Méduana, déesse des miracles
- Anne

- 8 juil.
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Dernière mise à jour : 18 juil.
Étymologie :
Selon Jean Sibenaler, auteur de Les premiers préfets du Maine-et-Loire : naissance d'un département français. (Editions Cheminements, 2000) :
Les Romains appelaient ce cours d'eau [la Mayenne] Meduana, et l'actuelle commune de Bouchemaine se nommait alors Bucca Meduana.
Hugo Blanchet, auteur de Méfitis osque et Méfitis romaine, des sources limpides aux eaux pestilentielles. (Romain Garnier, Jun 2018, Limoges, France. pp. 89-112) étudie plus précisément le thème medu- :
*medhu- dans la théonymie, l’hydronymie et la toponymie « italoceltique »
Medb et l’ivresse celtique : En celtique, le thème est attesté avec perte régulière de l’aspiration, d’où medu- (MATASOVIC 2009 : 261), v. irl. mid, « hydromel, alcool », v. breton medot « ivresse ». On trouve également un adjectif fondé sur l’ajout de la voyelle thématique à valeur possessive (PINAULT 2007 : 293) medhw-o- « ivre » > celt. medwo-, gall. meddw, corn. medhow. On trouve un théonyme celtique fondé sur ce thème : v. irl. Medb (personnage du Cycle d’Ulster), irl. Méabh, anglicisé en Maev, d’après medh a- « celle qui enivre (?) » ; le personnage divin est en effet associé au partage de l’hydromel au cours de mariages rituels (PINAULT 2007 : 293. Le théonyme peut également représenter med a « souveraine », sur la racine med- « mesurer, s’occuper de »). Cette héroïne mythique doit probablement être identifiée à Medb Lethderg (Book of Leinster, 44b), divinité souveraine de la mythologie irlandaise.
Meduna et Vercana : Delamarre (2003 : 222-223) relève également un théonyme celtique Meduna, « déesse Hydromel / Ivresse », qui est peut-être un dérivé en -Vna, d’après le suffixe de Hoffmann -h3no- selon une analyse de Pinault (2007 : 297), sur med( h )u-, d’où Medūna « Maîtresse de l’Hydromel/Ivresse ». Ainsi dans l’inscription CIL 13, 7667 (Germania Superior) : De(a)e Vercan(a)e / et Medun(a)e / L(ucius) T. Acc(e)ptus / v(otum) s(olvit) l(ibens) m(erito). Dans cette inscription de Bertriacum, station thermale depuis l’Antiquité, la divinité Meduna se trouve associée avec Vercana, qui selon Xavier Delamarre doit être liée à la racine werg- « agir, faire » de uerg(/c)obretos « vergobret, magistrat » (DELAMARRE 2003 : 315) ; de cette association, on tire ainsi une interprétation comme une paire de déesses « Action / Ivresse », allégories de la fureur guerrière. Or, il ne s’agit probablement pas ici de la fureur humaine. En effet, l’inscription est située sur un autel découvert à proximité d’une source chaude : dans un contexte de sources thermales, bouillonnantes, cette paire peut plutôt renvoyer à l’action de l’eau, ce d’autant plus que la deuxième déesse, Vercana, connaît effectivement une association avec l’eau dans une autre inscription, cette fois en Belgique, où elle semble parrainer la construction d’un aqueduc : CIL 13, 4511 (Belgica, Mediomatrici, ) In h(onorem) d(omus) d(ivinae) deae Vercanu / isd(em) co(n)s(ulibus) ips(?) Ant() Q() F() pos(uit) aq(uaeductum) / V Id(us) Mai(as).
medh u-, désignation de la source : Outre Meduna, il y aurait d’autres attestations du thème medh u- dans l’hydronymie (DELAMARRE 2003 : 222), ainsi dans *medu-ona, nom de rivière : Meduana (Lucain I, 430) « la Mayenne », Mionnaz (en Suisse) ; Meduanta > Mantes ; Meduna en Vénétie ; également Meduacus amnis (Liv. 10, 2).
On aurait donc effectivement une spécialisation du thème medh u « hydromel » dans la sphère géographique italo-celtique comme fleuve, cours d’eau, source… Le thème ne semble cependant pas, en osque, être directement un emprunt aux Celtes : en celtique medh u- déjà passé à medu-, n’aurait pas donné meβ- ; il s’agit probablement d’une spécialisation italo-celtique, à moins de supposer une influence celte dans l’usage de ce thème comme désignation de la source ? En tout cas l’apparente inexistence du thème dans les langues italiques reste, comme le souligne Lejeune (1986 : 212), un argument ex silentio : son absence en latin, langue fort bien documentée, ne présuppose pas de son absence dans une langue lacunaire comme l’osque. Ainsi le thème *medh u- « hydromel » aurait connu un emploi métaphorique pour signifier « jaillissement, écoulement », voire « bouillonnement, effervescence » en rapport alors avec le caractère fermenté de la boisson, d’où, par extension « source, cours d’eau. »
[...]
Lejeune, quoique lui-même reconnût en Mefitis une déesse source (LEJEUNE 1986 : 207), avait repoussé, ou du moins mis en doute l’hypothèse du thème medh u- en arguant du fait que Mefitis même à Valle D’Ansanto n’a rien n’enivrante : nous proposons ainsi un sens différent pour medh u- : « bouillonnement, effervescence (de l’hydromel) », caractère que l’on retrouve bien à Ansanto. Cette hypothèse réconcilierait les attributs de Mefitis comme déesse liée à des sources et l’étymologie par le thème de *medh u- « boisson enivrante » par sa spécification comme désignation de cours d’eau dans le monde italo-celtique, et qui donne au moins une déesse celte « maîtresse de la source », Meduna.
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Identification :
Sur le site Univers Celtique (informations non sourcées) Méduana est présentée comme suit :
Meduna, Déesse celtique de guérison vénérée en Irlande pour ses pouvoirs pouvant accomplir des miracles sur les blessés et malades.
Claude Sterckx, auteur de La Mythologie du monde celte (Éditions Marabout, 2014) établit la correspondance entre la Meadhbh irlandaise et la gauloise Méduana :
LES DÉESSES MINEURES : Toutes les divinités féminines se réduisent sans doute à des formes de la Terre-mère et de la Nature naturante: leur diversité répond à l'infinie variété des formes de la nature. Certaines remontent très loin : la Gauloise Méduana et l'Irlandaise Meadhbh correspondent à une incarnation indo-européenne de « l'ivresse du pouvoir » accordée au souverain légitime par son royaume-épouse.
[...]
En dépit de cette biographie mortelle, il a été reconnu depuis longtemps que Meadhbh est ici l'héroïsation d'une déesse pan-indo-européenne et vraisemblablement pan-celte. Son nom signifie en effet « l'Enivrante » et correspond à un thème indo-européen bien attesté : celui de l'ivresse du pouvoir et de la royauté. Un texte irlandais, parmi d'autres, assimile ainsi explicitement l'avènement d'un roi à l'accès à un hanap rempli de la « bière rouge de la souveraineté ».
La vision du Spectre : Après avoir découvert la pierre de Fal, le roi Conn Céadchathach et ses quatre compagnons d'aventure sont enveloppés par un brouillard magique, au sortir duquel ils se retrouvent dans l'Autre Monde.
Ils se trouvaient dans une plaine où il y avait un arbre en or et un palais long de trente pieds et dont l'arche était en or. Ils y entrèrent et y virent une jeune femme couronnée d'or et qui siégeait sur un trône en cristal, derrière un tonneau en argent cerclé d'or. Un plat en or se voyait auprès d'elle et un hanap en or devant elle. Ils virent aussi le Spectre sur son trône : son pareil en gloire n'avait jamais été vu à Tara.
Le Spectre leur dit : « Je ne suis ni un fantôme ni un revenant [ .. .l. Mon nom est Lugh [ ... l. et je vais révéler [à Conn] la durée de son règne et celle de tous les rois qui régneront à Tara jusqu'à la fin des temps. »
La jeune femme était la Souveraineté de l'Irlande. Elle présenta de la nourriture à Conn: une côte de bœuf et une longe de porc [...]. Lorsqu'elle en vint à verser à boire, elle demanda• à qui servir le hanap rempli de la bière rouge de la souveraineté, et le Spectre le lui dit. Et quand il eut énuméré tous les rois à partir de Conn, Céasarn écrivit leurs noms en oghams sur quatre branches d'if.
[K. Meyer, Baile in scail, dans Zeitschrift für Celtische Philologie, 1901, Ill, pp. 459-460)
[...]
Le caractère pan-indo-européen de la figure de Meadhbh a été mis en évidence à travers des études qui ont établi non seulement sa parfaite homonymie avec la déesse indienne Madhavi, mais aussi l'étroite similitude de leurs personnalités et des aventures qui leurs sont prêtées : toutes deux portent un nom formé sur le mot indo-européen désignant la boisson par excellence des temps archaïques, l'hydromel, et qui les définit donc comme celles qui accordent l'ivresse du pouvoir ; l'une et l'autre sont des incarnations évidentes de la souveraineté et de la puissance régalienne ; elles épousent sans vergogne une série de princes accédant à la royauté ; elles sont associées à la quadripartition idéale de leur monde autour du centre qui les gouverne ; elles rendent manifeste la perfection d'un roi légitime aux trois niveaux fonctionnels de l'idéologie indo-européenne.
Le caractère pan-celte de la figure de Meadhbh paraît assuré par l'existence d'une déesse Méduna ou Méduana dans !'Antiquité celto-romaine au nom exactement analogue au sien si ce n'est qu'il est ennobli d'un suffixe théonymique.
[...] Médu(a)na et Meadhbh témoignent de la persistance d'une figure divine depuis les lointains temps indo-européens.
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Symbolisme de la déesse :
Selon Jacques Lacroix, auteur de Les noms d'origine gauloise - la Gaule des dieux (Éditions Errance, 2007) :
Pour des raisons symboliques et sacralisantes, des rivières ont pu être dénommées par certains peuples gaulois sur le nom celtique de l'hydromel (Bessard, 1910, 38 ; Delamarre, 2003, 222-223). Le nom de la MAYENNE provient d'un antique Meduana, attesté au Vie siècle, chez Grégoire de Touts (radical medu-, « hydromel », et suffixe -ana, identique à celui de Sequana, la SEINE). La même rivière, à sa naissance et depuis le confluent avec la Sarthe (près d'Angers) jusqu'à son embouchure avec la Loire, est appelée la MAINE (nom d'origine semblable) (Joanne, IV, 1896, 2400 ; Lebel, 1956, 2 et 4-5, avec carte). On connaît plusieurs autres cours d'eau pareillement nommés : la MAINE, affluent du Grand lay (en Vendée) ; la petite MAINE (dans le même département), affluent de la Grande MAINE, coulant entre les départements de la Vendée et de la Loire-Atlantique, et se jetant dans la Sèvre Niortaise ; la Petite MAINE, affluent de la Vive (à Épieds, dans le Maine-et-Loire) (Joanne, IV, 1896, 2400 ; Le Quellec, 1998, 163-164) ; et aussi la MEYNE (Medena, en 860), affluent du Rhône (dans le Vaucluse, près d'Orange) : le MIDOU, dans les Landes, la MOUGE (Melogia, en 1024), affluent de la Saône (en Saône-et-Loire).
Des localités établies près de ces eaux « enivrantes » en ont tiré leur appellation : telles MANTES-la-Jolie et MANTES-la-Ville (Yvelines), sur la rivière de Vaucouleurs (jadis Medanta flumen, forme attestée au Xe siècle) (Mulon, 1997, 35) ; MAYENNE, dans le département et sur la rivière du même nom (c[lastrum] Mendena, sur une monnaie mérovingienne ; Meduana, au IXe siècle) (Beszard, 1910, 37-38) : MÉNIL (aussi dans la Mayenne, sur la rive droite de la rivière éponyme), au lieu du confluent du ruisseau de Valle (vici Meduanilis, en 1040) ; MEYNES (Gard) (Medenis, en 960), près d'une soruce réputée (Joanne, IV, 1896, 2660) ; et MOUGE (Saône-et-Loire), sur la MOUGE.
[...]
Toutes les rivières concernées ont dû être nommées « Celles-qui-enivrent » parce qu'on considérait qu'elles étaient des eaux saintes offrant les deux présents des dieux : capables d'enivrer les terres de leur abondance liquide et de transmettre els bienfaits de la richesse, comme les hommes les en priaient.
Dans L'Oracle de la sagesse gauloise (Éditions Le Courrier du Livre, 2021) Caroline Duban et Lawrence Rasson propose une carte spécialement dédiée à Medu :
Medu
Hydromel, Ivresse
Le miel et ses dérivés ont eu une importance remarquable dans la consommation des peuples gaulois, et ce depuis leurs ancêtres de l'âge du Bronze. L'hydromel est le plus ancien breuvage fermenté que l'homme ait jamais bu. De nombreux vestiges nous sont parvenus à travers des résidus récupérés sur les parois de récipients déposés en offrande dans des sépultures. La plus connue est dans doute celle du prince de Hochdorf, en Allemagne. Protégée par un tumulus, la tombe princière a été aménagée entre 550 et 500 avant notre ère. Son remarquable état de conservation a permis une étude approfondie des éléments funéraires. La chambre sépulcrale était entièrement tapissée de tentures maintenues par des fibules. Le défunt reposait sur une sorte de sofa en bronze et fer à roulettes.

Toutefois, l'objet qui attire l'attention est le chaudron dans lequel macérait la préparation au miel. Ce dernier pouvait contenir près de 500 litres, mais il n'était rempli qu'aux deux-tiers. Les restes du breuvage, miraculeusement préservés de l'évaporation, s'étalaient jusqu'à dix millimètres d'épaisseur sur la face intérieure du chaudron. Il ne a été déduit qu'il pouvait contenir entre 79 et 292 kilos de miel pour un volume de 350 litres ! Ces quantités induisent un hydromel de grande qualité avec une fermentation d'un an. Le miel provenait d'essaims de la région, mais on ignore s'ils étaient sauvages ou s'il s'agissait de ruches entretenues. De nombreux ustensiles accompagnaient le défunt dans la tombe, notamment des cornes à boire. Mais l'hydromel n'est pas seulement une boisson ; il est aussi un remède, semble-t-il efficace, pour rétablir un malade, calmer la fièvre, la toux, les plaies de la bouche et les brûlures d'estomac, à condition qu'il ne soit pas trop vieilli (Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXII, 110).
Les territoires gaulois, riches en forêts, comptaient de nombreux essaims sauvages qu'il était possible de domestiquer. La production et la consommation de ce nectar étaient régulières. Il semble qu'une divinité y ait été rattachée : DEAE MEDUNA. Sa mention est attestée sur une inscription votive retrouvée à Bad Bertrich (en Allemagne), une antique station thermale. La divinité associée à cette source aurait donc porté un nom en relation avec l'hydromel et/ou ses effets.
Interprétation : Le miel et l'hydromel sont deux aliments qui, une fois assimilés par le corps, guérissent, apaisent, transforment et transcendent. Des propriétés désinfectantes au simple plaisir suscité par la saveur et le texture de ces extraits dorés, le précieux cadeau de la ruche vous invite à ressentir les effets des nourritures terrestres et spirituelles sur vos corps physique et éthérique. Il est temps de vous interroger sur la forme que ces dernières prennent, et sur leur légitimité dans votre épanouissement. Le miel, comme toute autre nourriture, est très séduisant parce que sucré, coloré et onctueux... Mais, à outrance, il conduit immanquablement à une mauvaise hygiène au niveau du sang, des organes et des dents. L'hydromel, réchauffant et rassurant lorsqu'il est consommé raisonnablement, peut rapidement faire tourner la tête, rendre colérique ou triste selon vos humeurs et votre nature propre, si vous en abusez. Tout est une question d'harmonie dans vos sustentations. Ces mets peuvent aussi bien vous rappeler à l'ordre par rapport à votre façon de consommer, ou en ce qui concerne vos fréquentations. En effet, le poison peut s'instiller sournoisement : diabète et cholestérol ne sont pas le propre de quelques kilos en trop, par exemple. Il se peut que vous ayez trop de toxines (caféine, théine, protéines...) dans les reins, le foie ou les artères qui demandent un peu de mise au repos, avec une alimentation plus saine pour retrouver une seconde jeunesse. N'hésitez pas à faire appel à un nutritionniste afin d'effectuer des examens et commencer par un suivi médical. un régime propre à vos besoins pourrait vous être proposé.
S'il est question de relations dans votre consultation, il va falloir apprendre à faire la part des choses. Quelles sont les personnes avec qui vous vous complaisez, bien qu'elles vous amènent des sentiments mitigés ? Avez-vous, par exemple, un ami ou un proche parent à qui vous tenez, mais qui vous draine énergiquement par ses discours, sa trop grande présence, son attitude négative ou déstabilisante ? certes, vous ne pouvez pas vous passez de lui, à moins que ce ne soient les liens de la famille qui vous commandent de garder le contact, mais est-il pour autant nécessaire de stimuler ce contact ? Les visites ne peuvent-elles pas être espacées ou votre écoute, votre présence ne peuvent-elles pas être offertes autrement ? Sachez que ce n'est pas en vous épuisant que vous parviendrez à aider cette personne, on ne peut y arriver qu'en se ménageant soi-même. Il ne vous est pas demandé de ne plus vous nourrir de ce miel ou de cet hydromel symboliques, seulement d'en faire une utilisation et une consommation plus raisonnées.
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Symbolisme de l'hydromel :
Gérard Poitrenaud, auteur Cycle et Métamorphoses du dieu cerf (Toulouse : Lucterios, 2014) consacre un article intitulé "Figures de l'apothéose celtique" au symbolisme de l'hydromel :
[...] Le banquet faisait ainsi communier les participants avec le couple divinisé ou héroïsé en célébrant une sorte de communauté intemporelle qui manifestait ainsi son unité. Mais il y a plus : l’installation postérieure d’un fanum suggère que le culte funéraire s’est transformé en culte divin présentant des aspects chtoniens.
Ces assemblées, funéraires ou non, semblent s’être tenues partout en Gaule. Elles représentent un phénomène culturel de masse. [...]
La consommation de viandes et de boisson enivrante est également attestée dans des sanctuaires : à Corent (Puy-de-Dôme) où les dépôts d’amphores ont montré des restes de vin, ou à Fesques (Seine-Maritime) où on a découvert des ossements de porcs et de bœufs, des têtes et des côtes de caprinés, des chaudrons ainsi que des gobelets en céramiques révélant des traces de bière et d’hydromel. [...]
Les auteurs anciens rapportent que les Celtes festoyaient assis en cercle sur des jonchées couvertes de peaux. Le participant le plus important occupait la place d’honneur. Viande, pain, parfois poissons étaient disposés sur des tables basses, car la nourriture importait autant que la boisson, qui pouvait être du vin pur, de la bière ou de l’hydromel. Un esclave faisait passer boissons et mets de droite à gauche suivant la préséance, en reproduisant le mouvement par lequel les Celtes vénéraient les dieux. Les hauts gobelets de céramique qui avaient remplacé les cornes passaient de mains en main pour que chacun boive à son tour une petite gorgée (Posidonios). Le côté sacré du banquet transparaît dans l’ordre strict des convives et dans la distribution organisée de la nourriture et de la boisson.
Après l’époque des sépultures princières, le banquet semble avoir pris un caractère militaire : les nobles convives ont derrière eux leur porte-bouclier et en face d’eux leur porteur de lance. Puis vint le banquet politique, comme celui de l’Arverne Luern. Les sanctuaires et les enclos à amphores servent alors au recrutement et à la fidélisation de la vaste clientèle par un patron qui veut prendre ou garder le pouvoir. Celui-ci capte à son profit des sentiments qu’il faut bien appeler religieux, et qui dans les banquets funéraires qu’on a vus unissaient l’assemblée des vivants à ses morts les plus distingués. Le banquet funéraire et le banquet clientéliste convergent dans l’assimilation du patron et de l’ancêtre héroïsé en tant qu’incarnation de la communauté et de la souveraineté. Tous deux rassemblent une communauté en créant un lien fort matérialisé par le mur et le fossé de l’enceinte. Tous deux produisent réellement et symboliquement la profusion des bienfaits. L’enclos représente si on peut dire une sorte de chaudron magique dans lequel règne l’extraordinaire abondance donnée en partage par les dieux. Tout se passe comme si le prince héroïsé et l’ambitieux qui plus tard prend sa place devenaient dans cette cérémonie des avatars du dieu de la communauté, du Teutatès, dont on verra qu’il est assimilable au Dis pater gaulois.
[...]
Lieu d’ivresse : Le décor exceptionnel de l’œnochoé de Glauberg daté vers la fin du Ve s. A.C. prouve s’il en est besoin que l’apothéose n’est pas exclusive des Sallyens. Le récipient dont la fragilité suggère qu’il n’a été conçu que pour le rituel funéraire contenait environ deux litres d’hydromel. Au faîte de son anse est figuré un guerrier jeune et glabre assis en tailleur. Ses yeux exorbités tournés vers le verseur suggèrent une transe. Les coins de sa bouche sont tournés ostensiblement vers le bas comme ceux de la grande statue du prince héroïsé trouvée sur le site : est-ce le signe qu’il se trouve dans l’au-delà ? Les sphinges griffons qui l’entourent qu’il ne s’agir pas seulement d’impassibilité. Il porte une jupe à franges de cuir et une cuirasse composite aux parties d’épaules croisées sur sa poitrine, d’un type connu dans en Grèce au VIe s. AC. L’arrangement des boucles de cheveux autour de son visage correspond aussi à la mode méditerranéenne de cette époque.
Ce guerrier fait la liaison entre la statuaire des héros assis qu’on vient de voir et l’ivresse sacrée qui semble avoir été de mise au cours des banquets funéraires. L’anse représente souvent sur d’autres récipients de ce genre un fauve plus ou moins monstrueux, un masque à barbe abondante ou un masque de silène celtisé comme sur l’œnochoé de Kleinaspergle dans le Bade-Wurtemberg daté vers 430 AC. Le guerrier est assimilé à un fauve ; c’est ce qu’on a vu aussi. À Glauberg, le symbolisme des animaux gravés et les têtes de félins placées aux pieds des sphinges-griffons qui encadrent le bec verseur rendent parfaitement le thème de l’ivresse divine et la force sacrée qui en résulte. Mais ce n’est pas tout : leurs têtes aux oreilles dressées semblent être prolongées par deux bandes terminées en volutes qui laissent deviner des queues serpentines. Quant aux deux créatures fantastiques sur le rebord de part et d’autre du « héros », elles font à première vue figure de gardiens. Leurs yeux surdimensionnés rappellent les yeux hallucinés du guerrier. Leur tête anthropomorphe est surmontée de cornes en forme de lyre, comme pour montrer qu’elles sont liées à une musique puissante et sacrée. Les deux sphinx assis se tournent vers le héros en signe d’allégeance, de soumission. Les cornes, les articulations des pattes avant et arrière qui se terminent en énormes onglons forment des spirales qui rappellent celles des griffons sur la fibule à masque de Parsberg dans le Haut-Palatinat. Ces êtres composites s’inspirent certes des griffons et des sphinx ; mais ils n’ont pas d’ailes ; les spirales à leurs articulations laissent penser qu’ils sont rapides comme des tornades1 . Leur visage humanoïde doté d’une longue barbe qui passe sur leur dos pour finir par une queue en volute2 les identifie en tant qu’ancêtres, ce qui revient à situer le lieu mythique comme un in illo tempore immémorial, celui des ancêtres justement qui disposent de l’hydromel. Mais en même temps, ils représentent des serpents à grosse tête, comparables par leurs cornes du fameux serpent à tête de bélier. On se demande si la tête dotée d’un corps de serpent représente le jaillissement de la vie fécondante ou l’âme immortelle. Nous sommes en tout cas au lieu mythique où la vie se fait et se refait. Les êtres fantastiques apparaissent comme des incarnations du pouvoir d’immortalité associé au breuvage. Cette boisson magique est d’ailleurs aussi convoitée par les esprits, comme le montre l’ornement de l’anse de l’œnochoé à bec tréflé de Mediolanum à Châteaumeillant dans le Cher, qui figure une créature encapuchonnée qui écarte les bras comme pour tenir les bords du récipient et baisse la tête pour boire avec avidité.
[...]
L’hydromel apparaît ainsi relié à la force magique exprimée par les lions comme par le symbolisme de la coupelle en or [trouvée dans la tombe de Hochdorf] qui devait servir à puiser et à distribuer la boisson de l’immortalité. Les doubles cercles qui en décorent le bord sont des symboles astraux qui suggèrent que la distribution du breuvage devait transporter les convives dans le monde divin et les y impliquer dans une communauté égalitaire, comme l’a suggéré Stéphane Verger. La chambre funéraire contenait un service de boisson pour neuf convives, avec neuf plats ou assiettes en feuilles de bronze, utilisés, d’après les usures du fond, du vivant du prince. Mais le fait que le défunt a emporté cette vaisselle dans l’au-delà et qu’on n’a pas retrouvé à ce jour de trace de l’immolation de ses proches indique que cette explication est incomplète. Qui seraient ses compagnons dans l’autre monde ? Des ancêtres, des dieux, d’autres princes ? Le nombre neuf pourrait ne pas être aléatoire : exprimait-il une totalité bénéfique, à laquelle devait se conformer idéalement le nombre des nobles qui formait la cour rapprochée du prince — comme les douze de la table ronde d’Arthur ? Stéphane Verger suppose que la grande corne en fer n’était pas réservée au roi, mais servait à boire collectivement dans des circonstances particulières, comme les serments, pour réaffirmer rituellement la cohésion d’une communauté de pairs3 . Il est cependant difficile de concevoir qu’une fois le prince enterré, cette communauté ait dû rester privée de la corne cérémonielle qui symbolisait son unité. Si rite de communion il y a eu, celui-ci impliquait un personnage divin, possesseur véritable de la corne cérémonielle, auquel devait impérativement revenir ce qui avait servi à son représentant ou incarnation. Quoi qu’il en soit, l’absence de mets destinés au banquet, de chevaux et le char non directionnel confirment que le monde dans lequel gît le prince héroïsé est symbolique. Les tissus sans ornement ni couleur qui couvrent le char, la cuve et le défunt lui-même laissent penser aussi à une sorte d’espace intermédiaire correspondant au voyage du défunt vers l’au-delà.
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Outre les armes et tous les signes qui prouvent la qualité du défunt, l’attelage permettant le voyage et l’or immortel, le service à boire ne peut manquer parce que la vie dans l’autre monde est liée à l’ivresse que la taille énorme des récipients à boisson suggère être celle d’une collectivité. Le cratère de Vix qui fut sans doute avant son emploi funéraire un cadeau diplomatique a une contenance de 1100 litres. Celui de Lavau près de Troyes, découvert récemment, a une ouverture de plus d’un mètre de diamètre. Il fallait certes que les convives du banquet funèbre ne manquent pas de boisson, mais il fallait aussi et surtout « permettre » au défunt de banqueter éternellement – du moins en attendant que le moment d’une nouvelle vie fût venu. L’hydromel apparaît donc comme le « carburant » de la vie après la mort, la vie dans l’autre monde comme une ivresse sans fin.
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