L'Éventail
- Anne
- 10 juin
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Dernière mise à jour : 11 juin
Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. 1416 « écran que l'on agite pour donner de l'air » (Inv. de N.-D. de Paris, fo6 vods Gay) ; p. anal. 2. 1721 [des arbres] en éventail « en forme d'éventail » (Trév.) ; 3. 1723 « écran que l'émailleur place devant sa lampe pour se protéger de la chaleur ». Dér. du rad. de éventer* ; suff. -ail*, sur le modèle de ventail.
Étymol. et Hist. 1. a) 1re moitié xiie s. fig. « rechercher avec soin [comme en vannant], découvrir » [eventilasti, investigasti, TLL s.v., 1017, 6] (Psautier de Cambridge, 138, 3 ds T.-L.) ; b) 1478-80 id. « divulguer, répandre » (Coquillart, Droits nouveaux, éd. M. J. Freeman, 2066) ; 1580 esventer un secret (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, III, 3, p. 395) ; 2. 1178-84 « aérer » (G. d'Arras, Eracle, 3349 ds T.-L. : Quant li fourmenz est esventez) ; 3. fin xiie s. « rafraîchir en agitant l'air » (Raoul de Cambrai, 5128, ibid.) ; 4. 1393 « altérer au contact de l'air » (Ménagier de Paris, II, 67, ibid. : se le vin sent l'esventé). Du lat. * exventare dér. de ventus « vent » et reconstitué à partir des langues romanes : a. prov. esventar, cat. esventar, ital. sventare, roum. zvinta.
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Symbolisme :
Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (Éditions Seghers, 1969) :
ÉVENTAIL : Dans l'iconographie hindoue, l'éventail est un attribut de Vishnu : parce qu'il sert à attiser le feu, il est un symbole du sacrifice rituel. Il est aussi, pour la même raison, attribué à Agni. L'étendard de Vâyu, divinité du vent, pourrait être lui-même assimilé à l'éventail.
Il est aussi emblème de dignité royale, en Afrique, en Asie, de même qu'en Extrême-Orient, du pouvoir mandarinat et impérial. On en rapprochera les flabelli des cérémonies romaines. Le flabellum était utilisé, dans l'Eglise primitive, au cours de la célébration de l'office divin. Des éventails à grandes plumes ornent encore la sedia gestatoria des solennités à Saint-Pierre de Rome.
Dans le célèbre roman Si Yeou-ki, on trouve mention d'éventails qui, non seulement produisent le feu, mais aussi l'éteignent et produisent en outre le vent et pluie. Chez les Taoïstes, l'éventail semble en rapport avec l'oiseau, comme instrument de libération de la forme, comme symbole du vol vers le pays des Immortels. Aussi, lorsque Kiai-tseu T'ouei revient dans le monde comme marchand d'éventails, peut-on comprendre qu'il propose une recette d'immortalité, ou le symbole de celle qu'il a atteinte lui-même. Et l'éventail de l'Immortel Tchong-li K'iuan, considéré habituellement comme insigne mandarinal, peut avoir le même sens. Il ne fait pas de doute que l'éventail peut en outre figurer un écran contre les influences pernicieuses : c'est pourquoi il est parfois orné au Japon d'un mitsu tomoye tricolore, version ternaire du yin-yang qui a, en Chine, la même vertu protectrice.
Les Chinois ne se seraient pas avisés d'agiter les mains pour faire de l'air près de leur visage. Ces gestes auraient pu attirer les mauvais esprits ; pour cela, ils se servaient d'éventails.
Un poète mandchou nous a laissé, au XVe siècle, un joli quatrain hermétique dédié à une dame inconstante :
C'est mon son qui est triste
Et non votre amour qui est inconstant.
Je prends pitié de l'éventail délaissé
Et n'ose blâmer le vent de l'automne.
Éloïse Mozzani, autrice d'un ouvrage intitulé Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) apporte les précisions suivantes :
ÉVENTAIL (ÉVENTER) : L'éventail est l'emblème de la dignité royale en Asie et en Afrique, et du pouvoir impérial en Extrême-Orient ; attribut de Vishnu dans l'hindouisme où il a pour fonction d'attiser le feu, il est dans ce sens un symbole du sacrifice rituel et chasse les mauvaises influences et les démons. C'est pour cette dernière raison que les magiciens et chamans, notamment en Afrique, s'en servent dans leurs rituels.
Il est très bénéfique par exemple d'éventer un malade ; les éventails appartenant à un ancêtre ou ceux en plume sont les plus efficaces pour chasser la maladie.
En même temps, l'éventail peut se transformer en une arme occulte redoutable : les sorciers siamois savent le rendre maléfique en plaçant entre ses feuilles des formules de malédiction : « Il suffit d'éventer quelqu'un avec ces instruments d'apparence innocente pour répandre sur lui tous les malheurs qui y sont inscrits ».
Selon les Anglo-Saxons, il ne faut jamais faire confiance à une femme qui ne quitte pas cet accessoire et s'en sert tout le temps. A l'île Maurice, en offrir un à la personne aimée entraîne une rupture.
La représentation d'un éventail en or, argent, cuivre ou bronze, portée en pendentif autour du cou ou suspendue à un bracelet, porte bonheur tout en assurant la santé et empêchant la vieillesse.
Cette dernière propriété est à rapprocher du symbolisme de l'éventail chez les taoïstes où « il semble en rapport avec l'oiseau, comme instrument de libération de la forme, come symbole du "vol" vers le pays des Immortels. Aussi, lorsque Kiai-tseu T'oueï revient dans le monde comme marchand d'éventails, peut-on comprendre qu'il propose une recette d'immortalité, ou le symbole de celle qu'il a atteinte lui-même ».
Il ne faut jamais s'éventer avec la main car cela attire maléfices ou mauvais esprits, selon une croyance commune à l'Occident et à la Chine. Dans le Baugeois, on empêchait un chien de suivre une trace en « éventant la piste avec sa coiffure ».
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Muriel Levet, dans Objets chamaniques et leurs pouvoirs (Éditions Trajectoires, 2009) étudie l'éventail au même titre que les bouquets de feuilles :
Si les bâtons, armes et flèches sont très utilisés par les chamanes, les bouquets de feuilles ou de plumes et les éventails peuvent également être présents dans les rituels. Leur fonction est surtout thérapeutique : les bouquets et éventails, souvent considérés comme supports d'esprits, sont utilisés par les chamanes comme des outils pour soigner les maladies occasionnées par les mauvais esprits ou par les sorciers.
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Plumes et éventails de plumes : Les plumes sont des accessoires fréquemment utilisées par les chamanes, en particulier américains. On les retrouve dans les costumes, notamment les coiffes, et elles peuvent venir orner divers objets (hochets, maracas...). Elles peuvent également, tout comme les branches d'arbres, être utilisées seules ou sous forme de bouquets ou d'éventails afin de chasser les mauvais esprits dans une optique thérapeutique.
C'est particulièrement le cas en Amérique du Nord, où l'oiseau joue un rôle aussi important, si ce n'est plus, que l'arbre. L'oiseau est bien sûr un animal prisé par les chamanes du monde entier. Ses plumes représentent le vol magique que le chamane effectue dans le monde des esprits au moment de l'extase. D'après les récits et l'iconographie, l'âme du chamane voyage très souvent dans le monde des esprits sur le dos d'un oiseau, mais plus souvent encore, l'âme du chamane s'incarne dans cet oiseau pour pouvoir voler à sa guise.
En Amérique du Nord, chez les Tlingits, lorsqu'il est confronté à un cas de sorcellerie ou de maladie due aux mauvais esprits, le chamane agite devant le visage de son patient un éventail fait de plumes d'aigle et de cygne. Il lui arrive également, après avoir retiré la « pointe » d'une blessure et l'avoir jetée à l'eau (voir la flèche), de souffler de l'air à l'aide d'une plume d'aigle.
Le cygne, comme tous les oiseaux aquatiques, est non seulement représentatif de la capacité du chamane de voler dans les airs, mais aussi d'accéder à l'inframonde, monde souterrain qui, comme on l'a dit, est très souvent perçu comme un univers aquatique.
Mais l'oiseau, et notamment l'aigle, n'est pas uniquement représentatif du vol chamanique pour les Tlingits. en effet, dans la cosmogonie tlingit, le créateur n'est autre qu'un oiseau : un corbeau. L'oiseau est donc associé à la création (et donc opposé à la destruction : la maladie) et les hommes descendent de ce corbeau originel. Le peuple tlingit est d'ailleurs divisé en deux parties : les Corbeaux et les Aigles. Et bon nombre de clans, dans chacune de ces deus parties, ont pour emblème l'aigle.
Éventails et danses chamaniques :En Corée, ce sont des éventails à proprement parler que les chamanes utilisent. Il s'agit en fait d'un « accessoire » très important pour la mudang, dont le rôle peut être comparé à celui du tambour ou du bâton en Sibérie. Alors qu'elle effectue sa danse chamanique, la chamane l'agite pour convoquer les esprits. Il lui arrive également de l'orienter en direction des patients afin de leur envoyer des bénédictions.
Ces éventails sont très souvent décorés de représentations anthropomorphes, qui symbolisent les esprits que le chamane convoquera au cours du rituel, selon le problème qu'elle aura à traiter. L'éventail utilisé par le chamane doit donc normalement permettre d'identifier le type de rituel auquel on va assister.
L'un des éventails les plus fréquemment utilisés est orné de la représentation de trois visages identiques coiffés de chapeaux blancs pointus. Pour la chamane, il s'agit des triplés de Sam-shin Halmoni, « Grand-Mère Naissance », un être légendaire qui aurait mis au monde des triplés. Cet éventail est donc utilisé pour favoriser la fécondité. Mais les trois visages qui le décorent ne sont pas sans évoquer les trois corps du Bouddha, qui ornent également le phurbu des chamanes népalais. On observe ainsi de nouveau ce mélange entre l'iconographie chamaniste et l'iconographie bouddhiste.
D'autres esprits anthropomorphes peuvent être représentés sur les éventails, notamment des personnages importants de la cosmogonie chamaniste coréenne : Chesok, l'esprit mâle ayant enfanté les triplés, l'Esprit de la Montagne, l'Etoile polaire, qui régit la longévité... Les éventails utilisés par les mudang peuvent ainsi représenter de véritables panthéons de divinités, souvent agencées de façon hiérarchique, l'esprit le plus important étant représenté en grand au milieu de l'éventail et les autres figures, de taille légèrement inférieure, s'organisant de chaque côté.
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