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Le Réséda

Dernière mise à jour : 5 oct.


En hommage à Christian Blachon qui affectionnait particulièrement le poème d'Aragon...

Étymologie :


  • RÉSÉDA, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. 1562 reseda (Du Pinet, Histoire du Monde de Pline, XXVII, 12, t. 2, p. 382 : une certaine herbe [...] que ceux de la Romaigne appellent Reseda), attest. isolée, à nouv. 1750 (Dalibard, Obs. sur le réséda à fleur odorante ds Mém. de math. et de phys., p. 96) ; 1659 resede (N. Duez, Dittionario italiano et francese, 504 ds Fonds Barbier : Resede, reseda un'herba) ; 1723 resida (Lémery, Traité Universel des drogues simples, Paris, D'Houry, p. 659 ds Quem. DDL t. 34 : Phyteuma est une espèce de Resida) ; 2. 1864 « couleur d'un vert jaunâtre » (Barb. d'Aurev., Memor. pour l'A... B..., p. 426 : ma chambre jaune de réséda) ; 1874 (Mallarmé, loc. cit.) ; 1878 adj. (Zola, loc. cit.). Empr., par l'intermédiaire des trad. de Pline (comme pour l'ital., cf. infra) au lat. reseda « réséda », empl. subst. de reseda, impér. de resedare « calmer (un mal), guérir », dér. de sedare « calmer, apaiser » (cf. sédatif), préf. re- (re-*). D'apr. Pline (Hist. nat. 27, 131 ds André Bot. et OLD), le réséda était censé faire disparaître les abcès et les inflammations, et en l'appliquant, on prononçait cette formule : Reseda morbos reseda. En ital., resèda est att. en 1561 dans une trad. de Pline (Prati).


Lire également la définition du nom réséda afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Reseda luteola - Amourette d'Égypte - Gaude - Grand réséda - Herbe à jaunir - Herbe jaune - Mignonette jaunâtre - Réséda gaude - Réséda jaunâtre - Réséda des teinturiers -

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Botanique :


Robert Castellana et Sophie Jama, auteurs de "Floriculture et parfumerie : les origines de l’acclimatation végétale sur la cote d’azur." (Issued by The Phoenix Project, 2012) nous apprennent les vertus du réséda en lien avec la parfumerie :

Les résédas sont des plantes herbacées, généralement odorantes. Ce genre comprend une cinquantaine d'espèces annuelles, bisannuelles ou vivaces, originaires d'Afrique du Nord, d'Europe et d'Asie occidentale. Charles Darwin en fait mention dans ses études sur les effets de la reproduction croisée ou autogame dans le royaume végétal (The Effects of Cross and Self-Fertilisation in the Vegetable Kingdom).


*Reseda luteola : Il s'agit d'une variété de réséda connue dans l'Egypte antique, utilisée pour ses propriétés tinctoriales, qui permettait l'obtention de divers coloris jaunes. Aussi dénommée Gaude ou Réséda des teinturiers, Reseda luteola est assez commune en Europe occidentale et méridionale, où elle est parfois appelée herbe des juifs. Cette dénomination vient de son utilisation, du XIIIe au XVIIIe siècle, par les juifs de Provence pour teindre en jaune les chapeaux qu'ils étaient tenus de porter comme signe distinctif.


*Reseda odorata : Aussi nommé herbe maure ou mignonette, Reseda odorata fut essentiellement cultivé pour la parfumerie sur la Côte d'Azur dans la vallée de la Siagne, à Auribeau, Cannes et Pegomas.


La plante exige des terrains riches, bien exposés et à l'abri du froid. Les semis ont lieu entre mars et avril. Les premières fleurs doivent être supprimées, et quand vient la chaleur les plantations sont protégées sous des "paillassons".

La récolte des fleurs se déroule en juillet/août. Elles sont traitées par enfleurage ou par solvant. Leur parfum, voisin de celui de l'abricot, entrait dans la composition des eaux de toilettes, des savons et des cosmétiques.

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Vertus médicinales :


Pierre-Joseph Buchoz, médecin de Monsieur et auteur de Etrennes du printemps, aux habitans de la campagne, et aux herboristes, ou pharmacie champêtre, végétale & indigène, à l'usage des pauvres & des habitans de la campagne (Lamy libraire, Paris, 1781) recense les vertus médicinales des plantes :


Racine de Gaude. Elle est apéritive ; on s'en sert en décoction.

 

Henri Ferdinand Van Heurck et Victor Guibert, auteurs d'une Flore médicale belge. (Fonteyn, 1864) nous apprennent les propriétés thérapeutiques du Réséda :


Usages médicaux. Cette plante usitée pour la teinture en jaune passait autrefois pour diaphorétique, diurétique et alexitère. Quelques auteurs assurent qu'elle est vermifuge. Elle contient, de même que le Genista tinctoria, de la lutéoline et de la lutéoléine. (Chevreul et Preisser). Aujourd'hui elle est inusitée en médecine, ainsi que le Reseda lutea, L. réséda jaune.

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Dans l'Oise, le bouquet d'œillets mis à la porte d'une jeune fille, en Maine-et-Loire celui de réséda, équivalent à une déclaration d'amour.

[...] A Pierrefonds (Oise) un bouquet de réséda, attaché le 1er mai à la porte d'une jeune fille, annonce une rupture : Réséda, je te laisse là.

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Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de cette petite fleur :


Été - Août

RESEDA - VOS QUALITÉS SURPASSENT VOS CHARMES.

A peine un siècle s'est écoulé depuis que nous possédons le réséda ; il nous est venu d'Égypte. Linné comparait ses parfums à ceux de l'ambroisie. Ce parfum est plus doux, plus pénétrant au lever et au coucher du soleil que pendant le reste du jour. Le réséda fleurit depuis le commencement du printemps jusqu'à la fin de l'automne ; mais on peut en jouir l'hiver, en le conservant dans une serre tempérée ; alors il devient ligneux, vit plusieurs années, s'élève et forme, moyennant quelques soins, un petit arbuste du plus charmant effet. Les armes d'une illustre famille saxonne ont pour soutien une branche de réséda. Voici à quelle occasion cette modeste fleur s'est mêlée à d'antiques lauriers. Amélie de Nordbourg avait dix-huit ans ; rien ne manquait à l'éclat de son teint, à son esprit, à son air ; son regard faisait naitre l'amour ; le son de sa voix l'aurait seul inspiré. Une mère, jeune encore, avait cultivé dans la retraite cette aimable fleu . Lorsqu'elle reparut dans le monde pour y présenter sa fille, chacun fut forcé d'avouer que toutes deux se prêtaient des charmes mutuels ; ceux de la fille disaient combien la mère avait été jolie, ceux de la mère promettaient que la fille serait longtemps belle. Une foule d'adorateurs entoura cette beauté, qui plaisait également par ses grâces, ses richesses et sa modestie. Parmi tous ses amants, elle distingua le comte de Walstein. Walstein aimait pour la première fois. Une taille superbe, un esprit vif et orné, un air tout français et une fortune immense, lui avaient plus d'une fois attiré des regards assez doux, qui avaient pu le toucher. Mais en le voyant auprès d'Amélie, on sentait qu'il était né pour elle, qu'elle était née pour lui. L'envie avait beau envenimer les âmes, la jalousie elle-même était forcée d'admirer dans ces amants tout ce qu'il y a de divin sur la terre, la beauté, l'esprit, la jeunesse, environnés des illusions d’un premier amour. Mais, hélas ! sur la terre il n'y a aucune lumière qui n'ait son ombre. Parmi les perfections d'Amélie, il s'était glissé un léger travers. Son cœur appartenait à son amant ; mais en n'aimant que lui elle voulait plaire à tous. Walstein avait une faiblesse : il était jaloux ; délicatesse exquise renfermait ce sentiment au fond de son âme ; Amélie sut l’y découvrir , et , au lieu de plaindre et de ménager un si funeste penchant , elle se plut à l'exciter et à en rire. Auprès d'Amélie croissait une jeune fille qui lui était unie par l'amitié et par les liens du sang. Charlotte n'était point belle, si on peut parler ainsi de celle qui a un bon cœur. Elle était pauvre, un accident lui avait enlevé sa beauté, de grands malheurs lui avaient ôté sa fortune ; mais elle était bienfaisante, et, soit qu'elle fit du bien, qu'elle en imaginât ou qu'elle en parlât, elle redevenait jolie, son âme s'enflammait et ses yeux brillaient d'un feu plein de douceur. Quand elle vit que sa cousine allait être heureuse, le contentement épanouit ses traits, et elle parut charmante, même auprès d'Amélie, même aux yeux de Walstein. Souvent celui-ci avait aperçu la pauvre Charlotte entrant furtivement sous un rustique toit ; elle en sortait accompagnée de bénédictions ; les jeunes filles se montraient entre elles des robes que Charlotte avait filées pour les parer le jour du mariage de sa cousine ; le vieillard qu'elle avait consolé la bénissait, les mères aimaient à lui voir caresser leurs petits enfants. C'est un ange, disaient les pauvres ; si elle était riche, nous serions tous heureux. Souvent ce concert d'éloges avait retenti au cour de Walstein. Un soir, à la campagne, la société rassemblée chez la mère d'Amélie proposa une promenade ; Charlotte se fit attendre, Amélie prit de l'humeur. Le colonel Formose, plus célèbre encore auprès des belles qu'au champ d'honneur, arriva ; l'humeur d'Amélie disparut. On renonça à la promenade. Charlotte vint enfin, personne ne lui fit de reproches ; car personne n'eut l'air de l'apercevoir. Walstein seul, en voyant une douce émotion répandue sur tous ses traits, se dit : Elle vient de faire une bonne action. On fit des jeux, on proposa aux dames de choisir des fleurs, auxquelles Walstein serait obligé de donner une signification. On accepte. Amélie prend une rose et la place sur son sein ; Charlotte choisit une branche de réséda. Pendant que Walstein essaye quelques vers sur ces différents choix, les jeux continuent, et tout à coup il est condamné à embrasser les dames. D'abord il s'acquitte avec enjouement de cette douce pénitence ; mais, en approchant d'Amélie, il se trouble, il hésite, il pâlit, et, sans même oser feindre de lui donner un baiser, il se retire d'un air respectueux. Le colonel Formose sourit ; et, condamné presque aussitôt à la même pénitence, il s'approche d'Amélie, en jetant un coup d'œil railleur sur Walstein et dit : Et moi aussi je serai discret, un baiser fanerait des joues si fraiches ; mais, comme tout bon soldat doit obéir à l'ordre, je donnerai le baiser qu'on exige à la fleur que mademoiselle a choisie. Amélie défendit en riant son bouquet. Cependant, les lèvres du présomptueux colonel effleurèrent la fleur et le plus beau sein du monde. Walstein le vit, et il en trembla. Et comme par hasard ses yeux se fixèrent sur Charlotte, il comprit, à son air interdit, qu'elle partageait son étonnement et sa peine . Cependant on voulut voir ce que Walstein avait écrit sur les fleurs. Il déchira ses premiers essais, et traça ces mots sous une rose :

Elle ne vit qu'un jour, et ne plaît qu'un moment.


Et sous la branche de réséda de Charlotte il écrivit ceux-ci :

Ses qualités surpassent ses charmes.


Amélie, après avoir lu, jeta sur Walstein et sur sa cousine un regard dédaigneux, et continua de folâtrer avec le colonel. Comme Walstein parut ne plus s'occuper d'elle, elle fit mille extravagances pour attirer son attention. Le colonel profita si habilement du jeu de la coquette qu'il l'engagea, avant la fin de la soirée, à lui faire un demi-aveu de sa tendresse ; ce demi-aveu, il est vrai, fut prononcé si haut que Walstein put l'entendre ; mais, loin de s'en offenser, il complimenta Formose sur un triomphe si rapide, puis il pria agréablement Charlotte d'avoir pitié d'un malheureux. Charlotte , désolée, voulut rappeler sa cousine à elle-même, par des regards suppliants ; mais la colère et le dépit s'unirent dans le cœur d'une jeune étourdie, et la précipitèrent dans les bras d'un fat, qui fit sa perte et son malheur. La pauvre Charlotte devint ainsi, comme malgré elle, l'épouse du vertueux Walstein ; elle pleura sur sa cousine ; mais le comte fut si heureux auprès d'elle, qu'il voulut consacrer à jamais l'instant de sa délivrance et de son bonheur, en joignant à ses armes une branche de réséda.

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Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Réséda - Vos qualités surpassent vos charmes.

L’odeur suave du réséda surpasse de beaucoup les grâces de sa fleur.

 

Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :


RÉSÉDA - VOS QUALITÉS SURPASSENT VOS CHARMES - MÉRITE MODESTE.

Plante herbacée, d'une odeur très agréable, qui croit à la hauteur d'environ un pied, et dont les feuilles sont alternes, les fleurs irrégulières et d'un jaune verdâtre.

Le réséda a été apporté de Barbarie, il y a environ un siècle.

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Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :


RÉSÉDA — MÉRITE MODESTE.

Soyez d'autant plus humble que vous êtes plus grand ; par là vous vous rendrez agréable à Dieu.

Ecclésiastes : III, 20.

Arbuste dans son pays natal, le réséda odorant n'est qu'une plante annuelle dans nos jardins, où il a été introduit depuis environ un siècle à cause de son odeur suave. Cette plante ne lasse jamais nos regards et embaume tous les lieux où il est cultivé depuis le printemps jusqu'à l'automne, image de ces personnes intéressantes que le temps ne semble point vieillir, qui n'eurent jamais l'éclat de la beauté et qui attachent pour toute la vie, parce qu'elles ont une fois réussi à attacher sans son secours.


RÉFLEXION.

Le mérite des bonnes qualités de l'âme est le mérite essentiel ; mais l'art de faire valoir et de mettre en œuvre ses qualités est un second mérite bien plus nécessaire que le premier dans le commerce du monde, pour la réputation et la fortune.

(Mme DE LA SABLIÈRE.)

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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Réséda odorant - Vos qualités surpassent vos charmes.

L’Égypte a donné naissance au réséda, ses fleurs sont insignifiantes, mais son odeur est d'une suavité enchanteresse.

Réséda, plante gracieuse,

Dans ta corolle vaporeuse

Vient te bercer chaque brise du soir ;

Son haleine que tu parfumes,

Sous tes fleurs glisse dans les brumes

Comme l'encens à travers l'encensoir. ALEX. GUÉRIN.

 

Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que : Avoir sur soi cette plante met à l'abri des cauchemars et des déceptions.

Si l'on ne parvient pas à faire pousser du réséda dans un jardin, il faut le semer le vendredi saint : le succès est alors assuré.

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Contes et légendes :


Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. L'ouvrage est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; le Réséda raconte la sienne dans un conte venu du Portugal et intitulé "Jeannot le Bossu" :


"Une jolie fillette qui dégageait un doux parfum arriva dans la cohue de la danse jusqu'à la reine Rose. Vêtue d'une grappe de petites fleurs discrètes et simples, elle se mit à gazouiller son conte tout essoufflée.


Il était une fois un roi qui avait trois filles. La première avait un grand nez, la seconde avait de grandes oreilles, la troisième était couverte de taches de son. Toutes les trois réunies étaient très belles. La première savait compter jusqu'à un, la seconde comptait jusqu'à deux et la troisième jusqu'à trois. Toutes trois réunies, elles étaient très savantes. L'aînée boitait des deux jambes, la puînée était dure d'oreille et la cadette louchait. Mais, tout bien considéré, elles se portaient comme un charme. Très fier de ses filles, le roi en prenait grand soin, encore plus grand soin qu'il n'en portait à sa longue barbe. Il ne les laissait jamais sortir sans bonne garde et sans une pièce d'or pour qu'elles s'achètent des douceurs.

Un jour, les trois princesses allèrent en promenade. Confortablement installées dans leur carrosse d'or, elles se faisaient suivre par sept cent soixante-dix sept femmes de chambre, par sept cent soixante-dix sept cuisiniers et cuisinières et, pour arrondir le compte, par un petit homme chétif qui finissait les plats. Le petit homme, qui s'appelait Jeannot, avait deux bosses, l'une devant, l'autre derrière. En chemin, il faisait des cabrioles, chantait des chansons espiègles, mélangeait les histoires tout en les racontant, et tout cela pour distraire les princesses. D'ailleurs, les filles du roi riaient de bon cœur. La plus jeune lui faisait un pied de nez, louchant sur lui, tantôt d'un œil, tantôt de l'autre. Elle trouvait Jeannot à son goût et se serait bien fiancée avec lui.

Soudain, un géant surgit devant le convoi. Sa grosse tête, qui disparaissait dans les nuages, était coiffée d'une tour de pierre en guise de chapeau. Il chassait les mouches de son visage en s'éventant avec un énorme pin et étanchait sa soif en buvant directement l'eau des nuages de pluie.

En l'apercevant, les sept cent soixante-dix sept preux chevaliers brandirent leurs épées d'or, préparèrent leurs lances d'argent leurs sept cent soixante-dix sept bouches criant d'une seule voix.

"Ôte-toi du chemin des filles du roi, grosse brute ! Ôte-toi vite de là, sinon il t'en coûtera ! "

Après cet avertissement, ils se mirent à piquer et à tailler les pieds de l'ogre qui se couvrirent rapidement de cloques et d'écorchures. Ennuyé, le géant piétina sur place, faisant sortir les rivières de leur lit. "Saperlipopette ! J'ai encore mis les pieds dans une fourmilière ! " se plaignit-il, et il éternua, déclenchant un terrible tourmente sur tout le pays. La tornade dispersa le cortège royal dans tous les coins du monde, seul le lourd carrosse en or tint bon. Bien enfermées à l'intérieur, les princesses plaquaient leurs jupes sur leurs genoux pour les empêcher de s'envoler par-dessus leur tête, et grognaient, mécontentes de leur situation.

"Il fallait que le vent se lève justement aujourd'hui", déplorèrent-elles. "Nous serons toutes décoiffées."

Le géant remarqua que quelque chose brillait à ses pieds. Il se baisa et ramassa le carrosse d'or, le soulevant jusqu'au nuages.

"Tiens, tiens ! " se réjouit-il en découvrant les trois princesses. "Quelles jolies poupées ! Je vais bien jouer avec elles." Pour empêcher que le carrosse avec les princesses ne lui échappât des doigts, il le mit sous son chapeau. Ainsi, les filles du roi se retrouvèrent-elles enfermées dans la tour de pierre.

Vous voulez savoir la suite ? Eh bien, écoutez : le vent emporta tous les chevaliers et toutes les femmes de chambre comme les aigrettes du pissenlit. Ils ne retrouvèrent jamais le chemin du retour et continuent à errer aujourd'hui encore de par le monde. Seul notre cher Jeannot se retrouva directement au château.

"Comment vont mes fillettes, mes petites princesses ? " voulut savoir le roi. Il s'arracha jusqu'au dernier poil de sa précieuse barbe en apprenant le malheur qui avait frappé ses filles. Il fit aussitôt annoncer dans le monde entier qu'il donnerait son royaume et la main des trois princesses à celui qui réussirait à les délivrer.

"Cela ferait bien mon affaire", pensa Jeannot le Bossu. Il prévint sans tarder sa mère qu'il irait chez le géant délivrer les filles du roi.

"Emporte avec toi une corde et un seau", lui conseilla cette femme avisée. "Bois l'eau de tous les puits que tu trouveras sur ton chemin, mais ne touche pas à la nourriture, ou tu perdras toute ta force."

Jeannot promit de suivre les conseils de sa mère et se mit en route. Il marchait au gré de sa fantaisie et, quand il se sentait recru de fatigue, il prenait un peu d'eau dans le puits le plus proche, retrouvant aussitôt toutes ses forces. Un jour, à force de marcher de puits en puits, le nœud de sa corde se défit et son seau tomba au fond de l'eau. Jeannot dut descendre dans le puits pour récupérer son bien. Il y trouva un petit galet qui scintillait dans l'obscurité.

"bonjour, Jeannot", dit le galet. "Que fais-tu ici ? " Le jeune homme bossu lui raconta qu'il cherchait le géant, geôlier des trois princesses. Il profita pour lui demander s'il ne savait pas où habitait ce géant.

"Depuis mille ans, je repose au fond de ce puits, mais je n'ai jamais entendu parler du château de ce géant En revanche, je sais où se trouve son jardin. Il te faudra descendre tout au fond d'un puits très profond que tu reconnaîtras au parfum enivrant qui s'en dégage. Je ne t'en dirai pas plus. Je suis un galet magique. Si je parle une fois tous les mille ans, je dois me taire pendant les mille ans suivants."

Jeannot remercia le galet et remonta avec le seau sur la margelle pou reprendre ses pérégrinations de puits en puits. Enfin, il en trouva un qui embaumait à plusieurs lieues à la ronde. Il descendit au fond et, miracle ! Un merveilleux jardin fleuri s'étendait devant ses yeux. Au milieu d'un parterre, poussaient trois modestes résédas. C'étaient eux qui, précisément, sentaient si bon. Lorsque Jeannot se pencha pour humer leur parfum, l'une des fleurs se mit à parler : "Sois le bienvenu, Jeannot, dans le jardin enchanté du géant. Nous sommes des fleurs magiques, nous fleurissons une fois tous les cent ans. Nous exauçons à tour de rôle un vœu pour qui vient sentir notre parfum. Demande-nous ce que tu désires."

Jeannot cueillit les trois résédas et demanda au premier de le porter en catimini dans le château du géant.

"C'est facile", répondit la fleur. "Le palais du géant se trouve au fond du puits le plus profond du monde. Seul, tu ne le trouveras jamais, mais avec mon aide, nous y serons en un tournemain." Et, en effet, le temps de dire ouf ! et Jeannot se retrouva au milieu d'une salle d'or. trois princesses tourmentées balayaient le sol avec des balais de fer. La première avait un grand nez, la seconde avait de grandes oreilles, la troisième était couverte de taches de son. Les trois réunies étaient fort belles. Les princesses reconnurent aussitôt leur Jeannot. Elles lui sautèrent au cou et le couvrirent de baisers. Rouge de confusion, Jeannot sentit le sol trembler sous ses pieds, venant gâcher la joie des retrouvailles. Sauve qui peut ! Le géant revenait chez lui ! Le jeune homme bossu sentit rapidement la seconde fleur et lui demanda de le sortir, ainsi que les princesses, du profond puis où ils étaient enfermés. En un clin d’œil, ils se retrouvèrent sur la margelle. Sans attendre la suite des événements, le jeune homme installa deux princesses sur la bosse de son dos, et la troisième, celle qui lui plaisait le plus, sur la bosse de sa poitrine, et se mit à courir comme s'il avait le feu aux talons. Le géant ne perdit pas de temps non plus. Après avoir constaté la fuite de ses prisonnières, il sauta dans ses bottes de sept lieues et se mit à poursuivre les fugitifs par monts et par vaux, les rivières sortant de leurs lits à son passage. En peu de temps, Jeannot l'eut à ses trousses. Lorsque le géant tendit la main pour l'attraper, le bossu se souvint du troisième réséda. Il le sentit et souhaita que la fleur magique le transformât, pour quelque temps, en meunier, et les trois princesses en roue de moulin. A peine eut-il formulé son vœu que celui-ci fut exaucé. Le géant se pencha vers lui et grogna : "Écoute, meunier, n'as-tu pas croisé trois princesses ? La première a un grand nez, la seconde a de grandes oreilles et la troisième est couverte de taches de son. Ensemble, elles sont très belles."

"Bien sûr que si", répondit le brave Jeannot. "Vois-tu cette vieille roue de moulin ? Elles se sont glissées en dessous comme des petites souris."

Le stupide géant souleva la grosse pierre et passa sa tête en dessous. Le jeune homme n'attendit que cela pour sauter à pieds joints sur la meule, pour écraser la tête du monstre. Hélas, il n'y parvint pas ! Le géant ne fait que soupirer :

"Que se passe-t-il ? On dirait qu'une pomme de pin m'est tombée sur la tête."

Le pauvre Jeannot ne sut que faire. Heureusement, un chien surgit, poursuivant un chat errant.

"Attends-moi, ne te sauve pas", aboya-t-il. Mais le chat ne l'attendit pas. Hop ! Il se réfugia d'un bond sur la tête du jeune homme bossu. Le chien sauta sur la meule et attrapa Jeannot par le bas du pantalon.

"Que m'arrive-t-il ? " s'étonna le géant. "On dirait que mon chapeau me serre aujourd'hui." Et il continua à chercher sous la meule comme si de rien n'était.

Jeannot se trouva en bien mauvaise posture. Heureusement, e poursuivant le chat, le chien fit tomber de ses poils une toute jeune puce.

"Attends-moi, ne te sauve pas ! " cria la puce. Elle prit son élan et hop ! Elle retomba sur la queue de chien.

Ne pouvant plus supporter ce terrible poids, la tête du géant éclata comme une noisette. Vous pensez bien que Jeannot était heureux ! En peu de temps la meule se transforma en princesses. Curieusement, elles perdirent qui son grand nez, qui ses grandes oreilles, qui ses taches de son, dans cette aventure. Toutes les trois réunies, elles étaient encore plus belles qu'auparavant lorsqu'elles remercièrent Jeannot avec effusion. Quant à ce dernier, vous pouvez ne pas me croire, ses bosses disparurent comme par enchantement. Ils se prirent tous par la main et retournèrent au château du roi. Bien entendu, le vieux roi ut transporté de joie.

"Voici le sceptre de la couronne, " dit-il à Jeannot, "et, en plus, tu as le droit de choisir l'une de mes filles.

C'était facile à dire, mais comment choisir, si les princesses n'avaient plus qui son grand nez, qui ses grandes oreilles, qui ses taches de son ! Comme le jeune homme n'arriva pas à se décider, le roi les lui donna toutes les trois. Pauvre Jeannot !

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Littérature :


La Rose et le Réséda

À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle Et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas

Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas Que l'un fût de la chapelle Et l'autre s'y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du cœur des bras

Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat

Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gèle Lequel préfère les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Un rebelle est un rebelle Nos sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle Passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Répétant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Même couleur même éclat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


Il coule il coule il se mêle A la terre qu'il aima Pour qu'à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas


L'un court et l'autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle Le double amour qui brûla L'alouette et l'hirondelle La rose et le réséda.


Louis Aragon, « La Rose et le Réséda », mars 1943 ; Repris dans La Diane française, Paris, © Éditions Seghers, 1944.

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Le Réséda


— Où résida le réséda ?

Résida-t-il au Canada ?

Dans les campagnes de Juda ?

Ou sur les flancs du Mont Ida ?

— Pour l’instant, sur la véranda

Se trouve bien le réséda.

Oui-da !


Robert Desnos, "Le Réséda" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.

*

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