de boroda est "végétation", et Ilya est honoré comme patron de la foudre. La patronne, qui avait coutume de "friser" cette barbe-gerbe, l'implorait en disant : "Seigneur barbe d'Ilya, fais pousser du seigle, de l'avoine, de l'orge et du froment !". On se souviendra alors que les pèlerinages à sainte Barbe ont pour but de préserver les moissons de l'orage. La barbe verte du "blé de la sainte-Barbe", planté le 4 Décembre dans un petit récipient assurant la richesse des récoltes pour l'année qui vient, nous conduirait donc aisément à l'étude des vieilles barbues des moissons. Ces considérations pourraient également éclairer utilement le second élément du nom, d'origine obscure, de Mulat-Barbe, introducteur mythique de la culture du blé en Bigorre.

Mais en Vendée, comme en Grande-Brière ou en Limagne auvergnate, la Joubarbe est implantée sur les toitures et les vieux murs, dans le but de protéger les habitations du tonnerre. Dans les Deux-Sèvres, autour de Parthenay, on l'implantait à la base des toits, dans une bouse de vache, pour protéger la maison des sorciers. Dans le Maine, le Berry et le Tarn, c'est un véritable apotropée, qui porte bonheur aux maisons sur lesquelles elle croît. Les paysans du Tarn en coupaient les tiges, pour les disposer en croix sur les portes des étables. Vers Niort, on offrait une Joubarbe en pot aux nouveaux mariés s'installant dans une maison, et ils la conservaient près de la porte d'entrée, pour protéger leur nouvelle demeure. En 1903, un polygraphe signant du pseudonyme d'Erdna (il s'agit du Dr A. Viaud-Grand-Marais) publia la remarque suivante : "On peut être poète ou romancier et très mauvais botaniste. Qui de nous, parmi les vieux, n'a pas vu jadis sur les toits de tuile des maisons de Vendée ou sur le chaume des bourrines maraischines des touffes de Joubarbe ? [ ... ] C'est, sans doute, la jolie fleur rougeâtre de cette plante qu'Alexandre Dumas a pris pour des Iris rouges, et dont il a orné la toiture du Château de Souday". Quelque temps plus tard, un autre auteur, se cachant sous le nom d'Avé précisait : "J'ai revu à Challans, dans mes souvenirs, le château, les vieilles halles aux piliers branlants, l'antique maison du bon docteur [...], et sur toutes ces habitations, au milieu des mousses et des lichens, fleurissait la joubarbe avec ses jolies teintes purpurines ; sa présence n'était pas due au hasard, elle avait été placée là comme plante tutélaire, comme gardienne du foyer [...] : nos ancêtres la considéraient comme un parafoudre bien supérieur à la tige de fer de Benjamin Franklin. Ce que j'ai vu enfant, Alexandre Dumas a dû le voir en 1830, dans sa tournée des bourgs de Vendée : à chaque instant, sur nos toits de tuile, une touffe de barbe de Jupiter frappait ses regards".

Par la suite, le Docteur M. Baudouin ajoutait : "Après une enquête faite en 1905 dans le Marais de Mont, j'ai pu m'assurer que, comme l'a affirmé ''Avé'', la présence de la Joubarbe (Semvervivum tectorum) sur presque tous les toits des "bourrines" ou maisons modernes de cette région, n'est pas due au hasard, comme je l'avais cru jadis. On en trouve, en effet, sur des maisonnettes à peine vieilles de quelques années et toujours au faîte de la toiture [...]. Quand la maison est construite, on prend la peine d'y planter de la joubarbe, et on la dispose de telle façon qu'on ne peut douter, quand on y prête une attention suffisante, de l'existence d'une véritable tradition, ayant un sens réel". Sa présence sur les toits de chaume a été plusieurs fois rationalisée par des botanistes stipulant que son implantation avait pour but de limiter l'érosion et de contribuer à la consolidation des cibàus, encore appelés pavoïs ou pavas (Scirpus maritimus).

Dès le XVIIIe siècle, A.N. Duchesne affirmait déjà que "les paysans en garnissent les faîtages & les noues de leurs toits, pour retenir la terre qui recouvre les bouts du chaume", rationalisation récemment reprise par l'ethnologue C. Vital : "Certaines coutumes trouvent une explication d'ordre technique, tout en revêtant une forme rituelle. Ainsi, dans le Marais breton, les faîtages des bourrines étaient enduits de terre sur laquelle on plantait de la Joubarbe [...] qui avait la vertu de préserver la maison contre la foudre, en réalité, ses racines offraient une armature au faîte". Mais cette interprétation est loin d'épuiser le problème qu'elle prétend résoudre. En effet, outre le rôle consolidateur pour le moins modeste de cette crassulacée, on note que dans le Marais nord-vendéen, la Joubarbe était toujours implantée autour de la cheminée des bourrines, et qu'on la faisait même parfois pousser dans des cuvettes ou bassines posées sur le toit, selon une méthode déjà citée au premier siècle de notre ère par Pline l'Ancien et par le médecin grec Dioscoride, ce qui empêche justement les racines de pénétrer dans le chaume.

En outre, cette explication s'accommode mal de l'implantation de la Joubarbe sur les fours, les puits, et les murs de clôture, ainsi que le note en Maine-et-Loire un botaniste du siècle dernier, remarquant qu'elle est naturalisée "de temps immémorial sur les vieux murs, les culs de fours, les puits, les toits de chaume, par suite de l'ancienne croyance que la foudre ne frappe jamais les bâtiments sur lesquels croît cette plante". Observation confirmée, dans le Bocage vendéen, par R. Guicheteau, qui rappelle qu' "autrefois, dans beaucoup de fermes, sur la toiture du fournil, on conservait dans les tuiles la "Joubarbe des toits" appelée aussi artichaut de Jérusalem. Cette plante aurait été rapportée des croisades et avait, dit-on la propriété de protéger de la foudre".

[...] La sainte Barbe de nos oraisons semble donc avoir un rapport avec la sanctification de la Joubarbe.

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D'après Tony Goupil, auteur de "phytoreligieuses et phytomythologiques: plantes des dieux et herbes mythologiques." paru dans Evaxiana 3, pp. 157-162 en 2017 :


Sans oublier l’Herba jovis, la joubarbe, dont nous avons déjà parlé. Aussi nommée vesuvium, la joubarbe n’est pas attribuée à Jupiter en raison d’une ressemblance avec la barbe du dieu, mais plutôt dans son rôle contre la foudre (rôle que l’on retrouve dans la traduction néerlandaise de joubarbe Donderbaert, terme utilisé notamment par Rembert Dodoens dans son traité botanique intitulé Cruydtboeck, au chapitre VIII du livre V).

[…]

La joubarbe des toits (Sempervivum tectorum) est elle aussi un cas intéressant. D’abord attribuée à Jupiter, « joubarbe » n’est autre que le phénomène linguistique de contraction de Jovis barba (barbe de Jupiter). Pourquoi cette plante est-elle jupitérienne ? Probablement parce qu’elle était réputée être un excellent préservatif contre la foudre, un paratonnerre végétal en somme. La joubarbe, nous précise John Gérard, a parfois été appelée Jupiter’s Eye. C’est pourquoi Rabelais mentionne dans son Tiers Livre « l’œil de Jupiter » comme nom de plante au chapitre XLVIII. Il ne s’agit donc en aucune manière d’une erreur de lecture de Rabelais (l’écrivain aurait lu Oculus Jovis à la place de I dans l’œuvre de Pline) comme le suggère Marie-Madeleine Fragonard dans son article « Le banal et l’exotique » (Le Tiers Livre, acte de colloque, Droz, 1999). Mais la joubarbe, en raison de la forme des feuilles de sa rosette, a hérité du nom d’ungula Veneris (ongles de Vénus). L’autre nom attesté de la joubarbe est celui d’ungula Martis (ongles de Mars), sans doute justifié au vu de ses propriétés médicinales.

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Selon le site http://gardiensdelaterre.org/ :

"Encore une plante de la Saint Jean.

Selon la légende elle a été donnée aux hommes par Jupiter (Joubarbe= barbe de Jupiter) c’est pour cela que l’on dit qu’elle détourne des maisons la foudre et les incendies qui sont les deux châtiments de Jupiter. C’est pour cette raison qu’on en plantait sur les toits des maisons.

On dit aussi que celui qui arrache un plant de Grande Joubarbe s’attirera les plus grands ennuis. Dans le Sud de la France et en Italie on faisait boire du jus de Grande Joubarbe aux nourrissons pour leur assurer une longue vie.

Une vache qui a mangé de la Grande Joubarbe recherchera la compagnie du taureau et un peu dans le même esprit, si un homme place pendant quelques temps des feuilles de Grande Joubarbe dans sa poche puis fait sentir ces feuilles à une demoiselle, il la séduira inévitablement.

Telle qu’inscrite dans le Capitulaire de Villis, la Jovis barba ou « barbe de Jupiter » est une plante réputée depuis l’Antiquité [initialement Dioscoride cite la joubarbe comme rafraîchissante et astringente et il l'indique, en usage externe, contre les inflammations des yeux, les brûlures, les maux de tête et en usage interne sous forme de suc frais contre les morsures de tarentules, la dysenterie et les vers intestinaux], à tel point que, plus tard, Charlemagne lui-même préconisait son usage en la faisant pousser sur les toits des biens impériaux car, disait-on, elle avait le pouvoir de protéger les habitations des colères du dieu de la foudre : Zeus. C’est pour cette raison qu’il ne faut jamais l’arracher d’un toit, d’autant plus qu’elle protège, par sa présence, des maladies infectieuses les habitants des lieux où elle élit domicile. Cela n’est donc pas pour rien si elle possède des vertus antiseptiques et fébrifuges…

On la nomma aussi aizôon, ce qui signifie « toujours vivant » [« toujours vert », en liaison avec son caractère semper virens que l’on retrouve dans son nom scientifique]. La joubarbe est, avec la sauge officinale, l’achillée millefeuille, l’armoise, le millepertuis, le lierre et la marguerite l’une des sept plantes sacrées de la Saint-Jean. Pour qu’elles conservent leur pouvoir, elles doivent être cueillies entre l’aube et le coucher du soleil le jour du solstice d’été [ce qui laisse du temps], à jeun et, moins hardi, en marchant à reculons."

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Symbolisme celte :


Selon F. Pommerol auteur de "Le culte de Taranis dans les traditions populaires de l'Auvergne." In : Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, III° Série. Tome 10, 1887. pp. 398-41 :


[...] Depuis quelques années, des chercheurs de talent, comme MM. Gaidoz et Sébillot, ont dirigé leurs investigations sur un terrain nouveau. Pour suppléer aux renseignements, ils se sont adressés aux sources mêmes de la littérature populaire, aux anciennes coutumes, aux légendes, aux traditions qu'on rencontre encore au sein de nos populations rurales, à peine modifiées par la marche des siècles écoulés. Grâce à cet appoint, on peut espérer remonter plus haut dans l'étude de nos origines nationales et éclairer d'un jour moins obscurci plusieurs questions importantes que les anciens ont laissées dans l'ombre et l'oubli.

[…]

Aux temps passés, les coutumes relatives à la construction des habitations semblent avoir été marquées de superstitions plus grandes et plus variées. M. Bonnemère a signalé en Maine-et-Loire la découverte d'une hache de pierre, en même temps que la rencontre d'une médaille et de deux petits objets de bronze, dans les fondements d'un ancien manoir1. Dans les Côtes-du-Nord, on enfouissait autrefois des haches de pierre dans les murs des maisons en construction pour les préserver de la foudre'. Sur le faîte des maisons flamandes, d'après M. Gh. Piot, on bâtit encore une hache de pierre désignée sous le nom de donderstein ou pierre de tonnerre. A côté, on plante une touffe de joubarbe ou barbe-de-Jupiter. La joubarbe se rencontre fréquemment sur les maisons de la Limagne, mais surtout sur le mur de clôture, près de la porte d'entrée. Les paysans l'appellent l'herbe à la blessure ; ils lui attribuent une grande vertu pour la guérison des plaies et des contusions.

Suivant les légendes irlandaises, on pratiquait anciennement, au moment de la construction des palais et des temples, de singulières cérémonies qui nous reportent aux temps lointains des druides et des sacrifices humains. |...]

Les coutumes, les traditions, les légendes que nous venons d'indiquer se rapportent toutes au tonnerre, à ce grand phénomène céleste qui, de tout temps, a si fortement impressionné l'imagination des hommes. Nous avons montré que la pierre brute placée au faîte des maisons et des meules de blé était une espèce de divinité destinée à écarter la foudre. Nous avons vu que la hache de pierre, la joubarbe, la croix, la statue de la Vierge, possédaient le même pouvoir mystérieux.

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Pour A. de Paniagua, "La Tortue totem et les Puits funéraires." In : Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 6, n°10, 1909. pp. 503-504 :


Il est probable que la tortue a aussi, autrefois, été employée comme médicament, ayant une action générale, surtout à l'origine, c'est-à-dire comme totem du sang.

En effet, d'après V. de Bomare, un bouillon de tortue, mêlé avec du suc de Joubarbe (plante totem par excellence, comme je l'ai démontré), guérit les fièvres ectiques.

Mais, pour que le bouillon de tortue ait été ainsi employé, il faut évidemment que l'animal ait commencé par être un totem. Sans cela, on n'aurait pas deviné ses propriétés thérapeutiques ; c'est ainsi d'ailleurs qu'à toujours commencé la médecine populaire.

Il est donc certain, dès maintenant, que les Tortues des Puits funéraires ont une signification religieuse indiscutable. Comme ces puits sont dus à des Gaulois, et que les Gaulois étaient un peuple Aryen, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'il y eut là une persistance de traditions, plus on moins manifeste.

Mais reste à débrouiller la question des Tortues des Dolmens. Or, les faits précis manquent pour la résoudre, car ici nous sommes à l’Époque Néolithique. — Le sujet reste à l'étude.

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Selon Jean-Loïc Le Quellec auteur de "SAINTE BARBE et SAINTE FLEUR Hagiographie, ethnobotanique et traditions locales" paru dans le Bulletin de la Société de mythologie française, 1995, n°178, p. 9-28 :


La sainte Barbe de nos oraisons semble donc avoir un rapport avec la sanctification de la Joubarbe, tout comme sainte Fleur / Flore pour l'Aubépine, selon un processus de christianisation de croyances très anciennes, puisque le latin Jouis Barba lui-même pourrait n'être qu'un calque maladroit du gaulois ioumbaroum, qui désignait le leimonion (Limonium sp.), car on ne voit guère quel rapport "morphologique" pourrait bien exister entre Jupiter et Sempervivum tectorum. Du reste, cette christianisation semble trouver son stade ultime dans l'usage de planter de petites croix de bois sur les cheminées des bourrines, à l'emplacement traditionnellement réservé à la Joubarbe. Notons en outre que notre couple de plantes, Sempervivum tectorum et Crataegus monogylla, présente un point commun supplémentaire, puisque toutes deux jouent un rôle apotropaïque certain en protégeant également les habitants contre les mauvais sorts .

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Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


JOUBARBE. — (Jovisbarba, erigeron, senecio ; l’aïzoon, le sempervivum tectorum, en italien sopravvivolo, paraît être une plante semblable ; à cause de sa forme, en Sicile on l’appelle aussi carciofo « artichaut »). — Pline (XXV), à propos, de l’erigeron, écrit ce qui suit : « Hanc si ferro circumscriptam effodiat aliquis, tangatque ea dentem et alternis ter despuat, ac reponat in eumdem locum, ita ut vivat herba, aiunt dentem eum postea non doliturum. » A Mesagne, dans la Terra d’Otranto, les jeunes filles, la veille de la Saint-Jean, tirent leur horoscope de la fleur de joubarbe (appelée galera). Elles cueillent autant de boutons qu’elles supposent ou espèrent avoir de prétendants, et appliquent à chaque bouton un nom de prétendant ; le matin de la Saint-Jean elles vont voir si l’un des boutons a fleuri ; celui-là dira le nom du mari prédestiné. Un usage semblable existe en Sicile. En Toscane, on pile la joubarbe le premier vendredi après la naissance d’un enfant, et on lui donne à boire le jus de la fleur pressée, pour le préserver des convulsions et lui garantir une longue vie. Le médecin napolitain Piperno (De Magicis effectibus) prétendait, au XVIIe siècle, que la joubarbe éloigne des enfants les fièvres qui sont l’effet de quelque sorcellerie. Le nom qu’elle porte en Toscane de sopravvivolo (les anciens l’appelaient aussi ambrosia), a, sans doute contribué à entretenir ces croyances superstitieuses. Dans le livre attribué à Albert le Grand « De Mirabilibus Mundi », il est dit que celui qui se frotte les mains avec le jus de la joubarbe, devient insensible à la douleur, lorsqu’il prend dans ses mains du fer embrasé. En Allemagne, en Suède et en Angleterre on pense que la jovis barba, le sempervivum tectorum (hûlauk, houseloch) éloigne la foudre des maisons. (Cf. Tonnerre ; on l’appelle aussi Sedum Telephium, en allemand Donnerkraut.

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