Étymologie :
ÂNE, subst. masc.
Étymol. ET HIST. − xe s. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 20 : Un asne adducere se roved) ; après 1260 emploi fig. « homme stupide » (Ph. de Novare, Quatre temps de l'âge de l'homme, éd. Fréville, 207 ds T.-L. : por cels qui sont droit asne et plus nice que bestes). Du lat. asinus, au sens propre dep. Plaute, Asin., 333 ds TLL s.v., 792, 60; emploi fig. ds Cicéron, Pis., 73, ibid., 794, 47.
CORNICHON, subst. masc.
Étymol. et Hist. I. 1. 1547 cornichon va devant « jeu qui consiste à courir en ramassant des objets au passage » (Du Fail, Propos rustiques, ch. 13, p. 95 ds Hug.) ; 2. 1549 « petite corne » (Est.) ; 3. 1654 bot. (Bonnefons, Jardinier françois d'après Roll. Faune t. 6, p. 36) ; 4. 1808 arg. subst. et adj. masc. « niais » (Hautel 1808). II. 1858 arg. « aspirant à l'École de Saint-Cyr » (Institution de Paris, 58 ds Larch. 1880). I dimin. de corne* ; suff. -ichon (-iche* ; -on*). II orig. obscure.
Autres noms : Ecballium elaterium - Concombre d'âne - Concombre d'attaque - Concombre d'attrape - Concombre du diable - Concombre explosif - Cornichon sauteur - Concombre sauvage - Ecbalie - Giclet - Gôlante - Momordique - Momordique élatère -
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Botanique :
Selon Jean-Marie Pelt, auteur d'un ouvrage intitulé Des Légumes (Éditions Fayard, 1993) :
Et l'on terminera avec l'Ecballium, ou concombre d'âne ou encore concombre d'attaque,. Courant sur les talus en zone méditerranéenne, il éjecte ses graines, quand on le touche, comme de la mitraille et ce jusqu'à 10 mètres. Il est vrai que la vitesse initiale d'éjection est e 15m/s : autre record homologué à l'actif des cucurbitacées !
Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes :
Après la fleur, le fruit. Connaissez-vous la momordique (Ecballium elaterium), humble cucurbitacée, assez commune dans le monde méditerranéen ? Son fruit, qui ressemble à un petit concombre (d'où le nom de « concombre d'âne »), est d'une inexplicable exubérance. Il suffit qu'on le touche au moment de sa maturité pour qu'il se détache brutalement de son pédoncule et éjecte à travers l'ouverture ainsi produite un jet puissant et mucilagineux, mêlé de nombreuses graines. Ce jet est assez fort pour emporter la semence à 4 ou 5 mètres de la plante-mère ! Un jet aussi extraordinaire que si nous parvenions, toutes proportions gardées, à nous vider, d'un seul mouvement spasmodique, de toutes nos viscères, et les projections à un demi-kilomètre de ce qu'il resterait de nous !
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D'après Lionel Hignard et Alain Pontoppidan, auteurs de Les Plantes qui puent, qui pètent, qui piquent (Gulf Stream Éditeur, 2008) :

"Le cornichon d'âne est une plante qui pousse au ras du sol. Ses feuilles sont hérissées de poils et ses fleurs sont jaunes en forme d'étoile à cinq branches.
Ses fruits, de petits cornichons ventrus, se cachent dans l'herbe, prêts à cracher sur tout ce qui passe. Qu'un âne s'approche en broutant, le museau à terre, et touche un cornichon, il recevra immédiatement une bonne giclée baveuse sur le museau.
Pourquoi fait-il ça ? C'est pour faire voyager ses graines que le cornichon d'âne crache sur le museau des herbivores. En effet, le crachat qu'il envoie contient une bonne poignée de graines, dont l'animal se débarrassera plus loin, en se frottant contre les herbes. Ainsi de nouvelles plantes pourront germer ailleurs.
Une plante utile ? A petite dose, le jus terriblement amer du concombre d'âne fait vomir. Et à haute dose, c'est un poison violent qui n'a rien à voir avec le vrai concombre ou le cornichon ! On en tire pourtant un médicament intéressant contre le diabète, à utiliser sous contrôle médical.
Un cornichon dans le chapeau : le Docteur Dickson, étudiant les vertus médicinales de cette plante cracheuse, a fait une expérience étrange. Il s'est pris lui-même comme cobaye, et a mis un cornichon d'âne dans son chapeau. Au bout d'une demi-heure, il a ressenti un horrible mal de tête. L'expérience s'est arrêtée là ! "
Monographie sur le concombre d'âne, proposée par Meryem El Fennouni dans sa thèse intitulée Les plantes réputées abortives dans les pratiques traditionnelles d’avortement au Maroc. (Université Mohammed V, faculté de médecine et de pharmacie - Rabat, 2012).
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Dans La Vie érotique de mon potager (Éditions Terre Vivante, 2019), Xavier Mathias nous donne quelques précisions supplémentaires sur le ton de l'humour :
Après la plus longue, celui qui va le plus loin ? Eh oui, les jardiniers n'échappent pas à la règle ! Ce n'est pas faire preuve de misandrie que de rapporter qu'outre mesurer la plus longue, il arrive parfois aussi à certains de mesurer celui qui va le plus loin. Souvenirs, souvenirs. C'est alors Ecballium elaterium qui fait les frais de leurs jeux. Appelé également « concombre d'âne », « cornichon d'âne », « cornichon sauteur », « concombre du diable », « concombre explosif », « concombre sauvage », etc., la particularité de cette petite Cucurbitacée spontanée en Europe et toxique est le mode de dispersion de ses graines. Arrivé à maturité, le fruit sous pression au sens propre (six bars, soit plus que le pneu d'une voiture !) explose spontanément au moindre contact. Littéralement projetées dans un liquide gluant, les graines peuvent parcourir ainsi plus d'une dizaine de mètres ! Certains affirment qu'ils ont pu leur faire faire quinze mètres, mais méfions-nous des prétentieux, il y en a chez les jardiniers aussi !
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Usages traditionnels :
Dans sa thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) Maria Luisa Pignoli rapporte les utilisations suivantes :
Propriétés et utilisation : En médecine populaire, le concombre d’âne a plusieurs utilisations dont la plus connue est celle d’un puissant laxatif en raison de la présence d’élatérine, un principe actif toxique qui est contenu dans les fruits et qui procure des effets purgatifs drastiques (Guarrera, 2006 : 96 ; Viegi et al., 2003 : 237). En effet, on donne aux mulets les fruits écrasés pour traiter leur troubles gastro-intestinaux (Pieroni, 1999 : 123 ; Viegi et al., 2003 : 225). Les Bédouins de la Jordanie et du desert du Sinaï connaissent les propriétés toxiques de cette espèce qui peut causer l’empoisonnement des êtres humains (Abu-Rabia, 1999 : 5). En effet, la toxicité du jus peut irriter gravement les yeux (Guarrera, 2006 : 96 ) mais peut, en revanche, avoir des effets bénéfiques sur la santé en cas d’odontalgies (Quave & Pieroni, 2007 : 215 ; Pieroni & Quave, 2005 : 264 ; Pieroni et al., 2004 : 376), d’hémorroïdes (Guarrera, 2006 : 96), de troubles et infections cutanées en vertu de ses propriétés antiseptiques et vulnéraires (Quave & Pieroni, 2007 : 215 ; Pieroni & Quave, 2005 : 264 ; Pieroni et al., 2002b : 225 ; Viegi et al., 2003 : 225) et il est utilisé aussi comme anti-malarique, dans les communautés arbëreshe de Basilicate et celles slaves du Molise (Pieroni et al., 2002b : 225 ; Di Tizio et al., 2012 : 3). Et enfin, chez les Slaves molisans [1], on enduit les seins avec du jus de concombre d’âne pour sevrer l’enfant du lait maternel (Di Tizio et al., 2012 : 3)
Note : 1) Les trois communautés slaves du Molise sont l’une des treize minorités linguistiques et historiques présentes sur le territoire italien ; ce sont Acquaviva Collecroce, San Felice del Molise et Montemitro dans la région de Campobasso. Ces communautés parlent le slave molisan, notamment le naš jezik « notre langue », qui appartient génétiquement au groupe dialectale štokavo-ikave du serbo-croate (Breu, 2005 : 112). Les Slaves molisans sont immigrés en direction de l’Italie il y a environ 500 ans et leur territoire d’origine est la vallée du fleuve Narenta (Neretva) en Erzégovine (Breu, 2005 : 112). Tout comme les communautés arbëreshe, celles slaves molisanes sont aussi protégées par des lois nationales et régionales.
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D'après les travaux de Victoria Hammiche, Rachida Merad, Mohamed Azzouz, et al. consignés dans Plantes toxiques à usage médicinal du pourtour méditerranéen. (Springer Paris, 2013) :
Le suc du fruit frais est, en général, administre par voir nasale. Cette pratique était déjà décrite par Dioscoride qui recommandait de Ie mélanger à du lait pour Ie traitement des cirrhoses et de la jaunisse.
Les espèces renfermant des cucurbitacines sont prescrites, par la médecine traditionnelle chinoise, pour traiter les hépatites chroniques.
Dans tout Ie Maghreb, il est recommandé pour traiter l'ictère. 1'instillation de 2 à 3 gouttes dans chaque narine entraine un écoulement jaunâtre important chez les ictériques, ce qui a fait conclure à une excrétion de sels et de pigments biliaires, donnant l'impression de « déjaunissement ». Ce traitement est poursuivi durant sept jours.
En Turquie, il soigne les sinusites ; au Maroc, la pulpe de deux fruits frais per os et I'application vaginale d'un fruit frais écrasé passent pour abortifs.
En Algérie, son action diurétique est parfois utilisée pour traiter les œdèmes avec oligurie et les excès de poids mais on lui préfère Ie décocté de racine. II est couramment employé pour traiter l'ictère et comme abortif.
La prudence populaire s'exprime par l'utilisation du fruit entier immature moins riche en suc nocif et par l'usage strict des formes locales prescrites : liniments et gouttes nasales.
Malgré ces mesures de précaution, cette pratique n'est pas sans danger.
Le fruit desséché est également employé.
Utilisations thérapeutiques : Le fruit frais et son suc ont eu, par Ie passé, un certain usage médicinal ; il a même figure à la pharmacopée anglaise jusqu'en 1914, puis il a été abandonné en raison de sa toxicité. II demeure cependant très utilisé en médecine traditionnelle dans les pays du Sud de la Méditerranée.
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Propriétés médicinales :
Selon Valérie Bonet, auteure de "Pline et Théophraste: à propos des plantes médicinales." (in Actes du colloque "Métissage culturel dans l’Antiquité" de la CNARELLA, Vol. 27, 2008) :
Pline mentionne encore Théophraste, à propos de l’elaterium, suc desséché du concombre sauvage (Ecballium elaterium Rich.), préparation médicinale très appréciée dans l’Antiquité en particulier comme purgatif drastique. Pline ajoute que « d’après Théophraste » (ut auctor est Theophrastus), ce remède peut se conserver deux cents ans (1) ; Pline a besoin de sa source comme autorité lorsqu’il rapporte un fait qui lui paraît aussi étonnant.
Note : 1) PLINE, XX, 5 ; THEOPHRASTE, Recherches sur les plantes, IX, 14, 1 ; Théophraste explique que c’est la drogue qui se conserve le plus longtemps et que c’est un médecin qui n’était ni un menteur ni un charlatan qui lui a affirmé posséder de l’elaterium vieux de 200 ans.
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Dans sa thèse pour l'obtention du Doctorat en pharmacie, intitulée Les plantes réputées abortives dans les pratiques traditionnelles d’avortement au Maroc (Université Mohammed V, Rabat, 2012), Meryem El Fennouni dresse le portrait du concombre d'âne :
Composition chimique : Plante amère qui contient du mucilage, des triterpènes tétracycliques : cucurbitacines et élatérines, et des élarcines, plusieurs glucosides dont l'élatéridine, l’élatéricine, la phytostérine... Le jus contient des protéines, lipides, sucres et sels minéraux.
Propriétés pharmacologiques : Le suc du fruit contient un glucoside à l’action purgative et drastique très violente. Il est aussi antirhumatismal, diurétique, laxatif, émétique et abortif. La racine contient un principe analgésique. Il a été signalé comme étant susceptible de diminuer la bilirubinémie chez les animaux présentant un ictère. Les cucurbitacines présentes dans la plante, toxiques mais à propriétés antitumorales ; L'effet immunomodulateur de la cucurbitacine, extrait d’Ecballium elaterium, a été testé sur des lymphocytes périphériques humains. Ces lymphocytes ont été co-cultivés avec des cellules cancéreuses et une cytotoxicité intéressante médiée par les lymphocytes a été observée. Des données suggèrent que l’extrait d’Ecballium elaterium peut avoir le potentiel d'être utilisé comme agent anti-inflammatoire pour le traitement de la rhinosinusite.
Usages et emplois : Ecballium elaterium est une plante médicinale, dont le jus de fruit est utilisé pour le traitement de l'ictère dans la médecine populaire. Connue et prescrite dans l'Antiquité, pour traiter les sinusites, en préparation pour un usage externe aux propriétés cicatrisantes pour traiter les maladies de peau (gale) et les tumeurs bénignes. On l’utilisait aussi pour les troubles de la vue, l’asthme, contre les morsures de scorpions… Il est utilisé en interne dans le traitement de l'œdème associés aux plaintes du rein, de problèmes cardiaques (hypertension artérielle), la paralysie et le zona. Extérieurement, il a été utilisé sous forme de compresses pour traiter la sinusite, douleurs articulaires et névralgies. L'extrait aqueux d’Ecballium elaterium est appliqué par voie topique pour le traitement de la rhinosinusite. En application directe comme antihémorroïdaire. A Casablanca, le fruit pilé est introduit en tampon dans le vagin comme abortif, les femmes mangent aussi la pulpe dans le même but.
Toxicité de la plante : A des doses excessives, le Concombre d'âne provoque de graves troubles digestifs (gastroentérites) : anorexie, vomissements, coliques sévères, diarrhée avec selles aqueuses, néphrite interstitielle. On note également une augmentation de la diurèse, et plus rarement une paralysie évoluant vers le coma et la mort. Le jus entraîne convulsions, paralysie nerveuse, chute de tension. Au toucher, il provoque également des inflammations graves sur la peau.
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Voici le résumé du mémoire de master option : Pharmacologie Moléculaire de F. BEDJOU, Encadreur et Mouna OUCHENI, intitulé Activités antioxydantes des extraits d’une plante médicinale : Ecballium elaterium (Université de Béjaia ; 2014) :
Ecballium elaterium (cucurbitacées), est une plante médicinale largement utilisée dans la médecine traditionnelle dans de nombreux pays, comme laxatif, anti-inflammatoire, analgésique, et pour le traitement de la sinusite chronique. Ces vertus thérapeutiques sont principalement dues à la présence des métabolites secondaires comme des polyphénols dans la composition cette plante. La partie aérienne d’Ecballium elaterium, en provenance de la région de Bordj Bou Arreridj (Algérie), a été utilisée pour l’extraction des polyphénols, dans le but d’en évaluer l’activité antioxydants, par la mesure de l’effet scavenger du radical DPPH et du pouvoir réducteur. L’extrait éthanolique à 70% et acétonique à 70%, de la plante se sont avérés contenir une teneur moyenne en composés phénoliques, et que les extraits aqueux, éthanolique et acétonique en sont relativement pauvres. Les résultats des activités antioxydants, ont montré que les polyphénols des extraits éthanolique à 70% et acétonique à 70%, avaient une bonne activité anti-radicalaire (en comparaison avec les autres extraits), avec un EC50 égale à 36,77 ; 32,55 μg/ml, et un bon pouvoir réducteur, tandis que les extraits aqueux, éthanolique et acétonique n’ont donné qu’une très faible activité inhibitrice du radical et un pouvoir réducteur faible.
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Symbolisme :
Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) évoquent rapidement le symbolisme de la momordique :
MOMORDIQUE PIQUANTE - CRITIQUE. Son nom dérive du latin mordeo, je mords.
Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Momordique piquante - Critique et Mystification.
Cette plante vient du latin mordio, je mords; elle a des épines qui représentent la critique, et des graines qui sont lancées sur la personne qui presse leur enveloppe.
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Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :
MOMORDIQUE CRITIQUE - Pourquoi condamnez-vous votre frère ?
Et vous, pourquoi méprisez-vous le vôtre ? Ne savez-vous pas que nous devons tous paraître devant le tribunal de Jésus-Christ ? Chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi. Ne nous jugeons donc plus les uns les autres, mais jugez plutôt que vous ne devez pas être pour votre frère une occasion de chute et de scandale.
Romains : XIV, 10-13.
La momordique concombre d'âne est une plante annuelle qui croît spontanément dans le midi de la France. Sa tige s'élève à un mètre environ et porte des fleurs d'un jaune pâle, auxquelles succèdent des fruits velus, ayant à peu près la forme et la grosseur d'un moyen cornichon. Quand ces fruits sont mûrs, même quelque temps avant cette époque, pour peu qu'on les touche, ils se détachent de leur pédoncule, et jettent avec une grande force au visage de l'indiscret observateur leurs graines mélangées à une liqueur extrêmement amère. Ainsi l'envieuse critique ne respecte personne et distille indistinctement ses amers poisons.
RÉFLEXIONS.
Chacun se fait un tribunal où il juge souverainement de son prochain, avec autant d'autorité et de confiance que s'il avait un privilège particulier d'en user ainsi. Il me semble qu'on serait plus retenu à prononcer ces jugements décisifs, si l'on pensait qu'on se sert ailleurs de la même liberté et de la même rigueur contre nous.
(LA ROCHEFOUCAULT.)
La critique fait honneur aux ouvrages auxquels elle s'attache et n'est pas toujours une marque infaillible de la supériorité du censeur ; il est plus aisé de relever les fautes d'autrui que de composer un ouvrage qui en soit exempt ou du moins qui mérite qu'on prenne la peine de les relever.
(OXENSTIERN.)
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Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) se penche sur les croyances liées aux différents noms arbëreshe du Concombre d'âne :
[...] du point de vue sémantique, tous les mots exposés ci-dessus expriment, avec des nuances de signification différentes, les concepts d’objet « rond et/ou concave » et « dur (à l’extérieur) », ce qui nous amène à penser qu’il s’agit d’une structure à base phonosymbolique.
Une confirmation nous arrive de ce que Contini (2009 : 90) écrit à propos des bases phonosymboliques coc-/cuc- ou gog-/gug- que l’on trouve comme bases lexicales pour les zoonymes et phytonymes dont « […] le sens primitif a dû être, peut-être, celui de quelque chose de dur associé à l’idée de rond, d’arrondi, […] » comme dans les mots it. còccola « baie, tête », nap. còccola « coquille de noix », fr. coque, cocon, cocotte « sorte de casserole », b .lat. CUCUMA « casserole », etc., ou dans les désignations signifiant « sommet », témoignés par le sarde [kˈukuru] « sommet, cime » et ses formes dérivées, ainsi que dans l’alb. kokë « tête » (Contini, 2009 : 91).
Le fait que les phonosymbolismes ainsi que les onomatopées soient un tout petit fragment du lexique des langues représente un obstacle réel à leur identification ; de plus, comme l’affirme Alinei, les créations phonosymboliques sont engendrées dans les environnements domestiques privés, fermés, et on est donc capables pour cette raison de les renommer de façon immédiate, mais il reste la difficulté d’en comprendre le processus permettant le passage du domaine privé et familial à celui public et partagé par une communauté linguistique toute entière (1997d : 18). Le spécificateur suivant le nom arb. kungull est représenté par l’adjectif arb. i eger / i egër « sauvage » qui désigne, dans ce cas, la caractéristique de « non comestibilité » de cette plante par rapport à la courge cultivée appelée également kungull.
2- Le deuxième groupe de désignations comprend les phytonymes arb. kukucel gjumi [kukuʦˈelː ɟˈumi] et kukuçjel i egër [kukuʧjˈɛl i ˈɛɡər] qui sont, tout comme les trois premiers, des syntagmes composés par un premier élément désignant une petite courge qui est nommée par l’emprunt au nap. cucuzzèlla « courgette » (> nap. cucuzzèlla sarvàteca « concombre d’âne ») (NVDN : 231) ‒ témoignant de la même origine phonosymbolique que kungull ‒ et les deux spécificateurs gjumi « du sommeil » et i egër « sauvage ». Ce dernier adjectif a la même fonction que les deux spécificateurs du premier groupe de phytonymes analysés, tandis que le premier spécificateur nécessite d’une réflexion plus profonde. La signification que cette dernière forme lexicale est bien évidemment le résultat d’une séquence métonymique de type « causes-effet » : le spécificateur gjumi se référant à l’effet dangereux que les graines à l’intérieur des fruits produisent au contact des yeux des hommes lorsqu’ils en sont atteints. En effet, nos locuteurs nous ont dit que les fruits du concombre d’âne éclatent comme des balles et que si les graines arrivent dans les yeux, ils provoquent une cécité temporaire ; le seul soulagement possible est celui de garder les yeux fermés, comme si l’on était en train de dormir.
3- Les trois derniers phytonymes se basent sur le type lexical mullun « melon » (< lat. MĀLUM « pomme ») qui guide la composition des trois formes lexicales et se réfère à la forme « ronde » des fruits de cette plante. Mullunel [muʁunˈel] « petit melon » est un emprunt du sic. muluneḍḍu « concombre d’âne » (VS, II : 886). Mulluni i egër [muɫˈun i ˈɛɡər] est un syntagme composé par arb. mulluni « le melon » emprunté au cal. mulunǝ (NDDC : 418) et son spécificateur i egër « sauvage » qui désigne la caractéristique « non comestible » du fruit de cette plante, tout comme dans les désignations précédentes. Mulluni rrushkullit [muɣˈuni rːˈuʃkwit] est un syntagme composé dans lequel le premier élément est représenté par le nom arb. mulluni « le melon » emprunté au dialecte mol. mulǝònǝ (DAM, II : 1155) et son spécificateur rrushkullit « du houx » se réfère à une autre espèce végétale qui sert probablement à désigner le trait « sauvage » de cette espèce de melon ou le trait « hérissé de poils » qui couvre les fruits, les feuilles et les tiges.
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