La Flèche
- Anne
- 17 déc. 2024
- 22 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mai
Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. a) [Fin xie s. fleche « trait qu'on lance avec un arc ou une arbalète » (Raschi Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, no 488 : fleches « tiges de flèches »)] ; ca 1160 (Enéas, 1478 ds T.-L.) ; b) ca 1300 faire fleche du meillor fust « mettre tout en œuvre pour réussir dans une entreprise » (Guillaume de La Villeneuve, Les Crieries de Paris ds Fabliaux, éd. Barbazan et Méon, t. 2, p. 286, 194) ; c) 1835 « signe figurant une flèche et servant à indiquer un sens » (Ac.) ; 2. a) 1380 flesche « ce qui avance en pointe comme une flèche posée sur un arc » (Comptes Hotel Roi Fr., p. 84 ds IGLF : brancart garni de flesches, de roues et de limons) ; de nouv. 1573 fleche de navire « poulaine » (Dupuys) ; b) géom. 1553 flèche (Alberti, De Re aedificatoria, mis en français par Jehan Martin, p. 12 ds IGLF) ; attest. isolée, de nouv. 1690 (Fur.) ; 3. 1690 « comble pyramidal ou conique d'un clocher, d'une tour » (ibid.). Prob. du frq. fliukka « flèche, trait », forme restituée d'apr. le m. néerl. vlieke « penne, rémige ; arme de trait » (Verdam) et de l'a. b. all. fliuca « arme de trait » (cf. Galée, Vorstudien zu einem altniederdeutschen Wörterbuche, p. 77). D'apr. Falk-Torp (s.v. flitsbue) le subst. fliukka lui-même dér. d'un anc. verbe germ. fleukkon, de fleugnôn « voler », serait apparenté à l'a. h. all. flucki « arme de trait ». Le mot flèche, désignant d'abord la tige de la flèche puis, par synecdoque, l'arme elle-même, a évincé son ancien concurrent saiete, saete « flèche » d'usage cour. en a. fr. (mil. xiie s. ds T.-L.) mais dont nous n'avons plus trace que dans les mots savants sagette*, sagittaire*, sagittal* et sagitté*, empr. au lat.
Lire également la définition du nom flèche afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Dans le Dictionnaire des Symboles, Mythes, Rêves, Coutumes, Gestes, Formes, Figures, Couleurs, Nombres (Éditions Seghers, 1969) Jean Chevalier et Alain Gheerbrant proposent la notice suivante :
FLÈCHE. 1. En tant qu'outil ou instrument, et non plus seulement en tant que signe, la flèche est le symbole de la pénétration, de l'ouverture L'orifice est une lumière. La flèche symbolise aussi la pensée, qui introduit la lumière et l'organe créateur, qui ouvre pour féconder qui dédouble pour permettre une synthèse... c'est aussi le trait de lumière, qui éclaire l'espace clos, parce qu'on l'ouvre. Ce sera le rayon solaire, élément fécondant, lui aussi, et séparateur des images.
2. Elle est aussi, comme l'échelle, un symbole des échanges entre le ciel et la terre. En son sens descendant, elle est un attribut de la puissance divine, comme la foudre punitive, le rayon de lumière ou la pluie fertilisante ; les hommes que Dieu peut utiliser pour exécuter ses œuvres sont appelés, dans l'Ancien Testament, les fils du carquois. En son sens ascendant, elle se rattache aux symboles de la verticalité ; elle signifie la rectitude tout aérienne de sa trajectoire qui, défiant la pesanteur, réalise symboliquement un affranchissement des conditions terrestres.
3. D'une façon générale elle est le symbole universel du dépassement des conditions normales ; elle est un affranchissement imaginaire de la distance et de la pesanteur ; une anticipation mentale de la conquête d'un bien hors d'atteinte.
4. Par opposition à la fourche, la flèche est propre à symboliser la rupture d'ambivalence, la projection dédoublée, l'objectivation, le choix, le temps orienté. Elle indique la direction dans laquelle est recherchée l'identification, en ce sens que c'est en se différenciant qu'un être parvient à son identité, à son individualité, à sa personnalité. Elle est un symbole d'unification, de décision, de synthèse (voir sagittaire).
5. Dans les Upanishad, la flèche est principalement un symbole de célérité et d'intuition fulgurante. Dans la tradition européenne la flèche, sagitta, est de même racine que le verbe sagire qui signifie percevoir rapidement ; ainsi est-elle le symbole du savoir rapide, et son doublet est alors le rayon instantané qu'est l'éclair.
6. Symbole de la dent, du dard, de la pointe acérée qui vole pour surprendre et tuer au loin sa victime. Elle est invoquée comme une déesse, afin qu'elle protège les uns et frappe les autres :
Elle revêt le plumage de l'aigle,
sa dent est de fauve,
retenue par les tendons
elle vole sitôt lâchée,
c'est la Flèche...
O Flèche toute droite, épargne-nous,
que notre corps devienne de pierre.
... Vole au loin sitôt lancé, Dard aiguisé par la prière ;
va, fonce sur les ennemis,
ne tiens quitté aucun d'entre eux.
(Traduction de Louis Renou, Rig Véda, 6. 75).
7. La flèche est le symbole du destin :
Mon désir serait satisfait d'apprendre
quel est le destin qui m'attend :
flèche prévue frappe avec moins de force.
(Dante, Paradis, chant 17, 25-i).
8. La flèche symbolise aussi la mort subite, foudroyante : Apollon dieu de mort dans l'Iliade, a percé de ses flèches les enfants Niobé.
9. La flèche arrive à un but déterminé et indique un aboutissement. Elle est semblable à un rayon solaire et représente l'arme taillée dans le bois. A ce propos, C.G. Jung remarque que les pères des héros divins sont des ouvriers sur bois, des sculpteurs, des bûcherons, des charpentiers, tels par exemple le père d'Abraham, le père d'Adonis, Joseph, le père nourricier de Jésus. Ce symbole est employé en tant qu'élément fécondant, ou comme rayon solaire. Il est fait allusion au carquois des dieux et à l'arc* des centaures. Une homélie d'Origène qualifie Dieu
d'archer. Dans un manuscrit de miniatures italiennes du XIIe siècle, Dieu chasse Adam et Eve coups de flèches, tel Apollon dans l'Iliade poursuivant les Grecs. D'autres miniatures du XIIe siècle représentent Dieu portant dans ses mains un arc et des flèches.
10. Dans les traditions japonaises, associée à l'arc, elle symbolise l'amour. Son apparence phallique est évidente, elle pénètre dans le centre ; le principe masculin se plante dans l'élément féminin. A sens mystique, elle signifie la recherche de l'union divine.
11. En tant que figures du destin, les flèches ont été interrogées e ont symbolisé la réponse de Dieu aux questions de l'homme.
La divination par les flèches, ou bélomancie, pratique courante chez les Arabes, se fonde sur un mécanisme commun à tous les procédés cléromantiques : on utilise des objets servant à fournir des oracles. Ce mécanisme consiste à confier à un hasard apparent le soin de révéler la volonté ou la pensée de la divinité.
Le développement de la bélomancie chez les Arabes aboutit à conférer aux flèches des désignations de plus en plus précises, de sorte qu'aucun doute ne subsiste après la réponse de l'oracle. Aux flèches primitives portant les mentions oui, non, bien, mal, fats, ne fais pas, sont venues s'ajouter d'autres flèches avec des mentions précises et circonstanciées, comme partir (en voyage), ne pas partir, agir dans l'immédiat, attendre, devoir le prix du sang, etc. Des flèches blanches (sans écriture) recevaient à l'occasion des désignations précises, après une convention expresse avec les consultants.
Consulter les flèches est devenu une image poétique courante. Le poète Wahîb considère comme mensongères les flèches du sort, et Abu l'-'Atâya compare l'action de la mort parmi les hommes à celle de secouer les flèches.
12. Pour Bachelard, l'image de la flèche assemble correctement vitesse et droiture. Il lui compare l'image du skieur filant d'un trait sur une pente. La représentation de la flèche est dynamique, plutôt que formelle, et son dynamisme est ascensionnel, plutôt qu'horizontal. La flèche qui anime les pages balzaciennes est l'index d'un mouvement ascensionnel, nous explique-t-il. On comprend alors son rôle dans un récit qui demande de son lecteur une participation profonde au devenir ascensionnel. C'est par une nécessité vitale, comme à une conquête vitale sur le néant, qu'on prend part à une ascension imaginaire. Par l'image de la flèche, nous sommes engagés maintenant, de tout notre être, dans la dialectique de l'abîme et des sommets.
13. La flèche tient la sûreté de sa trajectoire, et la force de son impact, de la valeur de celui qui la lance. Elle est comme identifiée à l'archer : par elle, il se projette, il se jette sur sa proie. Aussi la flèche d'un dieu ne manque-t-elle jamais son but. Celles d'Apollon, de Diane, de l'Amour étaient réputées pour atteindre toujours leur cible en plein cœur. La flèche d'une juste pensée perce également l'âme d'un irrépressible tourment.
Zenon ! Cruel Zenon ! Zenon d'Elée !
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole et qui ne vole pas !
Le son m'enfante et la flèche me tue !
Ah ! Le soleil... Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas ! (Paul Valéry, Le Cimetière marin).
Quant à l'amour, si ses flèches sont infaillibles, c'est qu'il commence par un coup d'œil, semblable à l'éclair. L'amant, nous explique Alexandre Aprodisias, voit et désire en même temps et ce sentiment lui fait émettre des rayons continus qui vont à l'objet de son désir. Ces rayons peuvent se comparer à des flèches que l'amant tirerait sur l'aimée. Mais l'amour se sert de deux sortes de flèches, nous apprend Ovide, qui toutes atteignent leur but ; mais, selon leur métal, elles enflamment si elles sont d'or, ou éteignent l'amour si elles sont de plomb. Il dit, fend l'air du battement de ses ailes et, sans perdre un instant, se pose sur ta cime ombragée du Parnasse ; de son carquois plein de flèches il tire deux traits qui ont des effets différents ; l'un chasse l'amour, l'autre le fait naître. Celui qui le fait naître est doré et armé d'une pointe aiguë et brillante ; celui qui le chasse est émoussé et sous le roseau contient du plomb. Le Dieu blesse avec le second la nymphe, fille du Pénée ; avec le premier il transperce à travers- les os le corps d'Apollon jusqu'à la moelle. Celui-ci aime aussitôt ; la nymphe fuit jusqu'au nom d'amante.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend :
Flèche : Mon désir serait satisfait d'apprendre quel est le destin qui m'attend : flèche prévue frappe avec moins de force. Dante, La Divine Comédie.
Attribut du guerrier, la flèche est également celui de la puissance divine, comme la foudre (ou le foudre), le « rayon de lumière ou la pluie fertilisante » :la flèche symbolise les échanges entre le ciel et la terre et exprime la recherche de l'union mystique. Dans l'Ancien Testament, les « fils du carquois » désignent « les hommes que Dieu peut utiliser pour exécuter ses œuvres ». Cette arme est aussi un instrument de mort foudroyante : « Apollon, dieu de mort dans l'Illiade, a percé de ses flèches les enfants de Niobé ».
Apollon fit don d'une flèche à Abaris, originaire de Scythie, avec laquelle il traversait les airs : « Abaris apparait comme l'ancêtre mythique des sorciers se rendant au sabbat ».
La flèche, qui dans la philosophie hindoue est synonyme « de célérité et d'intuition fulgurante », désigne dans la tradition européenne le « savoir rapide ». On notera que la flèche sagitta « est de même racine que le verbe sagire qui signifie percevoir rapidement ».
Les flèches ont été utilisées par les Chaldéens en tant que figures du destin, dans la divination appelée Bélomancie (parfois bolomancie). Cette divination se pratiquait ainsi : « On prenait plusieurs flèches, sur lesquelles on écrivait des réponses relatives à ce qu'on voulait demander. On en mettait de favorables et de contraires ; ensuite on mêlait les flèches, et on les tirait au hasard. Celle que le sort amenait était regardée comme l'organe de la volonté de Dieu. C'était surtout avant les expéditions militaires qu'on faisait usage de la bélomancie ».
Nabuchodonosor, avant de combattre, recourait à la bélomancie. Chacune des flèches de son carquois portait le nom ou le signe d'un ennemi ; celle que le devin tirait au hasard indiquait la vie et l'ennemi que le roi de Babylone devait attaquer. C'est par ce procédé notamment qu'il se déterminera à marcher sur Jérusalem.
La divination par les flèches fut une pratique courante chez les Arabes : « Aux flèches primitives portant les mentions oui, non, bien, mal, fais, ne fais pas, sont venues s'ajouter d'autres flèches avec des mentions précises et circonstanciées, comme partir (en voyage), ne pas partir, agir dans l'immédiat, attendre, devoir le prix du sang, etc. Des flèches blanches (sans écriture) recevaient à l'occasion des désignations précises, après une convention expresse avec les consultants ».
On tirait également desprésages de la manière dont elles étaient lancées, de leur direction ou de leur déviation. Mahomet s'est élevé avec force conter cette divination et, comme l'attestent de nombreux passages du Coran, vouait à la malédiction de Dieu ceux qui s'y livraient. On peut lire notamment au verset 99 de la cinquième sourate : « O vous, qui croyez en Dieu et en son prophète, n'oubliez pas que le vin, le jeu, l'idolâtrie et la divination par les flèches sont une abomination et l'œuvre de Satan. »
La bélomancie était en usage également chez les Scythes, les Alains, les Germains, les Africains et les Asiatiques. Au siècle dernier encore, les guerriers turcs, en temps de paix, consultaient le sort au moyen de flèches :
On prenait cinq flèches, empennées, mais non armées, sur chacune desquelles était inscrit l'un des noms suivants :
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Olivier Guilhem, auteur d'une conférence intitulée "Autosacrifice, sacrifice et intronisation dans l'ancien Mexique central préhispanique" (In : École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 113, 2004-2005, pp. 53-56) évoque le symbolisme de la flèche en contexte mexicain ancien :
D'autres textes attribuent le même symbolisme aux flèches - elles représentaient les guerriers morts - lesquelles, également utilisées pour réaliser des autosacrifices, étaient parfois fichées ensuite sur des pelotes de paille.
La paille était étroitement associée à la déesse de la terre.
[...]
Le percement de la cloison nasale du candidat représentait un autre moment clef des cérémonies d'intronisation. Il convient de signaler que le précédent mythique de cette cérémonie apparaît dans un épisode de la migration mexica durant laquelle les adorateurs de Huitzilopochtli sacrifièrent les Mimixcoa. À cette occasion, les Aztèques adoptèrent le nom de « Mexicas » et reçurent des armes comme l'arc et la flèche, butin provenant de leurs victimes. Cet épisode est calqué sur le sacrifice des Mimixcoa pour nourrir Soleil et Terre dans le mythe d'origine de la guerre sacrée. De même, le roi adoptait un nouveau nom et recevait des armes lors de son intronisation.
[...]
L'épisode du sacrifice du premier captif du nouveau souverain a ensuite été examiné. Probablement capturé durant la campagne militaire qui suivait l'accès au pouvoir du tlatoani, ce prisonnier exceptionnel, appelé « fils du roi », était revêtu des ornements du dieu du Soleil ou bien du dieu du Feu Ixcozauhqui. Ce témoignage révèle un processus d'identification - attesté par d'autres sources entre le sacrifiant et le sacrifié. En fait, le roi offrait sa propre vie par le truchement d'une victime sacrificielle tout en s'identifiant à la divinité solaire et/ou au dieu du Feu. L'un des noms de l'ornement nasal du roi, « flèche de turquoise du nez », renvoie non seulement à la divinité ignée, « Seigneur de Turquoise », mais aussi aux cérémonies d'allumage du feu nouveau qui marquaient le début des ères et des règnes. Une source affirme que le roi Motecuhzoma II « se perça le nez avec une flèche » durant la célébration de la cérémonie du feu nouveau.
Chevé Da et Boëtsch Ga, auteurs de "Symptômes, stigmates, signes: les corps de la contagion entre réalisme et symbolisme". (In : Peste, 2007, vol. 28, p. 315) évoquent le lien entre la flèche et le châtiment divin :
Au plan symbolique, la flèche renvoie à l'atteinte mortelle et divine comme le plus ancien signe de la peste, prenant son origine en Occident dans la mythologie grecque (Apollon et Diane lançant des flèches pour punir les humains par la maladie pestilentielle). La flèche incarne non la peste elle-même, mais bien la dynamique de l'atteinte divine (rayons et flèches). [...] Christine Boeckl (2000, p. 46) fait justement remarquer que la question de la christianisation des flèches est encore en débat et suggère qu'elle puisse être corrélée aux martyrs comme Sébastien ou Christophe qui ont subi les flèches païennes en raison de leur foi.
[...]
On connait ce passage célèbre du début de l'Illiade. Agamemnon refuse de rendre la jeune Chryséis à son père, prêtre d'Apollon. Sur les prières de ce dernier, le dieu envoie sur l'armée grecque les flèches meurtrières de la première « peste ». La traduction usuelle de ce châtiment divin par le terme de « peste » ne doit pas nous abuser. Le loimos homérique tout comme les « pestes » bibliques (Samuel V, 6 ; Livre des Rois II, 24, 12-14), désigne tout fléau dévastateur, toute destruction, sans nécessairement inclure le concept de « maladie contagieuse » (Delcourt, 1986 ; Grmek, 1983). Entre le fléau qui détruit les bêtes et les hommes chez Homère, et les grandes épidémies de peste qui s'abattent sur l'Europe, au VIe siècle mais surtout entre 1346 et 1352, le seul lien est celui d'une conception de la maladie envoyée par un dieu irrité.
L'image de la flèche d'Apollon ne serait alors qu'ne métonymie de la colère divine.
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Muriel Levet, autrice d'un ouvrage intitulé Objets chamaniques et leurs pouvoirs (Éditions Trajectoires, 2009) consacre également un chapitre aux flèches :
Flèches : Si la flèche n'a pas été traitée dans la section précédente, c'est que sa fonction et son symbolisme ne sont pas uniquement liés à la chasse et à la guerre. Mircea Eliade explique :
La flèche possède une double signification magico-religieuse. D'une part, il s'agit d'une image typique de vitesse, de « vol » : d'autre part, il s'agit de l'arme magique par excellence (la flèche tue à distance).
Le symbolisme de la flèche est donc puissant. Du fait de sa signification guerrière, la flèche, comme les autres armes, et dans doute davantage, peut être utilisée pour lutter contre les mauvais esprits et guérir les maladies. Mais comme elle évoque la vitesse et le vol, elle est également utilise pour retrouver les âmes perdues, qui, tout comme la flèche, volent dans les airs. Quoi qu'il en soit, la fonction de la flèche est avant tout thérapeutique. Elle est donc utilisée par certains peuples pour deviner la cause des maladies. On notera enfin que chez certains chamanes népalais, sa signification est tout autre : associée à la foudre et à l'éclair, elle est utilisée pour faire tomber la pluie.
Des flèches pour deviner la cause des maladies : Confrontés à un cas de maladie, les chamanes huichols du Mexique doivent commencer par en deviner la cause. La maladie, comme on l'a déjà évoqué, peut être due à plusieurs facteurs, les plus courants étant les esprits de la nature ou des ancêtres mécontents pour une raison ou pour une autre, la sorcellerie et la perte de l'âme.
Le chamane huichol devine la cause de la maladie en entrant en transe. Cette cause peut également lui être révélée en songe. Mais pour faire son diagnostic, le chamane peut également s'aider de flèches.
Ces flèches sont relativement identiques à celles qui sont utilisées pour la chasse, mais un petit paquet est attaché à leur hampe. Dans ce petit paquet se trouve une canne de bambou dans laquelle on a enfermé un cristal ou une petite pierre irisée. Les flèches, appelées urukàtes, ne sont pas, bien sûr, de vulgaires porte-bonheur. Comme la plupart des objets du chamanisme, il s'agit de supports d'esprits.
La petite pierre qui se trouve dans le paquet est en fait l'âme d'un ancêtre du chamane. Il arrive en effet parfois que les ancêtres du chamane manifestent le désir de revenir dans le monde des vivants afin d'aider leurs descendants. SI c'est le cas, l'ancêtre va provoquer une maladie chez le chamane ou chez l'un des ses proches. Quand le chamane comprend la cause de la maladie, il entre en transe et part dans le monde des esprits afin de ramener à l'âme de l'ancêtre, qui prend la forme de ces petites pierres.
Le chamane huichol peut acquérir plusieurs urukàtes au cours de sa vie. Ces flèches, qui sont en fait les âmes d'anciens chamanes, se révèlent de très bon conseil pour deviner la cause d'une maladie.
Des flèches pour lutter contre les mauvais esprits : En Sibérie, la flèche peut garder son second symbolisme : celui d'arme magique. Elle peut, parmi divers autres objets, être accrochée au costume du chamane pour effrayer les mauvais esprits. Capable d'effrayer les entités maléfiques, la flèche peut également se révéler utile pour soigner les maladies dont elles sont la cause.
Il faut noter qu'en Amérique, ces esprits maléfiques ou esprits-maladies prennent très souvent l'apparence d'une flèche, d'une épine ou d'un autre objet pointu. Dans le cas d'une maladie occasionnée par un esprit, il arrive souvent au chamane d'aspirer, à l'aide de sa bouche ou d'un instrument en forme e tube, cet objet symbolique sur le corps du patient, à l'endroit où il souffre. Le chamane fait ensuite mine de se débarrasser de la flèche ou de l'épine, ou se délivre vraiment d'un objet (Amazonie), parfois en le jetant à l'eau (Tlingits) ou dans le feu (Mapuches).
Mais la flèche du chamane, plus encore que d'autres armes, se révèle souvent apte à contrer les flèches envoyées par les mauvais esprits. Ainsi, les chamanes magars de l'ouest du Népal se servent couramment d'arcs et de flèches miniatures pour riposter contre les « flèches empoisonnées » envoyées par les sorciers ou le esprits malfaisants. Les chamanes tchouktches, quant à eux, se servent de flèches comme s'il s'agissait de « tubes à absorber les maladies » : ils placent une flèche verticalement sur a partie du corps affectée par la maladie et aspirent vigoureusement.
Mais le chamane, notamment en Sibérie chez les Bouriates et en Amérique Centrale chez les Huichols, peut également se servir de flèches lorsque la maladie est attribuée à une autre cause, à savoir quand l'âme du patient a été perdue ou volée. On est plus proche ici du premier symbolisme de la flèche : celui d'un objet rapide, qui, tout comme l'âme, peut voler dans les airs. L'utilisation de la flèche est différente chez les Bouriates et les Huichols, qui peuvent servir de modèles, mais la mission de la flèche reste la même : retrouver l'âme du patient.
La perte de l'âme : Dans la conception du monde des chamanes, il arrive très souvent que la maladie soit attribuée à une case qui peut nous paraître bien étrange de prime abord : la perte de l'âme.
Pour les chamanes, tout être est doté d'une âme ou de plusieurs âmes, entités abstraites dissociables du corps. Au cours des séances, le chamane produit cette dissociation de façon volontaire. Aidé des esprits, il entre en transe et fait en sorte que son âme se détache de son corps pour pouvoir accomplir son vol magique. L'âme du chamane peut alors parcourir le monde des esprits (inframonde et monde supérieur) afin d'accomplir la mission qui lui a été confiée.
Mais il faut mentionner que la dissociation de l'âme et du corps est vécue par le chamane comme une expérience de souffrance, qui se manifeste par une agitation extrême, des tremblements, des convulsions. Puis, très souvent, tandis que l'âme du chamane voyage, son corps gît sur le sol come mort. La dissociation de l'âme et du corps est donc une expérience douloureuse, associée à la maladie.
Mais le chamane est le seul être à pouvoir provoquer cette dissociation volontairement et à pouvoir ensuite faire en sorte, sans l'aide de personne, que son âme regagne son corps. C'est là la source de son pouvoir et de son prestige. Il arrive fréquemment que d'autres membres de la communauté perdent leur âme. Mais dans ce cas, la dissociation est involontaire. Elle est subie par la personne qui, suite à cette absence prolongée d'âme en son corps tombe malade.
Chez les gens « ordinaires », l'âme peut quitter le corps de façon involontaire au cours du rêve ou suite à l'ivresse. Elle revient généralement toute seule dans le corps de son « propriétaire ». Mais il se peut aussi qu'elle se perde ou qu'elle se fasse capturer par des entités maléfiques. L'âme peut aussi s'égarer suite à une chute, une blessure, un accident ou un traumatisme ayant entraîné sa fuite du corps. La maladie peut également provoquer une perte d'âme (tout comme la perte d'âme provoque la maladie).
Pour retrouver ces âmes égarées, qui errent dans le monde des esprits, le chamane doit nécessairement intervenir. Les moyens de retrouver les âmes perdues diffèrent selon les cultures. Le chamane n'a parfois pas besoin d'outil particulier. Il se rend alors directement dans l'inframonde pour retrouver l'âme et la rendre à son propriétaire. Mais il peut également s'aider d'objets, et notamment de flèches.
Des flèches pour retrouver les âmes : Quand le chamane bouriate diagnostique un cas de perte d'âme et s'aperçoit qu'il doit y remédier, il s'assoit près de son patient sur un morceau de tissu. Mais avant cela, il a pris soin de déposer une flèche près de sa tête. Un fil de soie rouge est attaché à sa pointe. L'autre extrémité du fil est attachées à un bouleau situé à l'extérieur de la yourte où exerce le chamane. Le bouleau est considéré comme un arbre sacré chez les Bouriates. Il est la représentation sur terre de l'Arbre Cosmique. Grâce au chamane, l'âme du patient, perdue dans le monde, représentée par le bouleau, trouvera tout simplement son chemin en suivant le fil et la flèche.
Les chamanes huichols utilisent également des flèches pour rechercher les âmes perdues. Ces flèches ne sont pas identiques à celles qu'ils utilisent pour s'aider à deviner la cause de la maladie. On les appelle muviéris. Il s'agit de flèches dont la pointe est en bois, comme celles utilisées pour la chasse mais qui se différencient de ces dernières par le fait que des plumes sont attachées à leur autre extrémité. Or, c'est cette extrémité munie de plumes, et non la partie triangulaire, que le chamane pointe en avant avec son arc lorsqu'il cherche à retrouver une âme perdue.
Sur ordre du chaman, les plumes voyagent dans les airs à la recherche de l'âme égarée - à l'écoute du sifflement aigu que cette dernière est censée émettre. Le chaman, ou les plumes, émettent un son similaire, que l'âme perçoit et auquel elle répond, sa voix devenant plus grave à mesure que le chaman, ou ses émissaires ailés, se rapprochent d'elle.
Une fois l'âme retrouvée, le chamane la capture dans un petit tube de bambou creux, un « piège à âmes » avant de la rendre à son propriétaire.
Des flèches pour faire tomber la pluie : Au Népal, la flèche peut quelquefois prendre une signification très différente. De par sa forme, sans doute, elle est parfois associée à l'éclair et à la foudre. Le chamane ramasse ainsi des pointes de flèches en bronze, laissées sur le sol suite à des combats ou des expéditions de chasse Pour lui, ces flèches ont été apportées par la foudre. Il les utilisera alors en cas de sécheresse, pour faire venir la pluie.
Alberto Villoldo, Colette Baron-Reid et Marcela Lobos ont imaginé un jeu de cartes intitulé L'Oracle du chaman mystique (Éditions Véga, 2019) dans lequel une carte concerne la Flèche :

La signification : Ce symbole vous rappelle que lorsque vous êtes aligné sur votre cœur et votre âme, vous êtes sur la bonne voie et vous atteindrez bientôt votre objectif>. Soyez fidèles votre mission, dénouez vos liens et libérez-vous de l'esclavage de l'ambition débridée. Le moment présent se révèle être n moment de contact au cours duquel votre intention rencontre le monde matériel. La Flèche symbolise également la nécessité de libérer votre créativité.
L'interprétation : Lorsque la Flèche siffle dans les airs, elle vous invite à demeurer attentif et elle signifie que vous êtes sur le point de faire votre marque dans certains aspects de votre vie Elle illumine le moment de contact au cours duquel vus savez que vos désirs et intentions ont voyagé dans le vent et ont atterri à l'endroit parfait pour votre plus grand bien.
Soyez convaincu que votre travail consiste à être détendu et concentré, en gardant un œil sur le résultat tout en espérant fortement qu'il aboutisse comme il est censé le faire. Ne vous souciez pas du "comment" ou de la forme exacte. Ce n'est pas le moment d'interférer avec la manière que la flèche vole. Elle atteindra sa cible, et vous aurez quelque chose à célébrer !
La stratégie : Il est temps de reconnaître que, si vous persévérez dans la voie que vous suivez actuellement, vous pourriez agir contre votre propre intérêt. Se pourrait-il que vous vouliez tellement gagner que vous en avez oublié le véritable objectif ? Et si votre flèche n'avait jamais été destinée à atterrir là où voue le vouliez ?
Il est maintenant temps de vous arrêter et de vous demander si ce que vous désirez mérite vraiment toute l'énergie que vous y mettez. C'est un signe pour vous prévenir que quelque chose de mieux vous attend. Réfléchissez à la sagesse de ne pas obtenir ce que vous voulez. Souffrir dans ce cas est une façon de guérir les parties de vous qui se sentent indignes, les parties qui s'inquiètent qu'il n'y en ait pas assez. Faites la paix avec ces voix. Ce qui est vraiment fait pour vous vous attendra.
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Symbolisme celte :
Marie-Noëlle Anderson, autrice de L'Oracle des Bardes * 36 mythes et légendes de nos ancêtres (Éditions Contre-dires, 2019) explore les mythes celtes pour nous aider à "reconnaître le scénario dans lequel nous évoluons" et tenter de le dépasser :
La Flèche - Prunier
Une rumeur terrible courait. Tout le monde sait que les rumeurs sont très dangereuses parce que, tôt ou tard, elles risquent de devenir réalité, si elles ne le sont pas déjà. La rumeur dont il est question ici concernait le dieu Diancecht.
On disait que ce malheureux dieu avait des problèmes en amour à cause de son manque d'ardeur. Quelle vergogne insupportable ! Pourtant, Damona, une belle mortelle, se plaisait à partager ses nuits avec Diancecht, dont la peau était si douce et chaude. C'était, en somme, une qualité normale pour un dieu dont la tâche principale était de guider les chevaux du char solaire.
Damona avait de nombreuses qualités; Cependant, la fidélité n'était certainement pas sa vertu principale. Chaque fois que Diancecht partait en voyage avec le char solaire, elle recevait chez elle un beau berger à la chevelure bouclée et aux yeux de braise. Ensemble, ils passaient de forts bons moments !

Un beau jour, le fils de Diancecht demanda à son père de pouvoir conduire le char à sa place. Tout réjoui à l'idée de rejoindre sa belle plus tôt que prévu, Diancecht acquiesça. Son fils partit au grand galop, et lui-même ne s'attarda point. Arrivé à la maison, il poussa la porte et fut étonné dene pas voir Damona. Il la chercha partout sans la trouver. FInalement, il entra dans la chambre à coucher. Les deux amants étaient tellement engagés dans leurs ébats qu'ils ne l'avaient pas entendu venir. Pour Diancecht, ce fut le choc. Fou de jalousie, aveuglé par la colère, la raison le quitta. Il décocha deux flèches contre Damona et son berger. Diancecht était un bon tireur : les deux amants furent tués sur le coup, sans même se rendre compte de ce qui leur arrivait.
Personnalité : Un peu vacillante, un peu agitée, voire impulsive, la Flèche a souvent de la peine à gérer ses émotions. Elle se laisse pousser au gré des vents, comme une feuille morte. Elle ne sait jamais très bien où et comment elle va atterrir, mais il ne lui vient pas à l'idée de préparer sa rencontre avec la réalité !
Pour se protéger et survivre dans la jungle humaine, elle adopte parfois une attitude de justicier qui lui sert, en réalité, de béquille, puisqu'au fond il lui est difficile d'être flexible, de naviguer dans la vie en vivant toutes sortes d'émotions, en côtoyant des gens de niveaux sociaux et de convictions différents. Elle ne remet alors jamais en question ses jugements catégoriques et s'y cramponne comme à une bouée de sauvetage.
Une autre tactique de vie pour la Flèche est de mener une existence plus reposante, avec peu de conscience et d'engagement social, du genre « métro-boulot-dodo ». Un peu ingénue et naïve, ce type de Flèche se fait parfois rouler même par ses proches.
Sa qualité principale est la pureté de son cœur. Elle est prête à faire aveuglément confiance à ceux qu'elle aime et ne comprend pas qu'on ne lui rende pas forcément la pareille. Si elle se sent grugée, elle devient très intolérante et colérique, incapable d'écouter le point de vue de l'autre.
Défi : L'important, pour la Flèche, est d'acquérir une grande mobilité intérieure. Dès qu'elle s'enferme dans une sorte de contentement passif, elle tombe dans l'inertie, elle perd toute sa créativité et se dirige, la pointe en bas, vers a mort et la destruction.
Tant qu'elle poursuit un but, un idéal avec des valeurs précises, bien définies, elle suit son élan vers le monde divin. Cette mobilité est nécessaire aussi lorsque la Flèche se trouve en situation d'adversité. Si elle ne réussit pas à changer d'angle de vue, à porter un autre regard sur la réalité du moment, elle risque de se trouver prise dans des émotions négatives si violentes qu'elle deviendra la victime de ses propres actions.
Lorsque la Flèche perd un peu de sa lourdeur et laisser entrer en elle la guidance divine, elle acquiert un comportement cohérent, avec des buts ciblés. Sa vie devient passionnante et sereine à la fois !
Structure : Le dieu Diancecht (Soi) est le partenaire de la mortelle Damona (inconscient) qui le trahit avec le beau berger (conscient). Diancecht se met en colère et prend la place du conscient qui châtie et tue l'inconscient et le conscient précédent. A la fin du mythe, il ne reste plus qu'un conscient issu d'un Soi destitué.
Si le Soi s'identifie au conscient, il en prend les traits égotiques. Il devient le Soi méchant et justicier. Il n'y a alors plus d'harmonie, mais division et/ou mort, en vertu d'un principe, en l'occurrence du principe de fidélité, au sens usuel du terme.
Et s'il s'agissait d'un modèle spirituel faux, ou pseudo-spirituel ? Une réponse positive à cette question entraînera un changement global dans la vision de l'équilibre de la vie, mettant l'ego à rude épreuve.
Une réponse négative entraîne immédiatement une autre question. Ce principe est-il vraiment fondamental au point de sacrifier toute interaction avec l'entourage et, par conséquent, toute créativité qu'un tel échange peut engendrer ? Ceci implique l'acceptation inconditionnelle de la solitude conséquente et, à long terme, une stérilité frustrante.
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