Kongelige Bibliotek, Gl. kgl. S. 3466 8º, Folio 43v
Étymologie :
SERRE, subst. fém..
Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1150 « ce qui serre, presse » ici « branche du mors d'un cheval » (Roman de Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 4604) ; b) α) 1481 mar. « planche servant au revêtement intérieur des membres du navire » (Bull. du Comité Trav. Hist., 1897, p. 109 ds IGLF) ; 1691 serre de mât (Ozanam) ; β) 1723 terme de fond. (Savary) ; γ) 1812 terme d'orfèvr. (Mozin-Biber) ; c) α) 1549 « fait d'être serré, pressé » (Rabelais, Sciomachie, III, 398 ds Hug.) ; β) 1732 « action de presser les fruits dans un pressoir » (N.-A. Pluche, Le Spectacle de la nature, t. 2, p. 363 ds Trév. 1752) ; 2. 1549 « griffe, ongle des oiseaux de proie » (Est., p. 668) ; fig. 1579 tenir en ses serres (H. Estienne, Prec., 130 ds IGLF).
B. 1. Ca 1220 « endroit clos, prison » (Gui de Cambrai, Barlaam et Josephat, 130 ds T.-L.) ; 2. 1642 « lieu où l'on met les fruits pour les conserver » (Oudin Fr.-Ital.) ; 1660 « lieu où on renferme les plantes » (Oudin Esp.-Fr.) ; 1762 serre chaude (Encyclop. Planches t. 1, p. 15b) ; fig. 1791 (Mirabeau, Collection, t. III, p. 232 ds Littré) ; 3. 1877 « local où à la banque, on garde les valeurs » (Littré Suppl.). Déverbal de serrer*.
La définition du nom ne donne pas cette acception.
Symbolisme :
Selon Guillaume Le Clerc de Normandie, dans son Bestiaire divin (premier tiers du XIIIè siècle), mis en français moderne par Gabriel Bianciotto dans Bestiaires du Moyen Âge (1980) :
"Il existe une bête que l'on nomme serre, dont le gîte ne se trouve pas sur terre, mais au fond de la vaste mer : cette bête n'est pas de petite taille, mais au contraire son corps est très volumineux ; elle possède de grandes ailes. Quand elle voit des nefs et des dromons [ navires à un ou plusieurs rangs de rames superposés] faire voile sur la mer, elle déploie ses ailes au vent, et fait voile de toute la vitesse dont elle est capable en direction du navire ; le vent la porte au-dessus des ondes salées et profondes. Elle vole longtemps de cette manière, jusqu'à ce qu'il ne lui soit pas possible d'aller plus loin ; alors elle retombe et s'avoue vaincue, et la mer l'absorbe et l'engloutit en l'attirant tout au fond. Les marins qui naviguent à travers les mers souhaitent ne jamais la rencontrer, car elle constitue un grand péril de mer, et elle cause souvent la perte des navires qu'elle parvient à rattraper.
Sans aucun doute, cette bête possède une importante signification symbolique. La mer vaste et profonde est le symbole de ce monde où nous vivons, qui est méchant, impitoyable, et aussi remplis de dangers que la mer. Les hommes qui font voile à travers la mer représentent les bons, qui naviguent à travers notre monde en maintenant leur navire sur le bon cap, à travers les vagues, les tourmentes, contre les périls et les vents. Il faut comprendre cela ainsi : ce sont là les bons, que celui qui ne cesse de faire la guerre aux hommes ne peut prendre par surprise, ni faire noyer. Les hommes sages et bons font voile à travers le monde, et naviguent si droit que le perfide Démon ne parvient pas à leur faire faire naufrage.
La bête dont je vous ai parlé, qui fait voile un moment à travers la mer, puis qui renonce à la lutte et qui retombe au plus profond des eaux, symbolise bien des hommes qui, au commencement, œuvrent selon le bien, aiment et servent Dieu ; mais quand arrive la traversée des périls : jouissances et plaisirs, convoitises, qui constituent de grands dangers et qui font renier Dieu à beaucoup d'entre eux, alors ils cessent de tenir le bon cap ; alors il leur faut nécessairement faire naufrage et tomber dans les calamités, dans les péchés et les injustices qui les attirent en bas, tout au fond, dans la demeure infernale."
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Pour Richard de Fournival dans Le Bestiaire d'amour (v. 1250), publié par Célestin Hippeau en 1860,
"La serre est un oiseau merveilleusement grand et fort, qui vole plus rapidement que les grues elles-mêmes, dont les ailes sont tranchantes comme des rasoirs. Il vole, il vole, à la suite de la nef ; mais quand il se voit dépassé par elle, quand il craint de ne pouvoir l'atteindre, il se laisse tomber au fond de la mer. Ainsi ferait cet amant qui semble vous être si fortement attaché. Il se découragerait bien vite, en trouvant votre volonté contraire à la sienne."
Dans les notes qu'il ajoute à l'ouvrage, Célestin Hippeau, traite en ces termes de cet animal fabuleux :
"La serre est un monstre ailé, qui habite les mers. Quand elle voit un vaisseau cingler à pleines voiles, elle étend ses ailes pour y recueillir tout le vent, et court de toutes ses forces en avant du vaisseau. Mais quand elle est fatiguée de ce travail inutile, elle replie ses ailes comme si elle s'avouait vaincue, et se laisse engloutir par les flots.
"Le monde est une mer que les hommes de bien traversent sans crainte ; et la serre est l'image d'hommes qui après avoir bien commencé, se découragent et se laissent vaincre par la paresse : ils succombent alors aux tempêtes, c'est-à-dire aux vices et aux péchés."
Pline a cité et non décrit [Livre IX, chap. II et Livre XXXII, chap. II] un animal auquel il donne le nom de serra. C'est peut-être celui dont parle Saint Isidore ; mais la description que celui-ci en fait, prouve qu'il n'a pas eu en vue le monstre que mentionnent les Bestiaires, serra nuncupatur, quia serratam cristam habet, et subter natans naves secat [Originum, Lib. II] ; ce qui pourrait désigner jusqu'à un certain point l'espadon ou la scie. La propriété d'arrêter les vaisseaux rappelle les récits dont l'echineis ou remora a été si souvent l'objet. Mais les ailes que lui donne Richard et les détails qu'y ajoute Philippe de Thau :
E teste ad de liun
E cue ad de peissun
[Il a une tête de lion et une queue de poisson] lui donne des rapports avec le dragon dont parle l'auteur des Proprietez des bestes : "quand le dragon voit une nef en la mer, et le vent est fort contre la voile, il se met sur le tref pour cueillir le vent pour soi refroidir, et est aucune fois le dragon si grand et si pesant, qu'il fait aucune fois verser la nef par sa pesanteur. Quand ceux de la nef le voient approcher, ils ôtent la voile pour échapper au danger." [B. de Xivrey, Traditions tératologiques]
Le grand péril de mer que rappelle l'idée de la serre, semble se rattacher aux traditions sur ces immenses serpents marins dont il est souvent question dans les poésies des peuples du Nord, et dans celles de nos écrivains du Moyen Âge. On trouve dans le Voyage de saint Brandaine au paradis terrestre :
Veint vers eals un marin serpenz
Qui enchaced plus tost que venz ;
Li fus de lui issi embraise
Cume une boche de fornaise,
Sans mesure grant est li cors
Plus braiet il que quinze tors,
Sur les undes que il muvet,
Par grant turment plus s'estuveit.
Toutes ces traditions réunies ont fini par donner l'idée du fameux serpent de mer (le kraken du Nord), décrit par Olaus Magnus et dont la première mention remonte sans doute jusqu'au Léviathan de la Bible.
Dans le fait raconté par nos auteurs, la circonstance capitale est ce découragement qui saisit la serre lorsque, pour nous servir des expressions de Pierre le Picard, "l'alaine li faut et que recroire le convient, par le grant travail et par les grandes ondes". Rien ne devait paraître plus propre que cette image à caractériser le manque de persévérance que les prédicateurs se plaignent si souvent de rencontrer parmi les chrétiens ; la vertu doit se mesure en effet, non sur l'intensité, mais sur la continuité des efforts."
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Selon Jacqueline Leclercq-Marx dans "Drôles d’oiseaux. Le caladre, le phénix, la sirène, le griffon et la serre dans le Physiologus, les Bestiaires et les grandes encyclopédies du XIIIe siècle. Mise en perspective", article publié dans Déduits d'oiseaux au Moyen Âge sous la direction de Chantal Connochie-Bourgne :
"Contrairement à la sirène et au griffon qui furent, ab origine, considérés comme des oiseaux, la serre ne le fut que tardivement et occasionnellement sur base d’assertions qui suggèrent une certaine parenté avec ceux-ci. C’est que le Physiologus la présentait comme une bête de mer qui poursuit les bateaux en se mettant à « voler », à « faire voile » pour reprendre le terme (velificare) qui est souvent utilisé dans les textes. C’est ainsi que son déplacement dans les airs finit par induire la présence d’ailes qui, plus que jamais, apparaissent comme des contreparties de nageoires. Ainsi, dans le Physiologus carolingien dit de Berne (f. 18 v), il est question d’un « poisson » (piscis) comportant des ailes – alas – et dans celui de Bruxelles (f. 142), de même que dans le De Bestiis, d’une « bête dans la mer » (belua in mare) dotée de « plumes » (pennas) « immenses » (immanes). Cet animal à la nature particulièrement instable fut même parfois présenté comme un authentique oiseau. Ainsi, dans son Bestiaire, v. 1105-1106, Gervaise décrit la serre comme un « oiseax » « qui unes longues pennes ha », même s’il la situe traditionnellement « dedenz la mer ». Et il existe un certain nombre de miniatures où l’ornitomorphisme est assez fortement accentué (fig. 7, p. 305). À noter que Thomas de Cantimpré et Albert le Grand n’ont fait que reprendre ce qui avait déjà été dit au sujet de la serre, et l’ont résolument classée parmi les animaux aquatiques. On leur doit toutefois d’avoir mis fin à une ambiguïté véhiculée au cours des siècles qui mêlait à sa nature celle du poisson-scie. À partir de nos encyclopédistes, il y eut donc deux serres – celle dont nous nous sommes déjà entretenus, et celle, munie d’un rostre redoutable qui est présentée comme appartenant à une autre espèce."
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