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Le Charbon du maïs

  • Photo du rédacteur: Anne
    Anne
  • 3 nov. 2022
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 oct.




Étymologie :


  • CHARBON, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. a) 1568 « anthrax » (A. Paré, Œuvres complètes, livre 24, Paris, éd. Malgaigne, 1840-41, t. 3, p. 351 : fièvre, bubons, charbons, pourpre...) ; b) 1792 art. vétér. (Encyclop. méthod. Méd., t. 4, s.v. charbon) ; 2. 1701 « maladie des végétaux » (L. Liger, Nouvelle Maison rustique, Amsterdam, t. 1, p. 235). Empr. au b. lat. carbo au sens de « maladie ».


Lire également la définition du nom charbon (2ème sens) afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Ustilago maydis - Artoustela [la pourriture du maïs] - Autza - Caviar aztèque - Corbeau - Huitlacoche - Truffe mexicaine - Urédo du maïs -

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Mycologie :


F.S. Cordier, auteur de Les Champignons, Histoire - Description - Culture - Usages des espèces comestibles, vénéneuses et suspectes... (J. Rotschild Éditeur, 1876) s'étonne de la comestibilité du charbon de maïs :


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L'Urédo du maïs, DC. , Ustilago Maydis, Tul. , ne serait pas malfaisant, au rapport de Imhoff. Il en a pris quinze jours de suite une drachme, délayée dans de l'eau , sans en éprouver le moindre inconvénient. Il en a appliqué une certaine quantité à la surface d'une plaie, sans changer aucunement la condition de la plaie, sans augmenter ni diminuer la souffrance . D'après le témoignage du docteur Dugès, qui exerce la médecine au Mexique, cette substance y serait même d'un usage alimentaire ; elle y porte le nom de Cuervo, Corbeau, à cause de sa couleur noire.

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Dans Les Champignons de l'apocalypse (Éditions Grasset, 2025) Audrey Dussutour consacre un chapitre à ce champignon parasitaire :


Les enfants du maïs


Les Basidiomycota ne sont pas en reste quand il s'agit de s'inviter dans nos cutures céréalières. Ustilago maydis, le « charbon du maïs », a une prédilection particulière pour le maïs, qu'il transforme en véritable cabinet de curiosités botaniques en créant des galles et des tumeurs sur les épis et autres parties de la plante. Aux États-Unis, ce parasite coûte un milliard de dollars par an à l'industrie agricole - de quoi faire pleurer les fermiers du Midwest !

Son cycle de vie commence sous la forme d'une simple spore ressemblant à une levure, qui se multiplie par bourgeonnement - une petite excroissance apparaît, grandit et se détache pour former une nouvelle levure. Mais pour devenir vraiment pathogène, le champignon doit passer par une étape cruciale : la reproduction sexuée. Pas d'autofécondation possible chez ce parasite, il est hétérophallique. L'union doit se faire entre deux levures de types sexuels différents. Mais pas de soucis pour notre champignon, Ustilago mayds possède pas moins de 48 types sexuels il a donc l'embarras du choix !

Ces levures émettent des phéromones spécifiques à leur type sexuel - comme un parfum pour séduire un partenaire. Ces effluves sont captés par des récepteurs membranaires, et si une levure détecte l'odeur d'un partenaire compatible, elle développe un tube de conjugaison, généralement à l'un de ses pôles, orienté vers la source du parfum. Comme nos champignons ne peuvent pas se déplacer, ces tubes leur permettent de se rapprocher l'un de l'autre - un peu comme tendre la main vers son âme sœur

Après une fusion réussie, le champignon change radicalement de style de vie : fini le bourgeonnement, place à la croissance filamenteuse ! Il pénètre dans la plante, généralement par les feuilles ou les tiges, en développant des appressoria qui, aidés d'enzymes, percent la paroi cellulaire comme des mini-foreuses. Une fois à l'intérieur, le parasite prolifère en formant des hyphes plus longs et plus complexes.

Ustilago maydis se développe principalement à l'intérieur des cellules de la plante tout en évitant soigneusement de détruire leur membrane. Il se glisse juste sous la paroi. Cette stratégie lui permet de se servir dans le garde-manger sans tuer immédiatement son hôte. Il passe ainsi de cellule en cellule comme dans un buffet à volonté. Quelques jours plus tard, les premiers signes visibles de l'infection apparaissent : des tumeurs ou galles se forment sur la plante. Ces protubérances sont le résultat de la croissance du champignon à l'intérieur des tissus de la plante. Sur les épis de maïs, le spectacle est particulièrement saisissant : imaginez es grains de maïs transformés en boursouflures grises et disgracieuses - une version cauchemardesque de pop-corns qui auraient mal tourné ! En prime, le champignon entraîne aussi un jaunissement des feuilles et un rabougrissement des plantes.

Dans ces tumeurs, les hyphes se fragmentent pour former des spores de repos noires à paroi épaisse qui seront libérées par le vent. Ces spores de repos sont produites en quantités astronomiques, - 2.5 à 6 milliards par centimètre cube de tissu tumoral - et peuvent survivre plusieurs mois. Dans des conditions favorables, la spore de repos germe pour former une baside où se déroule une méiose. Elle produit ainsi 4 spores en forme de levure, prêts à recommencer le cycle.

Mais voici le twist le plus savoureux de l'histoire : pendant que certains agriculteurs aux États-Unis dépensent des fortunes pour se débarrasser de ce qu'ils appellent le « maïs du diable », d'autres le considèrent comme un véritable trésor gastronomique ! ces moisissures disgracieuses, rebaptisées « huitlacoche », « caviar aztèque » ou « truffe mexicaine », sont un mets raffiné au Mexique depuis des siècles. Des tonnes de « huitlacoche » s'échangent chaque année sur les marchés mexicains, comme autant de pépites noires. Le nom lui-même vient du nahuatl (langue amérindienne) cuitlacochin qui signifie « maïs dégénéré sur l'épi ».

Au Mexique, on cultive même délibérément ce parasite, en enduisant les tiges de maïs d'un liquide noir gorgé de spores de repos. L'art réside dans le timing de la récolte : trop tôt, les grains infectés sont amers et immangeables ; trop tard, ils deviennent friables et risquent de se désagréger avant d'atteindre l'assiette. Cette spécialité culinaire a fait du chemin depuis ses origines modestes. Aujourd'hui, elle trône dans les restaurants de luxe comme une star de la « nouvelle cuisine ». Ne vous fiez pas à son apparence : sous cette chair noire se cache une explosion de saveurs terreuses, boisées et légèrement fumées. Imaginez un subtil mélange entre le pop-corn et la truffe - ce qui n'est pas si surprenant quand on sait qu'il s'agit d'un champignon dans un grain de maïs. Les chefs du monde entier se sont laissé séduire par les saveurs uniques du « huitlacoche », démontrant qu'un parasite peut parfois se transformer en trésor gastronomique.

Le « huitlacoche » a désormais conquis les marchés internationaux, des États-Unis au Japon en passant par la Chine et l'Europe. Et ce n'est pas qu'une question de goût : ce champignon est un véritable concentré de bienfais nutritionnels. Ruche en protéines, fibres, vitamines, minéraux et acides gras, c'est comme si Mère Nature avait décidé de créer une barre nutritionnelle déguisés en parasite. Il regorge d'oméga 3 - bons pour votre cœur et votre cerveau - et de lysine, un acide aminé qui aide à l'absorption du calcium et maintient vos os, votre peau et vos tissus conjonctifs en pleine forme.

Les chercheurs ont même découvert que le « huitlacoche » possédait des propriétés antimicrobiennes, anti-inflammatoires et antioxydantes. SI l'aventure vous tente, vous pouvez vous procurer ce caviar aztèque en conserve pour environ 20 euros le kilo sur Internet - un prix qui fait certainement grincer des dents les agriculteurs américains qui dépensent des fortunes pour s'en débarrasser !

« Vous avez essayé vous ? demande le DJ, intrigué.

- Oui, lors d'une conférence au Québec, il était cuisiné avec de l'ail sous forme de soupe brune, comme un chocolat chaud épais, répond Laure.

- Beurk », fait Sofia, la mine écœurée. Laure repense à ce colloque au Canada. C'était au tout début de l'épidémie. Les plus grands experts mondiaux s'étaient réunis d'urgence pour établir un plan de bataille contre Cordyceps : des mycologues, bien sûr, mais aussi des épidémiologistes, des neurologues, des spécialistes des maladies infectieuses, des parasités pour comprendre ce champignon ? - et même des psychologues pour gérer la panique collective. Un soir, épuisé, son collègue Miguel avait lancé sur le ton de la blague : « Et si on allait manger du champignon parasite Histoire de prendre notre revanche ! » C'est ainsi qu'ils s'étaient retrouvés dans ce petite restaurant mexicain de Charlesbourg, où le chef Valentin Vargas Perez cuisine le « huitlacoche » depuis sa tendre enfance. Un ana plus tard, Miguel succombait à Cordyceps après un accident de laboratoire. laure chasse ce souvenir douloureux et reprend le fil de son histoire.

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Usages traditionnels :


Selon Frédéric Duhart, auteur d'une « Contribution à l’anthropologie de la consommation de champignons à partir du cas du sud-ouest de la France (XVIe -XXIe siècles) », (Revue d’ethnoécologie [En ligne], 2 | 2012) :


Cependant, de nombreuses espèces dont la consommation ne présente aucun risque équivalent pour l’organisme se voient classer avec ces champignons vénéneux parmi les choses immangeables selon des critères culturels. Appréciées de longue date en terres mexicaines, les excroissances provoquées sur certains épis de maïs par Ustilago maydis ne se virent ainsi jamais accorder de statut alimentaire par les populations du Sud-Ouest. Le fait qu’elles découvrirent ce charbon du maïs dans un temps où régnait une sainte horreur de la corruption et une grande crainte de la contagion ne fut sans doute pas étranger à sa non-incorporation parmi les nourritures (Camporesi [1985] 1989 : 15 ; De Lancre [1607] 1982 : 187).

En effet, plusieurs des noms qui lui furent donnés dans les dialectes basques insistent sur le caractère morbide et dégénératif desdites tumeurs : Artoustela [la pourriture du maïs], Autza [la poussière]… (Aranzadi Unamuno 1897 : 163). La nature des scrupules sur lesquels se fondent de tels rejets dans l’incomestible est très variable (Millán Fuertes 2000 : 123-138). Il y eut précocement des déclassements alimentaires motivés par l’évitement d’un risque de confusion avec des espèces vénéneuses. À l’aube du XIXe siècle, les habitants des contrées landaises familières à Jean Thore considéraient ainsi l’amanite solitaire (Amanita strobiliformis) comme un « poison » (1803 : 477). Cependant, un tel principe de précaution n’avait rien de systématique. Quelques décennies plus tard, ledit champignon était recherché et apporté sur les marchés dans la région de Bazas.


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Eric R. Boa, auteur de Champignons comestibles sauvages: vue d'ensemble sur leurs utilisations et leur importance pour les populations. (Vol. 17. Food & Agriculture Org., 2006) rappelle la comestibilité du Charbon du maïs :


Dans plusieurs pays, les populations consomment des substances de plantes infectées de champignons pathogènes. Les épis de maïs infectés avec le champignon Ustilago maydis sont consommés en grande quantité au Mexique, frais ou en conserve. Ils sont connus localement sous le nom de huitlacoche ou cuitlacoche (Villanueva, 1997). Le Ustilago maydis est un micro-champignon : il n'est pas formé d'organes de fructification visibles et les seuls signes de sa présence sont une masse de spores sombres. Les épis semblent devenir plus sucrés comme résultat des attaques de champignons (Sommer, 1995).

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Symbolisme :


Sylviane Dragacci, Nadine Zakhia-Rozis et Pierre Galtier, auteurs de Danger dans l'assiette. (Éditions Quæ, 2011) s'interroge sur les effets secondaires du mets raffiné qu'est le Charbon de maïs pour les Aztèques :


Parfois des mets de choix : Au temps des Aztèques, on ne faisait pas la fine bouche devant le « cuitlacoche » ou « huitlacoche » littéralement « crottes de corbeau » ! Il s'agit de champignons se développant sur les épis de maïs en formant des grosseurs de 1 à 10 centimètres remplies de spores. C'est en fait une maladie du maïs, un « charbon » dû à la moisissure Ustilago maydis. Appelé « truffe mexicaine » ou « caviar aztèque », le cuitlacoche était très apprécié à l'époque. Il est encore consommé au Mexique, cuisiné au beurre ou à l'huile. pour ceux qui l'ont goûté, le cuitlacoche a une saveur sucrée, vanillée et caractéristique du sirop d'érable. C'est un ingrédient culinaire riche en glucides, en lipides (acides oléique et linoléique), en protéines et en vitamines. Cependant, la question de sa toxicité reste posée. Cette moisissure produit tout de même des métabolites secondaires comme l'ustilagine. Cet alcaloïde aurait des effets similaires à l'ergotamine, une mycotoxine neurotoxique élaborée par Claviceps purpurea.

Selon Philippe Cardon et Domingo Garcia-Garza, auteurs d'un article intitulé "L’alimentation : enjeux théoriques et empiriques dans les Amériques". (In : IdeAs. Idées d'Amériques, 2012, no 3) :


Garcia-Garza démontre que cet « embourgeoisement » des plats et pratiques populaires n’a été possible qu’au prix d’une montée en gamme et d’une recontextualisation dans un cadre plus conforme aux canons de la restauration classique. Cette opération a été possible dans la mesure où l’image des tacos ainsi revalorisée contribue à définir l’identité nationale. Mais cette contribution s’explique aussi par le fait que ces pratiques renvoient à la notion de terroir et d’authenticité, notamment quand on utilise des produits considérés aujourd’hui comme « gourmets ». Produits jadis dévalorisés, les tacos d’insectes, de sauterelles ou d’huitlacoche (champignon qui pousse sur le maïs, considéré comme l’équivalent du caviar au Mexique), sont devenus aujourd’hui une source de fierté nationale et de distinction sociale, principalement pour les élites renvoie au même temps à redéfinir la légitimité des plats populaires et par conséquent, la hiérarchie des aliments au Mexique.

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