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Le Chêne-liège




Étymologie :


  • CHÊNE-LIÈGE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1793 (L'abbé Rozier, Cours complet d'agric., s.v. chêne, p. 204b). Composé de chêne* et de liège*. [Contrairement à l'indication du Lar. Lang. fr., ne se trouve pas ds O. de Serres ; v. FEW t. 5, p. 291, note 1].


  • CHÊNE, subst. masc.

Étymol. et Hist. Fin xie s. judéo-fr. chasne, chaisne, chesne (Raschi Blondh., § 199 et 607) ; 1160 chasne (Enéas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 1921) ; ca 1170 chaidne (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 18) ; 1177-88 chaisne, chesne (Chr. de Troyes, Perceval, éd. W. Roach, 6528-6529) ; ca 1225 désigne le bois tiré de cet arbre chainne (G. de Coinci, éd. V. F. Koenig, I Mir. 11, 1466) ; 1600 chesne-vert (O. de Serres, 794 et 795 ds Littré). L'a. fr. chasne est issu de *cassanus attesté sous la forme casnus (866 ds Nierm. ; v. aussi Du Cange t. 2, p. 203c) prob. d'orig. gaul. (REW3, no1740) ou pré-gaul. (v. FEW t. 2, p. 461b). D'apr. Ascoli ds Archivio glottologico italiano, t. 11, pp. 425-427 *cassanus serait le représentant gaul. du gr. κ α ́ σ τ α ν ο ς (châtaigne*), v. aussi Hubschmid fasc. 2, p. 104. Les formes chaisne, chesne sont plus prob. issues d'un croisement avec fraisne, frêne (v. G. Tuaillon cf. bbg.) que d'un type *caxinu (Fouché, p. 816 ; v. aussi Cor., s.v. quejigo) ; chêne-vert est composé de chêne et de vert*.


  • LIÈGE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. a) Début xiiie s. « écorce du chêne vert » (R. de Houdenc, Vengeance Raguidel, éd. M. Friedwagner, 5924) ; b) 1562 « quercus suber » (Du Pinet, Histoire du monde, XVI, 8, p. 586) ; 2. 1902 bot. (Nouv. Lar. ill.). Du lat. pop. *levius, élargissement du lat. class. levis « peu pesant, de peu d'importance », le liège ayant été ainsi nommé à cause de sa légèreté.


Lire également la définition des noms chêne, liège et chêne-liège afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Quercus suber - Corcier - Surier - Suve -

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Botanique :


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Usages traditionnels :


Selon A. Lamey, auteur de Le chêne-liège : sa culture et son exploitation. (Éditions Berger-Levrault, 1893) :


Le liège était connu des anciens ; plusieurs auteurs grecs et latins font mention de ses usages, notamment Théophraste et Pline l'Ancien . Ce dernier, dans son Histoire naturelle (Liv. XVI, chap. XII ) , en dit ce qui suit :


« Le liège est un arbre de faible grandeur ; son gland, peu abondant, ne vaut rien. On n'utilise que son écorce qui est très épaisse et qui renaît à mesure qu'on l'enlève. On en a formé des surfaces planes de dix pieds carrés. Elle est souvent employée pour les bouées d'ancres de navires , les filets de pêcheurs, les bondes de tonneaux, et en outre pour la chaussure d'hiver des femmes ; aussi les Grecs appelaient-ils assez plaisamment le liège l'arbre à écorce. Quelques-uns le nomment yeuse femelle et, dans les lieux où il n'y a point d'yeuse, on le remplace par le liège, surtout pour la charpente, comme dans les environs d'Élis et de Lacédémone. Le liège ne croît que dans quelques contrées d'Italie et manque totalement dans les Gaules. » Et plus loin : « Le liège sert pour la couverture des toits. »

Ainsi les Grecs et les Romains connaissaient déjà la plupart des emplois que l'on fait du liège aujourd'hui ; ils savaient également que le chêne-liège jouissait de la propriété de reproduire une nouvelle écorce, et, comme dans l'antiquité, on se sert de nos jours encore du liège pour couvrir les habitations dans certaines parties de la Kabylie.

Tout ce que dit Pline du chêne-liège est très exact, sauf son assertion que cet arbre manque totalement dans les Gaules, et l'on peut à bon droit s'étonner que cet auteur d'ordinaire si bien renseigné et que ses fonctions diverses avaient appelé à résider successivement dans les possessions romaines du Nord de l'Afrique et en Espagne, n'ait pas fait mention des forêts de chênes-liège qui existaient dans ces pays, de même que dans la Gaule Narbonnaise et dans l'Aquitaine ; d'autant plus que, déjà trois siècles avant J.-C. , dans son Histoire naturelle des Plantes, Théophraste parle des chênes-liège des Pyrénées. On peut en conclure que si le liège était connu depuis fort long temps déjà, son emploi n'était cependant que très restreint et son usage peu répandu. Cet article ne faisait l'objet d'aucun commerce sous le règne de Vespasien, époque à laquelle vivait Pline.

Pendant une série de siècles, le liège continua à demeurer, même dans les pays de production, un objet d'utilité fort secondaire et il fallut le développement de l'industrie du verre pour faire rechercher un produit si longtemps dédaigné. La fabrication des bouchons de liège date du XVIIe siècle, époque à laquelle l'usage des bouteilles en verre commença à se répandre dans la vie domestique. On se servit d'abord du liège naturel ou liège mâle, et ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'on trouve, en Espagne, les premières traces de véritable culture du chêne- liège. [...]

En même temps que la culture du chêne- liège se propageait, s'établissaient dans les bourgs environnants de nombreux ateliers pour la taille des bouchons, dont les produits, répandus sur les principales places de l'Europe, assurèrent bientôt aux lièges catalans une réputation méritée qu'ils ont conservée jusqu'à ce jour. La Catalogne peut donc être considérée à bon droit comme le berceau de la culture du chêne- liège, qui n'a cessé d'y progresser ; c'est actuellement encore dans la province de Girone que l'on trouve les exploitations les mieux soignées. L'Andalousie et l'Estramadure, aussi riches en forêts de chênes liège, sont loin d'être aussi avancées sous ce rapport.

C'est en Portugal que la culture du chêne-liège a fait les progrès les plus rapides ; quoique d'introduction récente, elle a pris une telle extension, que la production en liège portugais égale, et dépasse même pour le moment, en quantité, celle de tous les autres pays réunis.

L'Italie, qui vers 1830 approvisionnait presque entièrement l'Angleterre, a vu son exportation baisser et tomber à un chiffre assez faible, par suite d'exploitations exagérées d'écorces à tan, qui ont ruiné et détruit une grande partie de ses forêts.

De la Catalogne la culture du chêne-liège s'est rapidement propagée sur l'autre versant des Pyrénées, dans le Roussillon et dans la Gascogne ; dans la région du Var, ses progrès ont été beaucoup plus lents. Au commencement de ce siècle, on ne tirait encore que peu de parti des chênes-liège des Maures ; de temps en temps seulement, des marchands venaient dans les forêts chercher du liège mâle, qu'ils arrachaient et allaient vendre ensuite à Toulon, pour les besoins de la marine ; ce fut là l'origine des premiers démasclages. Peu à peu il s'établit dans quelques communes de la montagne des petits ateliers, où trois ou quatre ouvriers se réunissaient pendant la saison d'hiver pour tailler des bouchons, que le chef ou patron allait vendre, l'été suivant, à la foire de Beaucaire. Ce n'est que vers 1820 que l'on commença à s'occuper un peu plus sérieuse ment des chênes-liège. Les premiers fermages dans les forêts communales ne remontent pas au delà de 1819. Dans les forêts de l'État, la récolte des lièges a été affermée à partir de 1827.

[...]

Il existe bien peu de forêts, en Algérie comme en Tunisie, qui n'aient été maintes et maintes fois parcourues par les incendies, et s'il est une chose dont on puisse s'étonner, c'est qu'elles aient pu survivre à tant de catastrophes. Il a fallu pour cela la puissance de la végétation africaine et l'énergique vitalité des souches de chêne-liège qui, autour du tronc carbonisé, faisait repousser de nouveaux et vigoureux rejets, tandis que sur d'autres points germaient de toutes parts des semences enfouies, comme si l'incendie les avait subitement réveillées !

Les indigènes se servent du liège en canons pour en faire des ruches pour leurs abeilles ; ils l'emploient en planches dans leurs habitations en guise de tablettes pour y déposer leurs provisions et les préserver du contact de l'humidité. Dans les contrées habitées par des populations d'origine kabyle, le liège sert non seulement à la couverture des habitations, mais on l'emploie même en guise de moellons dans la construction des murs, en le mélangeant par gros fragments avec de l'argile ou de la terre délayées. De pareilles constructions présentent quelque solidité et garantissent fort bien du froid et de l'humidité. Le liège de reproduction recouvrant les excroissances arrondies qui se forment quelquefois sur le tronc ou sur les principales branches, est recherché par les indigènes ; en le détachant avec précaution ils obtiennent des cuvettes ou écuelles grossières pouvant servir à différents usages. Les bergers surtout s'entendent à provoquer la formation sur l'arbre de ces coupes naturelles, ustensiles rustiques dont l'ouvrier européen lui-même se sert volontiers dans ses campements.

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Selon Pline, l'écorce du chêne-liège, pilée et bue dans de l'eau chaude, réprime « les hémorragies de l'un ou l'autre orifice » (Pline, Histoire naturelle, XXIV, 29). Pendu autour du cou, le liège arrête les montées de lait des femmes et des animaux.

Le liège est également un remède contre les crampes ; on recommande notamment de s'en confectionner des bracelets pour les chevilles et de les porter pendant la nuit.

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G. Balloux, auteur d'un article intitulé "Usages et symbolique des essences ligneuses emblématiques de la Gironde, et plus largement de l’Aquitaine" - (In : Evaxiana n°3, 2017, pp. 147-151) présente le chêne-liège d'Aquitaine :


En Aquitaine, le chêne-liège (Quercus suber L.) est principalement localisé dans le Maransin – où il est indigène – et le Néracais, mais aussi dans le Gers, dans le bois de la Colonne à Saint-Martin-de-Lerm (Gironde) (CRPF d’Aquitaine, 2004) et au Maine Pommier à Lagorce (Gironde), à la limite de la Charente-Maritime ; la station de Lagorce est considérée comme la plus septentrionale de France, le chêne-liège craignant le froid et l’ombre(3). À part cela, il est planté en bosquet (château Faugas à Gabarnac) ou isolément un peu partout en Gironde, comme à Montagoudin. Le chêne-liège de Montagoudin, planté à 50 m du méridien de Greenwich il y a plus de deux siècles, avec sa circonférence de 5,80 m, mérite qu’on s’y attarde car nous avons un témoignage sur son histoire. Un propriétaire nommé Gabourin avait un valet originaire de SaintJustin (Landes) qui avait rapporté cet arbre de son village ; le maître n’en voulant pas sur son domaine, il fut planté sur un talus au bord d’une route, à l’entrée du village. Le chêne servait à effrayer les enfants désobéissants, mais c’était aussi un lieu de rendez-vous pour les jeunes. Mais revenons en Marensin et en Néracais, qui sont les deux pôles subéricoles historiques d’Aquitaine. Le liège servait à fabriquer des bouchons, des ruches et des filets de pêche, mais cette industrie déclina inexorablement. En 1830, un hiver froid détruisit un grand nombre de chênes-lièges du Néracais ; avec l’essor du pin mais aussi l’importation de liège étranger, la subériculture disparut dans les années 1950 malgré l’augmentation de la demande. Non loin du Néracais, à Saint-Michel-de-Castelnau (Gironde), on trouve un lieu-dit « le Surrey », c’est-à-dire « le chêne-liège » en gascon ; Vigneau (1982) cite également quelques mots gascons liés à l’exploitation du liège, comme raspilh « pulvérin produit par le râpage de la croûte du liège », surra (pron. surre) « gland du chêne-liège », surreda (pron. surréde) « bois de chênes-lièges », canoar (pron. canouà) « écorcer », canon (pron. canoun) « première écorce enlevée au chêne-liège », recanon (pron. recanoun) « deuxième écorce enlevée au chêne-liège », recanoatge (pron. récanouatge) « deuxième écorçage des chênes-lièges », recanoar « faire le deuxième écorçage ».

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Liz Marvin, autrice de Grand Sage comme un Arbre (Michael O’Mara Books Ltd, 2019 ; First Éditions, 2021 pour la traduction française) transmet les messages qu’elle a pu capter en se reconnectant aux arbres :

Apprécie le voyage : le Chêne-liège

La vie est un voyage et même si tout ne se passe pas comme prévu, il est important de trouver le moyen de danser sous la pluie, au lieu d’attendre la fin de l’averse. Le Chêne-liège a un talent que les hommes admirent depuis des milliers d’années. Son écorce épaisse et élastique lui sert à se protéger de bien des choses, y compris les feux de forêt. Et même quand on lui ne prend un bout, souvent pour reboucher une bonne bouteille, le Chêne ne s’en offusque pas. Il a l’air un peu nu par la suite, mais il se contente de faire repousser son écorce. Cette résilience est un exemple à suivre, et sa particularité le rend précieux pour son pays natal, le Portugal.

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Mythologie :


Dans son ouvrage intitulé Mythologie légère. (Éditions FeniXX, 1957), Emile Henriot fait une allusion rapide au lien entre Marsyas et le chêne-liège :


Apollon attacha Marsyas à un chêne-liège, et l'écorcha vif. Depuis ce jour, cet arbre, quand on lui enlève son écorce, semble être encore teint du sang de Marsyas, si injustement mis à mort parce qu'il ne reconnaissait pas les règles.


Note personnelle : Ovide dans ses Métamorphoses comme dans les Fastes ne citent pas cet arbre mais plutôt un pin.

 




Littérature :


José Saramago, auteur de Relevé de terre, (traduit du portugais par Geneviève Leibrich, Paris, Éditions du Seuil, 2012) transmet une vision étrange de l'arbre :


Ce genre d’existence est fait de mots et de gestes répétés, l’arc que décrit la faux s’ajuste au millimètre près à la longueur du bras et le sciage de la dentelure sur les tiges sèches du blé produit le même bruit, invariablement le même bruit, comment les oreilles de ces hommes et de ces femmes n’en sont-elles pas lassées, c’est aussi le cas de cet oiseau rauque qui vit dans les chênes-lièges, entre l’écorce et le tronc, et qui crie quand on lui arrache la peau ou peut-être les plumes, et la chair hérissée et douloureuse est alors exposée à la vue, mais ce sont complaisances du narrateur que d’imaginer que les arbres s’arrachent les cheveux et hurlent.

[...]

C’est la hache qui commande le travail, tac, tac, la ligne qui contourne les branches ou qui sur le tronc est tracée à la verticale, ensuite le manche de la cognée sert de levier, allons-y et alors, c’est vrai, voici l’oiseau rauque qui vit à l’intérieur du chêne-liège, il pousse un hurlement, mais personne ne ressent de pitié. Les écorces enroulées pleuvent d’en haut, elles tombent sur les morceaux déjà arrachés au tronc, il n’y a aucune poésie là-dedans.

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Dans son analyse de ces extraits, notamment dans l'article intitulé "Le travail et ses spectres. Un parcours archéologique". (In : Cahiers du GRM. publiés par le Groupe de Recherches Matérialistes–Association, 2017, no 11.) Andrea Cavazzini relie symboliquement le chêne-liège et le monde du travail :


La description de la manière dont les gestes laborieux, soumis à la répétition du travail contraint et exploité, agressent le corps et l’esprit, débouche sur une analogie entre les travailleurs et un arbre-oiseau, lui aussi martyrisé par le travail dont il est la matière première, avant que la conclusion ironique du narrateur nous suggère que, si les hommes cloués à leurs instruments de travail finissent par se rapprocher des animaux et des arbres, c’est que l’on projette le malheur et la fatigue des travailleurs sur la nature non-humaine.

Donc, finalement, l’oiseaux-arbre et les travailleur se ressemblent ; mais cette ressemblance se situe au-delà de toute « complaisance » lyrique, car il n’y a pas d’empathie, pas de communion immédiate entre l’homme et la nature : le travailleur ne ressent aucune pitié pour l’arbre et ses exploiteurs n’en ressentent guère pour lui. S’ils communient, ce n’est pas par une communication directe des sentiments, ni dans la transparence réciproque de l’âme humaine et de la nature, mais dans le malheur d’un destin funeste qui opprime toutes les créatures. Le cri de l’oiseau-liège est le gémissement inexprimable qui jaillit de la création soumise à la malédiction du travail.

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