Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. a) 1155 lire « instrument de musique antique à cordes pincées » lire e ... psalterïum (Wace, Brut, 3702 ds T.-L., s.v. lire) ; 1548 lyre (E. Forcadel, Le Chant des seraines, 5, in Wright ds Quem. DDL t. 14) ; b) 1680 « instrument des xvie et xviie siècles intermédiaire entre la viole et le violon » (Rich.) ; 2. 1549 « art de faire des vers » (P. Ronsard, L'Hymne de France, 219 ds Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. I, p. 35) ; 3. 1803 fig. « objet qui reçoit les impressions et les traduit » (Chateaubr., Génie, t. 1, p. 435) ; 4. 1803 ornith. (Dict. d'hist. nat., Paris, Déterville) ; 1868 oiseau-lyre (Verne, loc. cit.) ; 5.1871-72 « ornement en forme de lyre » (Alman. Didot-Bottin, p. 1063, 1recol. ds Littré Suppl.). Empr. au lat. lyra « lyre, instrument à cordes », « chant, poème lyrique » d'où « poésie », lui-même du gr. λ υ ́ ρ α de même sens.
Lire également la définition du nom lyre afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Symbolisme celte :
Jennifer Looper propose dans un article intitulé "L'épisode de la Harpe et de la Rote dans la légende de Tristan. Étude sur le symbolisme de deux instruments de musique." (In : Cahiers de civilisation médiévale, 38e année (n°152), Octobre-décembre 1995. pp. 345-352) une interprétation syùbolique d'un épisode célèbre de Tristan :
[....] Tristan est connu pour son habileté musicale, surtout à la harpe, et son choix de la rote est symboliquement important. S'il avait choisi, lui aussi, une harpe, le duel musical se serait livré entre deux hommes égaux. Mais le héros, pour s'abaisser, joue au jongleur, au bouffon, dans l'espoir de s'humilier pour être digne de son amie. En agissant ainsi, il se montre le plus vaillant de tous, bien plus preux que le chevalier irlandais, puisqu'il a regagné la dame, non pas avec un instrument valorisant tel que la harpe, mais avec une rote, tout à fait jongleresque.
[...]
Pour comprendre le symbolisme d'un instrument de musique, il faut d'abord établir sa réalité organologique à l'époque considérée. Les appellations «harpe» et «rote» signifient à la fois des catégories génériques de cordophones et des instruments spécifiques. Dans certains textes norrois et britanniques (comme Beowulf), le terme « harpe » désigne probablement un cordophone, en général11; toutefois, il semble avoir reçu une connotation spécifique plus vite que la rote, dont les racines remontent à la nuit des temps et qui est généralement représentée sans le pilier de devant et avec la forme d'un L plutôt que celle d'un triangle, comme cela nous est familier aujourd'hui. En terre celtique, plusieurs images sculptées sur des croix irlandaises en pierre suggèrent qu'on a probablement ajouté ce pilier vers le IXe s. Cet instrument a évolué au fur et à mesure vers la harpe triangulaire dans la forme que nous lui connaissons. Son nom, étroitement associé à cette harpe triangulaire, a été introduit par des mercenaires germaniques en terre romane, et par les Anglo-Saxons en Angleterre au VIe s.
Malheureusement, le terme « rote » est une appellation bien moins claire. Pierre Bec, dans son récent ouvrage, établit l'identité, toujours problématique, de cet instrument de musique. Comme il le dit, « la rote semble vouloir résister opiniâtrement à tous les essais d'identification » ; il soutient et développe la description faite par Bruce-Mitford dans le Grove. « Rote » semble être un mot utilisé pour décrire trois types d'instruments de musique : la lyre ronde, la rote à archet, et la rote-psalterion.
La lyre ronde [fig. 1] est un instrument à cordes pincées, tel celui trouvé à Sutton Hoo, d'origine celto-germanique, et qui s'est répandu de l'Irlande aux pays du Nord-Ouest de l'Europe, ou bien s'est développé simultanément dans plusieurs pays. C'est ce type de rote que Gottfried von Strassburg a probablement en tête quand il écrit son Tristan.
La rote à archet [fig. 2] est une lyre ronde modifiée : c'est un cordophone frotté. Cet instrument existait en Europe occidentale et surtout septentrionale18 et constituait le paradigme, dans la saga norroise, pour la vièle jouée par Tristan dans notre épisode. La rote à archet ressemble à une vièle, et ces deux instruments peuvent être facilement confondus par un auditoire nordique.
La rote-psaltérion [fig. 3] est mentionnée par Notker Balbulus au Xe s. comme une rotta. Ce psaltérion triangulaire se jouait sur les genoux dans une position parallèle à la poitrine.

Alors, de quelle rote Tristan jouait-il dans son fameux duel musical ? On remarque qu'aucun des textes mentionnant une telle rote ne parle d'archet. La prédominance d'ailleurs, dans les manuscrits allemands, de la représentation du roi David en majesté jouant d'une lyre ronde, et non d'une rote-psaltérion ou d'une rote à archet, permet de conclure que Gottfried pensait à une lyre ronde. La définition de ce type de rote dans le Grove soutient cette hypothèse : avec la graphie « rotte », un Allemand aurait envisagé une lyre ronde — « ... [a rotte is] the name given in Middle German to one of the most widely used plucked instruments in north-western Europe from pre-Christian times to médiéval times. This instrument was a descendant of the ancient lyre...»19. P. Bec soutient l'idée qu'il y avait une préférence régionale marquée des Allemands pour la lyre ronde, et des Anglais pour la harpe. L'instrument connu sous le nom de « harpe » était le plus valorisant dans l'iconographie française et anglaise du moyen âge central, et les instruments tels que la lyre ronde étaient mieux considérés à l'est. Cette préférence régionale était bien installée au xne s. quand un moine de Sankt Blasien (Bade) a dessiné clairement la différence entre la cythara teutonica et la cythara anglica.
Si l'on considère une image stable de l'iconographie médiévale, comme celle du roi David jouant de son instrument dans les psautiers anglais, français et allemands, on remarque une variation régionale dans la hiérarchie des instruments. Les artisans médiévaux voulant rendre le roi David aussi prestigieux que possible, mettaient entre ses mains l'instrument qui leur semblait le mieux adapté selon leur tradition musicale. Il semble que ce soit toujours un instrument à cordes, soit de la famille de la lyre (telle la rote dans toutes ses manifestations), soit de la famille de la harpe. Le rang symbolique de ces deux instruments en Angleterre est illustré dans une enluminure du Psautier de Winchcombe Abbey (Gloucestershire), où David tient une grande harpe et les deux musiciens mineurs à côté de lui, une rote à archet et une lyre ronde. D'autres exemples de harpes valorisantes et de rotes mineures se trouvent sur un vitrail de la cathédrale de Chartres et dans plusieurs psautiers anglais [fig. 6, pi. I et II]. En revanche, les rotes germaniques remplacent parfois les harpes, préférées par les Français [pi. III, IV a et b].
La substitution intéressante dans la saga norroise d'une rote par une vièle est aussi importante. Il est possible que pour le frère Robert, le traducteur norrois, la rote signifiait la rote à archet, cousine de la vièle, et il lui semblait plus probable qu'un chevalier aussi prestigieux que Tristan eût joué de la vièle, plutôt que de la rote. P. Bec remarque que la rote à archet n'a jamais joui du prestige accordé à la vièle dans le monde féodal. La substitution faite par le frère Robert dans sa saga n'est donc pas fortuite.
Elle signifie soit une dilution ou une mauvaise interprétation du symbolisme inné de l'épisode, soit une préférence régionale pour la vièle qui, comme P. Bec le remarque, est le plus prestigieux des cordophones à archet. Mais il y a deux sortes de vièles : la vièle royale souvent richement décorée dans les manuscrits et sur les sculptures, qui pénètre même dans les églises, et la vièle de jongleur, instrument quelque peu dévalorisant. D'ailleurs il est peu probable que la vièle ait eu le même prestige que la harpe, instrument par excellence d'un héros harpiste tel que Tristan. Dans la saga, Tristan est pris pour un jongleur : le harpiste l'appelle «rustre» et le tutoie. Évidemment, Tristan ne joue pas un rôle de premier plan — cette vièle de jongleur remplace effectivement dans l'épisode, sur le plan symbolique, la rote à archet.
Chez Gottfried, la situation est bien plus complexe. Comme on l'a vu, il renverse les rôles de Tristan et du chevalier irlandais, et démontre ainsi les problèmes qu'éprouve un traducteur/adaptateur d'une histoire française en terre allemande, enraciné dans une autre tradition et dans une autre réalité musicale. Gottfried comprend le geste accompli par Tristan lorsqu'il s'humilie pour obtenir le but de sa quête — au XIIIe s., ce geste est devenu un topos de la littérature « courtoise » — mais il ne peut pas le traduire directement à cause du symbolisme de la harpe et de la rote enraciné dans sa source française mais tout à fait à l'opposé de celui que son auditoire germanique comprenait. Alors il renverse les rôles. Il crée un chevalier irlandais fort courtois, beau et riche, conformément au personnage de Thomas, mais il lui donne une rote. La cour, agissant « à la française », trouve cette rote ridicule et se moque du chevalier, ce qui donne à Tristan l'occasion de se montrer plus valeureux que l'Irlandais. Tristan récupère Iseut alors qu'il est déguisé en jongleur, et Gottfried insiste sur ce point pour mettre en relief le geste d'humilité de Tristan. Quand Gottfried crée chez le chevalier irlandais un personnage de bouffon, il reconstitue le symbolisme de l'épisode. Tristan, pour s'abaisser, devrait affronter un adversaire arrogant et dangereux, non pas un bouffon. Gottfried semble être partagé entre deux traditions musicales — française et allemande — et même s'il comprend le symbolisme de base de l'épisode, son rôle de traducteur le met dans une situation difficile puisqu'il doit se faire comprendre par son auditoire allemand (en échangeant les instruments de musique), et rester fidèle à sa source (d'où le ridicule d'un personnage qui joue de la rote).
Pour conclure, il semble que les idées émises par saint Benoît au vie s. à propos de l'humilité se soient greffées sur la littérature « courtoise » des XIIe et XIIIe s. ; elles apparaissent chez Chrétien de Troyes et se retrouvent dans l'épisode de la Harpe et de la Rote dans la légende de Tristan, d'après Thomas. (On n'oubliera pas non plus le rôle de l'humilité chez les troubadours). Le changement d'instrument que l'on trouve dans la version allemande de Gottfried von Strassburg n'est qu'une manifestation de la confusion que ressent quelquefois un traducteur/adaptateur d'une culture particulière face à une légende issue d'une autre culture. Gottfried, partagé entre les traditions française et allemande, opte pour un compromis : il ne met pas l'instrument de musique dévalorisant chez Chrétien entre les mains de son héros, qui aurait ainsi fait preuve d'humilité, mais entre celles de son anti-héros, ce qui satisfait le public allemand en redonnant du lustre à un instrument déprécié en France.
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Marie-Noëlle Anderson, autrice de L'Oracle des Bardes * 36 mythes et légendes de nos ancêtres (Éditions Contre-dires, 2019) explore les mythes celtes pour nous aider à "reconnaître le scénario dans lequel nous évoluons" et tenter de le dépasser :
La Lyre - Charme
Le dieu Gwydyon était un grand voyageur. Il adorait parcourir le monde entier et voyageait même entre les mondes et et dans son univers intérieur. Comme il n'avait pas beaucoup d'obligations, il pouvait aisément consacrer beaucoup de temps à sa passion.
Au cours de l'un de ses périples, il rencontra un magnifique troupeau de pourceaux. « Qu'elles sont donc belles, ces petites bêtes ! s'exclama-t-il. Je suis sûr que les hommes seraient ravis de les avoir. »
En réalité, les pourceaux appartenaient au fils du dieu des espaces souterrains, Pwyll. Sans rien demander à personne, inconscient de la portée de son initiative, Gwydyon prit les animaux et les offrit aux humains, tout content de leur faire plaisir.
Lorsque Pwyll rentra chez lui et s'aperçut de la disparition de son troupeau de pourceaux, il entra dans une colère terrible. Il ne tarda pas à découvrir l'auteur du vol. Pour le punir, il fit enfermer Gwydyon dans une tour immense, à la limite des deux mondes, celui des ténèbres, dont il était le souverain, et celui de la lumière.
Gwydyon crut devenir fou : à longueur de journée, et même 24 heures sur 24, les lamentations des morts et les grognements des pourceaux lui remplissaient les oreilles. Avec nostalgie, il se souvenait de l'harmonie qui régnait dans le monde des dieux. Dès qu'il parvenait à s'assoupir un peu, il rêvait des jours d'antan, où il vivait dans un lieu paisible et serein.

Dans l'un de ses songes, il lui fut révélé qu'un instrument de musique pourrait lui permettre d'échapper de sa tour infernale. Ainsi, il aurait la possibilité de rejoindre le monde de lumière. Gwydyon ne se le fit pas dire deux fois. Il se mit aussitôt au travail. De ses doigts habiles, il fabriqua une Lyre merveilleuse dont les sons puissants couvrirent bientôt les bruits irritants des hommes et des petits cochons.
Porté par la force de la musique céleste émanant de la Lyre, il rejoignit sa demeure avec bonheur.
Personnalité : Une Lyre immobilisée dans ses mouvements ou dans ses pensées, freinée dans ses élans croit mourir, car elle adore voyager au sens propre comme dans ses rêveries et fantaisies. La lourdeur terrestre lui pèse. C'est pourquoi elle adore s'échapper, n'importe où, n'importe comment. Elle réussit toujours à inventer quelque chose pour sortir du train-train quotidien. sa curiosité innée est, pour elle, un puissant moteur.
Le revers de la médaille est son habitude d'agir sans réfléchir, qui lui vaut parfois de sérieux ennuis ! Lorsqu'elle apprend à accueillir avec respect les signes et les informations du monde invisible et qu'elle les gère en conscience, dans un souci d’harmonie générale, la moitié de ses problèmes sont déjà résolus !
Lorsque la Lyre s'enferme en elle-même, dans la dépression, l'obsession ou simplement la mélancolie, elle trouve souvent une porte de sortie par la prière, le chant ou la pratique d'un instrument de musique. Même simplement l'écoute de sa musique préférée lui permettra de changer d'énergie et lui redonnera courage et force dans les moments de tristesse.
Défi : Le mot-clef du défi de la Lyre est la peur. Pour acquérir la mobilité dont elle a viscéralement besoin elle doit dépasser touts sortes de craintes et angoisses liées à d'anciens programmes socioculturels et génétiques, ainsi qu'à des faux besoins de sécurité et de stabilité extérieure.
A cause de sa nature voyageuse, il est impératif que la Lyre solidifie ses racines intérieures, pour qu'elle puisse se sentir à l'aise partout dans le monde, dans tous les milieux sociaux et à tous les niveaux de conscience.
Si la Lyre se donne la peine de chercher à quoi pourraient servir les énergies dont elle alimente ses peurs, elle se rendra compte qu'elle fait un énorme gaspillage ! Elle sera sûrement séduite par d'autres activités et engagements plus créatifs et aura envie de laisser tomber des comportements, des principes et des pseudo-obligations ne correspondant pas du tout à ses instincts fondamentaux.
Structure : Le dieu Gwydyon (Soi) est un voyageur dans l'espace-temps. Il descend dans le monde souterrain de Pwyll où il rencontre les pourceaux (inconscient) qu'il décide d'offrir aux humains. Le Soi descend au conscient.
Pwyll (Soi) se fâche contre Gwydyon (conscient/ego) et l'enferme. Gwydyon ne peut plus accéder ni au conscient, ni à l'inconscient. la Lyre lui permettra de se rebrancher au Soi.
Lorsque le Soi usurpe la place d'autrui, par goût du drame, pour rechercher davantage d'intensité, ou par peur, il mute en ego Au lieu de rester mobile, il s'enferme alors dans sa petite histoire et entre dans une dynamique obsessionnelle. Pwyll joue le rôle du « méchant Soi » parce que l'ego s'est coupé du « bon Soi ». La Lyre permet de restaurer l'harmonie grâce au souvenir d'un vécu serein et paisible.
Si on s'identifie aux personnages, on perd la vue d'ensemble et on entre dans un enfermement très néfaste où on se noie dans un verre d'eau.
Dans a mythologie grecque, Apollon offrit à Orphée une Lyre qui pouvait charmer toute créature vivante. Grâce aux sons de la Lyre, Orphée réussit à séduire les habitants des mondes infernaux qui gardaient prisonnière sa bien-aimée Eurydice. Comme Gwydyon, Orphée agit de façon impulsive, sans réfléchir : il se retourna trop tôt et perdit Eurydice à tout jamais.
Vega est l'étoile la plus brillante de la constellation de la Lyre. Dans les textes très anciens, on l'associe toujours à la musique et à la capacité de percevoir la nature vibratoire essentielle sous-jacente à toute matière.
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Mythologie :
Anne-Sophie Noël, autrice de "L’arc, la lyre et le laurier d’Apollon : de l’attribut emblématique à l’objet théâtral." (In : Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, numéro 17, 2014. pp. 105-128) élucide la signification de la lyre en lien avec le dieu Apollon :
La lyre est l’instrument favori du dieu compagnon des Muses, qui partage avec elles le patronage de la musique et de la poésie. Doté d’une généalogie mythique bien connue, l’instrument inventé par Hermès à partir d’une carapace de tortue et offert à Apollon en signe d’alliance, contient un autre pan de l’histoire du dieu, célébré dans la poésie hymnique ou encore mis en scène au théâtre, comme en témoigne le drame satyrique de Sophocle partiellement conservé, les Limiers. L’arc et la lyre, mis en action par la vibration d’une corde, sont en outre tantôt rapprochés, tantôt opposés par les poètes.
[...]
L’arc, la lyre et le laurier sont donc des objets identitaires, porteurs d’une dimension biographique ainsi que des « épithètes iconiques » qui permettent aux artistes de représenter le dieu de manière immédiatement reconnaissable.
Littérature :
Selon Maria Emanuela Raffi autrice de "La « lyre » et le « clairon » : dissonances musicales dans l'œuvre de Rimbaud." (In : Littératures 26, printemps 1992. pp. 125-141) :
La lyre, qui « rhythmait l'action », l'instrument poétique par excellence, n'apparaît que 4 fois, nous l'avons dit, dans l'œuvre de Rimbaud, et il s'agit d'occurrences plutôt « suspectes ». La première, dans l'une des premières poésies, parmi les moins originales (« Soleil et chair »), correspond à un glissement de la métaphore poétique à la métaphore amoureuse :
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser
La répétition de l'adjectif « immense » unit encore plus étroitement, s'il était besoin, les substantifs « lyre » et « baiser », et les situe dans le cadre d'une vibration universelle où la métaphore poétique est presque entièrement perdue.
La deuxième occurrence, chronologiquement peu éloignée, est nettement parodique, dans Ma Bohème :
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur
Le mot « lyre » est ici utilisé avec tout son sens symbolique, exactement comme dans la définition du Larousse du XIXe siècle : « fig. : Génie poétique ; art, action de faire des vers ». La présence du verbe « rimant » en fait foi. Le contexte est toutefois si ouvertement parodique, avec la comparaison « comme des lyres... les élastiques » et avec la chute en verticale jusqu'à « souliers » et « pied », que la lyre d'Orphée semble irrécupérable. « A part certaines interventions un peu espiègles [...], — écrit à ce propos Mario Richter dans sa lecture critique de cette pièce — à l'intérieur même du mouvement des tercets que baigne la rêverie, s'exercent un énergique contrôle "critique" et un impatient haussement d'épaules à l'endroit où les cordes de la noble lyre... sont rapprochées des "élastiques" des souliers et où il est impossible de ne pas sentir cette criante humiliation du "sublime" »
La troisième apparition du mot « lyre » dans l'œuvre de Rimbaud a lieu dans la poésie intitulée « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs » :
Voilà ! C'est le Siècle d'enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, — lyre au chant de fer,
Tes omoplates magnifiques !
Le ton parodique, rien moins que consentant, est ici relayé par la comparaison lyre - poteaux télégraphiques, et est amplifié par le recours au terme « omoplates », désignant de manière indubitablement ridicule le point d'appui de l'instrument poétique.
Enfin, quatrième occurrence, le mot « lyre » est présent dans « Le Bateau ivre », où il est dépassé en dimension et en importance par d'autres rythmes et d'autres sensations :
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
La lyre n'apparaît plus dans l'œuvre suivante de Rimbaud ; la « nouvelle harmonie » évoquée dans les Illuminations est en effet suscitée par le son du tambour, instrument que Rimbaud relie toujours au mouvement réel et novateur. Le lien avec le mouvement (la marche principalement) est du reste naturel en ce qui concerne le tambour, étant donné sa place, habituellement à l'avant, dans les parades et les charges militaires. Encombrant et certainement guère « lyrique », le tambour semble mieux s'accorder à la nouvelle âme monstrueuse requise au poète, « horrible travailleur ». Le son du tambour, bien qu'il soit lui aussi rigoureusement réglé par des normes musicales précises (le « nombre » ?) , est en effet nouveau et dissonant par rapport à l'image codifiée de la poésie : en tant que tel, il permet des solutions imprévisibles et par conséquent plus avancées dans la direction de l'« inconnu ».
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