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La Luciole et le Ver luisant

Dernière mise à jour : 10 mars



Étymologie :


  • LAMPYRE, subst. masc.

Étymol. et Hist. a) 1542 lampyride (N. de Bris, Institut., f°107 rods Gdf. Compl.) ; b) 1803 lampyre (Boiste). Empr. soit du lat. lampyris, -idis, soit du gr. λ α μ π υ ρ ι ́ ς, -ι ́ δ ο ς dér. de λ α ́ μ π ε ι ν « briller ».


  • LUCIOLE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1704 lucciole (Trév.) ; 1823 luciole (Boiste). Empr. à l'ital. lucciola « luciole » (dep. 1300-1313, Dante, Inf. ds Batt.), dér. dimin. de luce « lumière », du lat. lux, lucis « id. ».


Vous pouvez lire les définitions de lampyre et luciole pour trouver des pistes de réflexion concernant la symbolique de cet insecte.

Le nom de cet animal est trompeur : le ver luisant n’est pas un ver, mais un scarabée qui émet une lumière froide. Le nom précis de l’animal de l’année 2019 est « grand lampyre ».

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Symbolisme :


Selon Hildegarde de Bingen, dans Physica, Le Livre des subtilités des créatures divines (texte original XIIe siècle ; traduction P. Monat, 2011) :


"le ver luisant est plus froid que chaud. Si quelqu'un souffre d'épilepsie, au moment où il tombe, on mettra, si on le peut, des vers luisants dans un linge qu'on lui attachera sur le nombril, et il retrouvera aussitôt ses forces."

 

Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :


"la luciole est traditionnellement, en Chine, la compagne des étudiants pauvres, auxquels elle fournit la lumière pour leurs travaux nocturnes.

Chez les montagnards du Viet-nam du Sud, si l'araignée est une forme de l'âme de l'homme ordinaire, celle des héros immortels se manifeste sous l'aspect d'une luciole.

Le Japon célèbre une fête des lucioles."

 

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Dans Le Livre des Fleurs (Librairie philosophique J. Vrin, 1989), Georges Ohsawa (Nyoiti Sakurazawa) tente de nous expliquer la délicatesse de ce qu'il appelle l'âme japonaise (au sens de ce que Rudolf Steiner appelle l'âme des peuples) à travers des coutumes ancestrales difficiles à appréhender pour des Occidentaux modernes :


"Rien n'est plus naïf que l'âme des Japonais et des Japonaises. Dans aucun autre pays on ne voit, je pense, des trains de plaisir organisés pour aller entendre le rossignol de minuit (hototogisu), contempler les cerisiers en fleurs, ou la première neige de l'automne qui pare les montagnes. En été, des affiches dans les gares invitent à la chasse aux lucioles. Mais il ne faut pas croire qu'il s'agit d'une véritable chasse, celle-ci est pour ainsi dire inconnue au Japon et d'importation très récente. Non, on fait un voyage aux pays de Hotaru pour admirer le vol des ces insectes lumineux, pour les prendre quelques fois dans la main, jouer un instant avec eux et les relâcher ensuite. "

 

Selon Éloïse Mozzani, auteure du Livre des superstitions, mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et réédition, 2019) il ne faut pas confondre ver luisant et luciole :


Le ver luisant, qui passe en Auvergne pour l'âme d'un enfant mort sans baptême et en Belgique pour celle d'un bâtard, porte bonheur à celui qui e trouve, lui promettant notamment du succès dans ses entreprises. S'il pénètre dans une maison, il empêche, en France, le lait de se cailler mais aux États-Unis présage la mort du chef de famille. Tuer un ver luisant, c'est amener la tristesse dans son foyer. Qu'on en fasse avaler un morceau à un homme et on le rend impuissant.

Les Belges prédisent le temps d'après le comportement du ver luisant : la pluie est proche s'il bouge sans cesse, le vent se lèvera s'il s'enfonce sous terre et le froid est à redouter lorsqu'il brille intensément et que ses pattes noircissent.

[...]

Appelé parfois "lumière des pauvres" ou "lumière du berger", car la luciole adulte (parfois confondue avec le ver luisant) est ailée et lumineuse, ce coléoptère apporte le bonheur à qui le voit dans la nuit de la Saint-Jean. La présence d'une luciole chez soi empêche le lait de tourner mais en manger une rend impuissant.

Selon les Anglo-Saxons, une luciole qui pénètre chez soi indique le meilleur comme le pire : elle peut présager un mariage ou une mort. Pour les Américains, voir de nombreuses lucioles présage la pluie ; il pleuvra également si elles volent bas.

En Jamaïque, voir une luciole au plafond annonce un visiteur ; en Nouvelle-Guinée, si plusieurs de ces insectes entrent dans une maison, on s'attend à l'arrivée de plusieurs étrangers.

En Chine, la luciole est "la compagne des étudiants pauvres, auxquels elle fournit la lumière pour leurs travaux nocturnes". Dans les montagnes du Viêt-Nam du Sud, l'âme des héros immortels prend l'aspect de l'insecte. Signalons encore que le Japon célèbre une fête des lucioles.

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Pour Melissa Alvarez, auteure de A la Rencontre de votre Animal énergétique (LLewellyn Publications, 2017 ; traduction française Éditions Véga, 2017), la Luciole est définie par les caractéristiques suivantes :


Traits : La luciole symbolise la lumière dans l'obscurité ainsi que le mystère et la magie de la vie. Au crépuscule, ces insectes ailés produisent de la bioluminescence pour attirer leurs proies ou leur compagnon. La lumière peut être jaune, verte ou rouge pâle. Même les larves de luciole émettent de la lumière, et on les désigne comme des "vers luisants". La luciole est un insecte nocturne qui préfère la nuit à la lumière du jour. La luciole mange peu, ce qui signifie que vous ne devez prendre que ce dont vous avez besoin. Ne gâchez rien.


Talents : Aspirations - Attraction - Éveil de conscience - Bonne humeur - Clarté - Créatif - Efficace - Encourageant - Énergique - Lumière qui guide - Bonheur - Plein d'espoir - Illumination - Perspicace - Inspiration - Joie - Majestueux - Noble - Optimiste - Patience - Amène de la lumière sur des idées nouvelles - Sans prétention.


Défis : Se surmène à trop travailler - Volage - Idéaliste.


Élément : Air - Terre.


Couleurs primaires : Noir - Orange - Jaune.


Apparitions : La luciole vous donne de l'espoir lorsque tout semble sombre. Elle éclaire votre chemin dans le voyage qu'est votre vie. La luciole signifie que, même si vous semblez terne dans la journée, lorsque vous brillez, vous rayonnez de votre lumière intérieure, que tous peuvent voir. Si quelqu'un regardait de près, il verrait cette lumière dans votre regard, mais personne n'en prend le temps. Votre beauté intérieure est merveilleuse à voir. Votre nature douce et attentionnée peut éclairer la voie de quiconque est perdu ou a besoin d'être guidé. Pour cette raison, vous êtes souvent l'épaule sur laquelle on pleure et vous êtes le premier à serrer quelqu'un dans vos bras, même s'il dit que tout va bien : vous voyez dans ses profondeurs et vous pouvez dire qu'il est en train de traverser quelque chose de difficile et qu'il a besoin d'être pris dans les bras. La luciole parle profondément à notre esprit, à l'essence qui est dans nos corps, en l'invitant à attirer la lumière d'autres personnes ayant les mêmes dispositions d'esprit. La lumière de la luciole ne comporte pas de chaleur : c'est un signe qui indique de prendre la vie à un rythme ordinaire, au lieu d'aller trop vite et de s'épuiser trop vite. La luciole vous encourage à mener une vie simple.


Aide : Vous avez besoin de vous illuminer vous-même pour voir votre être essentiel, voir qui vous êtes véritablement en esprit. La luciole signifie d'allumer votre feu intérieur, d'avoir la passion d'atteindre vos buts. La luciole vous aide à découvrir la liberté dans votre essence même et elle vous permet de laisser votre esprit voler librement dans la nuit. La luciole peut vous ouvrir le chemin lorsque vous êtes perdu ou que vous suivez aveuglément un mauvais chemin. Les clignotements de sa lumière vont attirer votre attention et vous faire sortir de la négativité pour entrer dans la clarté de l'être. La luciole vous montre que tout est possible à partir du moment où l'on y croit. Une conviction forte peut vous donner la capacité à manifester vos désirs les plus profonds. La luciole peut ouvrir la voie. Elle peut vous ramener des mémoires de l'innocence de votre enfance, vous permettre de vous rappeler qui vous êtes, et vous permettre de devenir qui vous êtes destiné à devenir.


Fréquence : L'énergie de la luciole est brillante et claire. Elle fait une traction très douce pour vous tourner vers la connaissance qui est au tréfonds de vous. Elle vacille en luisant, elle clignote de la sagesse de l'univers. Elle fait un son semblable à un doux frottement sur les cordes d'une harpe, accompagné du tintement de clochettes.


Imaginez...

La nuit tombe, et vous êtes assis sous le porche de votre maison, goûtant le soir d'été. Une minuscule étincelle de lumière jaune s'illumine dans le jardin. Quelques instants après, une autre se met à étinceler. En quelques minutes, il semble que votre jardin scintille de la lumière des lucioles. En vous souvenant de votre enfance, quand vous attrapiez les insectes pour les mettre dans un bocal percé de trous en haut, vous rôdez dans le jardin et en attrapez une dans le creux de vos mains que vous avez formées en coupe. En scrutant par l'interstice entre vos pouces, vous observez la luciole qui rampe avec sa lumière clignotante. Vous vous sentez nostalgique de votre jeunesse. En observant la luciole, vous avez le sentiment de vous connecter à quelque chose de bien plus grand que vous-même. L'essence de la pureté semble être contenue à l'intérieur de cette petite lumière scintillante. Vous pensez à vous en tant qu'être spirituel et comment votre lumière brille dans le monde pour que tous puissent le voir. Vous êtes semblable à la luciole, courageux et libre. Vous ouvrez vos mains. Elle rampe vers le bout de votre doigt, puis s'envole.

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Symbolisme celte :


Selon Gilles Wurtz, auteur de Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (Éditions Véga, 2014), "Les noms "ver luisant" et "luciole" désignent de petits coléoptères de la même famille, les lampyres. Plus précisément, "ver luisant" se rapporte à la femelle qui a l'apparence d'une larve.


Les vers luisants et les lucioles jouent un rôle majeur dans nos écosystèmes : à l'état de larve, ils sont très voraces et se nourrissent surtout de chenilles, de limaces et d'escargots dont ils limitent la prolifération. Ils les paralysent à l'aide d'un venin, puis les liquéfient en leur injectant des enzymes digestives avant de les manger. Adultes, ces petits insectes ne s'alimentent presque plus et, après la reproduction, ils se laissent dépérir. Les mâles trouvent les femelles grâce à la lumière qu'elles émettent. Cependant, à l'heure actuelle, la pollution lumineuse de plus en plus répandue nuit grandement à leur union, en rendant les mâles incapables de détecter les femelles.

Le ver luisant et la luciole sont extrêmement sensibles à la pollution par les pesticides. Leur présence est un bon indicateur naturel d'un environnement sain.


Applications chamaniques celtiques de jadis : Les vers luisants et les lucioles incarnaient la lumière dans les ténèbres, l'espoir dans l'obscurité. Il émanait également d'eux une part de magie et de mystère. Leur lumière symbolisait la lumière de la Source, l'essence de lumière originelle qui anime chaque être vivant. Pour les Celtes, cette essence pure représentait l'âme et l'esprit d'un individu, l'âme étant la pure lumière et l'esprit la pure conscience de l'essence. Le ver luisant et la luciole évoquaient cet aspect pur, originel et éternel qui ne peut pas devenir malade, se fragmenter ni disparaître. Une ressource intarissable, l'espoir d'un renouveau dans les moments les plus sombres. Ces petits animaux étaient les porteurs de lumière. Tous ceux qui les observaient en conscience pouvaient devenir témoin d'un moment de grâce, et surtout se rendre compte que cette lumière vive luit au cœur de chaque être vivant. Le ver luisant et la luciole reflétaient pour les Celtes l'étincelle de vie, où ils pouvaient puiser l'espoir et la force de se sortir des situations les plus obscures. Nos ancêtres avaient souvent recours à ces deux esprits... car ils connaissaient leur efficacité bienfaisante, salvatrice même, puisqu'ils montraient à la personne qui le leur demandait comment raviver son espoir vital.


Applications chamaniques celtiques de nos jours : De nos jours, travailler avec l'esprit du ver luisant et de la luciole aurait un impact bénéfique sur les personnes aux prises avec une dépression. Pouvoir retrouver puis nourrir l'espoir au plus profond de nous est en effet capital et salvateur. Le travail chamanique avec un de ces esprits lumineux, ou les deux, pourrait aussi être un outil pédagogique très puissant pour intégrer pleinement la notion d'essence pure en soi. Découragement, manque de confiance en soi, en la vie, sentiment de ne pas voir le bout du tunnel... nombreuses sont les situations quotidiennes que peuvent adoucir les bienfaits d'un travail chamanique avec les esprits du ver luisant et de la luciole.


Mots-clefs : La lumière dans le noir - L'espoir dans l'obscurité."

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Littérature :

Dans Smarra (1821) Charles Nodier évoque les lucioles :


"Semblables à ces insectes agiles que la nature a ornés de feux innocents, et que souvent, dans la silencieuse fraîcheur d'un courte nuit d'été, on voit jaillir en essaims du milieu d'une touffe de verdure, comme une gerbe d'étincelles sous les coups redoublés du forgeron. Ils flottent emportés par une légère brise qui passe, ou appelés par quelques doux parfums dont ils se nourrissent dans le calice des roses. Le nuage lumineux se promène, se berce inconsistant, se repose ou tourne un moment sur lui-même, et tombe tout entier sur le sommet d'un jeune pin qu'il illumine comme une pyramide consacrée aux fêtes publiques, ou à la branche inférieure d'un grand chêne à laquelle il donne l'aspect d'une girandole préparée pour les veillées de la forêt. Vois comme ils jouent autour de toi, comme ils frémissent dans les fleurs, comme ils rayonnent en reflets de feu sur les vases polis : ce ne sont point des démons ennemis. Ils dansent ; ils se réjouissent, ils ont l'abandon et les éclats de la folie. "

 

Et voici l'évocation pleine de poésie de la luciole par Jules Renard dans ses Histoires naturelles (1874) :


Le ver luisant I

Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.

II

Cette goutte de lune dans l’herbe !

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Le ver luisant


Ver luisant tu luis à minuit, Tu t’allumes sous les étoiles Et, quand tout dort, tu t’introduis Dans la lune et ronge sa moelle.


La lune, nid des vers luisants, Dans le ciel continue sa route. Elle sème sur les enfants, Sur tous les beaux enfants dormant, Rêve sur rêve, goutte à goutte.


Robert Desnos, "Le ver luisant" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.

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Voici le célèbre article de Pier Paolo Pasolini sur La Disparition des lucioles, paru dans le Corriere della sera, sous le titre « Le vide du pouvoir en Italie », le 1er février 1975 :


« La distinction entre fascisme adjectif et fascisme substantif remonte à rien moins qu’au journal il Politecnico, c’est-à-dire à l’immédiat après-guerre… » Ainsi commence une intervention de Franco Fortini sur le fascisme (l’Europeo, 26-12-1974) : intervention à laquelle, comme on dit, je souscris complètement et pleinement. Je ne peux pourtant pas souscrire à son tendancieux début. En effet, la distinction entre « fascismes » faite dans le Politecnico n’est ni pertinente, ni actuelle. Elle pouvait encore être valable jusqu’à il y a une dizaine d’années : quand le régime démocrate-chrétien était encore la continuation pure et simple du régime fasciste.


Mais, il y a une dizaine d’années, il s’est passé « quelque chose ». Quelque chose qui n’existait, ni n’était prévisible, non seulement à l’époque du Politecnico, mais encore un an avant que cela ne se passât (ou carrément, comme on le verra, pendant que cela se passait).

La vraie confrontation entre les « fascismes » ne peut donc pas être « chronologiquement » celle du fascisme fasciste avec le fascisme démocrate-chrétien, mais celle du fascisme fasciste avec le fascisme radicalement, totalement et imprévisiblement nouveau qui est né de ce « quelque chose » qui s’est passé il y a une dizaine d’années.

Puisque je suis écrivain et que je polémique ou, du moins, que je discute avec d’autres écrivains, que l’on me permette de donner une définition à caractère poético-littéraire de ce phénomène qui est intervenu en Italie en ce temps-là. Cela servira à simplifier et à abréger (et probablement aussi à mieux comprendre) notre propos.

Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. Après quelques années, il n’y avait plus de lucioles. (Aujourd’hui, c’est un souvenir quelque peu poignant du passé : un homme de naguère qui a un tel souvenir ne peut se retrouver jeune dans les nouveaux jeunes, et ne peut donc plus avoir les beaux regrets d’autrefois).

Ce « quelque chose » qui est intervenu il y a une dizaine d’années, nous l’appellerons donc la « disparition des lucioles ».


Le régime démocrate-chrétien a connu deux phases complètement distinctes, qui, non seulement, ne peuvent être confrontées l’une à l’autre, ce qui impliquerait une certaine continuité entre elles, mais encore qui sont devenues franchement incommensurables d’un point de vue historique. La première phase de ce régime (comme, à juste titre, les radicaux ont toujours tenu à l’appeler) est celle qui va de la fin de la guerre à la disparition des lucioles, et la seconde, celle qui va de la disparition des lucioles à aujourd’hui. Observons-les l’une après l’autre.


Avant la disparition des lucioles.

La continuité entre le fascisme fasciste et le fascisme démocrate-chrétien est totale et absolue. Je ne parlerai pas de ceci, dont on parlait aussi à l’époque, peut-être dans le Politecnico : l’épuration manquée, la continuité des codes, la violence policière, le mépris pour la constitution. Et je m’arrête à ce fait qui, par la suite, a compté pour une conscience historique rétrospective : la démocratie que les antifascistes démocrates-chrétiens ont opposée à la dictature fasciste était effrontément formelle.

Elle se fondait sur une majorité absolue obtenue par les votes d’énormes strates de classes moyennes et d’immenses masses paysannes, guidées par le Vatican. Cette direction du Vatican n’était possible que si elle se fondait sur un régime totalement répressif. Dans un tel univers, les « valeurs » qui comptaient étaient les mêmes que pour le fascisme : l’Eglise, la patrie, la famille, l’obéissance, la discipline, l’ordre, l’épargne, la moralité. Ces « valeurs » (comme d’ailleurs sous le fascisme) étaient « aussi réelles », c’est-à-dire qu’elles faisaient partie des cultures particulières et concrètes qui constituaient l’Italie archaïquement agricole et paléoindustrielle. Mais au moment où elles ont été érigées en « valeurs » nationales, elles n’ont pu que perdre toute réalité, pour devenir atroce, stupide et répressif conformisme d’Etat : le conformisme du pouvoir fasciste et démocrate-chrétien. Ne parlons pas du provincialisme, de la grossièreté et de l’ignorance des élites qui, à un niveau différent de celui des masses, furent les mêmes durant le fascisme et durant la première phase du régime démocrate-chrétien. Le paradigme de cette ignorance, ce furent le pragmatisme et le formalisme du Vatican.

Tout cela semble clair et incontestable aujourd’hui parce que les intellectuels et les opposants d’alors nourrissaient des espérances insensées. Ils espéraient que tout cela ne fût pas complètement vrai et que la démocratie formelle comptât au fond pour quelque chose. A présent, avant de passer avant la seconde phase, il me faut consacrer quelques lignes au moment de transition.


Pendant la disparition des lucioles.

A cette époque, la distinction entre fascisme et fascisme du Politecnico pouvait aussi s’opérer. En effet, aussi bien le grand pays qui était en train de se constituer dans le pays – la masse paysanne et ouvrière organisée par le P.C.I. – que les intellectuels les plus avancés et les plus critiques, ne se sont pas aperçus que « les lucioles étaient en train de disparaître ». Ils connaissaient assez bien la sociologie (qui, dans ces années-là, avait provoqué la crise de la méthode d’analyse marxiste), mais c’était des connaissances encore non vécues, essentiellement formelles. Personne ne pouvait soupçonner quelle serait la réalité historique du futur immédiat, ni identifier ce que l’on appelait alors le « bien-être » avec le « développement » qui devait réaliser pour la première fois pleinement en Italie ce « génocide » dont Marx parlait dans son Manifeste.


Après la disparition des lucioles.

Les « valeurs », nationalisées et donc falsifiées, du vieil univers agricole et paléocapitaliste d’un seul coup ne comptent plus. Eglise, patrie, famille, obéissance, ordre, épargne, moralité, ne comptent plus. Elles ne sur-vivent même plus en tant que fausses valeurs. Elles sur-vivent dans le clérico-fascisme émargé (même le M.S.I. les répudie pour l’essentiel). Les remplacent les « valeurs » d’un nouveau type de civilisation, complètement « autre » par rapport à la société paysanne et paléoindustrielle. Cette expérience a déjà été faite par d’autres Etats. Mais, en Italie, elle est entièrement particulière, parce qu’il s’agit de la première « unification » réelle subie par notre pays, alors que dans les autres pays elle se superpose, avec une certaine logique, à l’unification monarchique et aux unifications ultérieures de la révolution bourgeoise et industrielle. Le traumatisme italien dû au choc entre l’« archaïsme » pluraliste et le nivellement industriel n’a peut-être qu’un seul précédent : l’Allemagne d’avant Hitler. Là aussi, les valeurs des différentes cultures particularistes ont été détruites par l’homologation violente que fut l’industrialisation, avec pour conséquence la formation de ces gigantesques masses, non plus antiques (paysannes, artisanes) et pas encore modernes (bourgeoises), qui ont constitué le sauvage, l’aberrant, l’imprévisible corps des troupes nazies.

Il se passe quelque chose de semblable en Italie, et avec une violence encore plus grande, dans la mesure où l’industrialisation des années 60-70 constitue également une « mutation » décisive par rapport à celle de l’Allemagne d’il y a cinquante ans. Nous ne sommes plus, comme chacun le sait, en face de « temps nouveaux », mais d’une époque nouvelle de l’histoire humaine, de cette histoire humaine dont les cadences sont millénaristes. Il était impossible que les Italiens réagissent plus mal qu’ils ne l’ont fait à ce traumatisme historique. Ils sont devenus (surtout dans le Centre-Sud) en quelques années un peuple dégénéré, ridicule, monstrueux, criminel – il suffit de descendre dans la rue pour le comprendre. Mais, bien entendu, pour comprendre les changements des gens, il faut les comprendre. Moi, malheureusement, je l’aimais, ce peuple italien, aussi bien en dehors des schèmes du pouvoir (au contraire, en opposition désespérée avec eux) qu’en dehors des schèmes populistes et humanitaires. C’était un amour réel, enraciné dans mon caractère. J’ai donc vu avec « mes sens » le comportement imposé par le pouvoir de la consommation remodeler et déformer la conscience du peuple italien, jusqu’à une irréversible dégradation ; ce qui n’était pas arrivé pendant le fascisme fasciste, période au cours de laquelle le comportement était totalement dissocié de la conscience. C’était en vain que le pouvoir « totalitaire » répétait et répétait ses impositions de comportement : la conscience n’était pas impliquée. Les « modèles » fascistes n’étaient que des masques que l’on mettait et enlevait tour à tour. Quand le fascisme fasciste est tombé, tout est redevenu comme avant. On l’a aussi vu au Portugal : après quarante années de fascisme, le peuple portugais a célébré le 1er mai comme si le dernier qui eût été célébré avait été le précédent.

Il est donc ridicule que Fortini antidate la distinction entre fascisme et fascisme à l’immédiat après-guerre : la distinction entre le fascisme fasciste et le fascisme de la deuxième phase du pouvoir démocrate-chrétien n’a aucun terme de comparaison dans notre histoire ; non seulement dans notre histoire, mais aussi probablement dans toute l’histoire.

Mais je n’écris pas uniquement le présent article pour polémiquer à ce propos, même s’il me tient beaucoup à cœur ; je l’écris, en réalité, pour une raison très différente. La voici :

Tous mes lecteurs se seront certainement aperçu du changement des dignitaires démocrates-chrétiens : en quelques mois, ils sont devenus des masques funèbres. C’est vrai, ils continuent à étaler des sourires radieux d’une sincérité incroyable. Dans leurs pupilles se grumèle un vrai, un béat éclat de bonne humeur, quand ce n’est pas celui, goguenard, du mot d’esprit et de la rouerie. Ce qui, semble-t-il, plaît autant aux électeurs que le vrai bonheur. En outre, nos dignitaires continuent imperturbablement d’émettre leurs verbiages incompréhensibles où flottent les flatus vocis de leurs habituelles promesses stéréotypées.

En réalité, toutes ces choses sont bel et bien des masques. Je suis certain que, si on les enlevait, on ne trouverait même pas un tas d’os ou de cendres : ce serait le rien, le vide.


L’explication est simple : il y a, en réalité, aujourd’hui en Italie un dramatique vide du pouvoir. Mais c’est ceci qui compte : pas un vide du pouvoir législatif ou exécutif, pas un vide du pouvoir de direction, ni, enfin, un vide du pouvoir politique dans n’importe quel sens traditionnel ; un vide du pouvoir en soi.


Comment en sommes-nous arrivés à ce vide ? Ou, mieux, « comment les hommes du pouvoir en sont-ils arrivés là » ?

L’explication est, encore une fois, simple : les hommes du pouvoir démocrate-chrétien sont passés de la « phase des lucioles » à celle de la « disparition des lucioles » sans s’en rendre compte. Pour aussi quasiment criminel que cela puisse paraître, leur inconscience a été sur ce point absolue : ils n’ont en rien soupçonné que le pouvoir, qu’ils détenaient et géraient, ne suivait pas simplement une « évolution » normale, mais qu’il était en train de changer radicalement de nature.

Ils se sont leurrés à l’idée que, dans leur régime, rien n’évoluerait véritablement, que, par exemple, ils pourraient compter à jamais sur le Vatican, sans se rendre compte que le pouvoir, qu’eux-mêmes continuaient à détenir et à gérer, ne savait plus que faire du Vatican, ce foyer de vie paysanne, rétrograde, pauvre. Ils ont eu l’illusion de pouvoir compter à jamais sur une armée nationaliste (exactement comme leurs prédécesseurs fascistes) : ils n’ont pas vu que le pouvoir, qu’eux-mêmes continuaient à détenir et à gérer, manœuvrait déjà pour jeter les bases d’armées nouvelles transnationales, presque des polices technocratiques. Et l’on peut dire la même chose pour la famille, contrainte, sans solution de continuité avec le temps du fascisme, à l’épargne et à la moralité : aujourd’hui, le pouvoir de la consommation lui a imposé des changements radicaux, jusqu’à l’acceptation du divorce et à présent, potentiellement, tout le reste sans limites (ou du moins dans les limites autorisées par la permissivité du nouveau pouvoir, qui est plus que totalitaire puisqu’il est violemment totalisant).

Les hommes du pouvoir démocrate-chrétien ont subi tout cela, alors qu’ils croyaient l’administrer. Ils ne se sont pas aperçus qu’il s’agissait d’ « autre chose » d’incommensurable non seulement avec eux mais encore avec toute forme de civilisation. Comme toujours (cf. Gramsci), il n’y a eu de symptômes que dans le langage. Pendant la phase de transition – à savoir « durant la disparition des lucioles » – les hommes du pouvoir démocrate-chrétien ont presque brusquement changé leur façon de s’exprimer, en adoptant un langage complètement nouveau (du reste aussi incompréhensible que le latin) : spécialement Aldo Moro – c’est-à-dire (par une énigmatique corrélation) celui qui apparaît comme le moins impliqué de tous dans les actes horribles organisés de 1969 à aujourd’hui dans le but, jusqu’à présent formellement atteint, de conserver à tout prix le pouvoir.

Je dis « formellement » parce que, je le répète, dans la réalité, les dignitaires démocrates-chrétiens, avec leurs démarches d’automates et leurs sourires, cachent le vide. Le pouvoir réel agit sans eux et ils n’ont entre les mains qu’un appareil inutile, qui ne laisse plus de réels en eux que leurs mornes complets vestons.

Toutefois, dans l’histoire, le « vide » ne peut demeurer ; on ne peut l’affirmer que dans l’abstrait ou dans un raisonnement par l’absurde. Il est probable qu’en effet le « vide » dont je parle soit déjà en train de se remplir, à travers une crise et un redressement qui ne peuvent pas ne pas ravager tout le pays. L’attente « morbide » d’un coup d’Etat en est, par exemple, un indice. Comme s’il s’agissait seulement de « remplacer » le groupe d’hommes qui nous a effroyablement gouvernés pendant trente ans, en menant l’Italie au désastre économique, écologique, urbaniste, anthropologique ! En réalité, le faux remplacement de ces « têtes de bois » par d’autres « têtes de bois » (non pas moins, mais encore plus funèbrement carnavalesques), réalisé par le renforcement artificiel du vieil appareil du pouvoir fasciste, ne servirait à rien (et qu’il soit clair que, dans un tel cas, la « troupe » serait, de par sa composition même, nazie). Le pouvoir réel, que depuis une dizaine d’années les « têtes de bois » ont servi sans se rendre compte de sa réalité – voilà quelque chose qui pourrait avoir déjà rempli le « vide » (en rendant également vaine la participation possible au gouvernement du grand pays communiste qui est né au cours de la dégradation de l’Italie : car il ne s’agit pas de « gouverner »). De ce « pouvoir réel », nous nous faisons des images abstraites et, au fond, apocalyptiques : nous ne savons pas quelles formes il prendrait pour directement remplacer les serviteurs qui l’ont pris pour une simple « modernisation » de techniques. De toute manière, en ce qui me concerne (si cela peut intéresser le lecteur), que ceci soit net : je donnerai toute la Montedison, encore que ce soit une multinationale, pour une luciole.

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Georges Didi-Huberman défend, dans Le Monde des Livres de décembre 2009, les "trouées de lumière" qui, comme des lucioles, éclairent notre époque. Il répond ainsi au pessimisme de l'article de Pasolini sur "La disparition des lucioles", publié en 1975 :


"Or nous, devons, pour cela, assumer nous-mêmes la liberté du mouvement, le retrait qu ne sot pas repli, la force diagonale, la faculté de faire apparaître des parcelles d'humanité, le désir indestructible. Nous devons donc nous-mêmes - en retrait du règne et de la gloire, dans la brèche ouverte entre le passé et le futur - devenir des lucioles et reformer par là une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre. Dire oui dans la nuit traversée de lueurs, et ne pas se contenter de décrire le non de la lumière qui nous aveugle [...]. Les lucioles, il ne tient qu'à nous de ne pas les voir disparaître. Peuple-luciole, c'est d'eux qu'une communauté peut se redéfinir".

 

Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque également la Luciole :

16 novembre

(La Bastide)


Minuit. Le ciel bénit l'horizon du nord en l'aspergeant de météorites. Baptême sidéral.

Je songe aux lucioles de mai.

Au siècle dernier, les Brésiliennes piquaient ces insectes phosphorescents dans leurs chevelures pour être plus belles. Lumière et séduction. Luciférine et tentation.

Sujet de rédaction :

Ordonnez vos idées sur la coquetterie humaine, en donnant la parole à la luciole qu'on épingle.

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Patrick Chamoiseau conclut son manifeste Frères Migrants (in Déclaration des poètes, Institut du Tout-monde, Le Seuil, 2017) par un seizième article :


16. Frères migrants, qui le monde vivez, qui le vivez bien avant nous, frères de nulle part, ô frères déchus, déshabillés, retenus et détenus partout, les poètes déclarent en votre nom que le vouloir commun contre les forces brutes se nourrira des infimes impulsions. Que l'effort est en chacun dans l'ordinaire du quotidien. Que le combat de chacun est le combat de tous. Que le bonheur de tous clignote dans l'effort et la grâce de chacun, jusqu'à nous dessiner un monde où ce qui verse et se déverse par-dessus les frontières et se transforme là même, de part et d'autre des murs et de toutes les barrières, en cent fois cent fois cent millions de lucioles ! - une seule pour maintenir l’espoir à la portée de tous, les autres pour garantir l'ampleur de cette beauté contre les forces contraires."

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Dans le roman policier Le Parme convient à Laviolette (Éditions Denoël, 2000), Pierre Magnan évoque ainsi la lumière étrange des lucioles :


"Il avait envie de détourner les yeux devant lui-même, mais il avait eu le temps de distinguer un éclair blanc fugitif à côté de son reflet blafard. C'était dans la profondeur du miroir un éclat insolite qui brillait sous les rayons de la lune, qui scintillait à mesure que l'astre changeait de place dans la nuit. Darius tout d'abord se dit : " Ce sera quelque cul de bouteille qui accroche les reflets. Avance ! Il va être quatre heures ! Ils doivent déjà avoir préparé l'eau bouillante !"

Il rangea le miroir et le peigne. Il pivota sur lui-même vers la descente. Maintenant, il pouvait voir la chose de face, dans un écrin d'ombre et qui brillait de plus belle.

- Un ver luisant ! s'exclama Darius à voix basse. Qu'est-ce que tu racontes ! Tu es pas un peu momo ? Un ver luisant en novembre !

Et d'ailleurs un lampyre c'est vert et la chose brillait jaune. Dans l'épaisse jugeote de Darius une certitude se faisait jour à laquelle il n'osait croire encore.

- On dirait... Mai


s non, je rêve !

Il était là, en une immobilité minérale, les pieds prenant racine, la respiration réprimée au milieu d'un soupir, aux aguets d'un silence plus inquiétant encore que tout à l'heure le bruit de pas.

Il regardait fixement se moirer diversement aux caprices du clair de lune cette chose au fond de l'ombre qui n'était ni un cul de bouteille ni un ver luisant et qui paraissait étrangement lui faire signe.

- On dirait..., répéta Darius.

Il n'osait prononcer le mot.

- On dirait un louis d'or ! acheva-t-il dans un souffle."

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Cinéma :


Le Tombeau des Lucioles, film d'animation japonais de Isao Takahata du studio Ghibli, sorti en 1988. Il est adapté de La Tombe des lucioles, nouvelle semi-autobiographique écrite en 1967 par Akiyuki Nosaka :





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