Mauve
- Anne

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Étymologie :
Étymol. et Hist. A. Ca 1256 subst. bot. (Aldebrand de Sienne, Régime du corps, 165, 10 ds T.-L.). B. 1. 1804 subst. « couleur de la fleur de cette plante » (Berthollet, Art de la teinture, II, 321) ; 2. 1829 adj. Nœuds oranges et mauves (Journal des dames et des modes, p. 339). C. 1841 (Phys. du parapluie ds Larch. 1872 : Sa forme conserve une certaine ressemblance avec la feuille de mauve [...] La mauve est toujours en coton rouge ou vert). Du lat. malva désignant cette plante (cf. André Bot.).
Lire également la définition de mauve afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Symbolisme :
Emna Khemiri, autrice de "Le rôle de l’espace public dans la révolution de Jasmin à Tunis." (In : Projets de paysage. Revue scientifique sur la conception et l’aménagement de l’espace, 2012, no 7) montre comment le violet a été symboliquement confisqué par le pouvoir de ben Ali :
La vague mauve : Le régime de Ben Ali s’est emparé aussi du mauve, l’une des couleurs les plus spirituelles et délicates, pour en faire le symbole d’un pouvoir personnel. Le paysage urbain tunisien a été saturé de mauve sous diverses formes et sur différents supports. Le mauve a envahi les rues, les places, les ouvrages publics, les façades des administrations, des entreprises, des calendriers, et des sites gouvernementaux sur le web. Même des ouvrages publics, tels les ponts et les échangeurs, ont été repeints avec cette couleur comme dans le cas de l’échangeur de la Manouba.
Par cette couleur, le pouvoir s’approprie ainsi symboliquement des institutions et des ouvrages qui appartiennent à la collectivité.
Le régime de Ben Ali a produit de cette façon un espace saturé de significations idéologiques convergentes par le biais desquelles il a cherché à envahir et à « posséder » l’espace mental des Tunisiens. Tous ces signes sont devenus insupportables pour le peuple après la fuite du président déchu. Aussi voit-on les manifestants lacérer et arracher ses portraits géants des grandes places de toutes les villes, démanteler des énormes enseignes du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) du haut du siège de ce parti, avenue Mohamed-V, et exprimer par des tags leur rejet du RCD et leur révolte contre 23 ans d’oppression.
Kévin Bideaux, auteur de "Arc-en-ciel (drapeau)." (In : Publictionnaire, Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. (Mis en ligne le 01 juin 2023) montre la vitalité moderne du symbolisme de la couleur mauve :
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Faut-il brûler le drapeau arc-en-ciel ? La force d’un symbole Son incapacité à rassembler toutes les personnes LGBT+, sa récupération politique homonormative et sa prolifération marketing sont peut-être le signe que le drapeau arc-enciel n’est plus en adéquation avec le(s) public(s) LGBT+ qu’il est supposé représenter et rassembler. Quelques temps avant sa mort, G. Baker avait d’ailleurs lui-même ajouté une neuvième bande de couleur mauve symbolisant la diversité au drapeau original, comme un vain aveu de l’incapacité de cet emblème désormais trentenaire à s’adapter aux évolutions de la société en termes de reconnaissance des identités LGBT+. La communauté LGBT+ n’a en effet de cesse de se subdiviser en de nouvelles catégories disposant chacune de leurs particularités – les personnes abrosexuelles (dont l’orientation sexuelle varie dans le temps), bigenres (s’identifiant à deux catégories de genre), gray-sexuelles (à faible libido)… – et de leur drapeau ; il apparaît dès lors difficile, sinon impossible, de trouver un emblème commun, à moins de ne créer un drapeau LGBT+ réunissant tous ces emblèmes, comme le propose avec sérieux Microsoft (2022), ou comme s’en moquent les réseaux sociaux dans des mèmes.
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Delphine Lacombe, autrice de "Insurrection féministe contre les violences patriarcales à Mexico (2019-2024) : bloque negro, iconoclasme et alter-monumentalisme." (In : Nouvelles Questions Féministes, 2025, vol. 44, no 1, pp. 12-29) montre un autre exemple contemporain d'une nouvelle sémantisation de la couleur mauve :
L’action directe des bloque negro féministes : iconoclasme et dé-patriarcalisation
Face à l’emprise des violences machistes : la « saturation et la rage »
Il nous faut d’abord situer ces formes saillantes de l’action collective dans leur contexte historique. Expressions éclatantes d’un mouvement hétérogène auxquelles on ne saurait réduire la pluralité des féminismes mexicains (Masson, 2009 ; Espinosa Damián, 2009 ; Espinosa Damián & Jaiven, 2013 ; Gargallo, 2015 ; Lapalus, 2017), elles trouvent leurs antécédents immédiats dans une manifestation du dimanche 24 avril 2016, réunie en dehors des dates commémoratives habituelles (le 8 mars ou le 25 novembre). C’est au cri de « nous nous voulons vivantes ! » que le « printemps mauve » met l’accent sur les violences machistes et la lutte « contre le patriarcat ». Il parvient à convoquer des rassemblements dans plus de 40 villes. Dans le sillage du mouvement contre l’indifférence aux féminicides Ni Una Menos (pas une de moins) déployé en Argentine en 2015, leurs participantes veulent manifester « leur saturation et dégoût absolus », « la rage accumulée » contre la violence « structurelle, culturelle, institutionnelle » qui se traduit dans les chiffres alarmants de féminicides, mais aussi dans les disparitions forcées de femmes. Le long manifeste qui a accompagné l’appel aux rassemblements a scellé la centralité conférée à la lutte contre les violences machistes, y compris autour du 8 mars. Ses autrices qualifient systématiquement de violents les actes qui concourent à mépriser la vie des femmes et qui, ensemble, bien que non équivalents et inégalement perpétrés, confortent l’idée selon laquelle « nous sommes toutes vouées aux fosses communes de l’histoire »
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Si elles [les bloque negro féministes] disent pratiquer l’action directe, aucune d’elles ne se sent exactement appartenir à un bloque negro, terme qui fut plutôt employé dans la presse ou par des collectifs constitués à partir de 2020. En 2023, alors que je lui demande quelles féministes sont une source d’inspiration pour elles, Lucía m’indique que ce sont les suffragistes, en tout cas celles d’entre elles (britanniques) ayant eu recours à des méthodes violentes et radicales. À propos des rapports entre féminisme et action directe, elle affirme qu’il faut « plus de cagoules, et moins de foulards [mauve ou vert] (1) », ce qui n’est pas sans rappeler certains graffitis : « C’est parce que c’est la seule chose qu’ils entendent, lorsque ça brûle, lorsqu’il y a de la casse, lorsqu’on touche à leurs symboles. Là ça fait la différence », ajoute-t-elle.
[...]
En septembre 2020, le gouvernement de la ville de Mexico décide de retirer de son socle la statue de Christophe Colomb, de crainte que le monument ne soit vandalisé. Très vite, ce déboulonnage et cet iconoclasme officiels laissent la place à un projet tout aussi officiel : substituer au conquistador la représentation d’une femme indígena sous la forme d’une statue aux traits olmèques, nommée Tlalli. Avant que le remplacement ait lieu, un groupe de femmes – au visage masqué, mais non vêtues de noir – prend de force le piédestal et toute la surface du rond-point, composée d’un jardin ouvert. Elles escaladent les palissades métalliques entourant le socle et placent sur ce dernier une représentation féminine en bois, sobre, mauve, au poing gauche levé, étoile révolutionnaire à sa base, appelée Justicia.
Note : 1) La couleur mauve, associée aux luttes féministes, est particulièrement employée lors de la commémoration du 8 mars. La couleur verte est utilisée pour la revendication de la légalisation de l’avortement.
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Littérature :
Keeko Sakamura, auteur d'un article intitulé "Les yeux mauves de Mme de Guermantes." (In : Gallia, 2001, vol. 40, pp. 211-217) étudie l'impact symbolique de cette couleur chez Proust :
Isabel Veloso, dans un article intitulé "Le discours esthétique dans les romans d'Emile Zola." (In : Cahiers de l'AIEF, 2002, vol. 54, no 1, pp. 417-434) propose une interprétation de la couleur mauve dans l'œuvre de Zola :
Les églises de Zola virent dangereusement du bleu au rouge. Comme nous le disions plus haut, elles sont des espaces dans lesquels la spiritualité immatérielle (le bleu) laisse sa place à une matérialité presque charnelle (le rouge).
Les verrières mettent en valeur cette combinaison paradoxale que nous pouvons retrouver dans la nature, surtout au moment du coucher du soleil. De l'approche du rouge et du bleu naît la couleur mauve, qui ajoute une certaine sensation de tristesse mélancolique :
[...] le vitrail, la légende de saint Georges, où les verres rouges et les verres bleus, dominant, faisaient un jour lilas, crépusculaire (Le Rêve, p. 943).
Le bleu et le rouge, comme le résultat de leur fusion, représentent, depuis le Moyen Âge, la recherche de la réunion harmonique de la matière et de l'esprit, d'après le principe du contraste, l'un des plus grands principes de l'art. Consciemment ou non, Zola essaie d'atteindre, par la voie de l'esthétique, son but idéologique : la réconciliation des contraires, la fin d'un dualisme qui oppose la matière à l'esprit et rend impossible la plénitude du moi. Les personnages zoliens, comme peut-être Zola lui-même, sont déchirés car ils n'arrivent pas à cette réunion de la spiritualité, représentée par les nuances bleues, la verticalité et la lumière de la nef centrale (gothique, le plus souvent), et de la sombre matérialité des chapelles latérales, horizontales, rougeâtres (généralement romanes). Si Zola avait voulu peindre Les Rougon-Macquart sur une toile, il aurait employé surtout la gamme du violet, du mauve, du lilas, du pervenche, celles-ci étant les couleurs symbolisant la lutte pour parvenir à un éclectisme qui lui échappait.
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