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La Cloche

  • Photo du rédacteur: Anne
    Anne
  • il y a 6 jours
  • 15 min de lecture



Étymologie :


Étymol. et Hist. 1. 1re moitié xiie s. cloche « instrument à percussion » (Voyage de Charlemagne, éd. P. Aebischer, 359); d'où, p. anal. de forme, xves. cloque « objet creux qui recouvre, protège » (Olla Patella, s.v. repofocilium ds T.-L.); 1718 empl. p. compar. cloche (Leroux, Dict. comique, p. 123 : On dit aussi de ceux qui disent tantôt d'une façon, tantôt de l'autre : qu'ils sont comme les cloches, qu'on leur fait dire tout ce qu'on veut); d'où 2. 1872 cloche « personne incapable, stupide » (D. Poulot, Le Sublime, p. 180). Du b. lat. clocca « id. » (ca 550, domaine angl. ds Latham; cf. 690, Adamnanus [abbé d'Iona en Écosse], Vita Columbae, d'apr. FEW t. 2, p. 792) apporté sur le continent par les moines irlandais.


Lire également la définition du nom cloche afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Croyances populaires :


Galina Kabakova, autrice de “J’serons pris! J’serons pris” chante la brouette : les “mimologismes” dans le folklore européen. (In : Verba sonandi : étude de la représentation linguistique des cris d'animaux, 2017, pp. 299-308) dévoile des facettes insoupçonnées des cloches :


Parmi les sensations physiologiques désagréables, les métaphores sonores servent à décrire avant tout un état migraineux, une douleur aux oreilles ou au ventre (voir une revue typologique de ce modèle de transfert dans Reznikova et al. 2012). La source métaphorique la plus courante pour un acouphène est la cloche : ce type de transfert est représenté, par exemple, par le verbe français tinter (la grosse cloche de l’église tintait [TLF] → avoir les oreilles qui tintent), le verbe russe zvenet’ (zveneli monastyrskie kolokola « les cloches du monastère tintaient » → v ušax zvenelo « ses oreilles tintaient »).

[...]

On peut également évoquer le cas très particulier du multilinguisme des cloches. En Slovaquie, à Rimaszombat (Rimavská Sobota) où passe la frontière linguistique slovaco-hongroise, les cloches communiquent chacune dans la langue locale et les propos tenus reflètent la situation sociale locale. La cloche de la ville dit en hongrois : Bùza kenyér ! Bùza kenyér ! « Le pain de froment ! Le pain de froment ! », la cloche du village voisin slovaque Čerenčany, plus pauvre, répond : Žitní chléb, žitní chléb « Pain de seigle, pain de seigle » (Voigt, 1996 : 74).

[...]

Il y a des personnages qui sont l’expression de la voix intérieure. C’est le cas des cloches. Ainsi, dans un schwank allemand, les différentes étapes de la vie d’une fille sont verbalisées par les cloches. La petite cloche prononce ce que pense la petite fille : « (Je n’en aime) qu’un seul » (Nur den einen). La cloche moyenne dévoile la pensée d’une jeune fille : « Celui-ci ou celui-là » (Den oder den), enfin la plus grosse dit ce que pense la vieille fille : « Peu importe ce qui arrive, égal qui vient » (Egal wos kimmt, Egal wer kommt) (Voigt, 1996 : 73-74). Les cloches sont aussi capables de parler au nom des villages ou des villes où elles résonnent et d’évoquer la situation économique (voir supra).

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Symbolisme :


Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (Éditions Seghers, 1969) :


CLOCHE : 1. Le symbolisme de la cloche est surtout en rapport avec la perception du son. Dans l'Inde, par exemple, elle symbolise l'ouïe, et ce qu'elle perçoit, le son (shabda), qui est reflet de la vibration primordiale. Ainsi la plupart des sons perçus, lors des expériences yoguiques, sont-ils des sons de cloche. Dans l'Islam, le retentissement de la cloche est le son subtil de la révélation coranique, la répercussion de la Puissance divine dans l'existence : la perception du bruit de la cloche dissout les limitations de la condition temporelle. Assez semblablement, le Canon bouddhique pâli assimile les voix divines au son d'une cloche d'or.

En Chine, le bruit de la cloche est en rapport avec le tonnerre et s'associe, comme il est fréquent, à celui du tambour. Mais la musique des cloches est musique princière et critère de l'harmonie universelle.

Les clochettes suspendues aux toits des pagodes ont pour but de faire percevoir le son de la loi bouddhique. Mais le bruit des cloches fou des clochettes) a universellement un pouvoir d'exorcisme et de purification : il éloigne les influences mauvaises, ou du moins avertit de leur approche. C'est en particulier le cas des cloches attribuées à Ghantâkarma, qui protège ainsi du mal et des maladies.


2. Un symbolisme très particulier est celui de la clochette tibétaine (tilpu) (sanscrit ghantâ). Opposée au vajra (foudre), la clochette signifie le monde phénoménal en regard du monde adamantin, le monde des apparences, symbolise par l'extinction rapide du son. Elle est aussi la Sagesse associée, et opposée, à la Méthode, l'élément passif et féminin, alors que le vajra est actif et masculin ; ce qui se traduit encore par un symbolisme sexuel et par le port, pour les initiés, d'un anneau d'or figurant le vajra à la main droite, d'un anneau d'argent figurant la cloche à la main gauche.

La clochette, par opposition au foudre, symbolise les vertus féminines, la Doctrine... Le manche est d'habitude un foudre à huit branches amputé d'une moitié. Virilisée en religion et en magie, souvent y figure la salutation sanscrite au Joyau dans le lotus, (om mane padme aum) parfois réduite à (om aum) ; ou bien une formule magique. Elle est fréquemment ornée de la roue de la loi, d'un cercle de pétales de lotus, de lions, de divinités, etc. Sans doute symbolise-t-elle l'appel divin à l'étude de la loi, l'obéissance à la parole divine, en tout cas une communication entre le ciel et la terre.


3. Par la position de son battant, elle évoque la position de tout ce qui est suspendu entre terre et ciel et qui, par le fait même, établit entre les deux une communication. Mais elle possède aussi le pouvoir d'entrer en relation avec le monde souterrain.

Une clochette magique sert à évoquer les morts ; elle est composée d'un alliage de plomb, d'étain, de fer, d'or, de cuivre, de vif argent — en bas est écrit le nom Tétragrammaton — au-dessus, les noms des sept esprits des planètes, puis le mot Adonaï et sur l'anneau Jésus. Pour qu'elle soit efficace, il faut, selon Girardius Pervilues, l'envelopper dans un morceau de taffetas vert et la conserver en cet état jusqu'à ce que la personne qui entreprend le grand mystère ait la liberté et la facilité de pouvoir mettre ladite clochette dans un cimetière au milieu d'une fosse et la laisser en cet état l'espace de sept jours. Pendant que la clochette subsiste dans le vêtement de la terre du cimetière, l'émanation et la sympathie qui l'accompagnent ne la quittent plus ; elles la conduisent à la perpétuelle qualité et vertu reprises, lorsque vous la sonnez à cet effet.

Marius Hudry dans "Les cloches et clochettes de fonderie Merendon de Peisey-Nancroix (Savoie)." (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°1/1973. pp. 45-51) rappelle le caractère éminemment sacré de la cloche :


Une fois terminée, la cloche est bénite solennellement lors d'une cérémonie qui prend le nom de baptême. Cette bénédiction est réservée à l'évêque la formule était autrefois seulement dans le Pontifical (1) ; actuellement elle est passée dans le Rituel avec une nouvelle version approuvée en 1908. La cloche a parrain et marraine ; les noms de ces derniers figurent dans l'inscription, parfois longue, gravée dans le métal sur le rebord de la cloche.

Ces bénédictions et cette cérémonie solennelle montrent que, pour l'Eglise catholique et pour le peuple, les cloches, dont le but essentiel est d'annoncer les offices et les événements religieux, ont un caractère sacré. Elles

ne peuvent donc être utilisées qu'à des fins religieuses et pour des événements profanes exceptionnels. |...]

Ainsi, dans la mentalité populaire comme dans la littérature de l'éloquence sacrée, les cloches, qui ont un nom, ont pris une personnalité, et tout un sens mystique de protection s'en dégage.


Note 1) Le rite de la bénédiction d'une cloche remonte au moins au VIIe siècle. Il est décrit dans les Ordines Romani et dans un Capitulaire de 787.

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André Chabot, auteur d'un Dictionnaire illustré de Symbolique funéraire (La Mémoire Nécropolitaine et Memogrames Éditions, 2009) ajoute :


CLOCHE, CLOCHER : L’entrée de nombreux cimetières abrite une cloche qui invite impérativement les visiteurs à quitter les lieux lorsque l’horaire l’exige. Plus sérieusement, la même cloche annonce lugubrement l’arrivée d’un cortège funéraire dans le champ de repos. Les cloches qui, en Occident, ont longtemps rythmé, au gré de l’Église, la vie de la société, les événements de la communauté tels que les mariages, les baptêmes, les enterrements, sont frappées par le marteau de l’ange lorsqu’il n’en secoue pas directement le battant. Les sons qu’il en tire, d’abord sinistres dans le premier cas pour dire que l’instant fatal est arrivé, peuvent au contraire, dans le second cas, se faire joyeux pour proclamer l’entrée au ciel et la résurrection future. L’image des cloches de Pâques n’apparaît guère dans le cimetière, moins en tout cas que celle des trois cloches liées par un ruban de cérémonie. Celles-ci, qui semblent laisser éclater leur bonheur sur la tombe d’un couple, que les deux époux soient déjà décédés ou bien un seul encore évoquent les liens sacrés du mariage et sont toujours soulignées par les dates de l’événement.

Les monuments funéraires réservés aux fidèles chrétiens furent regroupés autour des lieux de supplice ou de sépulture des confesseurs de la Foi, les martyrs. Ainsi, pendant plus de mille ans les défunts furent enterrés dans les églises, la maison commune des Chrétiens. Non seulement le sous-sol y était investi mais aussi les chapelles latérales. Les extensions d’églises pour y accueillir davantage de sépultures ne furent pas rares. Tous souhaitaient le lieu saint pour dernière demeure. Les hiérarchies religieuses et sociales y organisaient les placements, les plus convoités situés évidemment le plus près de l’autel. C’est vers le quatorzième siècle que les tombes hors l’église reproduisirent en miniature l’église perdue pour la majorité des croyants qui en étaient exclus.

Ainsi c’est à l’ombre rassurante du clocher sous lequel ils sacrifiaient, de leur vivant, aux rites de leur foi que reposent nombre de Chrétiens défunts. Sur certains clochetons de ces monuments le visiteur peut parfois découvrir l’heure du décès.

Selon Nicolas Vernot, auteur de "Le clocher de l'église Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Beaufort (Jura) : un haut lieu fécondant ?." (In : Mythologie française, 2014, no 256, pp. 55-69) :


De fait, les témoignages concordent pour faire du porche et du clocher de l’église un lieu particulièrement propice aux rites ayant trait à la fécondité et aux jeunes enfants. En France moderne, selon la conception analogique du monde qui prévalait à l’époque, le battant de cloche était regardé comme un substitut phallique et constituait à ce titre le support symbolique de pratiques de fécondité rapportées par de nombreux folkloristes et ethnographes des XIXe et XXe siècles, mais dont on trouve des attestations dès l’époque moderne. C’est ainsi que lorsqu’en 1579, un capitaine protestant voulut couler des canons avec la grosse cloche de Mende, il dut renoncer à fondre le battant en raison de ses dimensions trop importantes. Il demeura planté à proximité du portail gauche (est-ce un hasard ?) de la cathédrale, où il devint l’objet d’un curieux pèlerinage attesté au cours du XIXe siècle, et remontant probablement bien plus avant : les femmes en mal d’enfant venaient se frotter le ventre contre ce bronze en implorant la Vierge. Ce rituel montre qu’un battant de cloche posé à terre est à même de devenir, entre la fin du XVIe siècle et le cours du XIXe , un substitut phallique objet d’un rite de fécondité. Cela signifie donc que la pensée analogique fonctionne encore à plein à l’époque moderne : pour les femmes du lieu, il ne fait aucun doute que ce battant est doté d’un pouvoir fécondant ; aucune autorité religieuse ou civile n’est à l’origine de la pratique, qui résulte de croyances issues d’un univers mental qui s’adapte sans cesse à son environnement.

Henri Estienne (1528-1598) rapporte « ce qu’on raconte de Nostre Dame de Liesse : c’est que les femmes qui ne peuvent avoir enfans, tirent à belles dens (au moins souloint tirer) les cordes des cloches de son temple ». D’après Sébillot, cette pratique se trouve également attestée à Aubervilliers et en Bretagne au XIXe siècle. A la même époque à Fossé (Ardennes), les jeunes filles en quête d’un mari étaient sûres de se marier dans l’année si elles parvenaient à attraper la corde haut placée de la cloche de la chapelle.

Dans le même ordre d’idée, la littérature médiévale évoque ces femmes qui se font « carillonner les fesses » par les moines, tandis que l’expression « sonner les grosses cloches » avait au XVIe siècle un sens non équivoque, comme en témoigne le poème suivant :


« Deux ou trois jours après les nopces

S’on parle d’aller en besongne.

Elle sonne les grosses cloches

Tant qu’elle y fait venir les bosses

Grosses comme ung veau de Boulongne. »


Au siècle suivant, l’abbé Thiers dénonce comme superstitieuse la pratique consistant à lier la ceinture des femmes en couches à la corde de la cloche, que l’on faisait sonner trois fois, sans doute pour faciliter la délivrance. D’autres rites concernaient les jeunes enfants souffrants : ainsi, une sorcière brûlée à Saint-Dié en 1572 recommandait, pour guérir un enfant qui ne marchait ni ne parlait, de tirer bien fort les cordes des cloches. Dans le Bordelais, à Saint-Michel-de-Fronsac au XIXe siècle, « on faisait faire aux enfants atteints du « mal bleu » sept fois le tour des piliers du clocher : deux femmes appelées matrones passaient sept fois le petit malade dans un grand nœud fait à la corde de la cloche, et prenaient ensuite mesure avec de la bougie filée de l’épaisseur de la tête, de la grosseur et de la longueur de l’enfant. La bougie devait brûler devant l’autel de Saint-Michel ».

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Symbolisme celte :


François Delpech, auteur d'un article intitulé "Saint Nectan : hagiographie, folklore et mythologie comparée." (Deuogdonion. Mélanges offerts en l’honneur du Professeur Claude Sterckx, 2010, pp. 133-155) étudie l'hagiographie afin d'y retrouver les traces de la mythologie celtique :


Le lien de la mort du saint à cet espace aquatique prend aussi, dans ce récit oral, une tout autre dimension : on apprend notamment qu’avant de mourir Nectan avait précipité sa cloche d’argent dans la cascade. Le son de cette cloche était si clair qu’on l’entendait jusque en haute mer : les marins interrompaient alors leur travail pour se recueillir. C’est en étant témoin d’une crise de la vraie foi (dont les raisons et la nature ne sont pas spécifiées) et sur une inspiration prophétique que le saint mourant avait procédé à son immersion, laquelle est métaphoriquement mais explicitement présentée comme le début d’un stade de latence du feu dans l’eau : « he told [...] that the light of their religion would grow dim in the land ; but that a spark would ever live amidst the ashes, and that in due time it would kindle into a flame, and burn more brightly than ever ». L’occultation de la cloche accompagne et symbolise ce processus, dont est précisée au passage la portée ordalique, et transpose en termes acoustiques les avatars de la lumière et du feu de la religion : « His silver bell, he said, should never ring for others than the true believer. He would enclose it in the roch of the Kieve ; but when again the true faith revived, it should be recovered, and rung, to cheer once more the land ». Après avoir formulé cette double prophétie, qui rappelle irrésistiblement le mythe de l’occultation aquatique de la « Gloire Lumineuse » par le « Descendant des Eaux » iranien, Nectan fait à trois reprises sonner sa cloche, la jette dans la cascade (au fond de laquelle elle disparaît complètement) et rend son âme à Dieu...

[...]

En ce qui concerne l’épisode essentiel de l’immersion de la cloche et des « trésors » du saint, plusieurs points sont à noter :

  1. cette cloche merveilleuse, à la fois ordalique (elle n’est entendue que par le vrai croyant) et eschatologique (elle « reviendra ») est peut-être une expansion mythique des deux cloches — offertes par l’évêque Lyvyngus à l’église de Hartland — auxquelles fait allusion le texte latin de l’inventio46, dont le souvenir a pu se confondre avec celui du baculus retrouvé dans le sarcophage (dont il est dit que le « peuple » le fit recouvrir de gemmes, d’or et d’argent). Elle remplace ici symboliquement, jetée dans la cascade, la tête que le saint céphalophore de la Vita avait portée jusqu’à sa fontaine, et le chaudron, lieu de ses « miraculeuses » épiphanies calendaires ichtyomorphiques ;

  2. le thème de la cloche (souvent de métal précieux) immergée est fréquent dans les traditions folkloriques, surtout dans les cultures tributaires d’un héritage celtique : nombre de cloches sont censées avoir été englouties dans une rivière, un puits ou une fondrière ; d’autres en sont au contraire issues (parfois ce sont les mêmes, qu’il faut extirper de leur prison humide en observant un silence rituel d’ailleurs rarement respecté, d’où l’échec de l’opération) ; d’autres encore, que l’on entend sonner à certaines occasions, sont toujours fixées à leur clocher mais appartiennent à une ville engloutie par les eaux suite à quelque catastrophe ; d’autres enfin sont des cloches flottantes, d’origine inconnue, qui remontent le cours d’un fleuve jusqu’au sanctuaire qu’elles ont elles-mêmes choisi ;

  3. lorsque les cloches immergées sont d’or ou d’argent les traditions concernées reconduisent clairement au vaste cycle mythico-folklorique de « l’or dans l’eau », dont plusieurs comparatistes ont pressenti qu’il est, dans une large mesure, une variante « objectivée » du mythème indo-européen du « feu dans l’eau » (voir les analyses de D. Briquel sur l’Or du Rhin, le trésor de Décébale et les trésors des Tarquins et mes propres observations sur les légendes de trésors subaquatiques) : le thème en question a eu manifestement une grande importance dans la culture gauloise, comme en témoignent l’archéologie et les récits relatifs à l’« Or de Tolosa ». Jeter des métaux précieux dans certaines eaux n’est pas (ou pas seulement un geste d’offrande, et les en extirper (sous conditions) pas nécessairement un sacrilège : dans certains cas c’est un moyen d’activer, voire de contrôler, le principe immanent dans l’eau vive, de réguler et canaliser les phases alternatives de manifestation et d’occultation qui rythment la vie secrète du « feu dans l’eau », de transformer ce feu latent en source effective de souveraineté. C’est là où les eaux bouillonnent, là où le principe actif qui les anime se manifeste donc avec le plus de force, que le feu et/ou l’or est le plus susceptible de surgir : aussi les cascades sont-elles un lieu privilégié pour cacher ou trouver des trésors ;

  4.  le fait que la cloche du saint soit d’argent plutôt que d’or est à rapprocher du lien privilégié qu’ont avec ce métal, et avec la couleur blanche, voire avec la lune, certains des personnages et des lieux associés au « descendant des eaux », comme Nuadha et Lludd « à la main d’argent », ou Bóand (la vache blanche). On discernera dans ces motifs une allusion au caractère prioritairement sacerdotal, en l’occurrence druidique, de la souveraineté conférée par la domination du feu dans l’eau.


Ce qui distingue la version orale de la légende de Nectan vis-à-vis de ses formes écrites et de la plupart des traditions évoquées plus haut, c’est d’autre part l’insistance sur le symbolisme acoustique qui la traverse de part en part. Au silence (provisoire) de la cloche immergée répond le mutisme des deux femmes qui viennent ensevelir le saint. Le retour de la vraie foi et la révélation au grand jour du trésor englouti seront accompagnés et annoncés par l’ébranlement sonore qui mettra fin à cette silencieuse occultation. Au delà de l’allusion au thème pascal du départ et du retour des cloches (entre le Jeudi Saint et Pâques), silence rituel associé à une extinction provisoire des lumières et à un remplacement temporaire du son clair de l’instrument de métal par le grondement sourd des « instruments de ténèbres » (généralement de bois), il y a lieu de voir ici — me semble-t-il — une explicitation du code acoustique impliqué dans la mythologie du « feu dans l’eau ». Les « dieux protéens » et autres « descendants des eaux » manifestent souvent une réticence à l’expression, parfois un mutisme radical (il faut alors leur soutirer par la force ou la ruse ce qu’ils savent). Parallèlement, il faut obligatoirement observer un silence profond lorsque l’on entreprend de retirer de leurs abysses les trésors (et les cloches) immergés : la moindre infraction à cette règle rituelle les fait immédiatement et à jamais replonger au fond des eaux. Ces silences codifiés préparent en la sacralisant l’émergence sonore et lumineuse de la parole vraie, du mètre bien normé, du chant inspiré enfin libéré, lesquels s’engendrent et résident au sein des eaux : du puits cosmique procèdent la puissance vocale, l’aptitude au chant, le don poétique. Faire résonner un gong, un chaudron métallique ou une cloche fait enfin partie, on le sait, des pratiques des tempestaires, des faiseurs de pluie et de ceux qui s’efforcent de conjurer leurs attaques. Au-delà de la magie sympathique et/ou apotropaïque et des rites divinatoires impliqués par ces manipulations sonores, l’association occasionnelle de ces pratiques avec la présence d’une source (souvent thermale) laisse entrevoir que les dispositifs concernés sont en rapport avec l’activation du « feu dans l’eau », puissance latente dont la teneur acoustique est une des composantes fondamentales.

Pour approfondir : Soazick. Kerneis, "La cloche des saints. Son et pouvoir dans la Bretagne armoricaine. (In : Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac, 2013, p. 19.


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Littérature :


La Cloche fêlée


II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,

D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,

Les souvenirs lointains lentement s'élever

Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.


Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux

Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,

Jette fidèlement son cri religieux,

Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !


Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis

Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,

II arrive souvent que sa voix affaiblie


Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie

Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts

Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.

Charles Baudelaire, "La Cloche fêlée" in Les Fleurs du mal, 1857.

Les cloches


Mon beau tzigane mon amant

Écoute les cloches qui sonnent

Nous nous aimions éperdument

Croyant n’être vus de personne


Mais nous étions bien mal cachés

Toutes les cloches à la ronde

Nous ont vus du haut des clochers

Et le disent à tout le monde


Demain Cyprien et Henri

Marie Ursule et Catherine

La boulangère et son mari

Et puis Gertrude ma cousine


Souriront quand je passerai

Je ne saurai plus où me mettre

Tu seras loin Je pleurerai

J’en mourrai peut-être


Guillaume Apollinaire, "Les Cloches" in Rhénanes, Alcools, 1913.

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