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La Mérule pleureuse




Étymologie :

  • MÉRULE, nom masculin ou féminin

XIXe siècle. Emprunté du latin scientifique merulius, de même sens.


Autres noms : Gyrophana lacrymans ; Cancer du bâtiment ; Lèpre des maisons ; Mérule des maisons ; Mérule pleureur ; Mérule pleureuse ;

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Mycologie :


Jean-Pierre Cuny, auteur de L’aventure des plantes, 51 histoires extraordinaires, (Fixot éditeur, 1987, avec la participation de TF1. Préface de Jean-Marie Pelt) nous propose une description très orientée de la Mérule pleureuse :

Comment décrire la mérule ?... Elle n’a pas de forme précise. Épousant – mais seulement pour le pire – la forme du bois où elle apparaît, elle se nourrit de ses cellules, et le fait pourrir. Au physique, c’est une sorte de gelée, avec des plis et des alvéoles ; elle a la couleur d’une blessure infectée. Les bords sont boursouflés, livides. Surveillez-la de jour en jour, où plutôt de nuit en nuit : inexorablement, elle s’étale, pour vampiriser de plus en plus de bois. Touchez, si vous osez, la mérule. Elle est molle, inconsistante, et n’inspire que répulsion.


Ajoutons que le vocabulaire français ne lui fait même pas l’honneur de lui choisir un genre. On dit plus souvent la mérule, mais on peut dire « le » : sous-entendu, le champignon mérule.


Ainsi, Merulius ou Merulia, pourquoi dire lacrymans ? La larme, étant classée dans l’arsenal féminin, il est logique de dire la mérule pleureuse. Parce qu’au moment de végéter, elle pleure. Elle verse de vraies larmes, comme si elle se lamentait sur son sort. Il y a de quoi : la nature l’a fait naître, comme sortie de l’enfer, dans le fond d’un tonneau, dans une cave, derrière un lambris, sous un plancher... dans le noir et l’humidité.

 

Francis Martin dans son ouvrage intitulé Sous la forêt. Pour survivre il faut des alliés. (Éditions HumenSciences, 2019) raconte l'épopée de la Mérule pleureuse :


Vous connaissez le rat des villes (Rattus noevegicus) et la Baltte germanique (Blatella germanica), mais avez-vous rencontré la Mérule pleureuse (Serpula lacrymans) ou le Coniophore des caves (Coniophora puteana) ? Je ne vous le souhaite pas car ce sont de redoutables destructeurs de charpente. Ces fossoyeurs ont quitté leurs habitats forestiers naturels pour coloniser nos bateaux, nos maisons et nos châteaux. Je ne résiste pas à l'envie de vous raconter l'histoire de la Mérule pleureuse, appelée à juste titre la « lèpre des maisons ».

Elle provoque une pourriture brune dans les vieilles maisons où elle infeste les boiseries, les escaliers et les charpentes en bois. Sa croissance très rapide et sa capacité à transporter efficacement l'eau et les nutriments, grâce à des cordons mycéliens de plus de deux centimètres de diamètre, lui permettent d'envahir tous les recoins d'un habitat humide et mal aéré. La vieille bâtisse héritée de votre grand-mère deviendra très vite insalubre. Qui a envie de voir surgir un énorme champignon de sous le parquet de sa cuisine ou de la cloison de sa chambre à coucher ? Le nombre de maisons infestées par la mérule augmente dans l'Ouest de la France, où 50% des communes sont touchées par le fléau.

Mes collègues norvégiens de l'université d'Oslo viennent de publier un article dont le titre « Le Champignon qui venait de froid » est un clin d'œil aux amateurs de romans d'espionnage, et est effectivement aussi passionnant qu'un roman de John le Carré. Il retrace l'histoire de cet agent de la pourriture brune grâce à l'analyse de son génome. On connaît deux variétés de la mérule pleureuse : Serpula lacrymans et Serpula lacrymans shastensis. Leur ancêtre commun, il y a plus de 30 millions d'années, se complaisait à grignoter les bois de conifères en Amérique du Nord, au cours de l'Eocène supérieur. Les deux lignées se sont séparées 21 millions d'années plus tard, au Miocène La branche lacrymans a profité de l'immense forêt boréale qui couvrait la Béringie pour s'installer en Asie et, en particulier, sur les hauts plateaux de l'Himalaya où elle colonisa les très vieux sapins de Pindrow (Abies pindrow), gisant à plus de 2 000 mètres d'altitude. Sa cousine, de la branche shastensis, s'est appropriée l'Amérique du Nord, où elle se rencontre sur les troncs de sapins rouges (Abies magnifica) du mont Shasta, dans la chaîne des Cascades dans l'Ouest de l'Amérique.

Ces mérules sont manifestement des lignivores adaptés aux conditions rigoureuses des hautes montagnes et aux ressources très limitées de ces habitats. Par une voie encore inconnue, quelques individus de la variété himalayenne réussirent à descendre de leurs hauts sommets pour infester les charpentes des navires européens, commerçant dans l'Inde, et ainsi coloniser les ports de l'Europe. En quelques siècles, ils se sont propagés à travers les villes et les villages d continent, avant d'être transportés dans des bois infestés en Amérique du Nord. >Les annales rapportent que le vaisseau Speedwell, qui accompagnait le Mayflower vers l'Amérique, regagna Plymouth, en Angleterre, à la suite d'une avarie à la coque provoquée par le mérule. Exceptionnellement rencontré dans les forêts, ce champignon a pris des habitudes de citadin. Il trouve dans nos caves un environnement idéal où abondent la nourriture (tel que le bois d'épicéa) et l'humidité, sans souffrir de la présence d'autres mycètes lignivores qui pourraient entrer en compétition avec lui. Il progresse de cave en cave, tel un passe-muraille, grâce à sa capacité à projeter des cordons mycéliens très épais capables de transporter de grandes quantités d'eau, de sucres et d'acides aminés d'une colonie à l'autre, d'une maison à l'autre.

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Anecdotes historiques :


Selon Jean-Pierre Cuny, auteur de L’aventure des plantes, 51 histoires extraordinaires, (Fixot éditeur, 1987, avec la participation de TF1. Préface de Jean-Marie Pelt). Dans l’art de couler les bateaux, les Français, comme les autres, ont des fortunes diverses. Il peut leur arriver de manquer, soit de discrétion, soit de précision, soit de munitions, soit, plus simplement, d’informations ; comme ce fut le cas, le 21 octobre 1805, devant le cap de Trafalgar. Il y avait, ce jour-là, un navire au moins qu’ils auraient bien voulu couler : le navire amiral, celui d’Horatio, vicomte de Nelson : le « Victory ». On sait qu’un boulet tua le valeureux Anglais, mais que son navire, et sa flotte, furent les vainqueurs de l’affaire. Or, ce que les Français ne savaient pas, c’est qu’il leur eût suffi d’attendre un peu, et de laisser faire le seul ennemi que craignait l’amiral : la mérule... Un horrible. Un visqueux. De l’aveu même de Nelson, un satané bloody champignon. Une pourriture. Une vraie. En latin, Gyrophana lacrymans : la mérule pleureuse. Nelson, sans doute, ne la connaissait pas sous ce nom, mais sous celui qu’on lui donne encore, et qui résume à la fois sa puissance et la crainte qu’elle inspire : on l’appelle, en toute simplicité, le Champignon.

On disait d’un bateau : il a le champignon comme on dit : il a le cancer.

[...]

Comme toutes les marines à l’époque de Nelson (sauf une, on va le voir), la marine britannique avait tout pour lui plaire !... L’entrepont humide, le dessous renfermé... Mieux encore, une coque en chêne à double revêtement : à l’extérieur, le bordé, en contact avec la mer. À l’intérieur, côté cale, ce qu’on appelle le vaigrage. Déjà, au siège de Toulon, Nelson écrit à l’Amirauté britannique : « Ma flotte est formidable sur le papier, mais en fait, c’est une « Crazy Fleet ». Je n’ai que trois bateaux capables de prendre la mer : Victory, Bellisle, Donegal. Les autres sont des ruines flottantes. »

En effet, pour parer au danger du Corse, la plupart des navires anglais, à l’époque, ont été construits hâtivement, avec des bois insuffisamment secs : de quoi, pour la mérule, pleurer de joie. De quoi, pour l’amiral, pleurer de rage. Car les vaisseaux s’effondrent, à peine mis à l’eau ! Une unité comme le « Formidable », cent dix canons, est réduite en poussière par le champignon, quelques semaines après son lancement.

Le « Victory », au moment de Trafalgar, à force de réparations, n’est plus le même bateau que celui qui avait été lancé !... Entre les chantiers navals et la mérule, c’est donc la course de vitesse : il faut sans arrêt mettre le navire à sec, pour changer telle membrure, telle partie du bordé ...

Lancé en 1765, le « Victory » revient à soixante-trois mille livres... Quelques mois plus tard, il faut déjà changer les pièces. Coût : treize mille livres. En 1787 et en 1800, il faut pratiquement tout changer. La facture en est à trois cent soixante-douze mille livres : plus de six fois le prix de la construction !

Un chercheur américain, spécialiste de l’histoire de la marine en bois, affirme que jamais l’Angleterre n’aurait pu disputer un deuxième Trafalgar ! Il aurait fallu mettre toute la flotte à sec, pour remplacer les pièces pourries. Les finances de la nation ne l’auraient pas supporté.

La faute à qui ? À la mérule.

Les Français n’auraient eu qu’à attendre deux ou trois ans ; le temps que la flotte ennemie, lamentablement, s’effondrât. Il est vrai qu’ils étaient logés à la même enseigne. Comme les Anglais, ils massacraient leurs forêts de chênes pour construire des navires, et s’inquiétaient de ne plus trouver d’arbres assez gros. Sait-on que pour construire un seul vaisseau de troisième rang, de taille moyenne, on abattait trois mille chênes, chacun fournissant deux cents mètres de planches ?

On peut donc estimer que le navire de Nelson, pratiquement reconstruit deux fois en plusieurs épisodes, et qui était l’un des plus gros, a coûté dix mille chênes ! À cause de la mérule.

Si Espagnols et Français s’avouent vaincus après Trafalgar, la mérule, elle, continue à vouloir détruire le « Victory ». Si bien que. pieusement ramené à Portsmouth, après la victoire, et déclaré monument national, le glorieux vaisseau se désintègre de plus belle : comme si le succès l’avait pourri. En fait, comme il ne navigue plus, il est encore moins aéré, ce qui favorise l’action de la mérule. Comprenant du moins que le champignon vit dans l’humidité, les Anglais allument des poêles dans les cales pour les sécher : la vapeur humidifie l’entrepont, dont la mérule, aussitôt, se saisit.

Les Anglais badigeonnent, carbonisent, en vain. C’est alors qu’un inventeur se présente, affirmant connaître la solution. Résultat : une formidable explosion, qui fait six morts – dont lui – et quatorze blessés. La mérule pleure un peu plus que d’habitude... et continue.

C’est à cause d’elle, finalement, qu’apparaît en 1863, le premier cuirassé en fer. Il faudra attendre le XXe siècle, pour trouver les moyens de lutter contre la mérule : d’abord aérer, ensuite traiter les bois par des phénols. La marine espagnole, pourtant vaincue elle aussi à Trafalgar, ne l’a pas été par la mérule. Le plus beau et le plus puissant navire de la bataille, et de tout le siècle, n’était pas le « Victory », c’était la « Santissima Trinidad ». Elle avait à son bord mille deux cents soldats et marins. Quand les Anglais la sabordèrent ce fameux jour de 1805, elle avait trente-six ans et toutes ses membrures. Sur son bordé de six centimètres d’épaisseur, pas la moindre trace de mérule : parce qu’il était en acajou, venu des colonies espagnoles. Or, la mérule a beau pleurer, l’acajou reste insensible. Telle fut la guerre entre deux incompatibles amoureux de la marine britannique : l’amiral, un genre de dur impassible et la mérule, « une molle agressive ». C’est elle, et non la force des canons, qui eut raison de la marine en bois.

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Guy Fourré, auteur de Pièges et curiosités des champignons ( 2ème édition revue et mise à jour. / Niort : G. Fourré) ajoute quelques autres anecdotes :

C'est une sorte de croûte spongieuse, plissée, brune au milieu, blanche à la périphérie, s'étendant rapidement sur le bois humide et laissant perler de grosses gouttes transparentes. Le nom d'espèce de ce champignon, Serpula (= Gyrophana) lacrymans, s'inspire de cette dernière particularité. Son nom populaire est synonyme de fléau : La Mérule est un redoutable destructeur des boiseries, coupable d'incroyables méfaits. Certains auteurs lui attribuent la « lèpre des maisons » dont parle... la Bible, et Claude Moreau rapporte dans le « Larousse des champignons » que la Mérule (et un Coniophore, autre espèce proche), avaient mis hors d'usage, au début du XIXe siècle, 550 navires sur les 1140 de la marine anglaise ! Les champignons lignivores (sensu lato* = xylophages) avaient également provoqué l'effondrement du grand dôme de la « Bank of England » en 1807 ; et après la seconde guerre mondiale, la Mérule rongeait des rues entières de Londres. « Télé 7 jours » a publié (n° 1052 du 26.7.1980) un extraordinaire récit de Pierre Bellemare, tiré de la série « Curiositas », sur « la maison assassinée » : une grande maison inhabitée depuis longtemps, située en Normandie, entre Ouistreham et Courseulles-sur-Mer, et qui était entièrement rongée par la Mérule, de la cave au grenier, à tel point qu'il fallut la raser par mesure de sécurité.

En Deux-Sèvres, nous avons eu aussi un fait-divers assez extraordinaire, à ajouter au passif de la Mérule : en 1956, à Melle, dans une maison du centre-ville, on vendait le mobilier aux enchères, ce qui avait attiré un nombreux public dans la grande salle du rez-de-chaussée. Au moment où le commissaire-priseur frappait le troisième coup de marteau sur un buffet adjugé... le plancher de la pièce s'effondra, et une trentaine de personnes furent précipitées à la cave ! (Guy Robert). Il y eut plusieurs blessés, dont deux grièvement...

La responsabilité... de la Mérule, qui avait rongé les poutres grâce à l'humidité du sous-sol, fut démontrée par des experts et il s'en suivit une interminable bataille juridique pour déterminer quel était le propriétaire responsable, de l'ancien, qui avait sans doute négligé l'entretien, ou du nouveau qui avait organisé la vente ~ quelques heures après avoir signé l'acte d'achat de l'immeuble ! ~ et rassemblé une assistance peut-être trop nombreuse sur un parquet rongé de l'intérieur.

Enfin, au Congrès de la Société Mycologique de France à Valenciennes en 1979, Fernand Trescol a expliqué comment la Mérule avait provoqué la mort de plusieurs mineurs, dans une galerie de mine, en absorbant l’oxygène aux dépends des humains, à la suite de circonstances atmosphériques exceptionnelles.

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Symbolisme :


Lié à ses noms vernaculaires : lèpre et cancer.

 

Mouna Knani et Emmanuelle Gril, dans "Les multiples visages de l’épuisement." (In : Gestion, 2022, vol. 47, no 3, pp. 98-101) use d'une comparaison étonnante :


On pourrait aussi comparer le burn-out à la mérule pleureuse, ce champignon qui ronge lentement – mais inexorablement – les structures de bois.

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