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L'Euphorbe candélabre




Étymologie :


  • CANDÉLABRE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. xie s. chandelabre « chandelier à branches destiné à porter plusieurs bougies » (Alexis, 117a ds T.-L.); xiiies. candelabre (Alixandre dou Pont, Mahomet, 1918, ibid.) ; 2. 1694 archit. (Corneille) ; 3. 1867 arboric. (Lar. 19e). Empr. au lat. candelabrum (dér. de candela « chandelle »).


  • EUPHORBE, subst. fém.

Étymol. et Hist. Ca 1256 eufourbe (A. de Sienne, Régime du Corps, p. 87, 19 ds T.-L.). Empr. au lat. impérial euphorbea, euphorbia « id. » du nom d'Euphorbus, médecin du roi de Mauritanie Juba (1er s. apr. J.-C.), d'apr. Pline (TLL).


Lire également les définitions des noms candélabre et euphorbe afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Euphorbia candelabrum - Euphorbe candélabre -

Euphorbia kamerunica - Euphorbe candélabre -

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Botanique :


Auguste Chevalier, auteur de "Plantes crassulascentes de l'Ouest africain (Opuntias et Euphorbes)." (In : Revue internationale de botanique appliquée et d'agriculture tropicale, 28ᵉ année, bulletin n°309-310, Juillet-août 1948. pp. 344-351) présente ainsi cette euphorbe particulière :


Euphorbia kamerunica Pax var. barteri (N. E. Br.) Chev. — II s'agit de la plante que nous avons mentionnée R. B. A., XIII, p. 567 comme plantée dans la plupart des villages de la Haute Côte d'Ivoire sous le nom de E. kamerunica. Elle diffère du vrai kamerunica parce qu'elle a des épines simples, alors que le type a, en outre, un appendice à la base de chaque épine. Elle semble s'identifier avec E. barteri N. E. Br. venant de Nupe dans la Nigeria.

Cette plante s'est beaucoup répandue à la Côte d'Ivoire depuis 1930. On la trouve maintenant dans la plupart des villages, près des cases, au coin des champs, dans les cimetières. Elle a été multipliée dans les villes : à Abidjan, à Bingerville, à Bouàké, à Banfora, à Bobo-Dioulasso. C'est la plante fétiche par excellence. Nous ne l'avons jamais vue à l'état spontané et il est probable qu'elle provient d'Afrique orientale et qu'elle a traversé toute l'Afrique de l'E à l'W, transportée par l'homme à cause de son port étrange et de ses propriétés magiques. C'est à tort que nous l'avons rapprochée de E. trigona Roxb. de l'Inde (R. B. A., mars-avril 1948, p. 164). Elle nous paraît avoir de grandes analogies avec E. nyikae Pax de l'Usambara et de Zanzibar, lequel nous semble lui-même très, proche sinon identique à E. lemaireana Boiss. (= E. angularis Klotzsch).

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Usages traditionnels :


Dans un article intitulé "Quelques plantes du Nord Cameroun et leurs utilisations". (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 1, n°5-6, Mai-juin 1954. pp. 148-179), Pierre Malzy évoque quelque usages :


Euphorbia kamerunica Pax. — (Burohi gorki). — Euphorbe cactéiforme. « Euphorbe candélabre ». Tige à six angles, avec épines. C'est l'Euphorbe utilisée par les Kirdi des montagnes pour constituer des haies autour des « sarés ». Le latex est caustique. Il est utilisé contre les taches de lèpre après incision de la peau. Contre la lèpre, également, la tige séchée et réduite en poudre est absorbée dans du lait le matin à jeun.

 

D'après Olivier Langlois, auteur de "Analogies de productions céramiques actuelles du plateau de Jos et des monts Mandara: l'indice d'un éclatement d'une ancienne aire culturelle". (In : C. Baroin, G. Seidensticker & K. Tijani (éds.), Man and the Lake, Maiduguri, Transaharan Studies, 2005, p. 43-73.


Nous comparerons ainsi les productions céramiques de deux « zones refuges », le plateau de Jos et les monts Mandara. Plus que toutes autres, ces hautes terres, voisines quoique distantes de près de 500 kilomètres, accueillent des sociétés qui présentent de troublantes analogies. On y remarque ainsi, notamment, la présence d’une agriculture intensive, d’un élevage de taurins et d’un « culte des ancêtres ». Ces ressemblances sont d’autant plus manifestes que les caractères communs produisent, dans les deux régions, les mêmes éléments matériels : des terrasses pour l’agriculture ; des haies d’euphorbes pour l’élevage (1) ; des poteries « rituelles », des crânes et des tombes en gourdes pour le « culte des ancêtres ».


Note : 1) Les haies d’euphorbes sont surtout signalées dans la partie nord du plateau de Jos : selon Froelich (1968 : 62, 132), on en trouverait chez les Irigwe, les Naraguta et dans une moindre mesure chez les Rukuba. Des « cactus hedges » (sic) auraient également été construits par les Sura et les Birom (Tambo 1978 : 205 ; Seignobos 1980 : 195). Dans les Mandara, les haies d’euphorbes sont surtout caractéristiques des plateaux centraux. Si de nombreux systèmes défensifs intègrent des lignes d’Euphorbia unispina, l’aire des haies d’euphorbiacées (surtout Euphorbia desmondii et Euphorbia kamerunica) se limite au rebord occidental des Mandara (Kapsiki, Bana et Gude) où un élevage de taurin est (ou fut) pratiqué (Seignobos 1980 : 192). Ainsi « Ce système de clôture par euphorbiacées, en particulier Euphorbia kamerunica, appartient à un domaine plus vaste qui se retrouve vers l’ouest, au Nigeria, dans la région de Jos, chez des populations où l’élevage d’un petit taurin est inclus dans l’économie ».

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Symbolisme :


Selon Roland Portères, auteur d'un article intitulé "Le Caractère magique originel des haies vives et de leurs constituants (Europe et Afrique occidentale) (fin)." (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 12, n°6-8, Juin-juillet-août 1965. pp. 253-291) :


Euphorbia Kamerunica Pax in Engler.

Cette espèce cactoïde et arborée ne paraît pas avoir été encore trouvée à l'état sauvage. On ne la connaît qu'à l'état cultivé ou issu de culture, uniquement anthropique, l'homme étant son fidèle compagnon et répartiteur. Son habitat écologique d'origine semble être dans les rochers et accumulats rocheux de la zone préforestière (guinéenne tropicale), au Sud du Lac Tehad. De là, elle a gagné autrefois, propagée par l'homme, les territoires de l'Ouest jusqu'au Soudan occidental et le Fouta-Djallon.

Les motifs d'ordre utilitaire (haies, défenses) ne suffisent pas à donner une explication à cette migration d'Est en Ouest et à sa diffusion dans presque tous les villages.

A. Aubréville note que sur les monts Mandara (Nord du Cameroun), en situations rocheuses, il forme de hautes haies protectrices pour les villages et les cultures (Flore Guineo-soudanaise), Le fait est général dans tous les pays au Sud du Tchad. De même dans les territoires du Nord de la Nigeria, de hautes haies impénétrables en entourent les villages rocheux et les parcs à bétail (Zeriba, Corral). Partout, la plante est considérée comme fétiche et son latex est partout employé pour empoisonner les flèches.

Le latex est (ou était) utilisé dans les ordalies (divination) et dans les épreuves judiciaires pour détecter les coupables, les possédés, les envoûtés, les esprits malfaisants incarnés dans un bomme ou une femme.

Dans le bassin de la Renoué, la personne suspectée doit boire le contenu d'une petite calebasse de latex, puis de l'eau; la mort surviendrait en quelques minutes, probablement par perforation de l'estomac.

Dans quelques tribus du Bornu, le latex s'emploie dans les ordalies (Meek, Tribal Studies, 1, 173, ap. Dalziel,, 144).

Le latex, celui aussi d'autres Euphorbes, est couramment utilisé dans la préparation du poison de flèche à base de Strophanthus. Si le latex est caustique, quelques gouttes sont cependant sainement efficaces comme purgatif..

Par contre, la résine que l'on obtient du latex par ébullition n'aurait qu'une très faible causticité (Aug. Chevalier, Rev. Bot. AppL, 1933, p. 561).

Aug. Chevalier relate que lors de son premier voyage en Afrique occidentale (1899), la plante était commune dans tout le Sud du Soudan (Haut Sénégal-Niger), spécialement dans le pays de Samory, présente dans les villages de Kankan, Kerfamouria, Ouassane, Niale, Doroma. Parfois il n'existait qu'un pied par village, souvent planté au milieu de la place principale, entouré ou non de clôtures. Les jeunes noirs se servaient du latex très caustique pour empoisonner leurs flèches (A. Chev. op. cit.). En vérité, cette présence dans les villages couvrait et couvre encore une aire géographique plus étendue : les pays Diallonké, Susu, Kissi, Toma, Nguerze-Kpelle, Manon, Dan, Toura, etc....

Cette expansion paraît d'origine soudanaise et probablement en relation avec l'aire des Strophanthus toxiques employés pour empoisonner lances et sagaies {Strophanthus gratus Franchet, S. hispidus A. P. DC, S. sarmentosus A. P. DC, S. Kombe, etc.,,).

J. Kerharo et A. Bouquet (Plantes med. et toxiques..., p. 75) notent qu'en Côte d'Ivoire et Haute-Volta, E. Kamerunica n'est présent qu'en zone soudanaise, non plus au Sud; en pays Lobi, peuple de chasseurs, l'Euphorbe est souvent plantée à proximité de la case des fétiches; chez les Lobi, les Mossi et les Curunsi, ils notent aussi l'accompagnement du latex comme un ingrédient dans l'empoisonnement des flèches et dans les appâts empoisonnés pour petits animaux nuisibles.

L'expansion en Côte d'Ivoire viendrait du Nord, tout au moins pour le Centre et l'Est de la Côte d'Ivoire (origine Mossi !). Par contre, dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, elle fait partie du cercle culturel des ethnies du groupe manding (Malinké etc.). Les graines de Strophanthus sont les produits toxiques utilisés couramment pour la chasse et la guerre, mais paraissent singulièrement, et même étrangement, sans pouvoir magique, alors que le latex d'Euphorbe qui les accompagne dans les préparations est reconnu partout comme hautement magique.

Se trouve-t-on en présence simple d'un rite d'accompagnement, d'une action synergétique reconnue, de la connaissance d'une attaque tissulaire par le latex rendant plus facile la mise du toxique dans les artérioles; ou bien tout à la fois ?

Ce sont toujours des latex d'Euphorbiacées arborescentes, cactoïdes et très lactescentes, qui sont associés aux toxiques issus des Strophanthus. Toutes ces Euphorbes sont aussi employées comme piscicides mais paraissent non utilisables seules comme poison de flèche; elles ne sont au plus que des adjuvants.

Leur emploi relève donc surtout de la magie.

Ce qui confirme cette magie de chasse et de guerre, c'est ce qu'écrit A. Walker (Diet. Mpongwe, Metz, 19'34, cf. « Ongondja ») en traitant du générique « ongondja » : que E. Laro, E. Teke, E. Kamerunica et même le Cactus à raquettes, « sont les plantes fétiches que l'on trouve dans les cours des villages ou devant des cases particulières, entourées de flèches, de sagaies ou de pieux aigus. Au-dessous, se trouve généralement une fosse où ont été enterrés un crâne, un tibia ou d'autres ossements humains. »

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Cette plante très commune, dont les Chaldéens se servaient pour purifier une maison après la naissance d'un enfant, et qui contient un latex blanc que les prêtres de diverses régions du Moyen-Orient mêlaient aux huiles saintes destinées aux autels, est protectrice. Elle doit peut-être cette propriété à sa toxicité et au fait que son suc laiteux noircit à l'air, comme s'il absorbait les influences négatives. Dans les pays méditerranéens, on lui attribue le pouvoir d'éloigner les démons de toutes sortes et les djinns.

En France, le caractère vénéneux de l'euphorbe en fait parfois une plante maléfique : se frotter les yeux après l'avoir touchée peut rendre aveugle (Côtes-d'Armor) ; une jeune fille qui en tient une en main se querellera avec son époux le jour de ses noces (environ de Valence). A Valenciennes, on interdit aux enfants de la toucher : cela attire le tonnerre. Signalons également ce préjugé original de la région de Menton : « L'euphorbe mis sous une marmite en fait tomber le fond » et la croyance anglo-saxonne voulant que la jeune file qui aime manier cette plante « aimera l'amour pimenté de scènes et de coups ».

Selon une recette du XVIIe siècle, faire trois fois le tour du feu de la Saint-Jean avec de l'euphorbe sur la tête et à la ceinture préserve des céphalées et des maux de rein pendant toute l'année. Le suc de la plante fait disparaître les taches de son du visage (Lot) et les verrues. En frotter le pénis fait prendre à celui-ci « des proportions fantastiques ».

En France, notamment dans l'Yonne et en Seine-et-Oise, comme en Italie du Sud, la plante servait de moyen de divination : « On met sur la main de la salive dans laquelle on délaye une goutte d'euphorbe. Cette goutte s'étend et produit des dessins variés et toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. On en tire des présages ».

 

Selon Christian Seignobos, auteur de "Les arbres substituts du mort et doubles du vivant". (In : L’Homme et le milieu végétal dans le Bassin du Lac Tchad., 1997, pp. 23-34) explique :


Nous avons retenu un exemple chez les Mofu, qui met en rapport deux essences : Acacia albida et Euphorbia kamerunica, concourant à la protection d'un individu, voire d'une famille. Ce qui arrive à l'arbre est compris comme un événement prémonitoire devant ensuite toucher l'homme.

[...]

Le gros Acacia albida frappé par la foudre ne pourra être approché par son propriétaire et sa famille ne pourra récu, concourant à la protection d'un individu, voire d'une famille. Ce qui arrive à l'arbre est compris comme un événement prémonitoire devant ensuite toucher l'homme. désamorcer la charge négative issue de cette situation. Un devin devra effectuer un sacrifice qui début par un œuf rompu et y disposer un autel matérialisé par un fragment de poterie. Il bouturera à l'emplacement de l'Acacia albida abattu une Euphorbia kamerunica (wuleng). (1). Elle prendra le relai dans la protection du chef de famille, conjurant le premier sort. Chaque année, l'euphorbe recevra le sang d'un coq, d'un daman, du sorgho concassé et d'une patte de mouton. L'installation de cette euphorbe doit être faite par un homme âgé et on doit s'abstenir de cultiver ce jour-là dans le quartier. Le dessèchement de l'euphorbe condamnerait irrémédiablement le propriétaire du champ dans les mois à venir. (2)


Notes : 1) Chez les Mofu on peut bouturer wuleng après le passage de la foudre ou d'une tornade, principalement sur Acacia albida, mais pas exclusivement. On peut retrouver Euphorbia kamerunica à l'emplacement de gros arbres abattus sur le 'ar mambow, "le champ de case".

2) Dans les massifs mofu, chaque wuleng a son histoire. Nous les avons recensées dans plusieurs quartiers de Duvangar. Certains ont suivi parallèlement le jeu des kuley (sacrifices relatifs au père, grand-père, aïeul...) qui peu à peu se repoussent du pied des greniers à la porte, puis au champ, et sont devenus - ou leur successeurs par bouturages successifs - des protecteurs des champs et même d'un quartier. D'autres ont disparu, abattus par le propriétaire suivant, ne désirant pas hériter des contraintes sacrificielles du père...

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