Étymologie :
ÉTYMOL. ET HIST. − 1805 zool. « mammifère lémurien de Madagascar », supra. Orig. obscure ; l'hyp. d'une orig. onomatopéique ne semble pas à retenir ; il est à remarquer que le mot aïe désigne un mammifère analogue mais vivant en Amérique du Sud.
Lire également la définition afin d'amorcer l'interprétation symbolique.
Autres noms : Daubentonia madagascariensis -
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Zoologie :
Selon Frans de Waal, auteur de Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux (Édition originale 2016 ; traduction française : Éditions Les Liens qui Libèrent, 2016) :
"Il existe même un primate, l'aye-aye de Madagascar, qui ressemble à E. T. : il possède un majeur très long (pour entendre où cela sonne creux en toquant contre l'écorce et extraire des vers du bois), caractéristique qu'il partage avec un petit marsupial, le triok à longs doigts de Nouvelle-Guinée. Ces espèces sont très éloignées génétiquement ; pourtant, elles ont évolué vers la même solution fonctionnelle."
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Mythologie :
Claire Harpet, autrice d'un article intitulé « Des lémuriens et des hommes : mythes, représentations et pratiques à Madagascar », (In : Revue de primatologie [En ligne], 3 | 2011, document 16) rapporte les croyances suivantes :
2.3 Mauvais présage et sorcellerie : S’il est permis de croire, à la lecture des quelques récits historiques, que les lémuriens géants disparus ont effrayé les populations malgaches au point d’en faire des monstres dévorants que l’on retrouve aujourd’hui dans les contes populaires (Ferrand, 1905 ; Gueunier, 1987), il existe un lémurien bien réel, fort éloigné dans son apparence du Tretretretre, aux mœurs nocturnes et aux allures fantomatiques qui à lui tout seul crée l’épouvante. Il s’agit du Daubentonia madagascariensis, plus connu sous le nom de Aye-aye (Figure 4). Le nombre de spécimens s’est raréfié au cours des dernières décennies (Harcourt et Thornback, 1990 ; Simons, 1993 ; Simons et Mayers, 2001, Koenig, 2005, Mittermeier et al, 2010), mais le mythe de l’animal maléfique s’est conservé. Le Aye-aye est accusé de bien des maux, celui entre autres de porter malheur s’il pénètre dans un village. Sa mauvaise réputation est connue sur l’ensemble du territoire et de nombreuses histoires et anecdotes sont contées à son propos (Dandouau, 1948 ; Decary, 1950). Un conte sihanaka décrit la vengeance de l’esprit d’un Aye-aye qui, après avoir été tué par deux jeunes gens insouciants, entraîna la mort de tout un village (Ruud, 1960). On dit partout que le Aye-aye possède des pouvoirs de sorcellerie capables de provoquer la maladie et la mort. Les sortilèges de l’animal changent sensiblement d’une région à l’autre, voire d’un village à l’autre, mais conservent leurs caractères meurtriers. Le Aye-aye possède un médius démesurément long qui lui sert à dénicher les larves dissimulées dans les troncs d’arbres. C’est avec ce long doigt, dit-on, qu’il menace et griffe les hommes qui croisent son chemin. C’est ce même doigt qui est utilisé par les mpamosavy (sorcier maléfique) pour confectionner des sortilèges. Pour tenter de conjurer les mauvais sorts lorsqu’un Aye-aye apparaît à proximité des villages, les Malgaches ont recours à des pratiques d’évitement, de chasse, de piégeage ou de mutilation (Harpet, 2011).
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Le Aye-aye, quant à lui, ne peut être mangé car il porte malheur. Chez les Tsimihety, l’apparition d’un Aye-aye près des habitations provoque les pires maladies. Pour chasser le mauvais sort, il est de coutume de tuer l’animal s’il s’aventure dans le village. Chez les Betsimisaraka, il est défendu de toucher l’animal sous peine de déclencher le mauvais sort. Chez les Sihanaka, il est déconseillé de s’endormir en forêt de peur d’être ensorcelé par un Aye-aye (Decary, 1950 ; Harpet, 2011).
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Contes et légendes :
Jean-Baptiste Bing, dans un article intitulé "Le conte géographique, couteau suisse heuristique."( In : Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 154, 2014. Géographie, mythes, contes, archétypes. pp. 93-106) propose un conte moderne qui met en scène l'aye-aye :
Le corpus étudié se compose de contes modernes, notamment de deux textes écrits lors de ma période de volontariat à Madagascar, et mis à disposition d’associations locales. Le premier s’intitule Le doigt du aye-aye : il s’insérait dans un recueil publié en français et en malgache par l’association Madagascar Fauna Group (MFG) lors de la Journée mondiale de la biodiversité de mai 2010. Il est assez court pour pouvoir être cité in extenso :
"A cette époque lointaine, l’aye-aye avait une main semblable à celle de n’importe quel lémurien. Une main à cinq doigts, de longueur semblable et sans rien de particulier, qu’il utilisait pour saisir les branches où il vit et la nourriture qu’il mange.
Un jour qu’il musardait dans des branches à la recherche d’une larve qui ferait un bon repas, il repéra un insecte nouveau à ses yeux et tout à fait intéressant : un papillon de jour qui, insomniaque, cherchait à trouver le sommeil en voltigeant de-ci de-là. Ce papillon fascina l’aye-aye qui, jusqu’ici, n’avait rencontré que des papillons de nuit, ternes, discrets : un tel étalage de couleurs, voilà bien du jamais vu. L’aye-aye pensa : "Si ce papillon est aussi bon que beau, quel régal ! Je ne le mangerai pas tout de suite : qu’il me mène d’abord à son nid. Alors, j’aviserai."
Et l’aye-aye partit à la poursuite du papillon. Celui-ci ne se rendait compte de rien : il voltigeait, insouciant comme le sont tous les lépidoptères. Sentant la fatigue le gagner peu à peu, le papillon rejoignit son arbre, dans l’écorce duquel un petit trou offrait un étroit passage. Il ne put y entrer. D’un coup de patte, tchac ! L’agile aye-aye l’avait saisi. Il le dégusta lentement, pour bien apprécier le goût de cette nouveauté gastronomique. Puis il fourra le doigt dans le trou, espérant y trouver de quoi compléter cette entrée. Hélas pour lui, l’orifice était trop étroit pour sa main, et la cavité était trop profonde pour ses doigts. Si les larves se trouvaient au fond, il pouvait faire une croix sur le festin. Il commença par gratter l’écorce, espérant agrandir le trou. Mais le bois était dur, il s’y cassa une griffe. Changeant de tactique, il entreprit de soulever l’écorce, jusqu’à ce qu’elle cassât et lui fournît un passage. Il tira de toutes les forces de ses petits bras ; solide et souple, le bois ne céda pas. L’aye-aye tenta alors de maintenir une ouverture tout juste suffisante pour glisser sa main. Il parvint à saisir des larves, mais la tension était trop forte : sa deuxième main lâcha l’écorce, qui vint se refermer violemment sur son doigt du milieu.
Le doigt n’était pas coupé, mais l’aye-aye avait très mal. (C’est de ses cris que vient son nom : "Aïe, aïe !") Il devait se sortir de ce piège avant l’aube, car alors il risquerait de devenir à son tour le gibier d’un autre animal – et cette idée ne lui agréait que fort peu. Il tira, tira, tira : le doigt ne sortait pas, mais lui faisait de plus en plus mal. Il vit, à l’Est, le ciel pâlir. Il devait s’échapper à tout prix. Il appuya ses deux pieds et sa main libre, de manière à ce qu’ils servissent de levier. Alors, rassemblant toutes ses forces, il écarta l’écorce jusqu’à ce que son doigt se libérât. Il chut et se retrouva dix mètres plus bas, par terre, tout contusionné, et son doigt devenu bien plus grand que les autres. En plus, il avait lâché les larves dans l’orifice. Mécontent, affamé et les membres perclus, il rentra chez lui mais ne put trouver le sommeil.
Cette journée d’insomnie lui donna une idée : utiliser son doigt remodelé pour retourner fouiner dans le petit orifice sans se retrouver coincé. Ainsi fit-il ; il y gagna un repas succulent. Afin d’avoir un deuxième outil, et aussi par souci esthétique de symétrie, il opéra le majeur de sa seconde main de la même manière. Tous ses descendants, les aye-ayes que nous voyons, lui en sont reconnaissants."
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