Autres noms : Nyctereutes procyonoides ; Chien martre ; Nyctéreute viverrin ; Renard du Japon ; Tanuki ;
Zoologie :
Selon Jean-Pierre et Yan-Chim Jost, auteurs de Animaux Sauvages des villes et banlieues (Éditions Cabedita) :
Le chien viverrin (Nycterentes procyonoïdes) est un autre animal qui envahit progressivement l’Europe de l’ouest. Ce canidé vient de l’Asie de l’Est et du Japon. Il fut introduit durant la première moitié du XXe siècle en Russie comme animal à fourrure. Il occupe les mêmes biotopes que le blaireau. Sa progression vers l’ouest est de trente à cinquante kilomètres par année et actuellement, il a déjà traversé l’Elbe. Au Japon il est devenu urbain et vit entre autre à Tokyo.
Roland Libois dans "Les mammifères non volants de la Région Wallonne : tendances des populations". Université de Liège, 2006) nous présente ce petit animal :
L’arrivée du chien viverrin, Nyctereutes procyonoides, en Europe de l’ouest est la conséquence d’introductions délibérées et massives réalisées sur de vastes régions de Russie d’Europe (Daghestan, nord du Caucase, régions de Voronej, Tambov et Koursk). La fourrure du chien viverrin était en effet très appréciée pour la fabrication de vêtements pour l’armée russe. De ces régions où il fut introduit à partir de 1935, il s’est constamment étendu vers l’ouest jusqu’à atteindre le nord de la France à la fin des années ’70. Les tentatives d’introduction en Sibérie centrale (Irkoutsk, Novossibirsk, région de l’Altaï) se soldèrent par des échecs retentissants, en raison de conditions hivernales trop rudes et du peu de ressources alimentaires (Duchêne & Artois, 1988).
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Répartition géographique : Le chien viverrin est originaire d’Extrême-Orient, des confins de l’Amour jusqu’au Yunnan et au nord du Viêt-Nam. À l’ouest, il ne dépasse pas la Chine centrale (Sechouan). Il est également sur les îles principales de l’archipel japonais. Introduit récemment en Russie d’Europe, son aire de répartition s’est étendue naturellement vers l’ouest et le nord. Elle comprend maintenant une vaste zone allant du Caucase à la Mer Blanche et à la Laponie finlandaise. À l’ouest, il atteint le centre de l’Allemagne de l’ouest. La Slovaquie fut atteinte en 1943, la Pologne en 1955, l’Allemagne en 1960 et la Bohème-Moravie en 1963. Des observations sporadiques sont mentionnées dans toute la Suède depuis 1945. Sa première mention en France remonte à 1979 et, en Norvège, à 1983 (d’après Duchêne & Artois, 1988).
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Habitat : Que ce soit dans sa région d’origine ou dans les zones où il s’est acclimaté, le chien viverrin préférerait les forêts mixtes caducifoliées de basse altitude (moins de 600 m) avec un sous bois dense et à proximité de plans d’eau et d’espaces découverts. Dans les régions où dominent les forêts de conifères, il se rencontrerait plutôt au voisinage des cours d’eau, des étangs, des marais. Il établit ses gîtes dans les tas de bois, sous les meules de foin, dans des trous laissés par les chablis, entre les racines de gros arbres. Il récupère volontiers d’anciens terriers de renards ou de blaireaux avec qui il lui arrive de cohabiter. Il peut aussi creuser son propre terrier.
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Symbolisme :
Anne Bouchy, autrice de Les oracles de Shirataka : vie d'une femme spécialiste de la possession dans le Japon du XXe siècle. (Presses Universitaires du Mirail, 2005) définit le tanuki :
Tanuki : (Nyctereutes procyonoides viverrinus) chien viverrin ; sorte de petit blaireau de cinquante-cinq centimètres environ, avec une queue d'une trentaine de centimètres ; animal nocturne. Comme le renard, auquel il est souvent opposé, il entre dans la catégorie des êtres de métamorphose, des trompeurs, héros ou victime des contes facétieux et drolatiques. Il est aussi considéré comme un kami inférieur.
Nathalie Dufayet, dans un article intitulé « Pompoko, une allégorie politique mythe local et urgence mondiale », (In : Raison publique, vol. 17, no. 2, 2012, pp. 77-91) rappelle les caractéristiques des tanuki :
Aux côtés des figures mythiques traditionnelles, comme les dragons, les sorcières, les dieux et les fantômes, le folklore japonais s’appuie sur des animaux communs, proches des ratons-laveurs, appelés tanuki. Dans les récits anciens, on raconte que les tanuki possèdent des pouvoirs magiques, notamment celui de créer des illusions pour s’amuser et jouer des tours aux villageois qui vivent à proximité. Les tanuki peuvent, par exemple, prendre la forme d’objets et même celle d’humains. Dans le folklore japonais ils partagent cette aptitude avec les renards, autres types de métamorphes que les Japonais regroupent sous le nom générique de kitsune (1). Les kitsune sont souvent dépeints comme des êtres désagréables et associables. C’est pourquoi, contrairement aux joyeux drilles que sont les tanuki, les renards représentent généralement une menace pour le genre humain.
Note : 1) Dans les légendes du passé, les kitsune sont plus puissants que les tanuki. Ils peuvent arborer des formes cosmiques, faire fléchir le cours du temps ou de l’espace, rendre les gens fous. Aussi le terme kitsunetsuki désigne-t-il littéralement l’« état de celui qui est possédé par un renard ou par l’esprit d’un renard ».
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Geneviève Amyot, dans son mémoire de maîtrise intitulé Le dynamisme de la personnalité des Yokai : et leur perception dans l’imaginaire japonais selon les époques. (Université de Montréal, 2020) compare le traitement des tanukis selon les époques :
Le Tanuki (Nyctereutes procyonoides viverrinus) est un canidé ressemblant au raton laveur (Procyon lotor), dont le territoire s’étend à la grandeur du Japon. Des statuettes représentant un Tanuki se trouvent souvent à l’entrée de commerces pour y apporter prospérité. Le Tanuki est souvent représenté avec un ventre très rond, car la légende veut qu’il joue du tambour en tapant dessus. Ils sont également connus pour être friands de saké.
Un autre trait qui est celui-ci propre aux Tanukis seuls, c’est la taille et malléabilité de leur incroyable scrotum. Il est dit qu’ils peuvent s’étendre à la taille de huit tatami (douze mètres carrés) et se transformer en tout ce dont le Tanuki peut avoir besoin – un parapluie, un bateau, des tambours, un déguisement, etc. Ils sont même le sujet d’une comptine pour enfant très connue.
Dans certaines régions du Japon, les Tanukis sont appelés Mujina – toutefois, cette appellation fait généralement plus référence au blaireau, quoique dans les histoires dans lesquelles les Mujina apparaissent, le fait que ce soit un Tanuki ou un blaireau pourrait être interchangeable. Le Tanuki est également souvent associé au Kitsune (Kitsune) puisqu’ils ont tous deux des pouvoirs de métamorphose et une capacité à posséder les humains, et peuvent donc aussi être utilisés de façon interchangeable dans les contes – cependant, les Kitsune ont plus tendance à devenir des femmes séduisantes et commettre des actes plus violents, et les Tanuki à se transformer en moine bedonnant, pour jouer des tours (il n’empêche qu’ils commettent parfois des actes violents dans certaines histoires)
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On peut donc dire que le Tanuki agit de façon très variée pendant la période Edo – reconnaissant et généreux dans Bunbuku Chagama, cruel et naïf dans Kachikachi Yama, plutôt blagueur dans le conte du fantôme et enfin simplement gourmand dans celui du serpent blanc. Son égoïsme semble toutefois être un élément constant – il gagne à être bienveillant dans le premier conte, décide de se venger plutôt que d’aider dans le second, agit simplement dans le but de se distraire dans le troisième et mange trop dans le dernier. Comme son comportement est très varié, il sera assez difficile de dire si son comportement change lors les prochaines ères historiques, mais s’il devient plus uniforme à travers les contes, ce sera tout de même observable.
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Les Tanuki de l’ère Meiji-Taisho semblent donc être majoritairement inoffensifs dans le cas des deux premiers contes et le dernier, et vengeur dans le troisième. Ils ne font plus de mal aux humains, sont simplement une nuisance (dans les deux premiers) ou un bon allié (dans le troisième). Ils sont démystifiés dans le deuxième et le dernier conte.
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Les Tanuki de l’ère Shōwa semblent donc principalement être des antagonistes, toujours aussi égoïstes (sauf le dernier). Ils cherchent le trouble, en s’empiffrant, en voulant dominer le monde, en tuant des membres du clan des Kitsunes. Le dernier fait cependant également preuve d’une capacité à mûrir et à s’allier aux humains. Contrairement au Tanuki naïf de la montagne de feu de l’époque Edo, les Tanuki de cette époque font preuve d’intelligence et de prévenance. [...]
Edo tardif | Meiji Taisho | Shōwa |
La théière dansante Allié, bienveillant, reconnaissant, aidant, gagne à prendre des humains d’amitié La montagne de feu Ennemi, déloyal, méchant, cruel, naïf, insensé. Peu redoutable. Le fantôme de la femme décédée Ennemi, joueur de tours, manipulateur, imprudent Le Tanuki et le serpent blanc Ennemi, gourmand | Le train fantôme Vulnérable, joueur de tours Glimpses of unfamiliar Japan Démystifié, effrayant sans être dangereux, divertissant. La bataille des Tanuki d’Awa Tous les comportements humains, allié, talentueux, vengeur, studieux, manipulateur, cruel, etc. Au sujet du kokkuri Démystifié | Contes de Tono (1935) Malin, égoïste, gourmand, vulnérable Les 808 Tanuki (Kitaro) Ennemi, égoïste, conquérant, malfaiteur, menteur, manipulateur, etc. Danzaburo Tanuki Malin, territorial, cruel Le Tanuki et Hanatatsu Allié, aidant, amical, mature, critique |
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Littérature :
Clément Lévy auteur de "Les monstres du Japon ancien devant les lumières de l’Occident : les kaidan de Lafcadio Hearn et David B." (In : Cahiers du CELEC, Université Jean Monnet - Saint Etienne, Centre d’Etudes sur les littératures étrangères et comparées, 2010, Figures du monstre : Regards croisés dans les cultures occidentales, 1.) nous introduit à l'atmosphère des kaidans :
Les histoires de monstres constituent un genre littéraire japonais ancien et prolifique, représenté par des œuvres de tonalités et d’intentions diverses : le kaidanshù. Ce qui le caractérise est l’intrusion de phénomènes surnaturels dans un cadre familier et commun. Il est marqué par un exotisme assez fort, dont le public japonais est avide, car beaucoup de ces histoires de monstres sont d’origine chinoise. De plus, le kaidanshù offre aux écrivains la possibilité de dissimuler une critique sociale et politique sous l’apparence de récits d’événements supposés très anciens. Mais certaines des références qui y sont convoquées font du kaidanshù un genre fantastique propre à la littérature japonaise.
Le kaidanshù ou « genre des contes étranges » est né au XVIIe siècle, mais il est le fruit d’une longue évolution. Le folklore japonais, riche de divinités protectrices, mais redoutables quand on n’accomplit pas les rituels nécessaires, a évolué à partir de l’introduction du bouddhisme dans l’archipel, au VIe siècle.
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Toutes sortes de monstres jouent en effet un rôle prépondérant dans bien des kaidan. Ils sont appelés yokai, et provoquent autant d’effroi qu’ils suscitent des trésors d’érudition.
Les monstres qui peuplent les kaidan, les yokai (« monstres étranges »), forment un bestiaire très étendu qui rassemble aussi bien des démons que des animaux surnaturels, et même des plantes et des objets animés. Tous entrent en scène dans des récits fantastiques où ils cherchent à nuire aux humains. On les distingue des fantômes (yurei, et obake), qui sont les esprits de personnes disparues, qui reviennent hanter des lieux familiers ou des proches. Certains yokai interviennent couramment dans le folklore japonais et en particulier dans les kaidan. Les tanuki, chiens viverrins (une espèce sauvage d’un canidé que sa morphologie rapproche du raton laveur), prennent l’apparence d’objets familiers et d’êtres humains pour leur jouer des tours.
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Arts visuels :
Nathalie Dufayet, dans un article intitulé « Pompoko, une allégorie politique mythe local et urgence mondiale », (In : Raison publique, vol. 17, no. 2, 2012, pp. 77-91) analyse le célèbre film d'animation :
Pompoko est l’histoire d’une communauté tanuki vivant dans les années 1960. Cette décennie marque pour le Japon une croisée des chemins: entre la fin de la reconstruction générale suite au désastre de la Seconde Guerre mondiale et le début d’une croissance extrême, sans commune mesure dans l’Histoire nationale. Couvrant une trentaine d’années, le film suit l’histoire d’un projet de développement urbain réel, « la Nouvelle Tama », du nom des collines sur lesquelles ce projet eut lieu, dans la banlieue de Tokyo. Ce projet fut à l’origine d’une vaste déforestation et il détruisit de larges pans de la campagne alentour ainsi que de la biodiversité qui la caractérisait alors. Autrement dit, à une échelle non plus locale mais mondiale, cette histoire pourrait être celle de la rançon du progrès urbain et, par extension, de l’écocide dont notre civilisation industrialisée est en train de se rendre coupable depuis déjà plus de deux siècles à l’échelle planétaire.
Parce que Takahata choisit comme toile de fond les croyances japonaises traditionnelles, parce qu’il est un célèbre réalisateur de manga ou mangaka et parce que les tanuki sont une espèce endémique, il est évident que Pompoko s’inscrit pleinement dans le contexte japonais. Et bien que Takahata mette en scène, par l’intermédiaire allégorique des tanuki, sa révolte personnelle contre la destruction de l’environnement au nom du développement urbain, il est également évident que cette situation et son propos ont une portée globale.
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Dans le film animé de Takahata les tanuki sont dans la même position et impasse que les poissons de Minamata ou que les diables de Tasmanie. Ils sont les symboles du déclin de la faune sauvage et de la folie des hommes. Mais au lieu de devoir lutter contre un empoisonnement au mercure ou contre des attaques aériennes au napalm, ils se battent contre la super-croissance de Tokyo, usant de la magie pour effrayer et décourager les humains et ainsi interrompre leurs chantiers de construction. À l’origine d’un éco-terrorisme d’un nouveau genre, les tanuki et leurs actions relèvent selon nous davantage d’une « désobéissance naturelle » similaire à ce que l’on nomme la désobéissance civile. Utilisant des formes fantastiques, [...], ils font de leur mieux pour empêcher la nature de dégénérer en un espace excluant toute autre forme de vie que la seule vie humaine.
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Les personnages proviennent à la fois de légendes shintoïstes et de légendes bouddhistes, les premières étant les héritières en droite ligne des secondes. L’ensemble permet alors une renaissance massive de la tradition imaginaire ancestrale censée lutter contre la réalité urbaine actuelle. Par l’intermédiaire des tanuki, victimes d’une déforestation massive, le Mythe règle ses comptes avec l’Histoire. Surtout, les tanuki prouvent par leur tentative aussi sublime que désespérée que le pouvoir mythopoétique que leur a conféré l’imagination passée des hommes peut être transformé en un pouvoir politique. Ils inventent donc une lutte « mythopolitique », à l’image du travail conjoint de Takahata et de Miyazaki au sein du Studio Ghibli. Le combat des tanuki est en effet une métaphore de celui que mène le Studio Ghibli et qui consiste à penser que le pouvoir mythopoétique du langage animé peut devenir une arme de contestation politique, et plus précisément de leur contestation écologique. Pour ce faire, Takahata convie sur scène des figures mythologiques connues qu’il métamorphose en soldats grandioses, volant au secours d’une faune si désespérée qu’elle ne peut qu’en appeler à ce que la culture humaine a pu produire de meilleur dans le passé. Placés ainsi au cœur d’un combat écologique nécessaire, ils ne peuvent qu’impressionner les spectateurs et le deus ex machina qu’ils occasionnent ne peut que rallier finalement ces derniers à la cause tanuki.
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La révolte tanuki a été vaine, leur révolution a avorté, comme on pouvait le supposer dès le début du film. Face au projet « Tama Nouvelle Ville », les tanuki abandonnent tout espoir de retourner à leur mode de vie passé et deviennent des employés et des consommateurs comme les autres.
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