Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. Ca 1500 Kermes « cochenille » (Hortus sanitatis translaté de latin en françois cité par Sainéan, L'Hist. nat. et les branches connexes dans l'œuvre de Rabelais, p. 171) ; 1762 (Bonnet, Considérations sur les corps organisés, t. 2, p. 90 : le kermés [...] est encore une gallinsecte) ; 2. 1584 bot. kermez (Du Bartas, Seconde sepmaine, Eden, 543 ds Œuvres, éd. U. T. Holmes, t. 3, p. 19) ; 1775 kermès (Dict. raisonné universel d'hist. nat., t. 2, p. 77 : Les Provençaux nomment ce chêne vert simplement kermès) ; 1808 chêne kermès (Baudrillart, Nouv. manuel forest., t. 1, p. 139) ; 3. 1737 pharm. (Lesage, Gil Blas, p. 1027). Empr. à l'ar. qirmiz « cochenille » (FEW t. 19, p. 95) v. alkermès, carmin, cramoisi. Le kermès, appelé graine en a. fr. et m. fr., a été considéré jusqu'au début du xixe s. comme une excroissance du chêne vert, provoquée par la piqûre d'un insecte. La nature animale du kermès a été reconnue par l'Ital. Cestoni (1637-1718), cf. Batt., s.v. chèrmes, cit. de Vallisneri. Au sens 3, médicament, appelé communément poudre des Chartreux, mis en vogue en 1714 par le frère Simon (cf. Comm.).
Lire également la définition du nom kermès afin d'amorce la réflexion symbolique.
Le site de l'Académie française (rubrique Expressions, Bonheurs & surprises, 4 juillet 2019) propose un article qui met en regard le kermès et son homonyme :
Le kermès et la kermesse : Ces deux noms sont homonymes mais, pour le sens et l’étymologie, ils sont entièrement différents. Le premier, kermès, apparaît à la fin du xve siècle et désigne une variété de cochenille qui vit en parasite sur certains arbres. Par métonymie, ce nom désigne aussi la teinture que l’on obtient à l’aide de ces insectes et, employé en apposition, dans l’expression chêne kermès, il désigne un petit chêne méditerranéen sur lequel vivent ces animaux. Ce nom, kermès, est emprunté, par l’intermédiaire de l’espagnol alkermes, de l’arabe qirmiz, « cochenille » ; il a de nombreux parents. D’abord, le plus proche, alkermès ; c’était à l’origine le même mot, avec son initiale al, l’article d’origine arabe que l’on retrouve dans alcool, algèbre ou alambic. Il désigne aujourd’hui une liqueur faite de fruits marinés dans l’alcool et teintée avec du kermès. Kermès a aussi d’autres parents un peu plus éloignés : le nom carmin, qui date du xiie siècle, et l’adjectif cramoisi, du xiiie siècle. Il y a deux hypothèses concurrentes pour expliquer le premier et toutes deux nous ramènent à qirmiz. Carmin pourrait être issu du latin médiéval carminium, un nom formé à l’aide de l’arabe qirmiz et du latin minium, « vermillon, minium », le mot latin se comprenant soit comme le vermillon obtenu à partir de cochenilles, soit comme une juxtaposition de deux termes synonymes visant à les renforcer mutuellement. Mais on évoque aussi pour expliquer l’origine de ce nom une dérivation de l’ancien français carme. Celui-ci a beaucoup voyagé, nous le tenons en effet de l’espagnol carmez, qui lui-même était issu de l’hispano-arabe qarmaz, une altération de l’arabe classique qirmiz. Si donc le nom carmin est peut-être passé par l’espagnol, l’adjectif cramoisi nous vient sûrement, lui, de l’italien cremisi, « rouge foncé », un emprunt de l’arabe qirmizi, « de la couleur de la cochenille », un dérivé, bien sûr, de qirmiz.
Le nom kermesse est plus ancien (fin du xive siècle). Dans son Dictionnaire, Littré signale que l’on dit également Karmesse (c’était d’ailleurs uniquement sous cette forme qu’on le trouvait dans l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie française) et que ce nom est un emprunt du flamand kerkmisse, nom composé de kerk, « église », et misse, « messe », signifiant proprement « messe de l’église ». Ce nom, kirk, qui appartient à la même famille que l’anglais church et que l’allemand Kirche, a une forme bien germanique mais c’est pourtant du côté du grec qu’il faut aller chercher son origine. Il s’agit en effet d’une altération du grec chrétien kurikos, « du Seigneur », que l’on peut lire dans l’expression kurikon dôma, « la maison du Seigneur », cet adjectif étant lui-même dérivé de kurios, « seigneur », un nom que l’on retrouve au vocatif dans le Kyrie eleison. On pourra noter, sans vouloir tomber dans la psychologie des nations, que pour désigner leur église, les peuples grec et nordique ont choisi de privilégier le nom du bâtiment, kurikon dôma, « la maison du Seigneur », alors que les peuples latins ont choisi un nom tiré du grec ekklêsia, « assemblée du peuple », puis « assemblée des fidèles » et, proprement, « assemblée convoquée », ce nom appartenant à la même famille que l’anglais to call, « appeler ». Mais, en dépit de cette pieuse étymologie, la kermesse, qui est une fête patronale, est aussi et avant tout une occasion de réjouissance populaire entraînant une certaine licence. Il n’est pour s’en convaincre que de se référer aux œuvres picturales auxquelles elle a donné son nom et dont Rubens fut un maître éclatant, ou de lire ce qu’écrit Huysmans à ce sujet dans L’Art moderne (1883) : « Dans sa Kermesse du Louvre, Rubens n’en faisait pas, de cette peinture-là [de la peinture à sentiments et à idées] et Brauwer et Ostade n’en faisaient pas davantage. Dans leurs toiles on pisse, on dégobille. »
Autres noms : Kermes vermilio - Graine d'écarlate - Kermès des teinturiers -
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Symbolisme :
André Miquel, auteur de La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du 11e siècle. Tome 3. (Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Éditions Mouton, Publications de l’École Pratique des Hautes Études, 2002) évoque le kermès :
Bestioles utiles et compagnons discrets : L’animal domestique se confond avec les activités des hommes, qu’on décrira plus tard, dans un autre volume. Cette association est si forte que, pour peu que sa petite taille l’y prédispose, il s’effacera tout à fait derrière sa fonction, son produit. Voyez le ver à soie. Réserve faite d’un passage d’Iṣṭaẖrī, repris par Ibn Ḥawqal, où l’on veut bien nous préciser qu’il « tisse pour lui-même la soie grège », aucune attention n’est prêtée à la bête : encore est-elle prise ici comme référence pour évoquer le kermès. En revanche, la soie, sous l’une ou l’autre de ses formes, naturelle ou traitée, est, elle, massivement présente, attestant que le luxe, l’apparat ont pris le pas, dans l’Orient et l’Occident musulmans, sur les préventions des milieux rigoristes. Ajoutons : et qu’ils ont rejeté dans l’ombre la modeste bestiole sans laquelle ils ne seraient pas. A l’inverse, le kermès, incomparablement moins courant, n’en est que mieux traité. Si, comme on vient de le dire, il est parfois rapproché du ver à soie, ailleurs, en revanche, il bénéficie d’une rubrique spéciale, à commencer par le pseudo-Ğāḥiẓ du Kitāb at-tabaṣṣur bi t-tiğāra ; qirmiz désigne et la plante et la bête qui vit à sa racine, en trois régions du monde seulement, l’Espagne, les montagnes au sud-ouest de la Caspienne et le Fārs. La connaissance des lieux et des techniques nécessaires serait l’apanage de certains Juifs, et la récolte se ferait en février. Muqaddasī s’en tient à l’évocation des Arméniennes piquant, d’une pointe de cuivre, les vers sortis de terre. Réalité pure ou enjolivée, c’est presque un luxe de détails, on en conviendra, pour un animal qui ne fait guère, chez nos auteurs, que des apparitions fort discrètes, noyé parfois dans son propre sang : cette teinture merveilleuse elle-même résumée du nom de sa couleur, rouge, incarnat, cramoisi.
Le kermès confirme, a contrario, que plus l’animal est domestiqué, connu, et plus l’étrangeté dont il était initialement porteur disparaît au regard de l’homme qui l’exploite.
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