La Pholiote du peuplier
- Anne
- 14 janv. 2023
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Dernière mise à jour : 2 mai
Étymologie :
PHOLIOTE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1903 (Nouv. Lar. ill.). Empr. au lat. sc. pholiota (E. M. Fries, Systema mycologicum, 1821, t. 1, p. 240), formé du gr. φ ο λ ι ́ ς « écaille de reptile ».
Lire également la définition du nom pholiote afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Agaricus attenuatus - Piboulado - Pivoulada dé Saouzé (Montpellier) - Pivoulade - Sauzénado -
Cyclocybe aegerita - Agrocybe du peuplier - Albarelle du Vexin - Aloumère - Aubadero - Aubarasse (Bordeaux) - Bolet de salzé - Champignon de Saule - Champignon du Saule - Oulouméro - Peuplier - Peupline - Pibolada - Pibolade - Piboulada - Piboulado - Pivoulade - Pivoulado - Rangole - Sahuquère - Sahuquero - Sauzenada - Sauzenado - Souccharel - Souchette -
Dans Le Français parlé à Bordeaux (Éditions des Régionalismes, 2013) Jean Bonnemason nous apprend l'origine du nom bordelais de la Pholiote du peuplier :
Aubarasse est le nom donné ici au pholiote du peuplier, ce champignon qui pousse comme une oreille sur les souches (peupliers, sureaux, saules)
Aubarasse vient du gascon aubar (latin albus : blanc) qui désigne le saule. Par extension, le mot désigne également, plutôt de façon moqueuse, l'oreille humaine.
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Mycologie :
Dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, partie 1, A-Am. (Éditions Larousse), on peut lire à l'entrée agaric :
L’agaric atténué croît dans le Midi, sur le tronc des vieux saules. On le propage en enterrant dans des endroits ombragés et humides des rondelles de bois de peuplier, dont la face supérieure a été frottée avec les lames de cet excellent champignon.
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Jules Rémy, auteur de Champignons et Truffes (Librairie agricole de la Maison rustique, 1861) décrit précisément l'Agaric atténué :
Agaric atténué. Le caractère le plus prononcé de ce champignon, caractère duquel son nom est dérivé, c'est la forme particulière de son pédicelle, très- mince à la base et qui s'élargit graduellement jusqu'à son point d'insertion au chapeau ; c'est là ce qui ne permet pas de confondre l'Agaric atténué avec d'autres champignons qui lui ressemblent sous d'autres rapports. Le pédicelle du champignon atténué est rarement droit, il est le plus souvent incliné. L'anneau, qu'il porte immédiatement au-dessous des lames du chapeau, est d'un brun fauve. Le chapeau, de forme régulièrement convexe, est comme tout le reste du champignon, d'un brun fauve très clair, le pédicelle est de la même nuance, mais encore beaucoup moins foncée ; les lames, de grandeur inégale entre elles, adhèrent au pédicelle.
L'Agaric atténué ou champignon atténué, est au nombre des champignons les meilleurs et les plus nourrissants, et néanmoins il n'est apprécié que dans quelques localités du Midi, particulièrement à Montpellier, où il est connu sous le nom de Pivoulade. Sa chair est blanche et de très bon goût.
On trouve l'Agaric atténué sur le tronc des vieux saules et quelquefois sur celui des vieux peupliers. Ce champignon, également sain et agréable, est d'autant plus précieux qu'on peut le multiplier en quantité illimitée par des procédés de culture plus simples et moins coûteux que ceux qu'on emploie pour multiplier le champignon de couches, dont il a les propriétés alimentaires, et qu'il peut remplacer pour la cuisine partout où il est difficile de se procurer le vrai champignon comestible, sauvage ou cultivé. Quoique l'Agaric atténué se montre rarement à l'état sauvage hors de nos départements les plus méridionaux, le climat du Midi n'est nullement nécessaire à sa croissance, et l'on pourrait le cultiver sur tous les points de notre territoire. L'un des avantages les plus importants qui résulte de sa culture, c'est que, lorsqu'il a été cultivé, il est dans les mêmes conditions que le champignon de couches et ne peut jamais se trouver mêlé à d'autres champignons dangereux.

Julien Costantin, auteur d'un Atlas des champignons comestibles et vénéneux (Éditions Frédérique Patat, 1933) décrit ainsi la Pholiote du peuplier (Pholiota cylindracea ou Pholiota attenuata) :
Le chapeau est blanc crème, puis ocracé ou brun clair, surtout au centre, souvent aréolé, crevassé. Le pied est cylindrique ou atténué à la base, glabre, blanc ou ocracé pâle. Les feuillets adhèrent au pied ou sont un peu décurrents, d'abord blanc crème, puis ocracé brunâtre. La chair est blanche, d'odeur et de saveur agréables.
On trouve ce champignon au printemps, en été et en automne sur les souches de Peuplier et de Saule.
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Christian Deconchat et Jean-Marie Polèse, dans leur ouvrage intitulé Champignons : l'encyclopédie. (Éditions Artémis, 2002) proposent une fiche descriptive très claire :

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Usages traditionnels :
Jules Rémy, auteur de Champignons et Truffes (Librairie agricole de la Maison rustique, 1861) rapporte également les détails de la culture de l'Agaric atténué :
Culture de l'agaric atténué. Dans plusieurs de nos départements de l'Ouest, l'année où les champs de céréales ont reçu une fumure complète, ils se couvrent en automne de champignons comestibles à support mince et allongé que les botanistes nomment Agaric atténué et qui possèdent la saveur et les propriétés alimentaires du champignon de couches. Ce champignon, dont bien des gens se méfient, craignant de le confondre avec des champignons dangereux, peut aisément être reproduit à volonté par la culture ; voici comment on y procède. On scie horizontalement à l'épaisseur de 3 à 4 centimètres seulement de minces rondelles de bois de peuplier tout récemment abattu, dont une surface a été frottée avec les lames broyées de l'agaric atténué parvenu à tout son développement. Au printemps, ces rondelles sont enterrées très près les unes des autres, dans un sol frais et bien aéré ; les rondelles ne doivent être recouvertes que de quelques centimètres de terre et la surface qui a été frottée avec les lames d'agaric atténué, doit être placée en dessus ; pendant les sécheresses prolongées, cette sorte de champignonnière doit être arrosée de temps en temps ; elle ne réclame pas d'autre soin de culture que celui de la sarcler aussi souvent qu'il est nécessaire, pour qu'elle soit toujours nette de mauvaise herbe. Les champignons ne s'y montrent qu'au commencement de l'automne ; à mesure qu'on les récolte, ils repoussent avec une extrême abondance jusqu'à l'arrivée des premiers froids un peu sévères . Ce genre de champignonnière doit être renouvelé tous les ans.
L'application du procédé qui vient d'être décrit est possible partout, et quoiqu'elle soit cantonnée dans une partie de nos départements de l'Ouest, elle réussirait également dans tous les autres, à l'exception seulement des plus méridionaux, où les chaleurs sèches sont très prolongées. Je fais observer à ce propos que, comme le rapporte le père Abot, missionnaire français qui avait longtemps habité la Chine, on connaît et l'on pratique de toute antiquité dans ce pays l'art de faire multiplier les bonnes espèces de champignons dans des champignonnières artificielles où l'on enterre dans ce but à fleur de terre du bois pourri et des écorces à demi décomposées de divers arbres, tels que le châtaignier, le mûrier, l'orme et le peuplier.
Selon L. F. Morel, auteur d'un Traité des champignons au point de vue botanique, alimentaire et toxicologique (Germer-Baillière Libraire-éditeur, 1865) :
Agaric atténué. Cet excellent Champignon croît à l'automne, mais il est dangereux de se tromper en le cueillant. Si donc vous le voulez multiplier pour le manger en pleine sécurité, prenez du peuplier fraîchement coupé, sciez-le par rondelles de 3 à 4 cent. d'épaisseur, frottez un côté de ces rondelles avec les lames broyées de votre Agaric parvenu à sa maturité. Ensuite, au printemps, enterrez vos rondelles, mettant en dessus la surface frottée, dans un endroit frais et bien aéré. Recouvrez-les de quelques centimètres de terre. Dès lors, vous n'avez plus à vous en occuper, si ce n'est pour empêcher d'y croître les mauvaises herbes, et pour y maintenir la fraîcheur par de légers arrosages pendant les grandes chaleurs de l'été. Les Champignons y pousseront dès le commencement de l'automne jusqu'à la fin, et vous en récolterez en grande abondance.
C'est, dit-on, la méthode que les Chinois ont employée de toute antiquité et emploient encore de nos jours, pour se procurer de bons Champignons, non-seulement de cette espèce, mais encore de beaucoup d'autres. Pourquoi ne les imiterions-nous point ? Pourquoi ne sèmerions-nous point sur le bois comme eux, ceux qui viennent sur le bois, et sur la terre, comme les habitants des Landes, ceux qui viennent sur la terre. Pourquoi aussi ne planterions- nous point, à l'exemple des Nivernais, ceux qui, comme le Mousseron, préfèrent la plantation au semis ? Espérons que nous nous y mettrons peu à peu, et qu'en cultivant les bons Champignons, nous les multiplierons assez pour n'avoir pas besoin de les rechercher à l'état sauvage. Puissions-nous bientôt atteindre cet utile but ! Combien d'accidents de moins n'aurions- nous pas à déplorer chaque année !
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Dans sa Cryptogamie illustrée ou Histoire des familles naturelles de plantes acotylédones - Famille des Champignon (Éditeur J-B. Baillière et fils, 1870), Casimir Rouméguère développe les informations sur la technique de culture de cet agaric atténué :
La culture de l'Agaric atténué qui croît au pied des vieux peupliers dans quelques départements de l'Ouest, rappelle la multiplication des espèces usuelles de champignons en Chine, telle qu'elle est rapportée par le P. Abot, missionnaire français (1). On scie horizontalement à l'épaisseur de trois centimètres des 'tranches de barres de peupliers récemment coupées, et l'on frotte une des surfaces de ces tranches avec les lames écrasées de l'Agaric atténué parfaitement mûr. On réunit ces tranches de bois en nombre au printemps dans un sol frais et aéré, en ayant le soin de placer à la lumière le côté de ces tranches qui a été mis en contact avec les lamelles de l'Agaric et qui a dù retenir ses spores. Ensuite on recouvre le groupe de tranches d'une légère couche de terreau, et on l'arrose de temps en temps. Quelques mois après, au commencement de l'automne, les champignons font leur apparition et se succèdent abondamment jusqu'aux gelées. Cette sorte de champignonière a besoin d'être renouvelée tous les ans. Desvaux qui donne dans le Méin. Encyclop., 1840, des détails sur cette culture, dit : « qu'il la pratique depuis douze ans, et que dans les années humides il a fait jusqu'à neuf récoltes successives d'Agaric. »
Note : 1) En Chine, on dépose à fleur de terre du bois pourri et des écorces à demi décomposées [provenant de châtaigniers, de mûriers et de peupliers que l'on arrose avec des macérations diverses et l'on obtient ainsi à volonté différentes espèces de champignons alimentaires.
A. Héraud, auteur d'un Nouveau dictionnaire des plantes médicinales,... (1875) classifie les champignons en fonction de leur comestibilité :
« On peut diviser les champignons comestibles en deux classes ; les voici dans l'ordre décroissant de la valeur alimentaire que chacun d'eux représente :
La première classe comprend le champignon de couche ou agaric comestible, le mousseron, le faux mousseron (Agaricus tortilis DC), l'agaric atténué (Agaricus attenuatus DC), le bolet comestible, le palomet (Agaricus palometus Th.), la chanterelle, l'oronge vraie, la golmote ou golmette vraie (Amanita rubescens), la morille ordinaire et la truffe. »
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Le Dr Lucien-Marie Gautier, auteur de Les Champignons considérés dans leurs rapports avec la médecine, l'hygiène publique et privée, l'agriculture et l'industrie (Librairie J. B. Baillière et fils, 1884) mentionne une technique de culture de la Pholiote du peuplier :
Il faut , en effet , n'accepter qu'avec réserve les assertions de quelques auteurs, qui affirment :
[...]
3° Que, pour obtenir l'Agaric atténué (Agaricus attenuatus), il suffit de frotter des rondelles de peuplier, fraîchement coupées, avec les lames broyées de ce Champignon parvenu à maturité, d'enterrer au printemps ces rondelles, en mettant en dessus la surface ainsi frottée, dans un endroit frais et bien aéré et de les recouvrir de quelques centimètres de terre. Les champignons y pousseraient, d'après les expériences de Desveaux, en ayant soin de faire de légers arrosages pendant les fortes chaleurs, dès le commencement jusqu'à la fin de l'automne. Ce procédé, beaucoup plus rationnel que le précédent, aurait fourni à ce savant mycologiste jusqu'à huit ou neuf récoltes dans certaines années humides.
Auguste Saint-Hilaire dit avoir cultivé avec le même succès, et par le même procédé, l'Agaric ægérite.
Selon Julien Costantin, auteur d'un Atlas des champignons comestibles et vénéneux (Éditions Frédérique Patat, 1933) :
Il est comestible, on le mange dans le Midi à Montpellier et à Toulouse. On en connaît trois variétés. La frome à chapeau crevassé, la forme à pied cylndrique (cylindracea), la forme à pied atténué en bas (attenuata).
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Raphaël Larrère, auteur d'un article intitulé "Les champignons sauvages." (In : Communications, 76, 2004. Nouvelles figures du sauvage. pp. 83-107) confirme cet usage ancestral de la culture de la Pholiote du peuplier :
La pholiote du peuplier (Agrocybe œgerita) est sans doute le plus vieux champignon « domestiqué » en Europe. Pline l'Ancien rapporte que, pour s'en procurer, on enfouissait des souches de peupliers dans le sol en les saupoudrant d'un terreau contenant des écorces broyées de ces arbres; en maintenant une certaine humidité, on obtenait des pholiotes.. Au XVIe siècle, la méthode se serait améliorée. Ainsi, des rondelles de troncs de peuplier étaient frottées avec des champignons frais, recouvertes de terreau contenant de l'écorce, puis enfouies au printemps dans unsol humide (ou irrigable) et chaud. La récolte s'effectuait en automne. La méthode est encore utilisée de nos jours en Italie, mais elle est aussi remplacée par une culture en containers, sur déchets organiques; avec inoculation par des souches de mycélium sélectionnées.
[...]
Dans tous les cas évoqués, la démarche fut identique. Systématisation d'observations minutieuses, acquisition et comparaison de savoir-faire, interprétation des régularités et des accidents permirent de saisir progressivement les conditions de nutrition et d'environnement favorables au développement du mycélium recherché (et défavorables à ses éventuels compétiteurs). Le même empirisme permit de déterminer les variations de milieu qui enclenchent la pousse des carpophores. C'est ainsi qu'avaient procédé Chinois et Japonais pour les champignons qu'ils appréciaient le plus (pour leurs qualités alimentaires ou pour d'autres vertus), c'est ainsi que les Italiens parvinrent à cultiver la pholiote du peuplier, et c'est ainsi que nous avons le champignon de Paris.
Si la culture s'est cantonnée au seul champignon de Paris en Occident (et accessoirement à la pholiote du peuplier en Italie), c'est que les Européens (à l'exception des Anglais, dont la mycophobie est proverbiale) appréciaient principalement les champignons des bois : truffes, amanites des Césars, cèpes, girolles, lactaires... champignons mycorhiziens, qui vivent en symbiose avec des arbres.. Or il est autrement plus complexe, comme nous le verrons, de s'assurer de leur présence et de maîtriser leur fructification que de connaître les caractéristiques adéquates du substrat et d'observer les conditions d'ambiance favorables à l'obtention de champignons saprophytes.
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Littérature :
Antoine Volodine, auteur de Dondog (Éditions du Seuil, 2002) évoque brièvement la Pholiote du peuplier :
... elle est à présent couchée dans l'inexistence. Elle repose et se décompose sous la terre indifférente, elle n'a plus de statut organique, elle n'est plus rien la maîtresse de Dondog n'est même plus une Pholiote du peuplier.
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Elle gît sous le moisi de la terre et sous les champignons, elle gît sous les champignons qui portent des noms admirables, sous les pholiotes et les agarics, sous les russules fétides, les russules noircissantes, les russules de fiel,...
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