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La GuĂȘpe

  • Photo du rĂ©dacteur: Anne
    Anne
  • 5 mars 2017
  • 23 min de lecture

DerniĂšre mise Ă  jour : 17 mars 2024


Étymologie :


  • GUÊPE, subst. fĂ©m.

Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1180 wespe entomol. (M. de France, Fables, Ă©d. K. Warnke, 65, 28) ; b) 1783 taille en guĂȘpe (Restif de La Bret., Contemp. du commun, p. 165) ; 1829 taille de guĂȘpe (Janin, Âne mort, p. 214) ; 2. 1829 fig. « personne d'un esprit railleur » (Boiste). Du lat. vespa « guĂȘpe » devenu *wespa par croisement avec l'a. b. frq. *waspa de mĂȘme sens, d'oĂč sont issus l'a. h. all. wafsa « id. », le nĂ©erl. wesp « id. » et l'all. Wespe « id. ».


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.




Zoologie :


Selon Frans de Waal, auteur de Sommes-nous trop "bĂȘtes" pour comprendre l'intelligence des animaux (Édition originale 2016 ; traduction française : Éditions Les Liens qui LibĂšrent, 2016) :


"La confĂ©rence de Tinbergen m'a rappelĂ© tous ses exploits, notamment la dĂ©couverte de la cognition animale, mĂȘme s'il n'a jamais utilisĂ© le terme. Il avait Ă©tudiĂ© la façon dont les sphex retrouvent leur nid aprĂšs un long trajet. Ces guĂȘpes, qu'on appelle aussi philanthus, capturent et paralysent une abeille, la traĂźnent jusqu'Ă  leur nid dans le sable (un long terrier) et la laissent lĂ  en pĂąture Ă  leurs larves. Avant de partir chasser l'abeille, elles effectuent un petit vol d'orientation pour mĂ©moriser le lieu discret de leur terrier. Tinbergen a placĂ© des objets autour du nid - un cercle de pommes de pin, par exemple - afin de voir quelles informations elles utilisent pour retrouver leur chemin. Il a rĂ©ussi Ă  piĂ©ger les guĂȘpes : en dĂ©plaçant les pommes de pin, il les a amenĂ©es Ă  chercher au mauvais endroit. Son Ă©tude portait sur la rĂ©solution d'un problĂšme spĂ©cifique Ă  l'histoire naturelle d'une espĂšce : c'est exactement le sujet de la cognition Ă©volutive. Les guĂȘpes se sont rĂ©vĂ©lĂ©es trĂšs douĂ©es pour cette tĂąche particuliĂšre.

[...]

Les guĂȘpes polistes fuscatus vivent dans de petites colonies hiĂ©rarchiques oĂč il est utile de reconnaĂźtre chaque individu. Leurs masques faciales jaune et noir leur permettent de se distinguer. Une espĂšce de guĂȘpe trĂšs proche mais dont la vie sociale est moins diffĂ©renciĂ©e ne possĂšde pas la reconnaissance des visages ; cela montre Ă  quel point la cognition dĂ©pend de l'Ă©cologie.

[...]

Certaines guĂȘpes communes dans le Midwest amĂ©ricain, les polistes fuscatus, vivent en sociĂ©tĂ©s trĂšs structurĂ©es ; il y a une hiĂ©rarchie parmi les reines fondatrices, qui dominent toutes les ouvriĂšres. Chaque guĂȘpe doit connaĂźtre sa place, car la compĂ©tition est rude. La reine alpha pond plus d’Ɠufs que la reine bĂȘta, et ainsi de suite. Les guĂȘpes de cette petite colonie sont agressives envers les Ă©trangĂšres, mais aussi envers les femelles dont les marques faciales ont Ă©tĂ© altĂ©rĂ©es par les expĂ©rimentateurs. Elles se reconnaissent mutuellement grĂące Ă  des motifs jaune et noir tout Ă  fait diffĂ©rents sur les visages de chaque femelle. Les scientifiques amĂ©ricains Michael Sheedan et Elizabeth Tibbetts ont testĂ© leur reconnaissance individuelle et dĂ©couvert qu'elle est aussi spĂ©cialisĂ©e que celle des primates et des moutons. Ces guĂȘpes reconnaissent les faciĂšs de leur propre espĂšce bien mieux que d'autres stimuli visuels. Elles sont aussi bien meilleures dans cette tĂąche que d'autres guĂȘpes qui sont leurs proches parentes mais vivent dans une colonie fondĂ©e par une seule reine. Ces derniĂšres n'ont presque pas de hiĂ©rarchie, et leurs visages sont bien plus homogĂšnes. Elles n'ont pas besoin de la reconnaissance individuelle. [
] Les guĂȘpes n'ont pas le gros cerveau des primates et des moutons – elles ont des jeux minuscules de ganglions nerveux. Elles doivent donc s'y prendre d'une autre maniĂšre. Les biologistes soulignent sans cesse la distinction entre mĂ©canisme et fonction : il est trĂšs courant que des animaux arrivent au mĂȘme rĂ©sultat (la fonction) par des moyens diffĂ©rents (le mĂ©canisme).

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Croyances populaires :


Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Les GuĂȘpes attirent l'attention des campagnards : les nids sont parfois dans les granges et le plus souvent dans la terre. Ceux qui font les foins, les faucheurs en particulier, sont souvent piquĂ©s. On prĂ©tend que les personnes qui mettent une poignĂ©e d'herbe en bouche peuvent s'approcher des nids sans ĂȘtre piquĂ©es (VallĂ©e d'Illiez). A Nendaz, Ă  HĂ©rĂ©mence, on prĂ©cise qu'il faut alors marcher Ă  4 pattes. Le Renard agirait ainsi et pourrait dĂ©terrer les nids impunĂ©ment (EvolĂšne). Il existerait des hommes qui seraient de vrais charmeurs de GuĂȘpes : Ă  Forclaz on cite le cas d'un homme qui prenait deux brindilles fraĂźches de MĂ©lĂšze, les plaçant en forme de croix entre les dents. La condition est d'avoir la foi, dit-on. Son petit-fils aurait aussi ce « pouvoir ». La mĂȘme idĂ©e des brindilles en croix se retrouve Ă  Nendaz. On ajoute que les faibles d'esprit ne sont pas piquĂ©s et d'autre part que trois piqĂ»res tuent un homme.

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Selon Ignace MARIÉTAN, auteur d'un article intitulĂ© "Un nid de frelons." paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1952, n°69, pp. 97-98 :


Les campagnards redoutent les guĂȘpes, surtout celles qui nichent dans la terre ; en fauchant ils les irritent et se font piquer. Ils les craignent aussi pour le bĂ©tail qui se fait piquer en broutant prĂšs des nids ; il s'affole alors et des accidents peuvent survenir dans les endroits abrupts.

Des lĂ©gendes circulent au sujet des guĂȘpes : on prĂ©tend que les personnes qui mettent une poignĂ©e d'herbes en bouche peuvent s'approcher des nids sans ĂȘtre piquĂ©es. A Nendaz, Ă  HĂ©rĂ©mence on prĂ©cise qu'il faut alors marcher Ă  quatre pattes. Le renard agirait ainsi, c'est pourquoi il peut dĂ©terrer les nids impunĂ©ment (EvolĂšne). Il existerait des hommes qui seraient de vrais charmeurs des guĂȘpes : Ă  Forclaz on cite le cas d'un homme qui prenait deux brindilles fraĂźches de mĂ©lĂšze, les plaçant en forme de croix entre ses dents. La condition est d'avoir confiance dans ce procĂ©dĂ©, dit-on. Son petit-fils aurait aussi ce pouvoir. La mĂȘme idĂ©e des brindilles en croix se retrouve Ă  Nendaz. On ajoute que les faibles d'esprit ne sont pas piquĂ©s.

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Symbolisme :


D'aprÚs Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dans le Dictionnaire des symboles (1Úre édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"La guĂȘpe maçonne qui narcose les araignĂ©es sur lesquelles se dĂ©veloppent ses larves et vit Ă  proximitĂ© de l'homme, bĂątissant son nid dans les cheminĂ©es et sur les murs des cases, jour un rĂŽle important dans le bestiaire symbolique et mythologique africain. En RhodĂ©sie du Nord, elle est considĂ©rĂ©e comme le chef de tous les oiseaux et reptiles de la terre. MaĂźtresse du feu, ce fut elle qui l'obtint de Dieu, Ă  l'origine des temps, pour le transmettre aux hommes. Pour les Bambaras du Mali, insigne d'une classe d'initiĂ©s supĂ©rieurs, elle incarne le pouvoir de sublimation, de transfiguration, de mutation du profane en sacrĂ©."

Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et lĂ©gendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), ÉloĂŻse Mozzani nous propose la notice suivante :


Selon une lĂ©gende du Morbihan, un jour, JĂ©sus, en compagnie de saint Pierre et de saint Jean, "s'amusait Ă  crĂ©er diffĂ©rentes espĂšces de mouches". Le diable, attirĂ© par ce manĂšge, , voulut faire aussi bien. Il "chercha longtemps, fit et dĂ©fit son ouvrage, puis finit par crĂ©er les guĂȘpes. JĂ©sus aussitĂŽt crĂ©a les abeilles, et dit que, pour juger de la valeur des unes et des autres, il fallait les considĂ©rer dans tous leurs aspects. AprĂšs un minutieux examen, on reconnut qu'au point de vue de la couleur et de la taille les guĂȘpes pouvaient rivaliser avec les abeilles ; mais que pour le caractĂšre et le savoir-faire, les abeilles l'emportaient d'emblĂ©e".

Quelques croyances sont communes Ă  ces deux insectes : la guĂȘpe, comme l'abeille, ne pique que les coureurs de jupons et sept de ses attaques peuvent provoquer la mort. Sa piqĂ»re soulage les rhumatismes. DerniĂšre particularitĂ© commune : une vierge peut traverser un essaim de guĂȘpes sans danger.

En Belgique, c'est sainte Agathe qu’il faut prier en cas de piqĂ»re de guĂȘpe.

Tuer la premiĂšre guĂȘpe de l'annĂ©e, disent les Anglais, porte bonheur et protĂšge de ses ennemis toute l'annĂ©e.

Dans les environs de Rennes, on soutient que la guĂȘpe poursuit de sa haine tenace celui qui a tentĂ© de la chasser et peut le reconnaĂźtre au bout de quelques jours.

Selon le dicton de la CĂŽte-d'Or, "annĂ©e de guĂȘpes, annĂ©e de bon vin". Dans les Vosges, l'abondance de guĂȘpes est signe de sĂ©cheresse et de fertilitĂ©.

Les Indiens IkĂŒngens de l'Ăźle de Vancouver frottaient le visage des guerriers de guĂȘpes rĂ©duites en cendres pour les rendre "aussi batailleurs" que ces insectes tandis qu'ils administraient "intĂ©rieurement Ă  des femmes stĂ©riles" une dĂ©coction de nids de guĂȘpes croyant les rendre aussi prolifiques que ces derniĂšres.

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D'aprĂšs Diana Cooper, auteure du Guide des archanges dans le monde animal (Ă©dition originale 2007 ; traduction française : Éditions Contre-dires, 2018) :


Le travail de l'Ăąme de ces petites crĂ©atures vaillantes mais effrayantes est de nous enseigner les avantages de la gĂ©omĂ©trie sacrĂ©e en construisant leurs nids selon les mĂ©thodes qu'elles ont apprises sur la planĂšte Sirius. Les anges chantent au-dessus des nids en crĂ©ant des harmoniques, donc il y a toujours des Ă©lĂ©mentaux autour des nids de guĂȘpes.

Et leur mission de service est de polliniser, de rendre au piÚge et de dévorer les insectes et les parasites pour maintenir l'équilibre écologique en harmonie.

Les guĂȘpes vont donner leur vie pour sauver leurs camarades et elles enseignent donc aussi le sacrifice rĂ©alisĂ© pour le plus grand bien de la communautĂ© dans son ensemble.

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Karsten Massei nous explique dans son essai intitulĂ© Les Offrandes des Abeilles (Édition originale, 2015 ; traduction française : Éditions de l’Émeraude, 2017) que les animaux et les hommes sont unis par des liens spirituels Ă©troits :


GrĂące Ă  son entitĂ© spirituelle, la guĂȘpe est trĂšs liĂ©e Ă  ce que vit l'homme par sa pensĂ©e, son intelligence et tout ce qui lui permet de comprendre les rĂ©alitĂ©s vivantes extĂ©rieures. La guĂȘpe est bien un miroir pour l'intelligence humaine, celle qui se limite au matĂ©riel et aux faits perceptibles par les sens. La vie de la guĂȘpe est une illustration de cette pensĂ©e raisonnable.

On dĂ©couvre ainsi qu'au contraire des abeilles, les guĂȘpes n'ont pas accĂšs au processus de chaleur. Elles ne sont pas capables d'en gĂ©nĂ©rer. La guĂȘpe paraĂźt froide, et ce, Ă  juste titre. Elle est entourĂ©e d'un Ă©clat superficiel, frais, argentĂ©, tout Ă  l'inverse de ce qu'Ă©met l'abeille, le fameux chaud rayonnement de l'entitĂ© de l'abeille. Ce contraste entre abeille et guĂȘpe se rĂ©vĂšle aussi dans les matĂ©riaux diffĂ©rents qu'elles utilisent pour construire leurs nids. Tandis que la guĂȘpe Ă©labore et utilise une matiĂšre proche du papier, l'abeille construit et emploie de la cire. La diffĂ©rence entre papier et cire exprime le contraste entre l'entitĂ© fraĂźche et argentĂ©e de la guĂȘpe et celle, chaude et lumineuse, de l'abeille.

Pour autant, l'action de la guĂȘpe n'est pas sans importance pour l'abeille et ses missions. La guĂȘpe prend sur elle un peu de la pression que la suprĂ©matie de la pensĂ©e raisonnable fait peser sur tous les animaux, dont les abeilles. Les abeilles en sont libĂ©rĂ©es d'autant. La guĂȘpe est donc une entitĂ© qui enveloppe et protĂšge les abeilles, qui les dispense d'une partie des consĂ©quences nĂ©gatives de cette froide pensĂ©e humaine, celle que les hommes d'aujourd'hui, plus que jamais, pratiquent et gravent profondĂ©ment dans les processus vitaux de la terre. GrĂące Ă  la guĂȘpe, l'abeille est plus libre, plus lĂ©gĂšre pour vaquer Ă  ses missions. Il revient donc lĂ©gitimement aux guĂȘpes une partie du miel qu'Ă©laborent les abeilles.

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Mythologie :


Dimitri Karadimas dĂ©taille dans un article intitulĂ© "L'hĂŽte parasitĂ© chez les insectes comme un modĂšle de reproduction chez les Miraña d'Amazonie colombienne" paru dans Les insectes dans la tradition orale - Insects in oral literature and traditions sous la direction de Élisabeth MOTTE-FLORAC & Jacqueline M. C. THOMAS, 2003, Paris-Louvain, Peeters-SELAF) les liens qui unissent le hĂ©ros Ă  la guĂȘpe :


Passons maintenant Ă  l'identitĂ© du hĂ©ros culturel "Souffleur de Sarbacane" ou Lune, puisque c'est lui qui est reprĂ©sentĂ© dans la premiĂšre phase du rituel sous les traits d'un masque grimaçant et agressif portant sous sa jupe un grand pĂ©nis sculptĂ© avec lequel il tente de copuler avec les humains ; djĂ­htĆĄffĂČ terme qui sert Ă  le nommer (de djĂ­htĆĄĂ© "souffler", "projeter par le souffle" et -Ă­:'ĂČ (classificateur nominal "long et fin"), est le mĂȘme que celui qui dĂ©signe la guĂȘpe Pepsis heros, ainsi que d'autres guĂȘpes solitaires au comportement parasitoĂŻde. Certaines de ces guĂȘpes solitaires au corps Ă  reflets mĂ©talliques (comme certaines espĂšces de la famille des Sphecidae et, plus particuliĂšrement, du genre impulex) sont, par leur aspect brillant, directement associĂ©es Ă  une nature cĂ©leste par les Miraña. Le dictionnaire Bora-Espagnol de Thiesen & Thiesen (1998 : 170) fait la mĂȘme association entre le protagoniste du mythe et l'hymĂ©noptĂšre :

« IlĂ­jchuĂ­ihyo / IlĂ­Jchuri : avispa tarĂĄntula (especie de avispa grande y negra que hace su nido en la tierra & Nombre de un personaje de cuentos folklĂłricos.) [guĂȘpe tarentule (espĂšce de guĂȘpe grande et noire qui fait son nid dans la terre) & Nom d'un personnage de contes folkloriques]. »

Or il s'agit bien du mĂȘme personnage mythologique prĂ©sentĂ© dans le rituel : en d'autres termes, "Souffleur de Sarbacane" n'est autre qu'une guĂȘpe pompile (Pepsis heros, le plus grand pompile connu) —parfois les scolies sont aussi dĂ©signĂ©es par ce terme mais elles pondent sur des larves de scarabĂ©es alors que les pompiles pondent sur des araignĂ©es (Figure l), ce que sont les beaux-frĂšres du mythe. Pour d'autres informateurs, le nom de Itun est prĂȘtĂ© Ă  l'autre, sans qu'il y ait d'identitĂ© entre les deux (l'un et l'autre sont des "Souffleurs" ou des grands guerriers solitaires).

La caractĂ©ristique principale prĂȘtĂ©e aux hĂ©ros mythiques (pĂšre et fils) est d'utiliser leur sarbacane (pour le fils, celle de son pĂšre) et d'en user contre l'ensemble des habitants de la terre. Or la sarbacane est perçue par les Miraña comme Ă©quivalente au membre viril masculin. L'aiguillon des guĂȘpes est Ă©galement dĂ©crit comme un pĂ©nis, ainsi que l'est la tariĂšre ou l'ovipositeur chez d'autres insectes (il faut d'ailleurs faire remarquer que l'aiguillon des hymĂ©noptĂšres n'est qu'un ovipositeur modifiĂ©).

C'est suivant ce mĂȘme principe que l'insecte arlequin Acrocinus longimanus est le "MaĂźtre" de I'arbre juanzoco (en espagnol local : note 1) Ă  partir de la sĂšve duquel sont confectionnĂ©s les "visages" des masques du rituel. L'arlequin est attirĂ© par les arbres blessĂ©s qui produisent une sĂšve abondante : ce qui est le cas du juanzoco lorsqu'il est utilisĂ© pour la prĂ©paration des masques. Certains informateurs lui donnent la paternitĂ© des dessins prĂ©sents sur les masques. Tout insecte dotĂ© d'un important ovipositeur est potentiellement un reprĂ©sentant du MaĂźtre des animaux; ainsi les bousiers qui entrent comme cimiers des masques dans la maloca lors du rituel sont emblĂ©matiques de ce type de comportement reconnu Ă  Pepsis heros et aux guĂȘpes solitaires, dans le mythe.

Pour certains informateurs miraña, c'est l'abdomen de la guĂȘpe qui est comparĂ© Ă  une sarbacane, et l'aiguillon (nĂš:ĂłgwĂ ) Ă  une flĂ©chette de sarbacane (ĂĄ:mĂčĂ­gwĂč). Dans cette comparaison basĂ©e sur une analogie formelle et fonctionnelle, les informateurs estiment que l'abdomen est « comme la sarbacane de la guĂȘpe et l'aiguillon sa flĂ©chette». Ce qui est ainsi prĂȘtĂ© Ă  la guĂȘpe pompile —et, plus largement, Ă  l'ensemble des guĂȘpes—, est justement de possĂ©der le mĂȘme dard dont elle se sert comme d'un pĂ©nis. Le mĂȘme verbe bĂ©Ăč:ßù dĂ©signe de la sorte, pour une flĂ©chette ou pour le membre viril, l'action de pĂ©nĂ©trer (utilisĂ© au figurĂ© et en transitif, ce terme Ă©voque le plaisir sexuel et devient un Ă©quivalent "d'intromission") et renvoie proprement Ă  la notion "d'insĂ©mination".

Pour certains Miraña toutefois, cette guĂȘpe n'est pas vraiment classĂ©e parmi les guĂȘpes (mĂș:mĂčkĂČ) parce qu'elle n'a pas de ruche et qu'elle "se retrouve un peu partout" (Scolia peregrina appartient aussi Ă  cette catĂ©gorie). Ainsi, les guĂȘpes solitaires ne sont pas classĂ©es dans cette catĂ©gorie parce qu'elles ne vivent pas en collectivitĂ© (caractĂ©ristique des guĂȘpes sociales). Pourtant, affirment les Miraña, « elle possĂšde un dard (pĂ©nis) pour tuer. Et les animaux qu'elle va tuer, elle va faire un tube dans la terre. qui va ĂȘtre la maison oĂč elle va transformer sa proie en elle-mĂȘme. Plus ou moins aprĂšs quinze jours, elle a dĂ©jĂ  transformĂ© sa proie en elle-mĂȘme : sa proie est n'importe quel insecte. ».

Or le fait que le hĂ©ros du mythe mange d'abord ses oncles maternels puis sa mĂšre pour venger son pĂšre lors d'un des Ă©pisodes du mythe serait une prĂ©sentation anthropomorphe du comportement que rĂ©alise la larve de la guĂȘpe lorsqu'elle consomme le corps de l'insecte qu'elle parasite et qui, de la sorte, devient une "mĂšre" (2).


1) : Couma macrocarpa Barb. Rodr. (Apocynaceae).

2) : Dans cette comparaison d'ailleurs, il est intĂ©ressant de faire remarquer que la "sƓur" des singes douroucoulis — et mĂšre du hĂ©ros Soleil-du-Milieu — est un kinkajou (Potos fluvus (Schreber) ; Carnivora : Procuonidae). Celui-ci est classĂ© parmi les singes par les Miraña et dĂ©signĂ© communĂ©ment comme macaco-de-noite (singe de nuit) au BrĂ©sil. Pepsis heros s'attaque Ă©galement aux mygales dans de spectaculaires combats dans lesquels le vainqueur n'est d'ailleurs pas connu d'avance. II arrive que l'araignĂ©e ait le dessus sur la guĂȘpe : Ă  l'aide de ses chĂ©licĂšres, elle lui sectionne la tĂȘte lorsque l'hymĂ©noptĂšre s'avance prĂšs de l'ouverture du terrier —un conduit vertical ou qu'elle soulĂšve I'opercule qui l'obstruait. L'araignĂ©e se nourrit des sucs et le corps sans tĂȘte est souvent retrouvĂ© Ă  l'entrĂ©e d'un terrier. La dĂ©capitation du pĂšre du hĂ©ros (la guĂȘpe ou Lune) par ses beaux-frĂšres (l'araignĂ©e, les quatre singes douroucoulis, ou Orion) dans le mythe semble redevable de ce comportement. Pour les Miraña, les mygales (pĂĄ:gwĂ hĂŹ) sont avec les araignĂ©e chasseresses tĂ©'mĆŸ dans une relation similaire Ă  celle du kinkajou et des douroucoulis : c'est-Ă -dire qu'ils sont des germains. En revanche, nous ne sommes pas en mesure d'affirmer si, sur le mĂȘme modĂšle d'homonymie entre les araignĂ©es et les douroucoulis, les mygales peuvent ĂȘtre dĂ©signĂ©es comme des kinkajous (gwĂĄtĆĄĂ ) (ou inversement).

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Dimitri KARADIMAS revient sur un aspect de la mythologie miraña dans l'article suivant : "La métamorphose de Yurupari : flûtes, trompes et reproduction rituelle dans le Nord-Ouest amazonien" paru dans le Journal de la Société des Américanistes, 2008, vol. 94, n°94-1, pp. 127-169 :


Les Miraña font Ă©galement une association entre ces trompes d’écorce enroulĂ©e et les sarbacanes dont le corps est recouvert d’une Ă©corce enroulĂ©e, mais « à l’envers ». Par cette premiĂšre opposition signalĂ©e par les Miraña, retenons que la sarbacane est construite sur le mĂȘme modĂšle que les trompes, mais en inversant toutes les valeurs des piĂšces de confection. La sarbacane est un Ă©quivalent du sexe masculin, alors que les trompes en Ă©corce reproduisent une partie du sexe fĂ©minin. Par la taille et l’aspect, la sarbacane pourrait ĂȘtre contenue dans la trompe ; l’enroulement de l’une venant s’imbriquer dans l’enroulement de l’autre. L’union de ces deux instruments pourrait ainsi symboliser l’union entre les deux sexes. Cependant, ces deux instruments reprĂ©sentent davantage des versions inversĂ©es l’un de l’autre que des oppositions complĂ©mentaires.

J’ai montrĂ© comment, pour les Miraña, la sarbacane prenait modĂšle sur l’abdomen de certaines espĂšces de guĂȘpes solitaires (Karadimas 2003). La sarbacane est censĂ©e reproduire cette forme que les Miraña voient comme le pĂ©nis de l’insecte. Le corps de la sarbacane reproduit l’abdomen, et la flĂ©chette empoisonnĂ©e reproduit le dard de la guĂȘpe. Or cet abdomen de guĂȘpe est contenu dans une exuvie au moment de sa nymphose. Artificielle en apparence, la combinaison de la sarbacane contenue dans les trompes de Yurupari est construite sur le modĂšle de l’insecte contenu dans l’exuvie.

[...]

Il convient de revenir briĂšvement sur l’identification proposĂ©e par Reichel-Dolmatoff de l’insecte, dĂ©signĂ© par le terme behkóë, pour montrer que c’est bien la guĂȘpe parasite et son mode de reproduction qui sont le modĂšle de base de l’ensemble du complexe rituel de Yurupari. Reichel-Dolmatoff (ibid., p. 86) identifie l’insecte comme Ă©tant Dermatobia hominis, c’est-Ă -dire un insecte diptĂšre qui, sous sa forme larvaire, est un parasite de l’homme (mais aussi des autres mammifĂšres, aujourd’hui principalement du bĂ©tail). Dans ses commentaires cet auteur le dĂ©signe comme le taon commun (« common horsefly »), ce que Dermatobia hominis n’est pas puisqu’il appartient Ă  la famille des cuterebridae (Hogue 1993, p. 401), alors que le taon appartient Ă  une autre famille (celle des tabanidae, Hogue ibid., p. 383). Notons que, parasite sous sa forme larvaire, cette espĂšce ne pique pas l’hĂŽte qu’elle va habiter, mais se sert de n’importe quel autre insecte « piqueur » comme vecteur de ses Ɠufs qu’elle aura prĂ©alablement posĂ©s sur eux (Hogue ibid., p. 401). La larve, dĂ©jĂ  largement dĂ©veloppĂ©e dans la capsule de l’Ɠuf, profite de la petite plaie occasionnĂ©e par l’insecte vecteur pour pĂ©nĂ©trer la peau de l’hĂŽte et s’y maintenir en le parasitant. Le ver ainsi gĂ©nĂ©rĂ© est communĂ©ment dĂ©signĂ© par nuche ou nunche en espagnol local. Il est toutefois largement distinguĂ© du taon par les populations indigĂšnes de la rĂ©gion, puisqu’il se retrouve comme parasite des chiens, du bĂ©tail et, pour cette espĂšce particuliĂšre (Dermatobia hominis), des hommes, alors que le taon n’est pas parasite (en tous cas les populations indigĂšnes de la rĂ©gion font cette distinction). De plus, le taon pique grĂące Ă  ses appendices buccaux, ce qui n’est pas ignorĂ© par les Indiens, puisque l’action est dĂ©crite comme une ponction, et non grĂące Ă  un dard dont il est dĂ©pourvu. Dans la mĂ©taphore « insĂ©minatrice » Ă©voquĂ©e par Reichel-Dolmatoff, c’est bien l’abdomen et le dard qui, dans une comprĂ©hension anthropomorphique, sont interprĂ©tĂ©s comme l’équivalent d’un phallus – l’Ɠuf et la larve Ă©tant interprĂ©tĂ©s comme le rejeton de ce « mĂąle », bien qu’étant issus d’un individu femelle. Cette comprĂ©hension anthropomorphique, spĂ©cifique aux groupes de cette rĂ©gion, annonce d’ailleurs l’idĂ©ologie largement patrilinĂ©aire : l’enfant « provient » du pĂšre (Karadimas 2003 ; Jara 1996). Pour rester dans le registre entomologique, il existe dans ce groupe des diptĂšres (mouches, taons
) un reprĂ©sentant de la famille des mydidae (Mydas rubidapex, Hogue 1993, p. 385) qui imite un autre insecte, en l’occurrence une trĂšs grande guĂȘpe solitaire Pepsis heros (un pompilidae) qui possĂšde le comportement parasitoĂŻde, le dard et la qualitĂ© « brĂ»lante » provoquĂ©e par sa piqĂ»re. Pour les Miraña, cette guĂȘpe est la personnification du hĂ©ros culturel miraña Souffleur-de-Sarbacane ; elle fait une piqĂ»re affreusement douloureuse, qui donne vĂ©ritablement une impression de brĂ»lure intense.



C’est vers ce dernier insecte qu’il faut rapprocher l’identification dans la mesure oĂč le quatriĂšme texte du recueil Yurupari de Reichel-Dolmatoff fait explicitement rĂ©fĂ©rence Ă  une guĂȘpe solitaire, Ă  une guĂȘpe parasitoĂŻde. Toutefois, d’aprĂšs Reichel-Dolmatoff, celle-ci est appelĂ©e au secours de la narration pour son caractĂšre brillant :


  • « They burned that ~komĂ© ~mahsĂĄ bĂ«gĂ« with that fire ; they say [that] they destroyed the ~komĂ© ~mahsĂĄ bĂ«gë ». ~komĂ© ~mahsĂĄ bĂ«gĂ«, lit. « Metallic people old time creature », a name given to a large black and yellow wasp which is characterized by a bluish « metallic » color. [
] A pertinent comment was : « That wasp is always looking for fresh meat to lick ; it is always after woman ». It is said : « They destroyed that ~poreró ». This wasp can thus be equated with the mantis (bari~sero) and the cricket (~porerĂł). (Reichel-Dolmatoff 1996, p. 243, IV, § 1)

Ici, le mythe commence par la destruction de cette guĂȘpe solitaire, d’aspect mĂ©tallique et brillant. Or je viens de faire remarquer que cette guĂȘpe Ă©tait justement un modĂšle insĂ©minateur particulier : elle pond ses Ɠufs sur ses victimes – d’autres insectes paralysĂ©s – qui se font dĂ©vorer ou sucer par les larves lors de leur Ă©closion. Comme nous venons de le voir dans la citation, les insectes chassĂ©s et paralysĂ©s sont perçus comme les femmes de cette guĂȘpe ou, dans le cas des Miraña, comme des ennemis vaincus (Karadimas 2003). Chaque descendance implique une nouvelle victime, c’est-Ă -dire une « mĂšre » par enfant. Or c’est ce modĂšle de sexualitĂ© qui est ici remis en question puisque, avec l’avĂšnement du modĂšle « chrysalide », il y a renouvellement de la peau qui entoure l’enfant (placenta et membrane amniotique) pour chaque nouvelle naissance en lieu et place d’une nouvelle « mĂšre ». La limitation de ce modĂšle est qu’il sera intra-utĂ©rin pour que l’enfant soit nourri par un tube – le cordon ombilical reliant l’enfant au placenta –, comme dans le modĂšle de la chrysalide oĂč le pĂ©doncule sert d’élĂ©ment suspenseur et est figurĂ©, sur la trompe de Yurupari, par l’embout.

Rappelons que, chez les Miraña, les guĂȘpes parasitoĂŻdes sont un modĂšle pour Ă©voquer la sarbacane. De plus, trompe et sarbacane sont, chez les Miraña, des modĂšles complĂ©mentaires : l’un devant contenir l’autre comme la chrysalide contient le papillon, ou l’exuvie contient la guĂȘpe (chez les Baniwa, des flĂ©chettes-esprits sont projetĂ©es par l’embout des flĂ»tes, laissant entrevoir l’association entre flĂ»tes et Kuwai qui est une guĂȘpe, voir infra, Wright 1993, p. 11). Il semble que, dans le quatriĂšme texte du recueil de Reichel-Dolmatoff, la guĂȘpe occupe la mĂȘme place que Tonnerre dans le premier, ainsi que la « chose brillante » des deux autres textes (le quartz et l’élĂ©ment brillant placĂ© dans une cavitĂ© d’arbre). De plus, l’aspect brillant/mĂ©tallique de cette guĂȘpe recouvre une des phases de la mĂ©tamorphose chez les chrysalides des papillons (c’est d’ailleurs l’étymologie du terme : en grec, chrysalide signifie « la chose dorĂ©e »).

Cette guĂȘpe parasitoĂŻde est Ă©galement prĂ©sente dans la tradition des Cubeo, autre groupe de la rĂ©gion qui, bien que de langue arawak, est Ă  rattacher Ă  l’ensemble culturel du Nord-Ouest amazonien dominĂ© par les groupes de langue tukano. Dans un des rĂ©cits faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la crĂ©ation des trompes de Yurupari, le personnage Lune (KomĂ­), aprĂšs avoir dĂ©vorĂ© trois des enfants de son frĂšre AĂ­nyehinkĂŒ qui lui ont dĂ©sobĂ©i alors qu’il leur enseignait « toutes les choses du monde », s’enfuit dans le ciel parce que son frĂšre cherchait Ă  le tuer. Le plus jeune des enfants de AĂ­nyehinkĂŒ veut savoir ce Ă  quoi ses frĂšres n’ont pu accĂ©der par dĂ©sobĂ©issance :


  • He thought that he might get KomĂ­ to come down again. But KomĂ­ was now afraid. AĂ­nyehinkĂŒ therefore sent a wasp [uchĂ­kĂŒ] to the sky to fetch him. UchĂ­kĂŒ brought KomĂ­ an offering of tree larvae [arĂ­ ava] and was pleased. Having eaten it, he looked down at the earth with satisfaction and saw they were blowing bĂŒkĂŒpwanwa [trompes de yurupari] to bring him down. (Goldman 2004, p. 203)

Dans un texte prĂ©cĂ©dent, c’est dĂ©jĂ  un type similaire de guĂȘpe qui apparaissait afin d’envoyer une piĂšce de gibier en offrande (Goldman ibid., p. 199). Cet Ă©pisode existe Ă©galement chez les Baniwa/Wakuenai avec le personnage de KalimĂĄtu, une guĂȘpe qui apporte une larve de Rhynchophorus Ă  Kuwai (Hill 1993, p. 65, 2004, p. 29 ; Wright 1993, p. 10). Dans la mythologie cubeo, KomĂ­ descendra en faisant sonner son corps comme le ferait une trompe et sera ensuite brĂ»lĂ© non sans avoir enseignĂ© comment guĂ©rir les maladies : en mĂ©moire de son sacrifice naĂźtront les palmiers paxiuba (Iriartea deltoidea et surtout Socratea exorrhiza) qui seront lĂ  pour rappeler son image et le son qu’il produisait. Remarquons ici que les guĂȘpes pompiles, les scolies, mais aussi d’autres comme les guĂȘpes maçonnes (Trypoxylon spp.), produisent avec leurs ailes un vrombissement caractĂ©ristique, lequel, particuliĂšrement bruyant et notable, est Ă  mettre en parallĂšle, me semble-t-il, avec le son produit par les trompes.

Ce rapprochement est fait par les Indiens eux-mĂȘmes : dans un mythe baniwa sur l’origine des flĂ»tes sacrĂ©es, Kuwai surprend quatre enfants en train de jouer avec des bourdons. Ils enferment les hymĂ©noptĂšres dans une poterie et dansent au son produit, prĂ©tendant entendre ainsi la musique des instruments « sacrĂ©s ». Kuwai se moque d’eux en leur faisant comprendre que lui seul incarne et produit le vĂ©ritable son de ces instruments (Wright 1993, p. 10). Un son que l’on peut donc lĂ©gitimement associer Ă  un bourdonnement d’hymĂ©noptĂšre, ainsi que cela est dit dans un autre mythe de la mĂȘme population, recueilli par Jonathan Hill (1993, p. 65) : « Then IñåpirrĂ­kuli taught HĂ©rri how to create Kuwai’s song by putting a bee inside a basket. The buzzing sound was exactly like Kuwai’s singing ».


Rappelons que les seules guĂȘpes qui transportent des larves d’autres insectes comme proies sont des guĂȘpes parasitoĂŻdes. Les insectes transportĂ©s sont des larves de colĂ©optĂšres qui se trouvent dans des troncs ou dans le sol. Le point essentiel Ă  retenir est que ces larves servent de nourriture Ă  la descendance de ces guĂȘpes. Ces derniĂšres confectionnent des abris dans le sol ou dans les anfractuositĂ©s ou encore, tels des potiers, dans des cellules de boue dans lesquelles elles transportent les larves paralysĂ©es (d’oĂč leur nom anglais de potter wasp). Elles pondent ensuite un Ɠuf qui, transformĂ© en larve carnassiĂšre, se nourrira de l’insecte en le suçant, lequel insecte sera interprĂ©tĂ© par certaines populations amĂ©rindiennes comme jouant le rĂŽle de « mĂšre ». En d’autres termes, celui qui, dans l’environnement, se nourrit des larves transportĂ©es par une guĂȘpe n’est autre qu’une larve de guĂȘpe, c’est-Ă -dire sa descendance. Le personnage du mythe, Kuwai (ou KomĂ­, Lune), peut ĂȘtre identifiĂ© Ă  une larve qui va subir une mĂ©tamorphose. C’est cette larve, entrant dans le processus de mĂ©tamorphose, qui devient le modĂšle des trompes. Si elle arrive en vrombissant de tout son corps, c’est que la mĂ©tamorphose a Ă©tĂ© accomplie. Ce « bourdonnement », attribuĂ© en tant que propriĂ©tĂ© du corps de Kuwai – personnage Ă©quivalent Ă  Yurupari dans la mythologie baniwa/wakuenai –, doit ĂȘtre mis en parallĂšle avec celui rĂ©alisĂ© par les flĂ»tes lors des rituels.

Dans son Ă©tude de 1905 publiĂ©e en 1909-1910, Koch-GrĂŒnberg reproduit un dessin exĂ©cutĂ© par un Cubeo dans lequel diffĂ©rents hĂ©ros culturels sont reprĂ©sentĂ©s. Parmi ceux-ci apparaĂźt HömĂ€nhikö (probablement le mĂȘme qui, chez Goldman, est dĂ©signĂ© sous le nom AĂ­nyehinkĂŒ, voir supra), accompagnĂ© de KĂșai : ce dernier, selon l’auteur, est dotĂ© d’un phallus en Ă©rection qui le caractĂ©rise « lui comme son frĂšre, en tant que hĂ©ros de la fertilité » (Koch-GrĂŒnberg 1995, vol. II, p. 158 ; traduction de l’auteur D. K.). Sur le dessin, il est dĂ©peint comme portant un masque Ă  bout de bras puisqu’il est associĂ© aux rituels masquĂ©s. Dans un article rĂ©cent (Karadimas 2007), j’ai montrĂ© comment, chez les Miraña, le MaĂźtre des animaux, personnifiĂ© par une guĂȘpe parasitoĂŻde, et son costume-masque, dotĂ© d’un phallus, pouvaient ĂȘtre associĂ©s, par des attributs similaires Ă  ceux de KĂșai/Yurupari, Ă  ce mĂȘme ensemble significatif et Ă  son caractĂšre fortement sexualisĂ©.

Remarquons que, chez les Cubeo et les Baniwa, ce personnage sera brĂ»lé : de ses cendres vont naĂźtre des palmiers avec lesquels seront confectionnĂ©s les flĂ»tes et les embouts des trompes. C’est Ă©galement le cas chez les Barasana (Hugh-Jones 2001, p. 251) et dans tous les groupes tukano. Or, dans le quatriĂšme texte desana prĂ©sentĂ© par Reichel-Dolmatoff, c’est prĂ©cisĂ©ment par la crĂ©mation de la guĂȘpe parasitoĂŻde que dĂ©bute la narration. Il faut donc en dĂ©duire qu’en tant que modĂšle gĂ©nĂ©ral la guĂȘpe parasitoĂŻde cumule les caractĂ©ristiques des trompes de Yurupari : larve/cocon, mĂ©tamorphose et vrombissement.

[...] Enfin, un dernier moyen de lever l’ambiguĂŻtĂ© est de se rĂ©fĂ©rer Ă  l’ethnographie makuna publiĂ©e rĂ©cemment (Åhrem et al. 2004) dans laquelle on trouve un important recueil de mythes, de traditions et de narrations makuna. Dans le mythe de la CrĂ©ation, la figure du Lombric occupe, selon les dires mĂȘme des Makuna, une place prĂ©pondĂ©rante au cĂŽtĂ© de la Femme-Chamane-crĂ©atrice-du-monde (RĂ”mikĆ©mu) : « [
] les lombrics sont trĂšs importants dans la crĂ©ation du monde puisqu’ils sont un des composants les plus sacrĂ©s qu’il y ait dans l’histoire » (ibid., p. 443 ; traduction de l’auteur D. K.). Ce personnage fĂ©minin, prĂ©sent aussi chez les Barasana, crĂ©e Waiyaberoa « Bourdon-du-Pirå » – en fait Yurupari –, « [
] qui, en mĂȘme temps, Ă©tait ~GĂŒtĂŁrotoro “celui qui fait les pierres” » (ibid.). En tukano toujours, beroa – ou berua en barasana (Hugh-Jones 1979, p. 164) – est un des trois termes pour dĂ©signer les abeilles, que Hugh-Jones distingue des guĂȘpes (utia). Mais le terme abejĂłn dĂ©signe le bourdon en espagnol, c’est-Ă -dire que nous avons plus probablement Ă  faire Ă  un hymĂ©noptĂšre solitaire qu’à un insecte vivant en sociĂ©tĂ©. Chez les Miraña, lorsque l’espagnol est utilisĂ©, le terme abejĂłn sert surtout Ă  dĂ©signer les espĂšces solitaires qui produisent un fort bourdonnement lors de leur dĂ©placement ; soit un bourdon, soit, comme dans le texte IV proposĂ© par Reichel-Dolmatoff, une guĂȘpe solitaire.

Les Makuna prĂ©cisent que « Waiyaberoa est le sauvage, itinĂ©rant et vagabond, qui ne vit pas sur un seul lieu : c’est pour cela qu’il lui arrive toujours quelque chose » (Åhrem et al. 2004, p. 90 ; traduction de l’auteur D. K.) ; un personnage placĂ© plutĂŽt du cĂŽtĂ© de l’agressivitĂ© et du caractĂšre solitaire, donc. Chez les Makuna aussi, Yurupari serait un hymĂ©noptĂšre et, fort probablement, une guĂȘpe parasite, mais on ne peut encore l’affirmer avec certitude. Si l’on rajoute Ă  cela qu’il Ă©tait Ă©galement « celui qui faisait les pierres » (voir supra ; ce personnage mythique a, en plus, la propriĂ©tĂ© de les « cimenter », ibid., p. 97), il pourrait alors s’agir d’une espĂšce d’hymĂ©noptĂšre qui façonne des pierres ou qui « maçonne », comme une guĂȘpe parasite.

Avant que ce personnage ne fĂ»t créé par la Femme-Chamane, celle-ci, alors que rien n’existait encore, fit apparaĂźtre KĆ©rĂŒkĂŒÄ©no « Anaconda-de-la-bouture-de-manioc » (personnage identique Ă  Manioc-stick-Anaconda chez les Barasana) qui n’est pas son fils. Il apparaĂźt que les deux personnages, Bourdon-du-PirĂĄ et Anaconda-de-la-bouture-de-manioc, sont les flĂ»tes de Yurupari et ne forment finalement qu’un seul et mĂȘme personnage : « Waiyaberoa et KĆ©rĂŒkĂŒÄ©no sont un seul, et sont le mĂȘme corps, mais la transformation eut lieu lorsque ses apprentis le brĂ»lĂšrent considĂ©rant qu’il Ă©tait mauvais. Il cessa d’ĂȘtre une personne pour ĂȘtre les grandes palmes que les dieux ont coupĂ©es en morceaux pour donner la forme actuelle aux instruments : toutefois, le Yurupari continue d’ĂȘtre KĆ©rĂŒkĂŒÄ©no » (Åhrem et al. 2004, p. 91 ; traduction de l’auteur D. K.). Il s’agit donc du mĂȘme personnage : une guĂȘpe solitaire aux reflets bleus mĂ©talliques qui, dans le texte IV (desana) proposĂ© par Reichel-Dolmatoff, sera brĂ»lĂ©e et dont les cendres donneront naissance au palmier paxiuba.

Il est donc possible d’affirmer que le complexe de Yurupari est une mise en scĂšne rituelle et une application socio-sexuelle rendant accessible, Ă  travers la mythologie, la comprĂ©hension de l’ensemble du processus de reproduction d’une guĂȘpe parasitoĂŻde et ce non seulement pour les Desana et les Makuna mais Ă©galement pour les autres groupes tukano comme les Barasana, les Cubeo et les Baniwa/WakuĂ©nai de langue Arawak. Dans une certaine mesure, ce modĂšle dĂ©gagĂ© pour les groupes du VaupĂšs lato sensu est Ă©galement valide pour les groupes du CaquetĂĄ/Putumayo, c’est-Ă -dire les Miraña et Uitoto.

Il resterait, avant de conclure, Ă  comprendre en quoi le palmier paxiuba doit son origine Ă  cette guĂȘpe. Plus spĂ©cifiquement, il faut s’interroger sur les raisons qui font que ce palmier naĂźt des cendres de la guĂȘpe.

*

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Littérature :


Jules Renard nous propose dans ses Histoires naturelles (1874) de petits portraits ou historiettes relatives aux animaux les plus communs mais pourtant tous plus étonnants les uns que les autres. Quelquefois, le portrait se réduit à une formule bien sentie :

La guĂȘpe


Elle finira pourtant par s'abĂźmer la taille !

Madame GuĂȘpe


Madame guĂȘpe a taille de guĂȘpe

Madame guĂȘpe est au rĂ©gime.

Elle ne boit que des jus de fruits,

Ne mange ni pain, ni farine,

Ni jambon, ni poisson frit.


Madame guĂȘpe a taille de guĂȘpe

Mais elle n’a pas trùs bonne mine.

Il lui manque des vitamines.

Elle a mauvais caractĂšre

parce que sa ceinture la serre.


Raymond Lichet, "Madame GuĂȘpe"

*

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulĂ© L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) Ă©voque lui aussi la GuĂȘpe :

1er septembre

(Fontaine-la-Verte)


GuĂȘpe arlequine, traĂźtresse jaune et noir - italienne, renaissante, cruelle : chaque fois que tu voles autour de ma tĂȘte, j'entends fredonner LucrĂšce ; la taille fine ; le ventre amoureux ; un poignard cachĂ© sous le sein !

Bien entendu, les hyménoptÚres aculéates n'ont pas plus d'affinité biologique avec les filles de papes débauchés que n'en ont les limaces et les ornithorynques. Simplement, durant l'Histoire, la nature s'est imprégnée de culture humaine. Le destin de certaines espÚces en a été bouleversé. [...]

*

*

Marie-Aude Plante auteure de La femme rudĂ©rale suivi d'une rĂ©flexion sur le carnet littĂ©raire. (ThĂšse de doctorat. University of Ottawa (Canada), 2006) Ă©voque Ă©galement la guĂȘpe :


Deux guĂȘpes se sont introduites dans la bouteille de biĂšre laissĂ©e Ă  l'abandon sur la table ronde de la terrasse. Prises au piĂšge, voletant de toutes leurs forces, de tous bords tous cĂŽtĂ©s, elles ont vainement tentĂ© de s'Ă©chapper. Le bruit de leurs ailes battant contre les parois de verre ont attirĂ© mon attention. J'ai pris la bouteille et l'ai dĂ©posĂ©e Ă  l'envers sur la table. Les guĂȘpes se sont dĂ©battues quelques minutes, dans l'alcool. Je les ai regardĂ© mourir sans Ă©motion. Je me suis dit que ce ne doit pas ĂȘtre bien diffĂ©rent avec un humain.


*

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