top of page

Blog

  • Photo du rédacteurAnne

Le Bananier



Étymologie :


  • BANANIER, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1604 bot. bannanier (Fr. Martin de Vitré, Descr. du prem. voy. faict aux Ind. Or. par les François en 1603, p. 116 d'apr. König, p. 27) ; 1640 bananier (P.-J. Bouton, Relation de l'establissement des François depuis l'an 1635 en l'isle de la Martinique dans A. Weil, R. Philol. fr., t. 45, p. 6 : Les bananiers sont de la hauteur de quinze ou vingt pieds, ont le tronc toujours verd). Dér. de banane*; suff. -ier*.


  • BANANE, subst. fém.

ÉTYMOL. ET HIST. − 1598 bot. Bannana (W. Lodewijcksz, Premier livre de l'histoire de la navigation aux Indes orientales par les Hollandois [texte fr. écrit par un Hollandais], fo10 vo dans Arv., p. 81 : Nous avons trouvé [dans l'île de Sainte-Marie, près de Madagascar] grand nombre d'habitans sur le rivage, qui nous apportoient beaucoup de Limons et Palmitas [...] aussi des Bannanas, du laict et pressure) ; 1602 banane (A. Colin, Histoire des Drogues, p. 301 [trad. fr. d'un ouvrage lat. lui-même trad. du port., ici trad. d'un commentaire en lat. de L'Escluse], ibid., p. 82 : Elles sont ainsi [Bananas] appellées à Lisbonne, ou i'en ay veu quelques plantes, lesquelles toutesfois ne portoyent point de fruit, car on les appelle encores auiour d'huy Figuera Banana, cest à dire figuier portant Bananes). Empr. au port. banana « id. », attesté dep. 1562 (Cartas avulsas, 338, Espiritu Santo dans Fried.), lui-même prob. empr. au bantou de Guinée. V. Fried ; Dalg. t. 1, s.v. banana ; Cor. t. 1 id. ; Mach., id. ; König, pp. 26-27 ; Arv., pp. 80-85 ; FEW t. 20, p. 86 ; R. Loewe, Z. vergl. Sprachforsch., t. 61 (1933), pp. 112-114 ; cf. Friederici, v. bbg. ; M. Wis, Neophilol. Mitt., v. bbg.


Lire aussi les définitions de banane et bananier pour amorcer la réflexion symbolique.

*

*




Botanique :


On peut lire avec profit le dossier de Futura Sciences pour en apprendre davantage sur la banane.

 

Jean-Marie Pelt, dans son ouvrage intitulé simplement Des fruits (Librairie Arthème Fayard, 1994), brosse le portrait de la Banane :


Les bananiers sont des plantes extrêmement originales, cumulant singularités et paradoxes L'art de manger des bananes ne date pas d'hier, puisque la culture du bananier a précédé, en Asie du Sud-Est, les cultures du riz et de la canne à sucre. Ce fut donc l'une des toutes premières plantes rationnellement exploitées par l'homme il y a déjà quelque dix mille ans.

A vrai dire, ce n'était pas les bananes que l'on consommait à l'époque, mais les jeunes pousses (comme pour les asperges) et le cœur du jeune tronc (comme pour les cœurs de palmiers). Mais, ici, le mot « tronc », n'est pas de mise, puisque les bananiers sont des herbes. Ce sont même les plus grandes herbes que l'on connaisse, avec les bambous ; mais, comme ces derniers, à leur différence, ont des tiges ligneuses, les bananiers sont donc sans conteste les plus grandes herbes du règne végétal. Pouvant atteindre jusqu'à dix mètres de hauteur, ce sont les plus grands végétaux à ne pas faire de bois.

Bernardin de Saint-Pierre écrit dans Les Harmonies de la nature que « la banane donne à l'homme de quoi le nourrir, le loger, le meubler, l'habiller et même l'ensevelir... » Il ajoute : « Les Indiens en font toutes sortes de vases pour mettre de l'eau et des aliments. Ils en couvrent leurs cases et ils tirent un paquet de fils de la tige en la faisant sécher. Une seule de ces feuilles donne à l'homme une ample ceinture, mais deux peuvent le couvrir de la tête aux pieds par devant et par derrière ! »

Les bananiers semblent originaires d'Indo-Malaisie. Les Indonésiens les introduisirent en Afrique au Ve siècle après Jésus-Christ. En 650, ils atteignaient la côte méditerranéenne. En l'an mil, ils se répandaient en Polynésie. Quant au Nouveau Monde, il fut conquis par des bananiers venus des Canaries. Le commerce de la banane a donc une longue histoire. Les marchands arabes proposèrent les premières en Espagne et en Italie, mais leur commerce moderne ne démarra vraiment qu'en 1870, avec les premiers arrivages de bananes aux États-Unis. En Europe, les choses tardèrent davantage. Il faut, en effet, attendre 1925 pour que l'Europe en fasse autant. A cette époque, Joséphine Baker animait la revue « Folie d'un jour » aux Folies-Bergères et se produisait vêtue en tout et pour tout d'un pagne confectionné de bananes... Après une pause des importations due à la Seconde Guerre mondiale, le retour à la paix permit la mise en œuvre de nouvelle productions et l'on développa d'immenses bananeraies dans toute la ceinture intertropicale du globe.


Au milieu du XIXe siècle, le bananier apparaissent déjà dans les jardins les mieux exposés du Midi méditerranéen, en Sicile, en Italie et même sur la Côte d'Azur. Exactement comme les orangers, il fut aussi introduit à la même époque par les Espagnols et les Portugais sur la côte d'Afrique occidentale ainsi qu'aux Canaries et à Madère, où sa culture prit une énorme extension. Au temps de la marine à voile, les bananes ne pouvaient être consommées que sur leur lieu de récolte, les transports maritimes étant trop longs pour permettre leur conservation. Plus récemment, on a inventé des bateaux spéciaux, les bananiers ; ces bâtiments comportent dans leur coque plusieurs ponts superposés afin d'éviter l'écrasement des cargaisons fruitières. Ces ponts sont aérés par une circulation continue d'air réfrigéré et la température y est généralement maintenue à 12°C, ce qui permet aux fruits d'arriver en bon état. Ces difficultés de transport sont à l'origine d'une situation paradoxale : l'une des plants les plus anciennement utilisés par l'homme fut en même temps celle qui pénétra le plus tardivement en Europe.

Mais si la banane est éphémère, le bananier l'est aussi ! Un bananier est une sorte d'énorme poireau qui, au lieu d'être fiché dans le sol par une touffe de racines, y enfouit un gros bulbe vivace. Ce gros oignon reste perpétuellement enterré et donne spontanément de jeunes boutures qui se développent sous l'aspect de cette grande herbe qu'on appelle bananier. Au bout de deux ans, lorsqu'elle a donné son régime de bananes, cette herbe est arrachée. D'autres boutures jaillissent alors de la souche vivace souterraine ; elles donnent à leur tour d'autres bananiers qui subiront le même sort après le même délai. Ainsi une bananeraie fonctionne-t-elle comme un système en rotation continue où de nouveaux pieds remplacent les vieux pieds, éliminé au fur et à mesure que chacun a fourni son régime. Ce mécanisme se déroule en dehors de tout cycle saisonnier et de toute sexualité ; le remplacement par de jeunes boutures des bananiers qui ont déjà porté s'opère à n'importe quelle époque, chaque bananier obéissant à son rythme propre. Il est vrai qu'il pousse sous des climats chauds et peu contrastés.

[voir symbolisme ci-dessous]

Le premier bananier d'une plantation, avec son énorme oignon souterrain, est baptisé le « père ». Il se passe de seize à dix-neuf mois entre le moment où se forme sa première bouture et celui où l(on coupera le régime. La croissance du bananier est donc extrêmement rapide, ce que l'on comprend plus aisément en examinant la structure du tronc. Celui-ci n'est formé que de l'ajustement de la base des feuilles, qui s'enroulent les unes sur les autres en se recouvrant mutuellement. Les longs pétioles qui s'engainent les uns dans les autres sont très riches en eau. en appuyant sur un moignon de tronc - il faudrait dire de stirpe - récemment sectionné, on fait suinter des quantités d'eau tout à fait impressionnantes.

Les feuilles peuvent atteindre de deux à trois mètres de longueur et cinquante centimètres de largeur. Jeunes, elles sont enroulées en cornets. Âgées, victimes du vent qui les déchire en longues lanières, elles confèrent aux vieux bananiers - qui n'ont d'ailleurs jamais plus de quelques années - un air dépenaillé et loqueteux. Au centre du stirpe passe le pédoncule de l'inflorescence ; une fois arrivé à la lumière, il s'incurve aussitôt vers le bas. Notons que c'est là une attitude inverse de celle de toutes les tiges, qui ont plutôt tendance à se dresser vers la lumière. A l'extrémité de ce pédoncule renversé se développe une grosse inflorescence pendante. Bref, on a le sentiment que le bananier, conscient de devoir porter de lourdes bananes, baisse d'emblée les bras...

Cette inflorescence est un épi. Elle se forme au bout d'un an environ et peut atteindre un mère cinquante de longueur. Cet épi est entièrement enveloppé dans de grandes pièves violacées qui se redressent peu à peu comme des stores qu'on enroulerait vers le dehors. Sous ces pièces apparaissent alors les fleurs femelles, disposées en rang d'oignon. Comme toute fleur femelle qui se respecte, celle-ci possède un ovaire, surmonté d'un stigmate collecteur de pollen. Au sommet de l'épi - donc tête en bas puisqu'il est tourné vers le sol - se forment ensuite les fleurs mâles ; elles sécrètent un abondant nectar qui s'accumule dans les pièces colorées Plus le sol est riche, plus le bananier produit de fleurs femelles : sur un sol très pauvre, il forme surtout des fleurs mâles. On reconnaît là la sollicitude de la nature pour les fleurs femelles, celles qui porteront les "enfants " !

*

*




Utilisations traditionnelles :


Marie-Joseph Dubois, dans un article intitulé "Ethnobotanique de Maré, Iles Loyauté (Nouvelle Calédonie) (Fin) . (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 18, n°9-10, Septembre-octobre 1971. pp. 310-371) rend compte des usages du bananier :


Musa sp., Musacée = namaco = bananier. Voir 2e partie, cultures. Banane = waeth. On interprète le nom namaco : hna-hma-co = il a beaucoup marché, souvenir de l'origine lointaine de cette plante, avec un jeu de mot avec nama qui est le sémantème de plusieurs noms de bananiers. La banane évoque le pénis en érection : eth = « faire des actes érotiques » et jeu de mots avec un nom mélanésien originel : usi aux îles Trobriand d'après Malinovski. On a appefé Musa discolor autrefois le bananier kiam(u), le bananier d'Anatom, celui qui est venu avec les « vraies » ignames de Ma, et qui apparaît dans de nombreux mythes maréens et lifous. Sa banane est le fruit défendu mangé par le « Petit Garçon de Dranin », désobéissant ainsi à sa grand-mère Nederumele. Il est devenu ainsi un vagabond et est mort à Lifou.

Musa nana = wiwi ; banane wa-wiwi. On l'appelle wiwi à cause du français « oui-oui » que répètent les Français les si Wiwi. Deux variétés : wiwi-re-Nengone = « la wiwi de Mare » qui fut introduite à Mare dès l'arrivée des Anglais ; wiwi-re-co = « wiwi du dos » = appelée communément « banane de Chine », introduite de la Grande Terre (cf. le Journal des Océanistes, t. XV, n° 15, p. 150).

Musa paradisiaca, nombreux clones, dont trois : Kiam(u), momo et wa-apue-re-nenun auraient accompagnées les vraies ignames venant de Ma, avec le gallinacé titew. Ils débarquèrent à Watheo, et s'installèrent à Hna-waethe-kaw = « l'endroit des bananes de couleur claire », non loin de Cerethi, où les ignames tinrent leur dernier conseil avant de se séparer et se disperser dans tout Mare.

Musa paradisiaca sapientum var. Oleracea Baker, Musacée, variété à rhizome comestible = nama. Elle ne donne pas de bananes comestibles. Son rhizome sert d'aliment de famine. Je ne crois pas qu'il en reste à Mare, mais il y en a encore à Lifou. Les gens de Mare se moquent des Lifous quand ceux-ci sont obligés de manger de ces rhizomes (cf. Emile Massal et Jacques Barrau, Plantes Alimentaires du Pacifique Sud, CPS, n° 94, p. 22).

Musa paradisiaca seminifera est probablement enegutu{e), neguluie), bananier autochtone à graines. Ses fruits ne sont pas comestibles. Il est utilisé pour ses feuilles qui servaient d'enveloppe au pâté ficelé ael. On ne l'emploie plus. On trouve encore des enegutu(e) au fond du trou de Bone ea, et peut-être encore çà et là près de villages. Musa paradisiaca seminifera pousse dans les forêts de Nouvelle-Calédonie et de Samoa.

Musa troglodytarum Vieil. = Musa fehi = namaco ni du = màm « le bananier du soleil » parce que son régime se dresse dans le prolongement du tronc au lieu de retomber vers le sol. Il ne pousse actuellement à Mare que dans le Watheb ni wajakag dans la forêt de Rawa, dans un creux d'une quarantaine de mètres de profondeur, avec sol volcanique, très humide et très abrité du vent. En 1946, Robert Virot et moi-même y avons trouvé un bananier dépassant les 10 m de hauteur, diamètre du tronc à la base 60 cm. Son régime avait une hauteur de 1,50 m. Plus tard, les indigènes ayant débroussé pour laisser pénétrer la lumière, les pieds avaient été multipliés. Ils dépassaient néanmoins 6 m de haut. — Son pétiole noir est découpé en lanières, et les femmes en font des nattes et des paniers. — Son jus violet sert à se teindre la figure pour les fêtes. — Selon Jon de Ro, namaco ni du aurait été introduit par la population des si Welo.

*

*




Symbolisme :


D'après le Dictionnaire des symboles (1ère édition 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,


"Le bananier n'est pas un arbre, mais une plante herbacée, dépourvue de tronc ligneux. Ses tiges, très tendres, disparaissent après la fructification. C'est pourquoi le Bouddha en fait le symbole de la fragilité, de l'instabilité des choses, dont l'intérêt doit être négligé : Les constructions mentales sont pareilles à un bananier, lit-on dans le Samyutta Nikâya (3, 142). C'est un thème classique de la peinture chinoise que le Sage méditant sur l'impermanence des choses au pied d'un bananier."

 

Michel Leiris dans Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe (1955) mentionne le bananier comme arbre rituel :


« C'est en Afrique noire, où, chez toutes les populations sédentaires, les arbres jouent un rôle important au point de vue magico-religieux, qu'il paraît légitime de situer, par exemple, la source de quelques croyances et pratiques qui ont un arbre pour élément central : le fromager (en créole « épini »), qu'on rencontre aussi en Afrique où il est regardé souvent comme habité par des esprits, est tenu pour l'habitacle préféré des « diablesses » ou « guiablesses », esprits féminins qui, visibles surtout à midi ou bien la nuit, se présentent sous la forme d'une femme très aguichante qui égare et, parfois, fait tomber dans un précipice le passant qui a eu l'imprudence de la suivre, séduit par sa beauté ; en Guadeloupe, on menace parfois l'enfant grognon de le faire prendre par « 'tit sapoti' » (petite sapotille), sorte de lutin qui vit dans les arbres ; enfin, lors de la naissance d'un garçon ou d'une fille, placenta de la mère et cordon ombilical de l'enfant sont enterrés au pied d'un arbuste – par exemple un bananier – qu'on montrera plus tard à l'intéressé comme étant sa propriété ; or on trouve des pratiques analogues à celle-ci en mainte société négro-africaine »

*

*

Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), le Bananier a les caractéristiques suivantes :


Les deux plus importantes espèces de Bananiers sont le Bananier du paradis et le Bananier des sages. Le Bananier du paradis (Musa paradisiaca), Figuier d'Adam, Plantain des Indes, Arbre à cordes, est ainsi nommé parce que plusieurs textes sacrés de l'Inde en font l'arbre qui portait le fruit défendu. Cette archaïque tradition se retrouve dans le Coran où le Bananier plantain est nommé Arbre du paradis. Il produit un fruit farineux, peu sucré, plus volumineux que la banane vendue dans les pays occidentaux. Le plantain se mange cuit, en général mélangé avec du riz. Le Bananier des sages (Musa sapientium), Figuier du Gange ou des fakirs, est celui que l'on cultive aujourd'hui dans toutes les zones tropicales du monde, pour ses régimes chargés de fruits que l'on nommait autrefois figues-bananes. Ce sont les bananes du commerce.


Genre : Féminin

Planète : Vénus

Élément : Eau

Divinité : Selon les régions de culture, le bananier et ses fruits sont dédiés à de très nombreux dieux locaux, survivance des anciens cultes animistes.

Pouvoirs : : Fécondité ; Puissance créatrice ; Prospérité matérielle.


Utilisation rituelle : Le culte du Bananier est certainement très ancien. Dans toute l'Inde, cet arbre est essentiellement dédié aux Patrikas, les neuf formes de la déesse Kali. Un texte, présumé du II e siècle av. J.-C., (Mahavagga) mentionne un breuvage à base de pulpe de banane, et le présente comme l'une des huit boissons à base de fruits et de miel que les moines bouddhistes sont autorisés à consommer.

De nos jours encore, durant les grandes fêtes rituelles de Shràvana et Hindi Sàvàn, des feuilles de Bananier et d'énormes régimes de fruits décorent les rues. Les façades de certains bâtiments officiels en sont couvertes. On en fait des arcs de triomphe qui enjambent les boulevards.

Le Bananier étant coupé aussitôt après la récolte (c'est-à-dire d'une certaine manière détruit par ses propres fruits), on en a fait le symbole de l'homme vivant dans l'erreur, détruit par le fruit de ses mauvaises actions.

Des Bananiers chargés de lourds régimes sont associés à plusieurs scènes mythologiques sur les bas-reliefs de l'immense site sacré de Borobodur, à Java.

Les bananes (avec les poissons et la viande de porc) occupaient une p1âce primordiale dans le kapu, l'ancien code des tabous hawaïen. Si un chef lançait sa sagaie au milieu d'une bananeraie, le champ était déclaré tabou et personne ne pouvait toucher aux fruits qui pourrissaient sur place. Les femmes, plus encore que les hommes, obéissaient à un code excessivement compliqué et tatillon. Selon le mois de l'année dans lequel on se trouvait, et même en fonction des variations de lune à l'intérieur d'un même mois, certaines variétés de bananes leur étaient autorisées, et d'autres interdites sous peine du fouet. Il y avait enfin une période de l'année où toutes les bananes, quelles qu'elles soient, étaient taboues aux femmes, et cette fois la transgression était punie de mort. Lorsque cela se produisait, le tabou était alors prolongé et assorti d'une foule d'interdits qui paralysaient complètement la vie de la communauté : défense d'allumer des feux, de mettre les pirogues à la mer, de préparer les repas, de rouir ou filer le chanvre, etc. Le village d'où venait la contrevenante devait observer le silence absolu : défense de parler, de battre le tam-tam, les chiens étaient muselés, les oiseaux chassés, les poules emprisonnées à l'intérieur d'une calebasse. Les prêtres venaient la nuit et ils incendiaient toutes les bananeraies que ce village possédait.

Le code des tabous fut aboli en 1819 par la reine régente Kaahumanu, aidée du grand-prêtre Hewa-Hewa. Le kapu en était alors arrivé à un tel degré d'absurdité dans l'enchevêtrement des interdits que les femmes, principales visées, pouvaient à peine respirer. Plusieurs auteurs ont décrit le festin mémorable au cours duquel le roi adolescent Liholiho, chapitré par la régente, se leva de la table des hommes (hommes et femmes n'avaient pas le droit de manger ensemble) pour aller s'asseoir auprès de sa mère à qui il offrit des mets interdits. Après un moment de stupeur, d'horreur même, ce fut l'explosion de Joie. Hewa-Hewa se dressa dans son costume de plumes et cria : « Kapu est mort ! De sa propre main armée d'une torche, il incendia le premier temple et renversa les idoles sanguinaires. Le cri « Kapu est mort ! Les tabous sont brisés!. vola d'île en île. Partout les temples brûlaient. Les femmes se gavèrent de nourriture prohibée jusqu'à en être malades.


Utilisation magique : L'arbre et ses fruits sont traditionnellement employés pour féconder et pour combattre l'impuissance. Paradoxalement, on dit aux Antilles que se marier sous le feuillage d'un Bananier est mauvais signe : non seulement la femme ne rendra pas son mari heureux, mais de plus elle sera une mauvaise mère. En revanche, au Brésil, le fruit occupe une grande place dans la magie érotique. Au temps des Portugais, la peau de banane, préparée de diverses façons et mélangée à des noix, entrait dans des préparations magiques dont se servaient les esclaves noirs, à des fins, on s'en doute, peu appréciées par les autorités de Lisbonne.

Les fleurs entrent dans les charmes concernant l'argent, la prospérité. Aux Indes, on en fait surtout des guirlandes dont on décore les maisons, les statues des divinités ; ou bien on les porte autour du cou. Dans les pays africains, en revanche, les mêmes fleurs entrent dans des amulettes que l'on porte sur soi, mais cachées.

Le Bananier, « hermaphrodite double », ne pouvait que séduire les sorciers animistes. Des survivances de ces pratiques se retrouvent dans certains rites de vaudou et de candomblé où l'arbre, en totalité ou en partie, sert à appeler les loas.

Le tronc, ou plus exactement la tige, est constitué par les gaines des feuilles qui s'emboîtent les unes dans les autres et finissent par s'accumuler. Les Dayaks de Bornéo plantent ces tiges sur les tombes, car ils y voient le symbole des différents « corps » occultes que revêt tour à tour l'âme dans sa migration du grossier vers le subtil. Pour cette raison, ils ne coupent jamais la tige (une coupure nette, faite avec un instrument tranchant, causerait un trop violent traumatisme, risquant de perturber le voyage du défunt), mais la rompent au ras de la souche (toute vie est un jour brisée par la mort, mais elle transmigre vers d'autres formes).

*

*

Jean-Marie Pelt, dans son ouvrage intitulé Des fruits (Librairie Arthème Fayard, 1994) évoque aussi le symbolisme des fruits dont il explique les particularités botaniques :


Une bananeraie est donc une sorte d'efflorescence continue née de la terre, éphémère et perpétuellement renouvelée - aussi fugace et prolifique, somme toute, qu'une champignonnière ! Pour cette raison sans doute, Bouddha en fit le symbole des biens de ce monde. Un thème classique de la peinture chinoise représente le Sage méditant sur l'impermanence des choses et des biens de ce monde sous un bananier.

*

*

Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Le bananier qui produit le plantain est appelé "bananier du paradis" ou "figuier d'Adam" car, selon certains textes sacrés d'Inde et d'après le Coran, c'est lui qui portait le fruit défendu. le "bananier des sages" qui produit la banane que nous trouvons dans nos commerces "étant coupé aussitôt après la récolte (c'est-à-dire d'une certaine manière détruit par ses propres fruits)" symbolise en dépit de son surnom, 'l'homme vivant dans l'erreur, détruit par le fruit de ses mauvaises actions".

Dans les croyances occidentales, une banane coupée transversalement aurait la frome d'une croix ou d'une petite figure ressemblant au Christ. En coupant le fruit avec un couteau, on risque de blesser la figure sainte : il vaut mieux se servir de ses doigts.

Les Dayaks de Bornéo, eux, voient dans l'accumulation des gaines des feuilles constituant la tige du bananier "le symbole des différents "corps" occultes que revêt tour à tour l'âme dans sa migration du grossier vers le subtil". Craignant d'importuner le voyage des morts, ils se refusent à couper cette tige mais la cassent pour la planter sur les tombes.

A cause de sa forme phallique, la banane est associée à la fécondité et à la virilité. Au Brésil, où elle joue toujours un grand rôle dans les charmes érotiques, on raconte qu' "au temps des Portugais, la peau de banane, préparée de diverses façons et mélangée à des noix, entrait dans des préparations magiques dont se servaient les esclaves noirs, à des fins, on s'en doute, peu appréciée par les autorités de Lisbonne".

Dans toute l'Amérique du Sud, un homme mangeant deux bananes provenant d'une même tige donnera nuisance à des jumeaux.

Cependant, selon une croyance des Antilles, se marier sous un bananier est très néfaste, car la femme rendra son époux malheureux et sera une mauvaise mère ; de même, dans l'île Maurice, il porte malheur à celui qui en a un dans son jardin.

En Grèce, on croit que lorsqu'on cueille une banane avant sa maturité, la tige abaisse sa tête pour frapper son ravisseur".

En Inde, où le bananier est dédié aux Patrikas, c'est-à-dire aux neuf formes de la déesse Kali, les feuilles et les fruits de l'arbre ornent les rues et les bâtiments officiels durant les fêtes rituelles de Shrâvana et Hindi Sâvân. Le culte qui lui est rendu est probablement très ancien et "un texte, présumé du IIe siècle av. J.C. (Mahavagga), mentionne un breuvage à base de pulpe de banane, et le présente comme l'une des huit boissons à base de fruits et de miel que les moines bouddhistes sont autorisés à consommer".

Que lui soient attribuées des propriétés magiques ne peut guère étonner : ainsi, les guirlandes de fleurs de bananiers portées autour du cou ou parant les maisons et les statues des divinités sont-elles censées attirer la prospérité et l'argent.

*

*

Le jour de sa profession perpétuelle, le 6 février 2000, à Atakpamé (Togo), Sœur Marie-Pascaline a confié à son entourage comment elle voyait dans le bananier un symbole de la vie religieuse où elle s'engageait, ainsi qu'on peut le lire dans ce document.

 

Hélène Dubois-Aubin, autrice de L'Esprit des fleurs (Éditions Cheminement, 2002) collecte la sagesse des Anciens de tous pays :


La permanence de l'âme : Si une grande majorité de sociétés archaïques admettent la permanence de l'âme après la mort, la perspective de séjourner dans un monde morne et souterrain ne les enchante guère. L'homme, qui tend à s'élever aussi bien de son vivant qu'après sa mort, trouve dans la plante le support idéal à la migration de son essence grossière vers un état plus subtil.

Le végétal, dont les ramures s'étendent vers la lumière, représente le vivant le plus proche de l'univers ouranien qu'il unit, par sa tige, aux forces chtoniennes régnant dans les entrailles de la terre. Il forme un canal, une voie de circulation, qu'empruntent les âmes défuntes : dans chaque herbe, dans chaque fleur ou dans chaque arbre se manifeste l'esprit de l'ancêtre en transit vers un monde de paix et de félicité.

Ainsi, le peuple Dayak de Bornéo voyait dans l'accumulation des différentes couches constituant la tige du bananier le symbole des corps occultes successifs que revêtait tour à tour l'âme avant d'atteindre sa plénitude. Ils se refusaient pour cela à trancher la tige de tout bananier, de peur d'importuner le voyage des morts. Image de l'éternel renouvellement de la vie en Afrique Noire, le bananier représente encore pour certaines sociétés le destin des êtres vivants : une partie d'entre eux doit mourir afin que d'autres viennent au monde. Car sitôt que disparaît le plant-mère du bananier apparaît à sa place un nouveau surgeon destiné à grandir, à offrir ses fruits et à s'éteindre à son tour, cela à l'infini. L'herbe géante symbolise de cette façon le cycle perpétuel de la vie et l'éternel renouvellement des choses.

Dans de nombreux mythes africains, notamment chez les Luba, les bonnes âmes, une fois jugées, migrent vers le « village-des-bananiers ». Certaines populations du Zaïre vont jusqu'à enterrer le placenta ou le cordon ombilical des nouveau-nés sous un bananier pour les relier à la sphère des ancêtres.

*

*




Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :


La Banane t'incite à puiser ce qu'il y a de plus profond en toi-même ; elle t'encourage à entrer en un "contact" heureux ave ton être, à "sentir" ton être jusqu'au fin fond de toi-même, jusque dans la pointe de ton petit orteil. Tu te rends compte du bonheur d'ÊTRE dans a vie : tu es comblé de joie !

La Banane représente la concentration en toi-même, débordant de joie. La phase de la "contraction" enthousiaste en toi-même ; tu t'attires toi-même dans tes bras, tout près de toi-même tu t'impliques dans ton être. Le serrement, la fermeture de toi-même. La sphère de concentration dans le point le plus central de ton être.

"Est-ce que tu t'en rends bien compte ? Est-ce que tu en es conscient, est-ce que tu le sais, est-ce que tu le sens vraiment ??" demande la Banane. "Tu VIS ! Et tu peux tellement te réjouir et être reconnaissant de ton être, de la Vie qui est en toi." tu l'éprouves intensément. Tu es imprégné de la Conscience d'être dans ton corps terrestre en tant que JE Vivant...

Celui qui ressent un grand besoin de Bananes n'est peut-être pas encore pleinement Conscient à quel point il peut se REJOUIR et être RECONNAISSANT... de pouvoir VIVRE en tant que JE, ici sur terre et dans son corps. Il est possible qu'il ne se rende pas entièrement compte à quel point i peut être heureux d'ÊTRE, d'exister car c'est vraiment UI qui vit dans la vie..., avec tous ses caractères et ses potentialités. Il peut prendre conscience de la joie ineffable qui le comble : il EST réellement !

Il est possible qu'il ait trop longtemps vécu comme si cela était la chose la plus normale au monde. Il ne s'est peut-être même pas rendu compte qu'il peut ressentir de la gratitude pour son existence sur terre. Il a peut-être vécu de façon mécontente ou plutôt apathique, ou comme un automate, un robot errant, un être non-conscient, n'ayant pas la moindre notion du bonheur qui lui est en fait imparti. Il est possible qu'il ne se soit jamais vraiment attardé sur lui-même, qu'il ait toujours omis de venir tout près de lui-même, qu'il n'ait fait que frôler la vie de façon superficielle La banane le secoue pour qu'il se réveille, pour qu'il prenne clairement conscience de sn existence en tant qu'Être Humain : c'est une expérience intense "je sais", "je sens", "je suis conscient"... merci, chère vie. Cette perception concentrée du Je procure un bonheur ineffable. L'homme se concentre dans son corps terrestre (par opposition à la décomposition ou à la fuite hors de son propre corps), il prend vraiment Conscience de son Être en tant que JE sur terre.

La Banane représente la gratitude inconditionnelle envers la vie, l'amour inconditionnel pour le Moi et la conscience que l'être humain peut créer lui-même sa vie et l'orienter vers la joie et le bonheur, sans qu'il y ait encore le moindre chagrin, et sans que cela doive jamais finir.

*

*




Mythologie :


D'après Charles Illouz, auteur d'un "Hommage à Marie-Joseph Dubois. Petite énigme d'ethnobotanique, Maré (îles Loyauté)." (In : Journal de la Société des océanistes, 110, 2000-1. pp. 97-11) :


[...] Poissons contre ignames dans la version Waro, voilà qui semble bien évoquer la procédure requise pour la conclusion d'un échange matrimonial. Or, la version Warok fait état de prestations de bananes et de cannes à sucre qui sont des évocations univoques des interdits sexuels et renvoient donc par extension aux restrictions matrimoniales.

  • « On ne devait pas en manger avant la pêche sous peine d'échec ou même d'accident. Les gens de Rawa ne donnaient pas la banane wa-kiam(u) à des étrangers. En recevoir était le signe d'une grande intimité » (Dubois, 1975a : 111).

*

*




Contes et légendes :


Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. Il est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; la fleur de Bananier raconte la sienne dans un conte venu de Malaisie et intitulé tout naturellement "Conte de la fleur de bananier" :


"Il était une fois un vieux singe qui était peut-être encore plus vieux que cela, et peut-être même le plus vieux des singes. On l'appelait de mille façons différentes et, parfois, on l'appelait simplement "Hé, ho !" Alors, puisque vous y tenez, nous l'appellerons Hého. Après tout, c'est un nom qui en vaut bien un autre", avait déclaré malicieusement un jeune homme sorti de la fleur de bananier. "L'essentiel, c'est qu'il m'ait raconté des histoires de toutes sortes. Le singe Hého en connaissait un nombre incalculable. Il se grattait derrière l'oreille, à l'endroit où les contes poussent chez les singes, et hop ! il en tenait un. Alors écoutez bien."


Hého n'était qu'un bébé, à l'époque où vivaient encore des singes tout verts. Remerciez tous les bons esprits de la forêt que cette racaille ait disparu à jamais. C'étaient les êtres les plus malveillants et les plus rusés que la terre ait jamais portés. On ne pouvait rien espérer de bon de leur part. Ils s'immisçaient partout avec indiscrétion, se réjouissant particulièrement si l'occasion se présentait de jouer un mauvais tour à quelqu'un. Ces singes n'avaient même pas un nom convenable. Tous s'appelaient NdokengNdoke.

Un jour, un singe vert NdokengNdoke rencontra la vieille tortue Kolokolopoua. Les tortues sont, bien entendu, d'une sagesse proverbiale, mais peut-être un peu trop confiantes, parce qu'en vérité, elles n'ont rien à craindre. A la place de la fourrure, leur dos est protégé par une sorte de carapace lisse très dure sur laquelle maint animal glouton de la forêt vient se casser les dents. La tortue Kolokolopoua salua sans méfiance aucune le singe vert et lui demanda, par pure courtoisie, où il allait.

"En quoi cela peut-il t"intéresser ?" répliqua NdokengNdoke, en regardant curieusement la tortue. Et, brusquement, une idée germa dans son esprit malveillant.

" Je veux bien te le dire, petite sœur Kolokolopoua, parce que c'est toi. Je vais au bord du fleuve. Après la pluie qui s'est abattue hier, les torrents sont sortis de leur lit et le courant est en train d'emporter des arbres déracinés. Je vais repêcher des branches pour me construire un radeau ou un grand nid, comme celui des oiseaux. Enfin, je trouverai bien à les utiliser. Si tu veux bien, je vais t'emmener avec moi."

Kolokolopoua, qui était heureuse d'avoir trouvé une occupation et une distraction pour la journée, accepta avec enthousiasme. Lorsqu'ils arrivèrent au bord du fleuve, le courant apportait justement un énorme pied de bananier.

"Dépêche-toi, Kolokolopoua, espèce de paresseuse ! cria le singe vert furieusement. Plonge dans l'eau pour que le courant n'emporte pas le bananier. Ne vois-tu pas qu'une belle banane bien sucrée brille parmi les feuilles ? "

Bon gré mal gré, Kolokolopoua se jeta dans le courant. Tandis qu'elle s'escrimait à repêcher le bananier, NodokengNdoke se roulait sur a rive et lui cirait de se hâter. Lorsque Kolokolpoua atteignit enfin péniblement la berge, le singe la houspilla : " Passe-moi le bananier, je vais t'aider à le hisser sur la rive. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi stupide. Il faut que je fasse tout moi-même ! "

La tortue épuisée obéit, mais NdokengNdoke bondit sans plus attendre sur la banane et la mit dans sa bouche, laissant la tortue se débrouiller toute seule.

" Que fais-tu ? S'indigna Kolokolopoua. Je pensais qu'on allait tout partager équitablement !

- Il fallait bien que je vérifie si la banane était bien mûre, ricana NdokengNdoke. Maintenant, je suis fixé, mais malheureusement pour toi, il n'en reste plus rien. Je suis sincèrement désolé. Attends que d'autres bananes poussent. Pour te prouver ma bonne volonté, je vais partager équitablement le bananier avec toi. Prends les racines, et moi je garderai les feuilles. "

La tortue accepta. Elle prit les racines pour les planter. Le singe vert l'imita aussitôt, en plantant les feuilles de bananier dans la terre.

"Stupide tortue, se disait-il, ne sais-tu pas que les bananes poussent dans le feuillage et non sur les racines ? Je suis bien curieux de voir ce que tu vas récolter."

Les jours passaient, et le singe NdokengNdoke examinait les feuilles de bananier, l'air gourmand. Celles-ci ne tardèrent pas à faner et à jaunir. "Ça y est, elles mûrissent", se réjouissait le singe, lorsque les feuilles prirent la couleur des bananes mûres. Hélas ! Un jour elles tombèrent, ne laissant sur place que des tiges sèches. NdokengNdoke alla chez la tortue en traînant la patte.

"Alors, tes racines ont-elles déjà porté leurs fruits ? " se moqua-t-il, mais la jalousie s'empara de lui. Entre-temps, les racines avaient donné naissance à une frêle tige sur laquelle poussait une première feuille, suivie d'une seconde et d'une troisième. Bientôt, un panache vert se déploya sous le ciel bleu. Des boutons de fleurs apparurent parmi les feuilles. Les fleurs s'ouvrirent, puis tombèrent, cédant la place à de grands fruits succulents. Le bananier ployait sous leur poids. NdokengNdoke faillit en perdre la raison. Lorsque ses bananes mûrirent, la confiante tortue demanda au singe :

"Frère NdokengNdoke, rends-moi un grand service. Je ne sais pas grimper aux arbres. Sois gentil, monte là-haut pour cueillir mes bananes. Je partagerai ma récolte avec toi. Tu pourras garder chaque banane que tu cueilleras en second." NdokengNdoke ne se fit pas prier. En un clin d’œil, il se hissa au sommet du bananier. Il cueillit la plus petite banane et la jeta à Kolokolopoua :

"Voici la première ! " cria-t-il, en avalant précipitamment la seconde. Ensuite, il croqua avidement la troisième banane.

"Qu'es-tu en train de faire, se fâcha la tortue. Cette banane m'appartient. Je t'avais pourtant bien précisé que tu n'avais droit qu'à chaque seconde banane.

- C'est bien la seconde banane qui vient après la précédente, répliqua le singe, avant de mordre dans la quatrième banane.

- Arrête-toi là, supplia Kolokolopoua. Celle-ci ne t'appartient pas. tu dois me remettre la première banane qui se présente après ta seconde banane.

- Tu n'y es pas du tout, riposta le singe la bouche pleine. Ce n'est pas la première banane, mais bien la quatrième et, si je ne m'abuse, elle vient en second lieu après la banane qui l'a précédée. La toute première, tu l'as déjà reçue. J'ai beau regarder, je n'en vois pas d'autre. Ce qui reste m'appartient d'après ce dont nous sommes convenus. Tu veux peut-être insinuer que je suis un menteur ou que je t'ai escroquée ? Tu as vu quelle drôle d'associée tu fais ! " riait le singe rusé.

La tortue Kolokolopoua eut le vertige à force de chercher à comprendre les calculs du singe vert. Le temps d'y réfléchir et de mettre de l'ordre dans son esprit, NdokengNdoke avait déjà englouti toutes les bananes et filé discrètement.

"Et voilà, songea Kolokolpoua avec tristesse, j'ai beau être vieille, je n'ai toujours pas appris l'arithmétique des singes."

Quelques temps après, la tortue alla se promener dans la forêt vierge. Dans les fourrés de rotangs, un nœud coulant, tressé sur une belle liane verte, pendait d'un arbre. Les chasseurs l'avaient installé à cet endroit pour y prendre le gibier au collet. Kolokolopoua elle-même ne l'évita que par miracle. Pendant qu'(elle méditait debout, devant le piège, sur la chance qu'elle avait eue, elle entendit une voix mielleuse qui sortait des frondaisons : "Que regardes-tu avec tant d'intérêt, petite sœur Kolokolopoua ? " s'enquit le singe vert. C'était bien celui qui avait volé à la tortue sa belle récolte de bananes. Kolokolopoua le regarda et lui répondit d'un air débonnaire :

"Que veux-tu que je regarde ? J'ai trouvé dans les fourrés un beau collier d'émeraudes. Je m'apprêtais à l'enfiler pour voir comment il m'allait. - Fais voir, fais voir ! cria le singe envieux. Je vais l'essayer avant toi. Tu serais capable de le casser avec ta tête rêche. On n'a jamais vu tortue porter un si beau collier ! " Avant que Kolokolopoua ait eu le temps de dire un mot, le singe passa la tête dans le nœud coulant. Le souple arbrisseau qui retenait celui-ci se redressa brutalement, étranglant le singe NdokengNdoke.

"En vérité, il te va si bien ton collier d'émeraudes, mon pauvre NdokengNdoke ! " estima Kolokolopoua tout en versant une larme. En effet, il arrive que les tortues pleurent, même si elles n'ont pas vraiment envie de pleurer. C'est dans leur nature.


Voici donc l'histoire que le vieux singe qu'on appelait Hého m'a contée. Elle pourrait également s'intituler : Un prêté pour un rendu, conclut le jeune homme de la fleur de bananier, en saluant son auditoire d'une profonde révérence."

*

*


1 800 vues

Posts récents

Voir tout
bottom of page