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  • Photo du rédacteurAnne

La Grenouille (suite)


Suite de l'article commencé en juin 2016.




Symbolisme celte :


Dans L'Oracle des druides, Comment utiliser les animaux sacrés de la tradtiion druidique (1994 ; traduction française 2006) de Philip et Stephanie Carr-Gomm, les mots-clefs associés à la grenouille (Losgann) sont les suivants :

Sensibilité ; Remèdes ; Beauté ; Pouvoirs cachés.

La carte représente une grenouille sortant d'un étang où elle vient de pondre ses œufs dont on disait autrefois qu'ils avaient de puissantes vertus médicinales. A droite poussent la canneberge (qui se dit "baie à grenouille" en ancien anglais), du fuseau de grenouille et sous le saule, des faux agarics ("tabouret de grenouille" en ancien anglais).

La grenouille symbolise l'union entre l'eau et la terre. Elle apporte la guérison et le bonheur, chantant et bondissant pour nous conduire à la source sacrée qui abreuve et régénère. Créature à sang froid qui vit à la fois sur la terre et dans l'eau, c'est l'amie des esprits de la pluie. Sa peau, que les chamans croient magique, est extrêmement sensible. La grenouille nous aidera donc à sentir avec tout notre être - peau, corps et aura - la présence des autres, les sons et les voies de la guérison. Les apparences sont trompeuses et la vie est plus amusante que vous ne le pensiez ! Beauté et puissance sont à l'œuvre dans toute la création. Ouvrez-vous à leurs secrets et vous vous sentirez plus proche de la déesse, de la terre et de l'eau.

Cherchez la beauté et la magie que cachent les

apparences. Renversée, la carte suggère que vous saurez faire face aux circonstances difficiles auxquelles vous êtes confronté. La grenouille que vous devez épouser pourrait bien se transformer en prince. Bien que votre situation soit peu enviable, elle peut en fin de compte s'avérer bénéfique. Souvenez-vous que la grenouille apporte les remèdes, qui à leur tour amènent la guérison.


La Grenouille dans la Tradition


Qui voit l'eau ne voit pas toujours la grenouille

mais qui voit la grenouille trouve toujours l'eau

Dicton


L'eau était sacrée chez les druides ; les rivières, les sources, les lacs et les puits avaient tous leur esprit gardien ou leur dieu à qui on faisait des offrandes votives en bois, en argent, en or et en bronze. Ces pratiques étaient si répandues que dans les régions celtiques, les spéculateurs romains achetaient aux enchères le contenu des lacs avant la conquête des terres qui les entouraient. Les sources d'eau sont les endroits favoris des grenouilles et de leurs proches parents les crapauds. On disait parfois que ces animaux, qui naissent et vivent dans l'eau, représentaient ses esprits. Les esprits de la source miraculeuse d'Acton Barnett dans le Shropshire apparaissaient sous la forme de trois grenouilles, dont la plus grosse était le dieu Noir. Sa couleur venait du lien entre les grenouilles et les crapauds et le Monde des Profondeurs. Les croyances populaires les associaient aussi à la sorcellerie ; le crapaud ou la grenouille - ingrédient indispensable des potions magiques - était souvent l'animal familier des sorcières que leur coassements prévenaient du danger.

Ces croyances ont leur part de vérité. Familière de la sorcière et de l'ovate (équivalent druidique du guérisseur et du devin), la grenouille amène les bienfaits des esprits de l'eau, la guérison et le purification. Messagère miraculeuse de la déesse, elle constitue en soi un remède. On disait que se cendres stoppaient les hémorragies, que ses œufs soignaient les rhumatismes et les maladies inflammatoires et que la guérison des douleurs oculaires était assurée si une tierce personne acceptait de lécher successivement les yeux d'une grenouille et les yeux malades.

A l'origine, les propriétés de la grenouille et du crapaud étaient loin d'être considérées comme maléfiques. Ces animaux apportaient au contraire la guérison grâce à leur lien spirituel avec les esprits de l'eau et leurs propriétés physiques.

Selon la tradition, il était bon qu'une grenouille vive dans une laiterie car elle empêchait le lait de tourner? Le lait étant associé à la déesse mère, nous avons ici une autre preuve de l'association de la grenouille au monde sacré de l'esprit. La représentation de lé déesse celtique Luxuria, un renard entre le jambes et un crapaud pendu à chaque sein renforce encore ce trait.


Le Prince-Grenouille

L’association de la grenouille à l'aristocratie est un thème constant des contes et légendes. Dans nombre de contes, un prince se cache en réalité derrière la grenouille ou le crapaud. Un conte des îles occidentales écossaises raconte l'histoire d'une reine tombée malade qui ne pouvait guérir qu'en buvant un verre d'eau puisée dans le "puits de l'eau véritable". Elle envoya l'une après l'autre ses trois filles puiser de cette eau. mais une horrible grenouille leur interdit l'accès au puits, à moins qu'elles ne l'épousent. La plus jeune accepta et rapporta ainsi l'eau de la guérison à sa mère. La nuit même, la grenouille frappa à as porte : "Ma jolie, ma belle, te souviens-tu de la promesse que tu m'as faite près du puits ?" La jeune fille lui ouvrit la porte, puis retourna se coucher. La grenouille, coassant près de la porte, l'empêchait de dormir. Elle la recouvrit donc d'une tasse pour étouffer ses cris, puis la coucha sur un petit lit près de la cheminée, et finit par rapprocher le petit lit du sien. La grenouille l'implora alors : "Je t'en prie, mets fin à ma torture, coupe-moi la tête." Comme la princesse s'exécutait, la grenouille se métamorphose en un prince charmant. Ils se marièrent et régnèrent ensuite sur le pays.

Ces personnages et événements, que nous retrouvons presque identiques dans un conte breton, nous montrent l'enrichissement qui nous attend si nous savons nous sacrifier pour aider les êtres chers à guérir. Ils évoquent également le lien entre la grenouille et la déesse.


La Pierre-Puissance

On dit que les vieux crapauds et grenouilles, tout comme les serpents, les loutres et les renards, portent en eux un objet magique, symbole de leur pouvoir secret. L'existence de cette pierre ou perle mythologique, grise ou brun pâle, est à l'intersection du règne minéral et animal. Grâce à elle, la vie fugitive de l'animal devient éternelle. Les druides et chamans qui possédaient de telles pierres s'en servaient pour contacter l'esprit de leur animal-guide."

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Selon Gilles Wurtz, auteur de Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (Éditions Véga, 2014),

"Le têtard, avec ses branchies et sa queue de poisson, est adapté à la vie aquatique. Au cours de sa métamorphose, il acquiert poumons et pattes et devient une grenouille, c'est-à-dire un animal amphibien capable de vivre et dans l'eau set sur la terre ferme. La grenouille dispose de deux systèmes respiratoire : pulmonaire et cutané, ce qui lui permet d'hiberner sous des souches d'arbres, des feuilles mortes, à l'abri de rochers, sous la vase d'une mare, d'un ruisseau ou d'une rivière. Certaines grenouilles peuvent pondre jusqu'à 5 000 œufs en une saison. A l'heure actuelle, on a recensé quelque 4 000 espèces de grenouilles différents de par le monde.


Applications chamaniques celtiques de jadis : Pour les Celtes, la grenouille représentait la métamorphose de son intériorité, la transformation e son être profond. Ils voyaient dans les étapes du passage du têtard à la grenouille les symboles de mutations intérieures. Et tout naturellement, dans leur pratique chamanique, ils sollicitaient son aide et ses conseils pour enclencher et favoriser un changement individuel profond. Elle montrait les étapes à suivre pour entreprendre un travail de transformation de certaines facettes de soi-même. C'est ainsi qu'elle était une alliée efficace pour libérer, guérir des blessures, des séquelles de traumatismes. Les Celtes la consultaient aussi en cas de mal-être qu'ils ne parvenaient ni à expliquer ni à résoudre. L'esprit de la grenouille pouvait leur indiquer l'origine du problème et la marche à suivre pour le transformer, le dénouer. Ils lui soumettaient ainsi leurs troubles intérieures, quelle que soit leur nature, afin d'enclencher avec son aide le processus de transformation nécessaire. Lorsqu'une telle métamorphose intérieure salutaire a lieu, elle irradie de toute la personne. C'est pourquoi certaines transformations profondes pouvaient avoir des résultats spectaculaires. Rien d'étonnant à ce que le grenouille et la magie aient si souvent été associées.


Applications chamaniques celtiques de nos jours : De nos jours, l'aide de la grenouille peut aider quelqu'un se métamorphoser dans son intériorité est toujours très efficace. Toute personne désireuse d'entamer et de mener à bien un travail intérieur sérieux et au long cours peut demander l'accompagnement de l'esprit de la grenouille et bénéficier de ses enseignements. mais tout praticien chamanique peut bien sûr aussi cibler des perturbations ponctuelles, précises, comme des colères, des peurs, des tristesses, des états de mal-être, des états dépressifs, des perturbations liées à des situations traumatisantes, physiques ou non, et se laisser conduire vers une mutation bénéfique par l'esprit de la grenouille. Sans négliger le fait que des transformations apparemment mineures peuvent avoir des effets bienfaisants majeurs....

Mot-clef : La métamorphose intérieure."

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),

Vers quelles régions incertaines du psychisme le chercheur sera-t-il entraîné à la suite de la grenouille ? Au-delà du nénuphar qui se place en tête des corrélations et des animaux, qui composent la moitié de celles-là, deux symboles apparaissent en étroite association avec le batracien : le marécage et la chapelle. Il serait difficile de rendre plus ostensible l’ambiguïté d'une image qui place le rêveur aux frontières du monde manifesté et semble l'attirer vers des contrées souterraines ou subaquatiques tout en lui proposant un ciel à conquérir.

Si la moitié des symboles associés à la grenouille appartiennent à la famille des animaux, 65% de ceux-là rassemblent les acteurs habituels des fantasmes névrotiques : insectes, araignée, rat, crapaud, lézard, crabe, tout un peuple furtif qui grouille, rampe, serpente, s'agite sous les pierres, dans les caves ou dans le fond des eaux, artisans équivoques d'obscures métamorphoses. Voilà les rencontres auxquelles s'expose l'imaginaire qui s’aventure à fréquenter la grenouille.

L'exploration des rêves dans lesquels surgit le batracien confirme plusieurs des principales caractéristiques symboliques que lui attribuent les interprétations les plus répandues. La grenouille est généralement désignée comme un animal lunaire. Parmi les scénarios soumis à l'étude, la lune joue, dans près de 40% des situations, un rôle éminent. La capacité de métamorphose alimente à l'évidence la symbolique de la grenouille et lui confère une connotation magique. Le cycle de métamorphose du batracien, comme celui des insectes, autorise certains auteurs à retenir la grenouille comme indice de renouvellement, voire de résurrection. C'est une thèse acceptable mais vis-à-vis de laquelle nous manifestons une certaine prudence en raison de l'environnement onirique de l'image. La métamorphose trahit souvent la secrète espérance du rêveur de bénéficier de la résolution de sa problématique en échappant à l'effort d'analyse par une action magique de la cure.

Tel qu'il s'exprime à travers les rêves, l'imaginaire propose des perspectives de traduction dont certaines étonneront peut-être tant elles diffèrent des voies reconnues. A lire des scénarios pris en référence, on est vite surpris par la relative abondance de personnages couronnés, rois, et, surtout, reines. L'inconscient établit-il un rapport subtil entre ces images et la reinette des prairies ? Il est opportun de rappeler que si Rabelais parle déjà des grenoilles, le G est une addition tardive. Les premières formes sous lesquelles le mot est apparu en français sont renoilles et reinouilles. Quelle explication donner à ces étranges correspondances ? La reine renvoie à l'image maternelle La grenouille est souvent considérée comme une représentation féminine de la fécondité.

Les rêves vont montrer qu'il y a là plus qu'une simple hypothèse de recherche. Gilbert Durand voit la grenouille comme une « avaleuse diluviale associée à la fécondité ». Comment ne pas être, alors, frappé par la grande proportion de séquences dans lesquelles le rêveur se donne à voir un sexe féminin qui l'attire, l'aspire, tel un gouffre animé d'une mystérieuse et dangereuse force d'attraction ?

De telles images s'accompagnent souvent de références explicites à la mère du rêveur ou de la rêveuse. Parfois même, c'est le sexe maternel qui s'offre à la tentation d'un retour à l'origine. En japonais, le même mot désigne la grenouille et l'action de retourner au point de départ. Existe-t-il une logique psychique derrière cette observation ? Quelques exemples montreront, cette fois encore, que les chemins d'images, si fantaisistes qu'ils puissent paraître, sont les voies les plus sûres pour qui prétend découvrir les régions mal connues de l'inconscient.

Le troisième scénario de Pierre rassemble la plupart des thèmes qui forment la constellation d'images de la grenouille : « … C'est une petite grenouille qui saute de case en case sur un damier noir et blanc... elle va vers l'horizon, le damier va vers l'infini... le ciel est bleu... cette grenouille est vraiment très petite, marron-vert... c'est une rainette... elle s'arrête de temps en temps pour respirer... c'est tellement infini cette plaque !... C'est une prison !... Je vois un clocher d'église à l'horizon... maintenant, je vois de l'eau bleue... transparente... la lumière vient du dessous !... Au fond, il y a un vaisseau coulé... elle nage : elle n'a pas peur du tout. Elle entre dans la cabine... elle déclenche un véritable nuage de grenouilles : ses filles ! Elles se répandent partout... comme dans les plaies d’Égypte !... Elles envahissent les cases blanches mais elles meurent parce que là elles n'ont pas d'eau... […] Là, je vois un paon, qui rencontre une paonne... mais elle a déjà des petits... il voudrait que ce soit les siens... bon ! Le paon, c'est moi, c'est sûr !... Je plume la paonne... il lui reste juste une couronne de reine... elle a un côté maternel... elle est reine quoi ! Elle se transforme en créature de rêve... »

De la rainette à la reine, l’imaginaire n'a pas hésité à jeter un pont. La grenouille qui déclenche le nuage de ses filles et la paonne qui promène ses petits sont l'une et l'autre représentatives de la mère de Pierre. Le désir œdipien transparaît clairement ans la deuxième partie de cette séquence.

« La lumière vient du dessous ». Le mot dessous se retrouvera dans 80% des rêves où le batracien apparaît et sera presque toujours mis en valeur par une formulation originale. Le dix-huitième rêve de Marthe est une illustration convaincante de tout ce qui précède : « … je revois une scène de colère de ma mère, qui m'avait paru injustifiée... j'étais petite... je vois un gros oiseau... pourquoi ai-je peur des oiseaux ? C'est un dindon, ou un cygne... cou de cygne ou de vautour... et puis, une gueule d'animal... qui s'ouvre et peut se refermer... une gueule ronde, comme celle d'un dragon... avec des petites dents... là, je repense à ma mère... je pense à une grenouille aussi... avec de gros yeux... une gueule de grenouille...je suis dessous... c'est rond comme une gueule de grenouille, mais avec des petites dents... je suis toute petite... elle pourrait m'avaler... bizarrement, je n'ai plus peur... parce que j'ai passé la grille, comme une porte de prison, avec des barreaux... non ! Ce n'est pas une prison, c'est une chapelle... je m'agenouille, je prie, je suis réconfortée... »

Ces deux exemples dirigent l'attention sur une prison dont l'issue prend la forme d'une église ou d'une chapelle. C'est ici que la grenouille réserve au chercheur l'observation la plus surprenante a priori, la plus simple à la réflexion ! Pour accéder à l'explication il suffit de se rappeler l'importance de la forme d'une image dans l'aptitude de celle-ci à se prêter aux projections symboliques.

Roselyne commence sa huitième séance par ces mots : « … Je vois une grande fleur, comme une pivoine... elle se transforme en rosace avec, au centre, un genre de phallus... c'est rouge à l'intérieur et jaune autour... et ça se transforme en une sorte d'autel, comme si la fleur était devenue une grande pierre, avec une forme érigée dessus. Cet autel maintenant s'incurve... ça fait un peu comme une portion de cercle, comme la forme d'une lune... une personne s'est agenouillée, une femme... c'est une scène d'un autre âge, du Moyen Âge.... elle a une traîne blanche et les cheveux tressés sur la tête, remontés comme une couronne autour de la tête... il y a un puits maintenant, elle a remonté le seau et, en dessous, il y a une énorme grenouille... qui se transforme en une immense gueule monstrueuse, de monstre !... »

Marthe s'agenouille dans la chapelle et se trouve réconfortée. La jeune femme moyenâgeuse de Roselyne s'agenouille devant l'autel lunaire, près du puits dont surgira la grenouille monstrueuse. Beaucoup de rêves dans lesquels apparaît le batracien associent ce dernier à l'attitude de génuflexion. Quelques phrases extraites du vingt-cinquième scénario de Vincent jetteront une lumière plus précise sur le fondement de ces associations : « … Je distingue un peu la forme de la grenouille : elle saute de nénuphar en nénuphar... elle a disparu au-dessous d'une sorte d'étoile qui est comme une immense araignée... |...] Là, je vois comme une rosace de cathédrale... et une croix d'évêque... des gens sont agenouillés devant lui... les bras en croix... c'est dans une chapelle... il a ce vêtement large des curés pour les cérémonies... quand il s'agenouille, ça fait un arc de cercle au pied... maintenant il présente l’hostie... j'ai été enfant de chœur... y a une notion d'éternité là... »

Ces images contiennent peut-être la clef donnant accès à la symbolique de la grenouille... cette dernière possède une anatomie qui s'apparente à celle du corps humain. Au repos, la grenouille plie les pattes postérieures, adoptant par là une attitude qui évoque celle d'une personne agenouillée. La fréquence avec laquelle l'imaginaire rapproche les deux images témoigne du rôle joué par cette ressemblance.

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Il reste que la grenouille du rêve, si voisine du crapaud, relie ces états extrêmes du psychisme que sont, d'une part, la déformation monstrueuse, expressive de l'angoisse et, d'autre part, la légèreté que confère la communion avec les mystères de l'infini et de l'éternité. Lorsqu'on a constaté que le noir et le blanc interviennent fréquemment ans les scénarios examinés, on est fondé à conclure que la grenouille figure dans presque toutes les situations une part d'angoisse métaphysique.

Pour atteindre la paix de l'âme, pour s'accomplir dans une spiritualité authentique, le rêveur ou la rêveuse doivent remplir une condition impérative : il leur faut avoir réalisé la dissolution des séquelles des relations œdipiennes aux images des parents. Tant que subsistent des rapports conflictuels au père ou à la mère, le ciel d'un devenir libre ne s'ouvre pas ! Les effort engagés dans le sens d'une recherche spirituelle s'épuisent en pénibles contorsions qui aboutissent à cette caricature de dévotion qui mêle l'image de l'évêque officiant à celle de la grenouille. Roselyne, agenouillée devant un autel en forme de croisant lunaire, se donne à vivre symboliquement la reconnaissance de son besoin de l'amour maternel, jusque-là bloqué par un rapport réciproque de violente agressivité.

Retourner dans la mère pour naître à une relation nouvelle, dépouillé des troubles œdipiens, et vivre un devenir de plénitude, c'est probablement l'aspiration de toute personne dont l'imaginaire s'engage dans une rêverie de grenouille.

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Mythologie :


Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose une entrée relative à la grenouille :


HIQUET (égypt.). La déesse-grenouille, un des symboles de l'immortalité et du principe de l' "Eau". Les premiers Chrétiens avaient des lampes d'Eglise en forme de grenouille pour marquer que le baptême dans l'eau conduisait à l'immortalité.

 

Selon Hélène Vial auteure d'un article intitulé "Le rire dans le mythe ovidien de la métamorphose" (paru dans la revue Humoresques, CORHUM Humoresques, 2006) :


Contrairement aux bonds gracieux des dauphins, les sauts des paysans lyciens, transformés par Latone en grenouilles, au livre VI, pour lui avoir refusé l’eau de leur étang, sont grotesques, et leur joie est une joie mauvaise. Cette métamorphose illustre, elle aussi, le lien entre le rictus et l’écriture ovidienne de la métamorphose :

  • Le souhait de la déesse est exaucé : ils trouvent un plaisir à rester dans les ondes (iuuat esse sub undis) ; tantôt ils plongent tout leur corps au fond de l’eau dormante ; tantôt ils montrent la tête, parfois ils nagent à la surface ; souvent ils se posent sur la rive de l’étang ; souvent ils rentrent d’un bond dans leurs humides et froides retraites. Mais ils fatiguent encore leurs vilaines langues à quereller et, quoique cachés sous les eaux, effrontément, jusque sous les eaux, ils essaient de l’outrager. Leur voix est devenue rauque, leur gorge est enflée par l’effort de leur souffle et les injures qu’ils lancent distendent leur large bouche béante (Ipsaque dilatant patulos conuicia rictus). Leur tête rejoint leurs épaules et leur cou disparaît ; leur échine se colore de vert ; leur ventre, la plus grosse partie de leur corps, est désormais tout blanc ; ce sont de nouveaux êtres, qui sautent (saliunt) dans les profondeurs bourbeuses, des grenouilles. (1)

Encore un châtiment qui ressemble à une récompense : le caractère euphorique du récit s’affirme d’emblée, puisque c’est le plaisir des paysans lyciens à être sous l’eau (iuuat esse sub undis) qui entraîne toute la transformation. Là encore, le dynamisme du récit se fonde sur l’image du saut, du saltu (…) maligno des paysans (2), destiné à rendre l’eau boueuse, donc imbuvable, au resilire et au saliunt de notre passage. Avec leurs bonds et leur bavardage bête et méchant, les paysans lyciens étaient déjà potentiellement des grenouilles ; la métamorphose consiste ici, comme souvent, à forcer légèrement le trait et à mettre en scène le passage insensible de la métaphore à la métamorphose. Les grenouilles porteront sur leur apparence physique les marques de la dégradation morale des paysans : voix rendue rauque par la méchanceté, cou enflé par une vanité stupide, le point extrême de cette détermination métaphorique étant l’image des insultes (Ipsaque… conuicia) qui élargissent (dilatant) la bouche des paysans en gueule béante (patulos… rictus). Ovide fait ici, en une formule concentrée et inversée, une allusion ironique aux bouches élargies (lati rictus) et aux larges narines (patulis naribus) des dauphins, dont le chœur gracieux a laissé place à une grossière cacophonie (et l’on pense aux « Brékékékex, coax, coax » des grenouilles de l’Achéron dans les Grenouilles d’Aristophane). Le plaisir pris par les grenouilles à leurs ébats aquatiques préside aussi, visiblement, à l’écriture, qui orchestre dans ses entrelacements verbaux les épousailles cocasses entre l’eau et ces corps encore ambigus. Le remplacement de la parole humaine par le ricanement animal est dit au moyen d’une écriture ludique qui, en suscitant le rire chez le lecteur, établit la souveraineté du rire poétique.

Dans ces deux derniers récits, la métamorphose apparaît avec sa fonction libératrice : réconciliant un être avec son identité profonde, elle représente un basculement salvateur et euphorique dans l’univers de la pulsion pure. La métamorphose animale, chez Ovide, fait donc parfois naître le rire, et pas seulement chez ceux qui la subissent. Le poète apparaît alors comme un démiurge rieur, pratiquant le ludisme poétique comme antidote à la brutalité du monde.


Notes :

1) : Ovide, Métamorphoses, VI, 370-381.

2) : Ibid., VI, 365 : imoque e gurgite mollem / Huc illuc limum saltu mouere maligno (« et, du fond de son lit, par méchanceté, ils soulèvent la vase molle en sautant de-ci de-là. »).

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Contes et légendes :


Bruno Bettelheim qui propose, dans Psychanalyse des contes de fées (1976), une analyse du célèbre conte "Le Roi Grenouille", s'interroge :

"Mais qu'en est-il de la grenouille ? Elle aussi doit mûrir avant que son union avec la princesse devienne possible. Ce qui lui arrive montre que la relation de dépendance à l'égard d'une figure maternelle pré-conditionne l'accession à l'humanité. Comme tout enfant, la grenouille a le vif désir d'une existence totalement symbiotique. Quel est l'enfant qui n'a pas désiré s'asseoir sur les genoux de sa mère, manger dans son assiette, boire dans son verre, et qui n' pas grimpé dans le lit de sa mère avec l'espoir de passer la nuit avec elle ? Mais après un certain temps, l'enfant doit renoncer à vivre en symbiose avec sa mère ; sans ce sevrage, il ne pourrait jamais devenir une personne à part entière. Il vient au moment où la mère doit "jeter" son enfant à bas de son lit. Cette pénible expérience est inévitable si l'enfant veut acquérir son indépendance. Dès qu'il a été forcé de renoncer à cette symbiose, l'enfant peut commencer à devenir lui-même, comme la grenouille qui a pu rompre les liens de son existence immature dès le moment où la princesse l'a chassée de son lit.

L'enfant sait que, comme la grenouille, il a dû (et doit encore) passer d'un stade inférieur à un stade supérieur d'évolution. Ce processus est tout à fait normal ; l'enfant sait que sa propre situation n'est pas due à un méfait ou à quelque puissance maléfique : elle est dans l'ordre naturel des choses. La grenouille, comme l'enfant, prend vie dans l'eau. Sur le plan historique, on peut dire que les contes de fées ont eu des siècles d'avance sur l'embryologie moderne qui nous apprend que le fœtus, avant la naissance, subit différents stades de développement, comparables aux métamorphoses de la grenouille.

Mais pourquoi la grenouille, parmi tous les animaux (et le crapaud, comme dans Les trois Plumes), est-elle le symbole des relations sexuelles ? c'est une grenouille, par exemple, qui prédit la conception de la Belle au Bois Dormant. Par comparaison avec le lion ou d'autres bêtes féroces, la grenouille (ou le crapaud) ne fait pas peur ; elle n'a rien de menaçant. Si elle est ressentie négativement, c'est un sentiment de dégoût qu'elle éveille, comme dans "Le Roi-Grenouille". Il serait difficile d'imaginer une meilleure façon de faire comprendre à l'enfant qu'il ne doit pas avoir peur des aspects repoussants (pour lui) de la sexualité et que ses réactions ne doivent pas aller plus loin que celles, de la princesse de ce conte. L'histoire de la grenouille (son comportement, ce qui arrive à la princesse à cause d'elle et le sort final des deux héros) confirme le bien-fondé du dégoût quand on n'est pas encore prêt à vivre des expériences sexuelles, et prépare l'enfant à les trouver désirables quand le moment sera venu.

Selon la psychanalyse, nos pulsions sexuelles influencent nos actions et notre comportement depuis le début de notre vie ; mais il y a une différence énorme entre les manifestations de ces pulsions chez l'enfant et chez l'adulte. en se servant d'une grenouille comme symbole du sexe (un animal qui est d'abord têtard et qui prend forme tout à fait différente quand il est adulte) le conte s'adresse à l'inconscient de l'enfant et l'aide à accepter la forme de sexualité qui convient à son âge, tout en le rendant sensible à l'idée qu'à à mesure qu'il grandira, sa sexualité devra elle aussi, dans son propre intérêt, subir une métamorphose.

D'autres associations entre le sexe et la grenouille demeurent elles aussi inconscientes. L'enfant, préconsciemment, établit un rapport entre les sensations froides, humides et visqueuses qui sont évoquées par la grenouille (ou le crapaud) et celles qu'éveillent en lui les organes sexuels. Le fait que la grenouille se gonfle quand elle est excitée est comparé inconsciemment au pénis en érection. Aussi repoussante que soit la grenouille, telle que nous la présente de façon vivante "Le Roi-Grenouille", l'histoire nous montre qu'elle peut devenir quelque chose de très beau, pourvu que tout se passe bien et en temps voulu.

Les enfants ont une affinité naturelle pour les animaux et se sentent souvent plus près d'eux que des adultes ; ils voudraient pouvoir partager leur façon instinctive de vivre qui leur semble facile, libre et pleine de plaisirs. Mais en même temps qu'il ressent cette affinité, l'enfant est angoissé à l'idée qu'il est peut-être moins humain qu'il ne devrait être. Ces contes de fées neutralisent cette crainte en faisant de cette vie animale une chrysalide d'où jaillit une personne très séduisante.

Le fait de considérer notre sexualité comme étant de nature animale a des conséquences très nocives, à tel point que certains individus ne parviennent jamais à débarrasser leurs expériences sexuelles (et celles des autres) de ce rapprochement. Il faut donc faire savoir à l'enfant que les choses du sexe peuvent d'abord apparaître comme repoussantes mais qu'elles deviennent belles quand on a découvert la façon convenable de les aborder. A ce point de vue, le conte de fées, qui ne fait pas même allusion aux expériences sexuelles en tant que telles, est, psychologiquement, plus judicieux que l'éducation sexuelle qui s'adresse au conscient. On enseigne aujourd'hui que le sexe est normal, agréable, et même beau, et certainement nécessaire à la survie de l'homme. Mais comme cet enseignement ignore au départ que l'enfant puisse trouver la sexualité repoussante, et que cette optique a une fonction protectrice très importante, il est incapable de se concilier l'adhésion de l'enfant<; Le conte de fées, en partageant avec l'enfant ce dégoût de la grenouille (ou de tout autre animal), devient crédible, et l’enfant, grâce à lui, peut croire avec confiance que le jour viendra où la grenouille repoussante se transformera en un partenaire plein de séduction. Et ce message est transmis sans même que soit mentionné le moindre fait sexuel.

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Littérature :

Dans ses Histoires naturelles (1874), Jules Renard brosse des portraits étonnants des animaux les plus communs :

Les grenouilles

Par brusques détentes, elles exercent leurs ressorts.

Elles sautent de l’herbe comme de lourdes gouttes d’huile frite.

Elles se posent, presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du nénuphar.

L’une se gorge d’air. On mettrait un sou, par sa bouche, dans la tirelire de son ventre.

Elles montent, comme des soupirs, de la vase.

Immobiles, elles semblent, les gros yeux à fleur d’eau, les tumeurs de la mare plate.

Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent au soleil couchant.

Puis, comme les camelots assourdissants des rues, elles crient les dernières nouvelles du jour.

Il y aura réception chez elles ce soir ; les entendez-vous rincer leurs verres ?

Parfois, elles happent un insecte.

Et d’autres ne s’occupent que d’amour.

Et toutes, elles tentent le pêcheur à la ligne.

Je casse, sans difficulté, une gaule. J’ai, piquée à mon paletot, une épingle que je recourbe en hameçon.

La ficelle ne me manque pas.

Mais il me faudrait encore un brin de laine, un bout de n’importe quoi rouge.

Je cherche sur moi, par terre, au ciel.

Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement ma boutonnière fendue, toute prête, que, sans reproche, on ne se hâte guère d’orner du ruban rouge.

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La grenouille

Lorsque la pluie en courtes aiguillettes rebondit aux prés saturés, une naine amphibie, une Ophélie manchote, grosse à peine comme le poing, jaillit parfois sous les pas du poète et se jette au prochain étang.

Laissons fuir la nerveuse. Elle a de jolies jambes. Tout son corps est ganté de peau imperméable. À peine viande ses muscles longs sont d'une élégance ni chair ni poisson. Mais pour quitter les doigts la vertu du fluide s'allie chez elle aux efforts du vivant. Goitreuse, elle halète. Et ce cœur qui bat gros, ces paupières ridées, cette bouche hagarde m'apitoient à la lâcher.

Francis Ponge, "La grenouille" in Pièces, Gallimard, 1971.

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque ainsi la Grenouille :

13 mars

(Fontaine-la-Verte)


Énorme, boursouflée, de la nuance de la vase (avec aux cuisses un lambeau de costume de bagnard rayé de jaune) : la grenouille rousse se fige dans son lit de spirogyres vertes.

L'état d'ataraxie dans lequel se plongent les amphibiens nous les rend étrangers. Nous comprenons les mammifères et les oiseaux : notre sang chaud réagit aux mêmes stimuli. Nous ne parvenons pas à saisir par nos muscles et notre moelle épinière les comportements des reptiles et des batraciens. La distance qui nous sépare des poissons est encore plus grande : ils peuplent un univers de branchies.

J'ai de la peine à me persuader que je descends d'un crossoptérygien rhipidistien, sorti de l'eau au dévonien supérieur. Oublions Yahvé, Dieu le Père, Allah et Vishnu. Adressons nos actions de grâces aux poissons à nageoires lobées.

[...] 19 mai

(Fontaine-la-Verte)


Le nez au ras de l'eau dans les herbes de la mare, les grenouilles vertes modulent leurs tons de peau. Je n'en vois pas deux pareilles : celle-ci copie l'émeraude ; celle-là fut peinte avec des lentilles d'eau ; voici une pomme, une laitue, un chou, une bette, un épinard...

La plus jolie s'ingénie à imiter le gris-vert irréel des limbes immergés des myriophylles, qu'elle touche avec ses longs pieds, et dont elle semble incarner la fructification palpitante.

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Pour Jacqueline Kelen, qui nous fait part de réflexions très spirituelles dans Un Chemin d'ambroisie, Amour, religion et chausse trappes (Éditions de La Table ronde, 2010) :

"Elles sont pathétiques, si grotesquement humaines, ces grenouilles au bord de la mare qu'évoque Socrate dans le Phédon. Elles se contentent de très peu : elles limitent l'univers à leur flaque d'eau et la contemplation au fait de se mirer soi-même. Ainsi des mortels : ils coassent et coïtent tels des batraciens en eau trouble ou encore se battent la coulpe et marmonnent des prières comme des grenouilles de bénitier, mais sans jamais lever leur regard vers l'immense beauté du ciel étoilé."

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Dans le roman policier intitulé Temps glaciaires (Éditions Flammarion, 2015) de Fred Vargas, le têtard devient une idée à saisir :


Adamsberg posa doucement sa fourchette, comme toujours quand une idée, qui n'en était pas encore une, un embryon d'idée, un têtard, montait mollement à la surface de sa conscience. A ces moments, il le savait, il ne fallait faire aucun bruit car le têtard est prompt à replonger et disparaître à jamais. Mais ce n'était pas pour rien qu'un têtard pointait sa tête informe à la surface des eaux. Et si c'était seulement pour se divertir, eh bien, il le remettrait à l'eau. En attendant et sans faire un geste, Adamsberg attendait que le têtard s'approche un peu plus et commence à muer en grenouille. Amédée-Victor, une convergence de narration, comme le lisse témoignage de Leblond-Lebrun. [...]

Adamsberg observa l'idée têtard qui lui semblait à présent avoir gagné deux pattes arrière. Pas encore assez pour essayer de l'attraper d'un coup sec. [....]

A présent, Adamsberg pouvait reprendre sa fourchette et achever son plat froid. L'idée était sortie des ondes, il la voyait bien à présent, avec ses deux pattes avant, campée sur la table à ses côtés, émergée de la sphère aquatique pour arriver sur sa terre.

[...]

- A frapper le sol. Continue. Je sais pourquoi cela m'énerve. Parce que cela fait monter un têtard.

- Quel têtard ?

- Un début d'idée informe, Louis, se hâta d'expliquer Adamsberg, de peur de se perdre à nouveau dans la brume. Les idées sortent toujours de l'eau, d'où crois-tu qu'elles viennent ? Mais elles s'en vont si l'on parle. Tais-toi. continue.

Bien qu'accoutumé aux cheminements improbables d'Adamsberg et à la confusion de ses pensées, Veyrenc observa avec un peu d'inquiétude sa posture, yeux très ouverts, sans pupille, lèvres fixes. Il continua de cogner le sol avec la béquille. Après tout, ce rythme pouvait aider, accompagner la vibration des pensées, comme lorsqu'on marche au pas, comme lorsqu'un train vous berce.

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