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Le Tramète rouge cinabre

Photo du rédacteur: AnneAnne

Dernière mise à jour : 12 janv.



Étymologie :


  • POLYPORE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1790 (J.-J. Paulet, Traité des champignons, I, 512 ds R. Ling. rom. t. 42, p. 452). Empr. au lat. sc. mod. polyporus «id.» 1729 (P. A. Micheli, Nova Plantarum Genera, 129 d'apr. NED Suppl. 2), formé de l'élém. gr. π ο λ υ-, de π ο λ υ ́ ς « nombreux » et du gr. π ο ́ ρ ο ς « pore, passage ».


  • CINABRE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. xiiie s. cenobre « sulfure rouge de mercure » (Remedes anciens, B.N. 2039, f°6 ds Gdf. Compl.), forme isolée ; 1394 sinabre (Inventaire de meubles de la mairie de Dijon, 5 févr., Archives de la Côte-d'Or, ibid.) ; 2. 1552 « couleur rouge » (Ronsard, Amours de 1552, p. 64 ds IGLF : de son teint le cinabre vermeil) ; graphie concurrente cinnabre par réfection étymol. dep. 1606 (Nicot), mais plus rare. Empr. au lat. impérial cinnabaris « cinabre », lui-même empr. au gr. κ ι ν ν α ́ ϐ α ρ ι « cinabre, sang de dragon, sorte de teinture ; plante tinctoriale, garance », mot d'orig. orientale, prob. persane.


Lire également les définitions des noms polypore et cinabre afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Pycnoporus cinnabarinus - Polypore rouge cinabre - Polypore cinabarin - Pycnopore cinabre -

Pycnoporus puniceus -

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Mycologie :


 Sébastien Mopty, auteur d'une thèse en pharmacie intitulée Particularités du genre Pycnoporus : applications industrielles et pharmacologiques (Université de Lille, Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Lille 2, 2019) propose un travail détaillé sur les Pycnoporus :


Particularités macroscopiques des Pycnoporus : Les espèces du genre Pycnoporus sont lignicoles et xylophages. Ils développent une pourriture blanche sur le substrat. L’hyménophore du genre Pycnoporus est tubulé, poré en surface ; le chapeau et la surface inférieure sont de couleur rouge orangé vif. Cette couleur vive tend à se ternir avec l’âge. Le chapeau mesure de 2 à 10 cm de longueur et de 0,4 à 2 cm d’épaisseur. Il possède une forme semi-circulaire plus ou moins convexe ou assez plat, souvent bosselé. Son revêtement est duveteux lorsque le champignon est jeune puis devient lisse et ridé en vieillissant. La marge est peu épaisse, aigue et concolore au reste du pileus. Les Pycnoporus n’ont pas de stipe, ils sont fixés directement sur le bois mort par le chapeau : le carpophore est soit sessile, soit dimidié (semblable à un disque qui serait inséré virtuellement de moitié dans le substrat). Au mieux, ils présentent un pseudo-stipe latéral dont l’insertion sur le substrat est discoïde. (Téllez-Téllez et al. 2016).

La chair est de 0,4 à 2 cm d'épaisseur. Elle est coriace et fibreuse, de consistance molle et spongieuse au début, puis subéreuse avec l’âge. Sa couleur va du jaune pâle à l’orange vif avec des zones blanchâtres. La chair n’a aucun gout, elle est la plupart du temps inodore mais peut avoir une odeur suave de fleurs d’oranger. Le dessous est de couleur orange à rouge vif avec une surface finement porée. La sporée est de couleur blanche à crème. Les pores, aux nombres de 1 à 6 / mm de surface porée, sont de couleurs orange à rouge vif selon les espèces. Ils sont non stratifiés, cloisonnés et à paroi mince dans la plupart des cas (Téllez-Téllez et al., 2016). [...]


Pycnoporus cinnabarinus : Description macroscopique Chez P. cinnabarinus, le chapeau est de couleur orange ocre à orange pâle puis se ternit avec l’âge. Il possède un diamètre de 2 à 13 cm et une épaisseur de 0,5 à 2 cm. La forme est généralement soit flabelliforme soit semi-circulaire. Quand le revêtement du sporophore est jeune, la surface est finement pubescente. Elle se lisse par la suite ou devient verruqueuse avec ou sans zones striées. La marge est peu épaisse, stérile, aigüe et concolore à l’ensemble du sporophores. Sous le chapeau, on trouve une face finement porée de couleur orange rouge intense. La chair est d’abord molle et spongieuse avant de devenir subéreuse et fibreuse. De couleur jaune à orange pale, elle ne possède ni goût ni odeur. La sporée est blanche (Gilbertson & Ryvarden, 1987).


Description microscopique : Au niveau microscopique, on trouve des pores avec des tubes non stratifiés à paroi mince, longs de 4 à 6 mm et colorés plus intensément que la trame. Les pores (2 à 4 par mm de surface porée) de couleur rouge cinabre sont arrondis-anguleux, de 0,25 à 0,5 mm de diamètre, parfois allongés mais rarement dédaléen (Péan et al. 2013). Les spores, de dimension 4,4-88 x 2,5-4 µm, sont elliptiques, lisses et hyalines. Les basides, de dimension 17-20 x 5-6,5 µm, sont clavées, tétrasporiques et bouclées avec 4 stérigmates. Les cystides sont absentes et les hyphes sont de 3 types différents: hyphes génératrices cloisonnées et bouclées (image 9), hyphes squelettiques à parois épaisses (image 10) et hyphes conjonctives ramifiées à parois épaisses ou pleines. Dans cette configuration, le système hyphal du sporophore est dit trimitique (Gilbertson & Ryvarden, 1987). Les images 9, 10, 11, 12 ne correspondent pas à des éléments anatomiques de l’espèce P. cinnabarinus, mais permettent de mieux visualiser les différentes parties constitutives d’un polypore.


Ecologie et zone de répartition : P. cinnabarinus est la seule espèce de ce genre retrouvée sur toute la zone tempérée de l'hémisphère nord. Résistante aux températures négatives, ses latitudes s’étendent de l’Amérique centrale jusqu’au Canada. Par contre, son taux de croissance tend à diminuer de manière significative à des températures supérieures à 30°C (Kuo, 2010). Ce n’est pas une espèce tropicale bien qu’elle ait été repérée dans certaines parties de l'Australie ainsi qu’en Asie du Sud-Est. P. cinnabarinus s’installe sur le bois mort des arbres à feuilles caduques, mais aussi sur conifères morts en de rares occasions. Les arbres hôtes spécifiques sont : le châtaignier, frêne, noyer, peuplier, érable, chêne, bouleau, hêtre, Prunier, Poirier, sapin, épicéa, pin, Thuga, et Tsuga.

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Pycnoporus puniceus : Description macroscopique. Chez P. puniceus, le chapeau est ridé, largement attaché sur son support, mesure 4-5 cm de diamètre et 1,3 cm d'épaisseur. Il est de couleur cinabre lorsqu’il est jeune et devient presque noir avec une teinte cinabre avec l'âge. La chair est liégeuse sur le disque lorsqu'il est sec et la surface supérieure, d’abord glabre et peu sillonnée, devient, par la suite, plus brillante et fissurée. Les pores, 1-3 par mm, sont larges et concolores au chapeau, parfois plus clairs. Les tubes ont une teinte grisâtre et forment une seule couche de 0,8 cm de long (Ryvarden & Johansen, 1980).


Description microscopique : Au niveau microscopique, les spores sont ellipsoïdes, hyalines à parois minces et lisses, non-amyloïdes et mesurant 4,5-6 x 2-3 μm. Le système hyphal est trimitiques : Hyphes génératrices larges, cloisonnées et bouclées, hyphes squelettiques à parois épaisses, larges et hyphes conjonctives à parois épaisses ou pleines, ramifiées et larges (Ryvarden & Johansen, 1980).


Ecologie et zone de répartition : P. puniceus est distribué dans une zone paléo-tropicale qui comprend l’Afrique (Angola, Ghana, Nigéria, Zaïre), l’Asie (Inde, Malaisie) et l’Océanie (Nouvelle Calédonie). Il pousse sur le bois mort provenant d’arbre à feuilles caduques.

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Des Pycnoporus : Parmi les saprophytes, les champignons tels que les Pycnoporus, développent une pourriture blanche sur le substrat : ils dégradent ou digèrent la lignine aussi bien que l’hémicellulose et la cellulose localisées dans la paroi cellulaire du bois. Ces champignons « fossoyeurs », en transformant les matières organiques en humus réutilisable par les plantes, sont essentiels pour l’équilibre forestier. La particularité du genre Pycnoporus, en plus de celles déjà mentionnées, réside dans sa faculté à se développer sur des niches écologiques relativement découverte et donc particulièrement exposées aux alternances extrêmes du climat tropical. On les retrouve fréquemment au cœur d’une clairière ensoleillée, sur bois mort et souvent couché et blanchi par la chaleur du soleil. Ce type d’écosystème est généralement appauvri en substances organiques durant les périodes sèches ou soumis à une forte prédation, aux parasitismes, durant ou juste après les fortes pluies. Pour concourir en milieu hostile et survivre dans un tel biotope les Pycnoporus vont développer des enzymes dont la nature et les propriétés vont leur permettre de survivre en milieu extrêmes (Arfi & Levasseur, 2013).

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Vertus médicinales :


Selon Philippe Plourde, auteur de Valorisation des champignons forestiers nordiques par l’étude de leur activité biologique pour des applications pharmaceutiques et cosméceutiques. (Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Chicoutimi, 2016) :


Ce champignon posséderait plusieurs propriétés pharmacologiques et cosméceutiques. Une étude portant sur des extraits d’acétone et acétate d’éthyle a pu révéler la présence d’activités antitumorale, antivirale contre l’herpès et la polio, antioxydante et anti-inflammatoire (Dias et Urban 2009). Les conclusions de cette étude attribuent la présence de l’activité antitumorale détectée à la cinnabarine, un des pigments retrouvés chez P. cinnabarinus, et au peroxyde d’ergostérol, un dérivé de l’ergostérol qui est le principal stérol retrouvé dans la composition de la membrane cellulaire fongique (Zheng et al. 2013). Mis à part la découverte de ces propriétés bioactives, P. cinnabarinus a principalement été étudié pour les mécanismes biochimiques des laccases contenues chez cette espèce. Les laccases présentent un intérêt particulier dans la production de pâtes et papier par leur capacité à délignifier la matière végétale (Andreu et Vidal 2013).

 

Thomas Bouzigues, dans une thèse intitulée Bush Medicine (Plantes et Champignons aborigènes) : La redécouverte des usages des Pycnoporus sp. (Université de Montpellier, 2017) distingue les vertus des différents pycnopores :


Parmi les quatre espèces de Pycnoporus réparties autour du globe, seules Pycnoporus coccineus et Pycnoporus sanguineus, les deux espèces retrouvées sur le sol australien, présentent des propriétés thérapeutiques. De ce fait, on ne les retrouve que dans les soins traditionnels aborigènes australiens.

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Sébastien Mopty, dans sa thèse de pharmacie (2019) déjà citée mentionne :


Quant à Pycnoporus cinnabarinus, on retrouve son usage chez deux peuples centre africain : en collier chez les Aka pour calmer la toux ; toujours en collier, mais au nombre de deux, chez les Mozombo pour chasser « les mauvais esprits » des personnes ayant perdu un proche (Elisabeth MOTTE, 1980).




Usages traditionnels :


Jean-Pierre Navez et Jean-Marie Sénelart, auteurs d'un article intitulé "Teintures naturelles obtenues à l’aide de champignons." (paru sur le site de l'Association des Mycologues Francophones de Belgique, 2012)


Les champignons tinctoriaux sont des carpophores qui teignent, c’est-à-dire avec lesquels il est possible de communiquer aux diverses fibres textiles des couleurs durables. Les colorants ne possèdent pas tous la propriété de se fixer directement sur la laine ; dans ce cas, on a recours au mordançage de la fibre avec des sels métalliques. Pour ralentir l’hydrolyse des liaisons dues au soufre et aux sels et assurer une meilleure répartition des mordants sur la fibre, on ajoute au bain de mordançage des acides organiques, comme l’acide citrique, oxalique, la crème de tartre, le vinaigre, etc..., qui sont des adjuvants.

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Principes tinctoriaux des champignons : [...] Dérivés de la phénoxazone : la cinnabarine et l’acide cinnabarique sont des pigments rouge foncé présents dans Pycnoporus cinnabarinus (identique à l’orseille et au tournesol extraits de lichens).

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Pycnoporus cinnabarinus (Jacq. : Fr.) P. Karst.

Couleurs obtenues : fauve. Avec mordançage à l’alun : fauve ; à l’étain : roux ; au cuivre : brun rouge ; au fer : brun foncé.

Ecologie : saprophyte, il s'attaque dans les forêts montagneuses aux troncs morts, aux souches pourries ou carbonisées, au bois gisant, au chablis des arbres feuillus comme hêtres, pruniers, bouleaux, cerisiers, merisiers, frênes, chez lesquels, lentement, il provoque une pourriture fibreuse et blanche. A peu près cosmopolite.

 

D'après Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013), le tramète rouge cinabre peut être considéré comme un "parasite utile".


Recyclage : Malgré son engageante teinte rouge orangé, le tramète rouge cinabre est non seulement un champignon immangeable, mais aussi un redoutable parasite des arbres. Son mycélium, aussi coloré que le chapeau, envahit peu à peu son hôte, hêtre, bouleau ou arbre fruitier, et finit par le tuer. Mais cette activité destructrice est justement l'une des raisons pour lesquelles les chercheurs s'intéressent particulièrement à lui. En effet, il trouve sa nourriture en dégradant la cellulose et la lignine des arbres, deux molécules que peu d'organismes sont capables de digérer, et les transforme en éthanol, un alcool utilisable par l'industrie ou par les transports. A partir d'une tonne de paille de blé, il pourrait fournir 235 litres d'éthanol ! Ce champignon est ainsi l'un des organismes susceptibles de produire des agrocarburants dits de deuxième génération, ceux qui ne consomment pas les mêmes matières premières que les humains, huile ou céréales, mais des sous-produits de l'agriculture. Aujourd'hui cependant, le rendement de la dégradation du bois reste trop faible pour être réellement intéressant. Ses qualités digestives sont aussi mises en œuvre dans d'autres domaines tels que le recyclage des effluents industriels toxiques ou le blanchiment de la pulpe de papier. Les chercheurs testent également une autre voie, le transfert des gènes du tramète à des levures ou à des moisissures, organismes plus faciles à cultiver.


Mauvais esprits : Cette espèce est présente dans le monde entier. Les Pygmées Aka de Centrafrique portent un collier de morceaux de tramète séché pour soigner la toux. Les Monzombo, qui vivent aussi en Centrafrique, s'en servent d'une tout autre façon, pour écarter les mauvais esprits des personnes décédées. La cinnabarine, l'un des pigments orange produits par le tramète, aurait une activité antimicrobienne et antitumorale.


Mycovanille : Le tramète dégrade mais il peut aussi produire ! La description d'un mycologue lui attribuait autrefois "une odeur agréable de champignon unie à celle de violette ou de racine d'Iris de Florence, odeur très diffusible qu'il conserve, quoique affaiblie, lorsqu'il est entièrement desséché". Bien qu'il ne sente aucunement la vanille c'est pourtant cet arôme qu'il pourrait fournir ! En effet, la vanilline naturelle des gousses de vanille couvre moins de 1% de la demande : il s'agit d'un des arômes les plus utilisés au monde. La vanilline de synthèse est beaucoup moins coûteuse, mais les consommateurs préfèrent les arômes produits "naturellement" par des plantes. Plusieurs voies biotechnologiques permettent ainsi d'obtenir de la vanilline avec l'aide de bactéries ou de champignons; ) partir d'huile de girofle ou bien de matière premières abondantes comme le lignine du bois. Le tramète rouge cinabre s'est révélé particulièrement efficace pour produire de la vanilline à partir de son maïs ou de pulpe de betterave. Selon son milieu de culture, il peut aussi produire un parfum d'amande amère, de fraise des bois ou de fleur d'oranger (à partir d'huile de ricin, par exemple). Glace vanille-fraise ou glace au champignon ?

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Usages innovants :


Dans sa thèse intitulée Particularités du genre Pycnoporus : applications industrielles et pharmacologiques (Université de Lille, Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Lille 2, 2019) Sébastien Mopty fait le point sur l'intérêt de ce tramète :


Les enzymes extracellulaires de Pycnoporus cinnabarinus s’avèrent particulièrement efficaces pour dégrader les colorants et les pigments utilisés dans les industries de la teinture ou de l'impression. Actuellement, on estime que la production mondiale en colorants est de 800 000 tonnes par an dont au moins 10% pénètrent dans l'environnement à travers les déchets. La plupart des colorants sont très stables à la lumière, la température, et l'attaque microbienne. Des méthodes physico-chimiques telles que l'adsorption, la coagulation-floculation, l'oxydation, la filtration, et des procédés électrochimiques peuvent être utilisées pour l'enlèvement des colorants à partir des eaux usées. Toutefois, ces procédés sont très coûteux et présentent des problèmes de fonctionnement. Il est donc nécessaire de développer des procédés pratiques de traitement biologique. La réduction bactérienne anaérobie fût l’une des premières solutions envisagées bien qu’elle ait été assez rapidement abandonnée à cause des amines aromatiques incolores, généralement plus toxiques que les composés parents, qu’elle générait. Quant à la dégradation bactérienne aérobie, elle se limite la plupart du temps à un seul colorant. La solution la plus adéquate fut trouvée grâce à P. cinnabarinus qui offrait des avantages significatifs pour la décomposition de composés récalcitrants : ses enzymes ligninolytiques (laccases, peroxydases de lignine et manganèse peroxydases) ont des substrats non spécifiques, et par conséquent, peuvent dégrader une grande variété de composés récalcitrants. De plus, les enzymes de P. cinnabarinus sont extracellulaires ce qui permet de tolérer une concentration élevée de polluants (Madhavi et al. 2009).

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