Étymologie :
Étymol. Et Hist. − 1. 1480 bot. ambroise « plante aromatique consacrée aux dieux » (Baratre infernal, Delb. Rec. ds DG : La divine herbete ambroise dicte) ; 1544 ambroisie (Jeh. Martin, Trad. de l'Arcadie, fo116 rods Gdf. Compl. : Ambroisie est une herbe comme un petit fruytier) ; 2. 1525 ambroise « substance délicieuse dont se nourrissaient les Immortels » (J. Le Maire, Cupido et Atropos, p. 2, ibid. : ... Aglaia, autre nymphe gentille, Print du nectar et de l'ambroise utile Dont les hauts dieux sont au ciel maintenus) ; 1546 ambrosie (Rabelais, III, 24 ds Hug. : On dict ... y estre Saturne lié de belles chaînes d'or ... alimenté de ambrosie et de nectar divin) ; 3. 1771 bot. (Trév. : Ambrosie, ou thé du Mexique. Chenopodium, Ambrosioides Mexicanum. Plante étrangère qui se cultive dans les jardins. Elle a passé pour le vrai thé). Empr. du lat. ambrosia « nourriture des immortels » (gr. α ̓ μ ϐ ρ ο σ ι ́ α fém. de α ̓ μ ϐ ρ ο ́ σ ι ο ς « immortel », avec ell. de ε ̓ δ ω δ η ́ « nourriture »), dep. Cicéron, (Orat., 2, 234 ds TLL s.v., 1867, 34) ; désigne diverses plantes dep. Pline et Celse, voir André Bot. 1956 ; ambroise, forme semi-savante. − Ambroisier, verbe, 1801, supra. Ambroisier, subst. 1962, supra.
Lire également la définition du nom ambroisie afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Ambrosia artemisiifolia - Ambroisie à feuilles d'armoise - Petite herbe à poux -
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Botanique :
Les plantes du genre Ambrosia, (famille des Asteraceae) portent le nom de l'Ambroisie mythique mais n'ont, a priori, pas grand-chose à voir avec...
Clarine Julienne, autrice de « La lutte contre l’ambroisie. Gestion biosécuritaire d’une espèce invasive », (Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 12,n3, no. 3, 2018, pp. 455-480) explicite la gêne occasionnée par l'Ambroisie à feuilles d'armoise et présente la plante :
Tous les ans, les habitants de la région Rhône-Alpes sont touchés par un « rhume des foins » singulier, au début du mois de septembre. Les enfants manquent la rentrée, les employés pleurent sur leur bureau, l’ambroisie est de retour. Le phénomène est quasiment inconnu dans le reste de la France, où l’ambroisie évoque plutôt le nectar embaumé consommé par les dieux dans la mythologie grecque de la haute Antiquité. Et pourtant, l’espèce dont il est ici question, Ambrosia artemisiifolia, ne renvoie pas à cet imaginaire mythique mais à une plante envahissante au pollen fortement allergisant. L’ambroisie fait partie de ces organismes qui aujourd’hui prolifèrent : les « espèces invasives ».
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Contrairement à la biodiversité, les invasions biologiques sont encore peu investies par les sciences sociales. Les quelques études existantes s’intéressent majoritairement à ce découpage singulier du monde vivant, entre natif et étranger6 . Anthropologues et sociologues analysent la dimension idéologique de cette taxonomie, qui véhiculerait un rejet de l’altérité ou une forme masquée de xénophobie (voir Tassin & Kull, 2012 ; Rémy & Beck, 2008 ; Comaroffs, 2001 ; Subramaniam, 2001). Tsing (1995) se penche ainsi sur le cas de l’invasion de « l’abeille africaine » aux États-Unis pour examiner comment les attributs du migrant – agressivité, mobilité, reproduction frénétique – sont projetés sur cette espèce. De même que Comaroffs (2001), elle considère le discours sur les invasions biologiques comme une projection des anxiétés nationalistes dans le champ de l’environnement. Pour Subramanian (2001), la biologie des invasions participerait alors à naturaliser les logiques xénophobes et racistes.
Ces approches ont le mérite de problématiser les catégories scientifiques et profanes avec lesquelles est appréhendé le phénomène des « invasions biologiques ». Toutefois, elles offrent une version réductrice des acteurs concernés : les scientifiques y sont des agents conservateurs de la naturalisation et la population des réactionnaires prompts à la xénophobie. Plus problématique, leur analyse se limite essentiellement au plan de la rhétorique et ignore les pratiques concrètes de gestion des espèces invasives. Les interactions avec les organismes vivants sont cantonnées à un cadre discursif et uniquement appréhendées à travers des logiques culturelles humaines. Dans ces travaux, l’environnement constitue un espace de projection de problématiques sociopolitiques, un arrière-plan passif ou un miroir des sociétés humaines. Latour nous met pourtant en garde contre « l’écueil des représentations sociales de la nature » (2004, p. 32) qui masque les processus physiques à l’œuvre. Ces approches sont symptomatiques d’un certain constructionnisme social qui, dans la lignée de la remise en cause du naturalisme, s’attelle à démontrer comment les faits « naturels » ou « biologiques » sont en réalité des constructions sociales. Stacy Alaimo (2010) dénonce d’ailleurs cette dérive de la critique du naturalisme qui reproduit le dualisme nature/culture via une élimination du premier terme et une inflation du second.
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APPRÉHENDER LE PATHOGÈNE ET L’ARTIFICIEL DU VÉGÉTAL : Ambrosia artemisiifolia est une herbacée verte et discrète, qui germe, pollinise, graine et meurt tous les ans en suivant un cours cyclique étalé d’avril à novembre. Deux facteurs expliqueraient, selon les écologues (Chauvel et al., 2006 ; Fumanal et al., 2008 ; Muller, 2004), la rapide propagation de l’ambroisie : des capacités exceptionnelles de reproduction et une vaste amplitude écologique. Après une période de pollinisation intense en juillet et août, la plante graine et délivre entre 3000 et 6000 semences par plant (Fumanal et al., 2007). Grâce à leur enveloppe dure et épineuse, les graines s’accrochent aux textiles, pelages, roues des engins ou sont transportées par l’eau. Fortes d’une importante capacité de dormance, elles peuvent s’accumuler sous terre pendant plusieurs dizaines d’années avant de germer (Toole & Brown, 1946). Caractérisée par les écologues comme une espèce pionnière (Fumanal et al., 2008), l’ambroisie possède une forte résistance au stress hydrique, au sable et à la salinité. Supportant mal la concurrence des autres espèces, on la retrouve principalement sur des sols secs, pauvres et dénudés.
Aux États-Unis, d’où elle est originaire, la plante occupe depuis le XIXe siècle les périphéries industrielles de grandes villes de l’Est, poussant dans les déchetteries, zones industrielles ou bidonvilles. Le botaniste américain renommé Asa Gray décrit Ambrosia artemisiifolia comme une mauvaise herbe fleurissant sur les « waste place », les espaces en ruine, inutilisés (Gray, 1862, p. 212). Elle est ainsi dénommée ragweed, littéralement, « l’herbe en haillon ». Dans son ouvrage Breathing Scape (2007), Gregg Mitman démontre comment, au début du XXe siècle, parce qu’elle se développe dans « les friches de la civilisation industrielle américaine » (Mitman, 2007, p. 84), l’ambroisie est rattachée par les médecins et fonctionnaires aux « autres mauvaises herbes urbaines, les sans-abris, classes précaires, les migrants, ceux qui vivent dans les marges de la civilisation » (Mitman, 2007, p. 74). Son occupation d’espaces marginaux fait d’elle un « squatter », « une habitante des taudis », un « rat des rivières » (Mitman, 2007, p. 55). L’identité de la plante, associée à la saleté, est fortement marquée par les niches qu’elle occupe.
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Bienfaits thérapeutiques :
Bruno Nunez, auteur d'un article intitulé "L’Ambroisie à feuille d’armoise : attention aux allergies !" (© Le Parisien, modifié le 19 juillet 2023) évoque les vertus médicinales de l'Ambroisie à feuilles d'armoise :
Comme c’est souvent le cas en botanique, l’ambroisie n’a pas que des inconvénients et cette plante présente même quelques bienfaits. Lors d’une étude, L’AFEDA (Association Française d’Étude des Ambroisies) a notamment pu établir que l’ambroisie est un excellent anti-microbien, tant dans les sols que chez l’Homme grâce à la présence d’une molécule : l’isabeline. Elle agirait favorablement dans le traitement des maladies nosocomiales et des staphylocoques.
Bien avant ces études modernes, les Amérindiens tiraient de nombreux bénéfices de l’ambroisie pour soigner différents maux. Les feuilles broyées soulagent en effet les piqûres d’insectes tandis qu’en cataplasme, elles apaisent l’irritation oculaire, les plaies infectées et maladies de peau. L’infusion d’ambroisie permet également de lutter contre les crampes abdominales, la constipation et la fièvre et s’utilise également en application sur le cuir chevelu pour le réhydrater et apaiser les irritations.
Symbolisme :
Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) :
Ambroisie : Aliment d'immortalité, elle est, avec le nectar, un privilège de l'Olympe. Dieux, déesses et héros s'en nourrissent, ils vont jusqu'à en offrir à leurs chevaux; Ses qualités merveilleuses en font aussi un baume qui panse toute plaie, et appliqué sur le corps des morts protège ceux-ci de la corruption. Mais malheur à l'humain qui goûterait à l'ambroisie sans y être invité : il risque le châtiment de Tantale.
Les dieux du Veda sont moins jaloux, et le mortel qui goûte au soma au amrita, peut, par ce moyen, gagner le ciel :
Veuille le Gandharva qui connaît l'ambroisie révéler le nom déposé dans le secret !
D'un coup, l'on parcourt le Ciel, la Terre, les trois mondes,
les quartiers du ciel et le séjour de lumière :
ayant dénoué le tissage de l'Ordre, ayant vu Ce mystère,
on devient Ce mystère, présente en toutes les créatures.
(Taitttirya Arunyaha 10, 1, traduction de Jean Varenne)
L'être devient ce qu'il consomme. Ce sens sera repris dans la mystique chrétienne : l'ambroisie devient l'eucharistie, le corps du Dieu sauveur, « vrai pain des anges ».
Clarine Julienne, autrice de « La lutte contre l’ambroisie. Gestion biosécuritaire d’une espèce invasive », (Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 12, no. 3, 2018, pp. 455-480) s'intéresse aux représentations symboliques associées à la plante invasive :
Une « pollution vivante » : Souvent désignée comme une « saleté » ou « saloperie » par les habitants de la région, la plante est constamment associée à l’impur. Des rumeurs circulent sur sa tige, qui pourrait déclencher des brûlures. Les autorités sanitaires recommandent systématiquement le port de gants et de masque pour arracher l’ambroisie. Les équipes embauchées par les collectivités sont parfois munies de combinaisons intégrales. On trouve souvent à la plante une mauvaise odeur.
L’ambroisie est créditée d’un statut particulier, moins dû à la nature pathogène de son pollen qu’au caractère suspect de ses origines. [...]
L’ambroisie se développe dans les champs ou les jardins, sans y être cultivée. Elle est absente des grands parangons contemporains de la nature sauvage : la forêt, les réserves naturelles, les montagnes. Indésirable dans les espaces domestiques, rare dans les espaces sauvages, elle n’appartient véritablement ni à la première sphère ni à la seconde. Sa présence est considérée comme artificielle – car introduite par l’homme – mais la plante pousse spontanément. L’ambroisie est associée avant tout aux espaces rudéraux10. La plante pousse « là où les autres plantes ne poussent pas », « là où la terre a été retournée », me répète-t-on maintes et maintes fois, et « où le sol est mis à nu ». En zone urbaine, elle prolifère sur les bords de route, les ronds-points et les parkings, autour des décharges, des décombres, des chantiers ou des friches. « À Bourgoin, l’ambroisie a complètement envahi l’ancienne zone industrielle. […] Dès qu’une zone est un peu négligée, on retrouve l’ambroisie », m’explique Patricia Veyrenc, référente ambroisie à l’intercommunalité de la CAPI. La plante occupe des terrains en transition, ni vierges, ni cultivés, ni construits. Ainsi, elle émerge dans le creux des espaces canoniques occidentaux du vivant. Alex Nading (2014, p. 27) parle d’ecological gap, pour décrire ces interstices à la fois spatiaux et symboliques entre « les dualismes que nous utilisons traditionnellement pour penser le vivant, dans l’intervalle entre le naturel et l’artificiel, le sauvage et le domestique, entre le déchet et la ressource ». Alors que l’anthropisation du territoire menace d’ordinaire la végétation, elle favorise ici l’ambroisie. Sans être cultivée par lui, la plante « s’attache aux pas de l’homme.
Pour l’homme, l’ambroisie n’est pas à sa juste place. L’attribut de la saleté et de la pollution vient signaler cette transgression de l’ordre spatio-symbolique. Le déchet est ce qui ne rentre pas dans l’ordre des choses : l’ambroisie, en envahissant des zones anthropisées contre la volonté des hommes, constitue un « matter out of place » (Douglas, 1971, p. 55).
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De même que certaines espèces d’oiseaux ou de mammifères (l’ours polaire, le panda, le dauphin…) sont mobilisées en tant qu’« espèces emblématiques » afin de promouvoir des revendications environnementales (Keck, 2015a), l’ambroisie a été choisie pour sa visibilité socioculturelle dans la région. Porte-parole du sol, l’ambroisie nous dit : « Vous fabriquez un désert artificiel » (Ducerf, 2013, p. 136). Partout où elle pousse, elle dénonce l’assèchement, la salinisation, l’appauvrissement des sols. La plante devient le support d’une remise en question des actions humaines. C’est ainsi que Gilles Clément, dans son Éloge des vagabondes, affirme que « s’attaquer aux causes [du développement de l’ambroisie] reviendrait à bouleverser le système qui règle notre vie économique et politique » (2014, p. 80).
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Mythes et légendes :
Dans La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 1 (C. Reinwald et Cie, Libraires-Éditeurs, Paris, 1878), Angelo de Gubernatis nous propose la notice suivante :
AMBROISIE, AMRITA (Arbre de l’ —). Nous avons déjà indiqué les rapports qui, d’après la tradition populaire, existent entre l’arbre d’Adam et l’arbre de la pluie. L’arbre de l’ambroisie peut être considéré comme une personnification collective plus générique et plus ancienne des deux arbres, à cause de la double nature de l’ambroisie, qui est à la fois semence de vie, c’est-à-dire sperme génital, et eau régénératrice. On se rappelle sans doute le miracle de la pluie envoyée par Indra dans le Râmâyana, où elle n’a pas seulement le pouvoir de rafraîchir et de faire pousser les herbes, mais où elle se mêle avec l’ambroisie (1) et ressuscite les singes tués dans la lutte sanglante contre les démons de Lankâ. Cette eau bienfaisante peut être la rosée du matin tout aussi bien que la pluie du printemps. L’eau et le feu ont eu dans la génération le même rôle fécondant. L’arbre de l’ambroisie, l’arbre qui verse l’eau de vie, est le fécondateur par excellence, et l’une des formes les plus populaires de l’arbre cosmogonique et de l’arbre anthropogonique. Au lieu de l’Océan d’ambroisie en personnifiant davantage le mythe, on avait imaginé l’arbre de l’ambroisie, c’est-à-dire une forme du parigâta, l’arbre cosmogonique issu du barattement de l’Océan.
On fait, sans doute, allusion à un arbre pareil dans l’hymne II, 164 du Rigveda, où les oiseaux placés sous le même figuier louent tour à tour leur part d’ambroisie, en chantant que la figue suave ne peut être mangée par celui qui n’a pas connu le père (Tasyêd âhuh pippalam svâdv agrê tan nô ‘nnaçad yah pitaram na vêda) ; par quoi on semble sous-entendre que les fils renouvellent seulement le jeu phallique des pères, et que la figue doit être mangée par ceux qui savent de quelle manière ils sont nés eux-mêmes, c’est-à-dire par ceux qui connaissent le mystère de la génération. Mais, puisque l’hymne védique nous apprend qu’il s’agit ici d’un figuier (açvattha, pippala), nous n’insisterons pas davantage sur cet arbre ambrosiaque, que nous aurons lieu de retrouver sous sa forme spécifique dans la seconde partie de ces recherches. Le paradis du dieu Indra avait cinq arbres : Mandâra, Paridjâta, Santâna, Kalpav riksha, Haricandana ; c’est à l’ombre de ces arbres que les dieux jouissent de l’amrita ou ambroisie. D’après le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg, le nom d’amara ou immortel est donné à l’euphorbia tirucalli L., et au tiaridium indicum Lehhm. ; celui de amarâ ou immortelle au panicum dactylon (dûrvâ amritâ) et au cocculus cordifolius (gudûci) ; amaradâru ou arbre immortel est le nom donné à la pinus deodora Roxb. (c’est-à-dire à la pinus dêvadâru ou pinus arbre des dieux) ; l’amarapushpa ou arbre aux fleurs immortelles correspond au Saccharum spontaneum L. (kaça), au pandanus odoratissimus (kêtaka) et la mangifera indica (cûta) ; amarapushpikâ est un surnom de l’anethum sowa Roxb. — Amrita, ou immortel est le phaseolus trilobus Ait. (vanamudga) ; amritâ ou immortelle s’applique à plusieurs plantes indiennes, c’est-à-dire à l’emblica officinalis Gærtn. (appelée aussi amritaphalâ, celle dont les fruits sont immortels), à la terminalia citrina Roxb. (harítakî, pathyâ), au cocculus cordifolius (amrâ, amritavalli, gudûci), au piper longum L. (mâgadhî), à l’ocimum sanctum (tulasî, apetarakshasî, agagandhikâ), à la cucumis colocyn. (indravârunî), à l’halicacabum cardiospermum (djyotishmatî, gorakshadugdhâ, ativisha, raktatrivrit), au panicum dactylon (amarâ, dûrvâ). Amritaphalâ ou la plante aux fruits immortels est la vigne (drâkshâ) ; la vigne noire ou kapiladrâkshâ s’appelle encore amritarasâ, c’est-à-dire ayant un suc immortel ; et il est probable qu’il faut reconnaître la vigne dans le lierre de l’ambroisie ou lierre immortel (amritalatâ) de Bhartriharî. Lorsqu’une strophe indienne nous dit que parmi toutes les herbes la meilleure est l’amritâ, il nous semble vraisemblable qu’elle indique spécialement l’ocimum sanctum (tulasí), herbe qui a été, dans l’Inde, l’objet d’un culte spécial ; nous ne devons cependant pas oublier ici que le nom de trinottama ou suprême parmi les herbes et sutrina ou bonne herbe est donné dans l’Inde particulièrement à une espèce d’andropogon appelée autrement bhûripatra, c’est-à-dire qui a beaucoup de feuilles (2). L’herbe amritâ étant, en tout cas, la meilleure des herbes, nous ne nous étonnerons point si le roi des herbes dans l’Inde s’appelle Soma. Le professeur Khun, dans son ouvrage capital sur le feu et le soma, a si bien prouvé l’identité de l’amritâ et du soma, que nous n’avons aucun besoin d’ajouter que le roi Soma pourrait être remplacé sans inconvénient par un roi Amrita qui serait son parfait équivalent. Par conséquent la proposition : l’amritâ est la meilleure des herbes, ne serait que la reproduction d’une autre proposition mythologique : Soma ou Amrita est le roi des herbes ; c’est-à-dire, l’essence suprême des herbes est l’ambroisie, le suc éternel, par lequel la végétation, la génération, la vie se renouvellent sans cesse. On a donné à plusieurs plantes, à plusieurs herbes le nom d’immortelle, et le pouvoir de distiller l’eau-de-vie ; mais aucune d’elles ne saurait représenter complètement l’arbre, ou l’herbe de l’ambroisie céleste. Ceci nous explique aussi l’embarras qu’éprouvait Walafridus Strabo, dans son Hortulus, pour nous déterminer l’ambrosia :
Haud procul Ambrosiam vulgo quam dicere mos est
Erigitur, laudata quidem, sed an ista sit illa
Cuius in antiquis creberrima mentio libris
Fit, dubium est multis. Medici tamen arte suapte
Hanc utcumque colunt, tantumque haec sanguinis hausta
Absumit, quantum potus ingesserit alvo.
Dans la Vetala panchavinçatî indienne, l’amrita ou ambroisie apparaît comme un fruit. Un dieu le donne à un brahmane mendiant ; la femme du brahmane conseille au mari de le porter au roi, qui l’achète à un très grand prix. Le roi voulant témoigner son amour à la reine, lui en fait présent pour qu’elle en mange et devienne immortelle ; la reine a un amant qui est le chef de la police, et le régale d’amrita ; l’amant à son tour a une amie à laquelle il offre avec empressement le fruit ; l’amie, dans l’espoir de gagner par là beaucoup d’argent, apporte le fruit au roi, qui, en effet, le paye très cher, et puis devient fort triste en songeant que la reine l’a trompé. Alors, il prend le parti de manger lui-même le fruit et de se retirer dans la forêt pour y faire pénitence. Mais Indra devient jaloux de lui, et envoie un démon occuper le trône abandonné. Le roi, dès qu’il apprend cette nouvelle, marche à la rencontre du démon, lui livre bataille et triomphe de lui ; il va le mettre à mort, lorsque le démon lui raconte la première des vingt-cinq nouvelles qui composent la Vetala-Panchavinçatî. Cet amrita qui rend Indra jaloux est parfaitement analogue à la pomme, au fruit de l’arbre de vie ou figue d’Adam, et la colère du dieu indien, au courroux du créateur biblique.
Enfin, c’est bien encore un arbre d’ambroisie, cet arbre merveilleux dont fait mention l’Historia delle Indie Occidentali de Ramusio, arbre autour duquel se forme un nuage qui remplace la pluie ; le tronc, les branches, les feuilles de l’arbre, chaque jour avant le lever du soleil jusqu’à ce que le soleil monte, font tomber pendant quatre heures, goutte à goutte, une grande masse d’eau qui suffit à désaltérer tous les habitants des Iles du Fer. (Cf. Arbres pluvieux)
Notes : 1) Yuddhakânda, CV, 18-19 : « Evamuktvâ sa çakrastu devarâgo mahâyaçh varshenâmritayuktena vavarshâyodhanam prati. Tataste ‘mritasamsparçat tatkshanâllabdhagîvitäh samuttasthurmahâtmânah sarve svapnakshayâdiva. » Nous avons, dans un autre épisode célèbre du Râmâyana (celui de Rishyaçringa), un indice évident de l’analogie qu’on voyait entre la pluie et l’amrita, ou le sperme immortel. Pour avoir des enfants, on tire de la forêt le chaste pénitent ; dès qu’il marche, dès qu’il sort de sa retraite, la pluie tombe. Je saisis cette occasion pour rappeler une superstition populaire très répandue, d’après laquelle il pleut toujours lorsque les saints ou les prêtres se mettent en mouvement. La croyance (que l’on se moque de nous si on le veut bien) ne peut avoir qu’une origine mythologique, à la fois solaire et météorologique. Le soleil, caché dans le nuage, dans la forêt de la nuit, dans les ténèbres de l’hiver, est une espèce de pénitent, de saint ; lorsqu’il sort de sa retraite, lorsqu’il se meut, la pluie tombe, la pluie ambroisie qui fait repousser les herbes flétries par les ardeurs de la canicule, la rosée ambroisie qui humecte et ranime les plantes et les herbes avant que le soleil quotidien vienne les fouetter de ses rayons, la pluie ambroisie du printemps qui fait repousser toute la végétation.
2) Parmi les herbes auxquelles on attribue la propriété de donner aux hommes la jeunesse éternelle, la Gaurîkanculikâ désigne spécialement la plaumbago zeylanica et la vitex negundo (cf. Notices of Sanscrit Mss., by Râjendralâla Mitra ; nº III. Calcutta, 1871).
D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),
BALIS. — On attribuait à cette herbe la faculté suprême de rappeler les morts à la vie. Pline rapporte, d’après l’historien Xanthus, qu’un petit chien, tué par un dragon, fut ressuscité par l’herbe balis. Mais il y a plus que cela ; le dieu Esculape lui-même aurait été ramené à la vie par cette herbe prodigieuse, qui fait songer à l’ambroisie, à l’amrita, et à cette herbe miraculeuse apportée du Gandhamadana, par Hanumant, qui devait rappeler Lakshmana à la vie, et à cette pluie vraiment ambroisienne qui fait revivre les singes tués par l’armée des monstres de Lankâ, dans le Râmâyana.
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