top of page

Blog

Le Torque

  • Photo du rédacteur: Anne
    Anne
  • 15 mars
  • 21 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 mars




Étymologie :


Étymol. et Hist. Ca 1210 (Dolop., 2896, Bibl. Elz. ds Gdf.) − xves., ibid. ; à nouv. au xixe s. 1832 (Raymond). Empr. au lat. torques « collier ».


Lire également la définition du nom torque afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Histoire :


Dans Les Religions gauloises (Ve-1er siècles av. J.-C.) (CNRS Éditions, 2016) Jean-Louis Brunaux retrace l'usage du torque par les guerriers gaulois :


De l'or pour les dieux : Il est de fait que les dieux gaulois aimaient l'or. Les historiens antiques le racontent à l'envi. La seule offrande matérielle appréciée par les divinités barbares qui, dans les textes, semblent ne se repaître que de victimes humaines, est le troque d'or. C'est généralement un présent en remerciement d'une victoire et peut-être une dîme calculée sur le butin en or. Il peut faire l'objet d'un vœu avant une bataille, c'est ce que nous rapporte Florus à propos d'Arioviste qui avait faite une telle promesse au Mars gaulois. Le troque en or, d'une taille démesurée, est l'attribut des dieux, qu'ils soient indigènes ou étrangers. Ainsi Catumandus, rapporte Trogue Pompée, après avoir vu Minerve en songe, va offrir un tel troque à sa statue dans un temple de Marseille. Plus tard, les Gaulois offrent à Auguste un troque d'un poids de 100 livres, ce qui est bien une manière de le diviniser.

Les humains portaient-ils de tels ornements ? La question est controversée, car sur ce point les textes et l'archéologie se contredisent. Jamais des colliers en or ne sont découverts en sépulture, encore en place sur le cou d'un guerrier, pas plus qu'on n'en retrouve dans les habitats. Face au silence des sources matérielles, les textes sont précis et l'œuvre de plusieurs auteurs. La mention la plus fiable est due à l'un des plus grands historiens de l'Antiquité, Polybe qui dans son célèbre récit de la bataille de Télamon, écrit : « Tous les combattants des premières formations étaient parés de torques et de bracelets en or ». Or Polybe tenait ses informations de son prédécesseur, historien come lui, Fabius Pictor, qui avait participé à la campagne de Rome contre les Gaulois. La beauté et le réalisme de la description de la bataille tiennent pour une grande part à la qualité de ces détails descriptifs, généralement peu courants dans les récits antiques de bataille. Une autre information précieuse est redevable à Tite-Live, au livre XXXIII. En 196, les Romains battent les Boïens et totalisent pour leur butin 507 insignes militaires, 432 chariots, et un grand nombre de colliers en or, parmi lesquels s'en trouve un plus pesant qu'ils offrent au Jupiter du Capitole. Encore une fois, la précision des données exclut toute affabulation et indique une source, cette fois administrative, archive militaire ou familiale. Enfin, pour signaler que la coutume du port de torques en or n'était pas réservée aux seuls Gaulois cisalpins, citons encore Eutrope qui indique que lors de la conquête du midi de la Gaule, les Romains firent sur l'armée de Bituit un énorme butin de colliers.

La découverte récente d'un torque en or parmi les dépouilles humaines du trophée de Ribemont donne raison aux sources antiques. Ce torque massif et serré près du cou fut porté par un guerrier qui mourut au combat et dont la tête fut ensuite prélevée par son meurtrier. Néanmoins la parure précieuse ne fut pas gardée par le vainqueur qui la rapporta dans le domaine divin avec le reste des dépouilles. Pour solenniser ce don ou, tout au moins, pour le rendre inaliénable, on le découpa à l'aide d'une pince. Il est difficile d'imaginer meilleur exemple du pouvoir sacré de tels objets.

ree

[...]

Le port du torque en or : La seconde coutume - quasiment un rite - qui permettait au guerrier de se surpasser et de s'investir d'une mission quasi divine est le port d'un torque et parfois de bracelets en or. Les historiens antiques, et parmi eux les plus dignes de confiance, Polybe et Tite-Live, signalent le fait à de nombreuses reprises pour une période qui va du début du IIIe siècle jusqu'aux premiers temps de la romanisation. Polybe dans son récit de la bataille de Télamon, indique que tous les guerriers des premiers rangs portaient des bijoux en or. Eutrope dans son Abrégé de l'histoire romaine, rapporte que les Romains quand ils vainquirent Bituit en 121 récupérèrent un énorme butin de colliers d'or. Tite-Live signale qu'au moins à deux reprises le sénat romain offrit des colliers d'or à des rois gaulois engagés contre les Macédoniens et note même leur poids, deux colliers pesaient ensemble cinq livres, un autre collier offert au prince Balanos en pesait deux. Ces témoignages ont longtemps paru suspects. Car autant la mention est courante, autant les realia archéologiques étaient jusqu'à présent muets sur le sujet. Il n'a, en effet, jamais été retrouvé de telles parures dans les sépultures de guerriers, même de ceux qui s'accompagnaient d'un riche équipement. Il n'en a pas plus été découvert dans les sanctuaires et les habitats, même ceux que l'on considère comme aristocratiques. Et les seuls torques en or que l'on connaisse proviennent de découvertes fortuites, ce qu'on appelle des « trésors », un ensemble d'objets précieux comprenant généralement un nombre plus ou moins important de monnaies d'or et d'argent et un ou plusieurs torques en or. Mais ces derniers objets posent problème : ils ne paraissent pas destinés aux humains ; ils sont souvent de grandes dimensions et fabriqués en une tôle fine qui les rend fragiles et surtout difficilement portables dans un combat.

La question paraissait insoluble jusqu'à la découverte en 1999 d'un tel torque parmi les vestiges humains du trophée monumentale de Ribemont. Il s'agit cette fois d'un torque en or massif qui initialement devait peser près de 400 grammes. Il gisait, coupé à moitié et replié comme pour en faire un bracelet, auprès des os d'un avant-bras de l'une des dépouilles que nous interprétons comme les restes partiels du stockage de plusieurs centaines de corps d'ennemis tués sur le champ de bataille. Le torque appartenait selon toute vraisemblance à l'un des ennemis, il devait être porté très près du cou, si l'on en juge à son diamètre initial, et avait dû s'en détacher au moment de la décollation. La coutume qui voulait que le butin tout entier revienne dans la propriété divine avait été respectée : le troque avait été rapporté mais on avait pris soin de le mutiler rituellement pour le rendre inutilisable et on l'avait très certainement replacé sur la bras du mort d'où il n'avait glissé que lorsque les chairs furent assez corrompues.

ree

La découverte est importante car elle prouve que les guerriers pouvaient porter des torques qui leur était destinés, ce qui donne raison à Polybe et à Tite-Live. Elle prouve également que ces parures revenaient bien aux dieux, ce qui confirme, cette fois, le témoignage de Posidonius reproduit par Diodore de Sicile. A Ribemont il semble bien qu'un remblai involontaire, effectué au milieu du 1er siècle, ait protégé l'objet, notamment au moment du démontage des installations sacrées. On peut en déduire que de tels objets précieux ne devaient pas être rares sur les lieux de culte. A Ribemont d'ailleurs des monnaies d'or isolées et glissées parmi les ossements humains témoignent de la présence d'un certain nombre de bourses qui, elles aussi, étaient portées à même le corps des guerriers. Pourquoi des parures aussi prestigieuses qui reflétaient très certainement le statut social ou la valeur de leur porteurs ne les accompagnaient-elles pas jusque dans la sépulture avec les autres objets qui leur étaient chers ? Pour répondre à cette question, il faut revenir aux témoignages antiques.

C'est encore une fois un étrange récit de Tite-Live, racontant la formation légendaire de Rome, qui peut nous éclairer. En 361 av. J.-C., aux portes de Rome, sur les bords de la rivière Anio, Gaulois et Romains s'affrontent. Rome est en péril, le dictateur a proclamé le justitium, c'est-à-dire la cessation de toutes les affaires publiques. Après plusieurs affrontements, les deux armées semblent figées sur leurs lignes respectives. C'est le moment où un chef gaulois, « d'une taille gigantesque, et tout resplendissant des mille couleurs de ses vêtements et des armes peintes et ciselées en or » s'avance sur le pont et s'adresse aux Romains, proposant un duel singulier pour départager les deux armées. Le tribun Manlius propose de relever le défi et engage le combat. On assiste alors à un affrontement qui n'est plus celui de deux hommes mais de deux mentalités. Le Romain, petit, avec des gestes précis, à l'aide d'armes bien adaptées, se glisse sous le Gaulois gigantesque qui brandit en tous sens des armes trop longues et inefficaces. Sans grande peine, il lui livre un coup fatal. « A ce cadavre renversé il épargne toute injure, seulement il le dépouille de son collier, qu'il passe, tout mouillé de sang, à son cou. L'épouvante et l'admiration clouent sur place les Gaulois ».

Comme dans le cas, évoqué plus haut, celui de Valérius qui prit le surnom de « Corvus », Manlius acquit immédiatement celui de « Torquatus ». A l'évidence, on a affaire ici à deux exemples d'une pratique religieuse italique, bien connue et qui avait fait l'objet d'un rituel propre, celui que les Latins appelaient evocatio. Elle consistait à s'attirer les faveurs du dieu des ennemis, voire à le détourner définitivement de ses fidèles. C'est ainsi que le corbeau divin des Gaulois avait changé de camp. Le torque du héros gaulois avait suivi un parcours similaire et c'est ce qui remplissait les Gaulois assistant à la scène d'une terreur religieuse. Le torque en or, come l'oiseau fétiche, incarnait la puissance divine, bénéfique et nécessaire à la guerre. Sa prise par un ennemi signifiait que la divinité avait changé de camp.

Le torque en or apparaît donc bien comme un insigne divin qui transforme celui qui le porte en un représentant des dieux, un authentique héros, dans le sens qu'a le mot dans les poèmes homériques Peut-être s'agissait-il d'un prêt ou d'un don que les dieux avaient fait à leurs meilleurs guerriers. Il est sûr en tout cas que l'objet précieux n'était pas considéré par son porteur comme sa propriété individuelle. Il ne l'emportait pas dans la tombe. Il ne le transmettait pas plus à ses héritiers. La découverte de Ribemont nous révèle l'une des destinées de tels objets après la mort de celui qu'ils paraient. Si le témoignage de Posidonius, selon lequel les sanctuaires regorgeaient d'or, est crédible, on peut imaginer que beaucoup de ces objets d'or, ceux des guerriers morts chez eux comme ceux des ennemis tués en terre étrangère, regagnaient la propriété divine.

ree

Deux questions restent cependant posées : à qui revenait le droit de porter une telle parure ? Quelle était l'origine de ce bijou ? A la première, en l'absence de documents littéraires explicites, il est difficile d'apporter réponse mais non de proposer une hypothèse. On verra plus bas que le guerrier avait le privilège de garder pour lui la tête de l'ennemi qu'il avait tué. On s'interrogera alors sur le sens symbolique d'un tel geste mais on retiendra ici son intérêt pratique : ce crâne pieusement conservé, aisément transportable et relique idéale, était le meilleur témoin de la bravoure et de l'efficacité du guerrier. Or celles-ci devaient être récompensées, le guerrier devait nécessairement obtenir une part du butin exactement équivalente à ses résultats sur le champ de bataille. La revendication de cette juste part passait par la présentation de la ou des têtes coupées. Nous savons par Hérodote que c'est ainsi que procédaient les Scythes. Il en allait probablement de même chez les gaulois chez lesquels la valeur individuelle du guerrier était fortement valorisée, au détriment souvent de la cohésion du groupe militaire. Chez ceux qui étaient engagés dans les conflits méditerranéens, dès le IVe siècle cette récompense s'effectuait en pièces d'or dont tous étaient très avides, pour des motifs plus irrationnels que purement vénaux, car alors en Grèce et en Grande Grèce c'est le monnayage en argent qui primait. On est en droit de se demander si le torque en or ne correspond pas tout simplement à un nombre défini de pièces d'or, autrement dit d'ennemis tués. Une autre hypothèse, qui est conciliable avec la précédente, serait que le torque en or était le privilège des chefs de guerre ou des rois. C'est ce que l'on pourrait déduire des deux anecdotes rapportées par Tite-Live et qui viennent d'être évoquées : dès le début du IIe siècle il était courant que les puissances étrangères s'attirent les faveurs des chefs gaulois par de tels présents.

L'origine du torque en or comme parure de guerrier est un problème qui a déjà été soulevé, par Joseph Déchelette essayant notamment de faire la synthèse et de donner une solution à une controverse qui depuis une cinquantaine d'années agitait le milieu des celtisants. Comme nous, les archéologues du XIXe siècle s'étonnaient d'une triple contradiction entre les faits archéologiques et les données littéraires. Comment expliquer qu'on ne trouvait que des torques en bronze dans des sépultures féminines uniquement à la période de La Tène ancienne, alosr que les historiens évoquaient des torques en or portés par des guerriers pour une époque correspondant à La Tène moyenne ? Certains archéologues en virent même à mettre en doute l'identité sexuelle de certains défunts dont tout par ailleurs indiquait qu'il s'agissait de femmes. Pour Déchelette la réponse est simple : il n'y a pas de filiation entre les torques en or de La Tène moyenne et les torques en bronze de La Tène ancienne. Les premiers seraient inspirés de modèles scythes qui servaient également de parures aux princes. Le fait est que l'on connaît un certain nombre de torques en or provenant de kourganes du IVe siècle. Déchelette pensait que cette mode aurait pu être transmise par les Celtes danubiens qui au IIIe siècle dans la plaine hongroise étaient directement au contact des populations scythes. L'hypothèse est séduisante mais la chronologie s'y oppose. Les torques de Waldalgesheim, Weiskirchen, Rodenbach sont beaucoup plus anciens au point qu'ils auraient pu servir de modèles aux exemplaires scythes. Il nous faut donc imaginer une autre filiation où les orfèvres grecs, qui ont inspiré autant les créations des Scythes que celles des Celtes, joueraient un rôle plus actif et plu précoce. Mais les découvertes qui pourraient matérialiser les voies et surtout les modes d'une telle diffusion ne sont pas assez nombreuses.

En revanche,, l'apparition du grand torque à fonction cultuelle se comprend mieux. Il s'agit d'objets sensiblement plus récents qui couvrent une période qi va du IIe siècle aux débuts de la romanisation. Comme on l'a dit plus haut, de tels objets sont connus par des découvertes archéologiques, généralement des « trésors » et le caractère cultuel de ces parures est déduit du fait qu'elles sont de grandes dimensions et ne paraissent pas vraiment portables par des humains, à cause de leur fragilité notamment. La littérature les mentionne pour une époque contemporaine de ces trouvailles. Catumandus en offre un à la Minerve de Marseille. les Romains, même des dieux ennemis, détournent le torque le plus lourd et l'offrent au Jupiter du Capitole. Mais la mention la plus intéressante est celle que nous offre Florus ; il rapporte qu'Arioviste avait fait vœu de consacrer à l'équivalent du dieu Mars un torque fabriqué avec les dépouilles des ennemis tués. Ainsi, peut-être pour des raisons pratiques ou pour éviter le vol, quelques peuples avaient-ils pris l'habitude de fondre les torques des guerriers pour constituer de gigantesques colliers à leur dieu.

*

ree

*




Symbolisme :


Charlotte Parisot-Sillon, autrice de "La Gaule belgique, un carrefour d'influences : L'exemple des monnayages d'or (IIIe–Ier s. av. J.-C.)" (In : Archimède: archéologie et histoire ancienne, 2014, no 1, pp. 272-280) associe clairement le torque et la guerre :


De même, le jumeau au second plan ne couronne plus son cheval, mais brandit un torque, symbole guerrier. Ce cas montre bien de quelle manière les pouvoirs émetteurs réinvestissent les types grecs d’un sens proprement gaulois. Ce sont les symboles martiaux tels que les chevaux, les torques et les boucliers qui sont mis en avant, ce qui appuie l’hypothèse d’une frappe contrôlée par une aristocratie guerrière dans la vallée de la Somme.

 Vincent Gentil, auteur d'un article intitulé "Le torque : usages et symboles (II)" (In : Keltia, 43ème numéro - juillet à septembre 2017) nous apprend :


Objet de parure, attribut de l’héroïsation, le torque fut aussi perçu comme un trait d’union entre les mondes divins et le monde des hommes.


Le torque comme offrande : Les torques, en particulier en or, comptent parmi les offrandes les plus répandues chez les Celtes1. Ils déposent l’or ou l’argent en grande quantité dans les sanctuaires (Diodore de Sicile) ou les lacs (Strabon), dont les eaux étaient considérées comme autant de passage vers le divin. Suétone2 reproche d’ailleurs à César d’avoir pillé l’or des sanctuaires gaulois pour financer sa conquête.

Certains récits donnent des exemples précis de la place du torque d’or dans les pratiques cultuelles celtiques. Ainsi Justin, l’abréviateur de l’historien voconce Trogue-Pompée, nous apprend que le chef des celto-ligures Catumandos offrit un collier en or à la déesse Minerve de Massalia lorsqu’il conclut la paix avec la ville, au IVe siècle av. J.-C.3. Le Grec Polybe a livré l’un des plus précieux témoignages à ce sujet4. En 224 av. J.-C., après leur défaite à Télamon, les Insubres d’Italie sortent (ou descendent) du sanctuaire d’Athéna (c’est-à-dire de leur déesse guerrière) les « insignes d’or inamovibles » dans des circonstances  militaires très difficiles ; les autres « insignes » étaient donc faits pour être sortis plus régulièrement (enseignes, torques et bracelets ?) pour accompagner les guerriers au combat. Selon Florus, le chef Arioviste promet de consacrer un torque au Mars gaulois, avec les dépouilles prises aux ennemis vaincus : l’or d’origine divine doit revenir aux dieux. Ces grands torques, fragiles car faits de tôles d’or ou d’argent, provenaient donc en partie des prises de guerre puis étaient déposés dans les sanctuaires. Le torque véhiculait le divin, naviguait entre les hommes, les dieux et leurs demeures (J.-L. Brunaux).

Les Romains eux-mêmes cherchent à s’approprier sa force divine. D’après Tite-Live6, en 196 av. J.-C., après leur victoire sur les Insubres, les Romains offrent à Jupiter Capitolin l’un des nombreux torques d’or pris aux Gaulois, « remarquable par son poids » : plus qu’une prise de guerre, ce collier exceptionnel fut reçu par les Romains comme un objet propre à être offert au plus important de leurs dieux. Deux siècles plus tard encore, après la conquête césarienne, les représentants des cités gauloises offrent un torque en or de cent livres à Auguste, dans le contexte de sa divinisation. Le torque ne devint pas une simple décoration militaire, ni le symbole d’une prise de guerre. Sa valeur religieuse même est intégrée par le culte impérial et l’armée romaine, comme le montre la valeur du surnom latin Torquatus, réservé à certaines familles de la haute aristocratie romaine avant que l’empereur ne se réserve le monopole de ce symbole (L. Lamoine).

ree

On comprend ainsi sa valeur extraordinaire quand il orne le cou des guerriers : ils portent une part de divin le temps d’un combat.

La facture de nombreux objets de l’époque laténienne (Ve – Ier siècles av. J.-C.) et leur contexte de découverte confirment que le torque était un type d’offrande omniprésente dans les sanctuaires celtiques. Certains n’étaient pas destinés à être portés : ils n’ont qu’un faible diamètre et une rigidité qui interdisait de les placer autour du cou, comme le collier de Soucy, découvert dans cette commune de l’Aisne en 1866. Il s’agit d’un torque en or, coulé d’une pièce et dont le jonc forme une épaisse torsade fabriquée selon une technique caractéristique du monde celtique, toujours en usage dans les ateliers de l’époque gallo-romaine. La même conclusion peut être déduite des caractéristiques du torque en argent de Trichtingen (Allemagne) : son poids (7 kg !) et sa valeur (on notera la finesse des tampons en protomé de taureau portant eux-mêmes un torque torsadé) montrent qu’il ne pouvait être porté par un homme, les traces d’usure que l’on observe sur la partie interne du jonc suggèrent qu’il fut déposé sur une statue cultuelle de bois. D’après son lieu de découverte, il constituait une offrande à une source ou un marais (Th. Hoppe). Le sanctuaire celtique de Libenice (début du IIIe siècle av. J.-C.), en Bohême, a livré deux torques découverts en fouille chacun au pied d’un trou de poteau, interprétés comme les vestiges de statues de divinités en bois dont les torques devaient orner le cou.

Les dépôts votifs de ces torques paraissent abondants à la Tène finale (IIe - Ier siècles av. J.-C.). Ils sont souvent associés à des monnaies, comme par exemple à Frasnes-lez-Buissenal (Belgique), où deux torques d’or, dont le plus grand portait un décor centré sur une tête de bélier, furent déposés avec une cinquantaine de statères d’or des Ambiens (R. Joffroy), dans un site, la « Fontaine de l’Enfer » qui recelait probablement un sanctuaire de source. Le torque de Mailly-leCamp, originaire du pays des Nitiobroges de la Garonne, porte des graffites gallo-grecs qui montrent qu’il fut déposé en offrande par ce peuple à une divinité dont le nom n’a pas été précisé ; il a ensuite servi de support à des messages signalant l’apport de nouvelles offrandes10. Sa technologie est la même que pour ceux de Frasnes : de fines feuilles d’or soutenues par une âme de fer. À la même époque, ce genre de dépôts devient fréquent également dans les îles britanniques, comme en témoignent les spectaculaires découvertes de Snettisham, et dans la péninsule ibérique. Certains de ces torques servaient de cadeaux diplomatiques, les sources romaines en évoquent plusieurs exemples et le sénat romain lui-même en offrit à des souverains gaulois alliés. Le lieu de découverte du torque de Mailly-le-Camp, trouvé en Champagne, bien loin du territoire des Nitiobroges, s’explique d’ailleurs peut-être par une pratique de ce type.


Le torque, attribut divin : De nombreuses divinités furent représentées avec le torque, à une époque tardive, et non une divinité en particulier comme cela a parfois été dit. Ces créations rejoignent le rite du dépôt des torques eux-mêmes sur les statues. L’attribut, d’abord celui des héros et des guerriers, conçu comme d’essence divine, devient donc un attribut divin quand sous l’influence gréco-romaine les dieux celtes sont représentés sous une forme humaine.

ree

Les figures du chaudron de Gundestrup comptent sans doute parmi les représentations les plus anciennes. Quatre bustes de déesses, dont deux figurent la même divinité, portent un torque à tampons bien identifiable ; parmi les cinq bustes de dieux, deux portent le torque, dont l’un est vraisemblablement Taranis. L’une des plaques du chaudron représente également le dieu Cernunnos, portant le torque autour du cou et en brandissant un second dans la main droite, comme pour l’offrir : la scène, tout en démontrant la nature divine du torque, paraît suggérer que cet attribut pouvait passer aux hommes.

Les autres représentations de Cernunnos confirment le lien étroit du dieu cornu avec le torque : ainsi sur un gobelet en argent de Lyon, où il tend le collier de sa main droite devant lui ; ainsi de la sculpture du pilier des Nautes (Paris), où un torque est accroché à chacun de ses deux bois ; la statuette d’Etang-sur-Arroux (Eduens) le figure un torque au cou, un autre posé sur le ventre. Sur la célèbre sculpture de Reims, le dieu siège en majesté, dans sa position accroupie traditionnelle, un large torque à tampons sur le cou, accompagné d’un Mercure et d’un Apollon. À Nuits-Saint-Georges, comme sur d’autres reliefs encore, un Cernunnos tricéphale porte également cet ornement. Un certain nombre des « statues accroupies » de l’époque romaine se rapportent d’ailleurs sans doute à Cernunnos (S. Deyts) mais, comme le montre la célèbre statuette du « dieu de Bouray » (Parisii), lui aussi porteur du torque, cette position a pu caractériser d’autres divinités. Les Celtes ont également assimilé l’un de leurs dieux à Apollon, comme l’attestent plusieurs découvertes. En Moselle, une monnaie d’argent de la fin de l’indépendance figure le dieu grec avec un torque à tampon sur le cou ; en Dordogne, c’est une petite figurine de bronze qui représente Apollon avec le bijou celtique. La représentation est empruntée au monde gréco-romain, mais le torque montre le caractère celtique de la divinité.

Comme on pouvait s’y attendre, les images du dieu de la guerre gaulois le figurent avec un torque, comme sur la stèle de Mavilly (Côte-d’Or) ; sa fonction est clairement indiquée par sa panoplie (cotte de mailles, lance, bouclier) et la présence à ses côtés du serpent à tête de bélier et d’une parèdre féminine. À Avenches, en terre helvète, c’est le dieu Sucellus qui porte le torque, comme le dieu de la statue de bois d’Yverdon-les-Bains. Le torque distingue également toute une série de divinités féminines : ainsi de la divinité de Chamalières (Arvernes), dont la sculpture de bois fut découverte dans un sanctuaire de source. On en trouve d’autres exemples à Avenches (Helvètes), à Vienne-en-Val (Carnutes) ainsi qu’à Alésia (Mandubiens). Dans ce dernier site, la déesse Alésia couronnée porte le torque comme pour manifester son caractère local, tandis que la célèbre statuette figurant Epona tient dans sa main droite un épais torque, gage là encore de la protection divine.

On peut bien sûr parfois hésiter à identifier les figures humaines portant le torque à des dieux ou à des personnages héroïsés : la célèbre tête de Msecke Zherovice (Boïens de Bohême, IIe siècle av. J.- C.) rappelle l’ancêtre héroïsé du Glauberg, mais le traitement de la coiffure et le contexte archéologique suggère une image divine, puisqu’elle fut mise au jour au sein d’un enclos cultuel, et non d’une sépulture. La statuette d’Euffigneix rappelle les statues-troncs héroïques, mais l’association du personnage avec des figures animales rappelle le polymorphisme des divinités celtiques. Quant à la statue-tronc d’Alésia, on peut hésiter entre un héros ou un dieu-borne contribuant à délimiter le sanctuaire voisin (D. Deyts).

La principale caractéristique du torque est donc qu’il est un objet de parure commun aux hommes et aux dieux qui, par son intermédiaire, apportent selon les époques protection au guerrier, immortalité au défunt, prestige social aux membres des familles dominantes.

*

ree

*

Katherine Gruel et Eneko Hiriart, auteurs de "Les élites celtiques. Le témoignage des monnaies." (In : L’Archéologue, no 146 | juin-juillet-août, 2018, pp. 58-71) confirment l'importance du torque dans la culture gauloise :


On retrouve fréquemment des trésors associant des torques (parures celtiques portées autour du cou) et des pièces de monnaie. On peut citer comme exemple les trésors de Tayac en Gironde, de Saint-Louis dans le Haut-Rhin, de Frasnes-lez-Buissenal en Belgique ou de Jersey en Grande-Bretagne. Les torques, généralement en or, se retrouvent à côté des pièces car ils représentent eux aussi une réserve de richesse. Mais les raisons expliquant cette association récurrente ne sont-elles pas plus profondes ? C’est ce que paraît également indiquer la représentation régulière de torques dans l’iconographie des pièces celtiques où ils constituent soit un motif annexe, porté par un cavalier ou un aurige par exemple, soit le motif principal comme sur les statères en or dits « Regenbogenschüsselchen » d’Allemagne du Sud. Il convient de rappeler que le torque bénéficie auprès des sociétés celtiques d’un statut particulier. Initialement élément de parure, cet objet peut également assumer des fonctions diverses. Il représente ainsi l’attribut de l’aristocrate et du guerrier, porté au cou lors des batailles comme le suggère la statue du Galate mourant, et accompagnant les défunts dans leur sépulture. Le torque, que l’on le retrouve brandi par le dieu Cernunnos sur le chaudron de Gundestrup, semble également posséder une place symbolique et religieuse dans les croyances celtiques. Enfin, bien que cela soit difficile à mettre en évidence, il joue probablement un rôle dans certaines pratiques sociales (dots, cadeaux diplomatiques, potlatch, etc.). L’association torques-pièces pourrait confirmer la fonction non seulement économique mais aussi sociale que possèdent certaines pièces de monnaies dans le monde celtique.

Dans L'Oracle de la sagesse gauloise (Éditions Le Courrier du Livre, 2021) Caroline Duban et Lawrence Rasson propose une carte spécialement dédiée au Torque :


Le Torque

Du latin torquis, « torsade », torqueo,  « tordre »


Les torques sont des colliers rigides, en bronze, en or ou en argent, aussi portés par les hommes que par les femmes. Leur forme et leurs motifs varient d'une région à l'autre, et évoluent en fonction des époques. Tous ne sont pas torsadés. Les extrémités changement également : on en trouve qui sont fermés, d'autres plus ou moins ouverts, certains portent des tampons, des sphères, ou des têtes d'animaux ; des émaux ou des pièces de corail sont parfois incrustés... Ces bijoux honorifiques étaient également dérivés sous forme de bracelets. Ils sont la marque d'une appartenance à un haut rang dans la société, une décoration pour les guerriers, ou un objet votif déposé dans les sépultures pour les défunts. Dans ce cas, des torques étaient réalisés tout spécialement pour ce genre de dépôts. On en a exhumé un peu partout sur les anciens territoires celtes. Ce type de bijoux a été introduit en Europe à partir du VIe siècle av. J.-C.

ree

Sur la présente carte, c'est le torque d'or de la princesse de Vix qui a été choisi comme exemple marquant de l'orfèvrerie celte et gauloise. Il a été daté autour de l'an 480 avant notre ère. Las sépulture de la Dame de Vix fait partie des tombes à char richement décorées. La princesse reposait sous un tumulus qui faisait 42 mètres de diamètre à l'origine. Situé en Bourgogne, tout près du mont Lassois - ancien oppidum placé sur la route de l'étain entre les îles Britanniques et la péninsule italienne - le tertre funéraire cachait une tombe de forme trapézoïdale d'environ 9m². Un important mobilier accompagnait la défunte, notamment un char, dont les roues démontées avaient été entreposées contre l'un des murs du caveau. Sur ce dernier reposait le corps, paré de luxueux bijoux en schiste, en bronze, en or et en ambre. Un grand torque de bronze creux reposait sur l'abdomen de la défunte trentenaire, tandis qu'un autre ornait le dessus de sa tête. C'est celui-ci qui est représenté sur la carte.

Le diadème en or se termine de chaque côté par des pattes de félin, derrière lesquelles sont accolés des motifs extrêmement fins, et sur lesquelles reposent deux chevaux ailés.


Interprétation : Le torque, qu'il soit porté autour du poignet, du cou ou arboré sur la tête, est une marque de prestige, une preuve visible du statut et du rang de son ou sa propriétaire. C'est un objet que l'on emporte avec soi dans la mort, ou que l'on façonne pour honorer la mémoire d'un personnage une fois qu'il a trépassé. Dans un tirage, le torque signifie le respect dévolu à une élite. Celle-ci peut être financière, bien sûr, mais elle peut aussi et surtout (dans ce contexte) être intellectuelle ou spirituelle. On parle ici d'une personne hors norme et admirée. Il n'est pas question ici de marginalité. Au contraire, il s'agit de quelqu'un qui apporte la fierté autour de lui. On a plaisir à être en sa compagnie, il illumine le temps de sa présence, et laisse souvent un souvenir impérissable. Selon votre demande, la carte peut vous représenter vous-même, ou une personne qui incarnerait ces qualités. Tout dépend des autres cartes qui entoureront celle-ci.

Avec le torque, il y a une notion publique, car le port de ce bijou est fait pour être vu. Il sous-entend un contact régulier - comme un professeur, un conférencier, un médecin, etc. - ou exceptionnel - une rencontre, un séminaire auquel vous participerez - qui vous laissera une empreinte à l'esprit. Ceci vous servira tôt ou tard. Un savoir, une expérience, une idée vous seront bientôt utiles à développer par la suite. Vous êtes peut-être dans le cas du consultant qui se laissera imprégner par la préciosité de cette rencontre ; à moins que vous ne soyez cet expert qui, sans le savoir, fera naître des vocations, si ce n'est déjà le cas.

Dans une autre situation, il peut s'agir d'un regret, ou plutôt d'un manque. En effet, si votre question se pose vis-à-vis d'une personne trop lointaine géographiquement, ou décédée, le torque symbolise le souvenir qui sera à jamais gravé dans votre cœur. Certes, le défunt l'emporte avec lui dans la tombe, mais les êtres qui l'ont confectionné et/ou l'en ont paré n'oublieront jamais ce dernier présent offert. C'est comme un dernier lien, un dernier sourire avant de fermer définitivement une porte. C'est un fil invisible qui vous relie à ceux que vous avez aimés. Ce lien peut, selon les situations, être abstrait ou avoir un support matériel ; une photographie, une lettre autographe, un bijou, ou un objet ayant appartenu à la personne à laquelle vous pensez, représente ce cordon indissociable. Dans ce tirage, la carte du torque n'est pas un lien toxique à couper. C'est un élément sur lequel vous pouvez vous recueillir et vous connecter avec l'être disparu ou éloigné.

*

ree

*


bottom of page