L'Aile d'ange
- Anne
- 14 janv. 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 mai
Étymologie :
PLEUROTE, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1875 (Lar. 19e). Empr. au lat. sc. pleurotus (1821, Fries, Systema mycologicum t.1, p.10) formé à partir du gr. ο υ ̃ ς, ω ̓ τ ο ́ ς « oreille », terme qui a évincé pleuropus (proposé en 1801 par Persoon, Synopsis methodica fungorum, p. 472) parce qu'il rappelait les dénominations pop. de cette sorte de champignon, oreille de l'orme, de noyer, de chardon (v. Cottez et Roll. Flore t. 11, pp. 145-146).
Lire également la définition du nom pleurote afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Pleurocybella porrigens - Oreille de cochon - Pleurote du Cryptomeria - Pleurote en éventail - Pleurote en oreille - Pleurote étalé - Pleurote sauvage - Sugihiratake -
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Mycologie :
André De Kesel, Bill Kasongo et Jérôme Degreff, auteurs de "Champignons comestibles du Haut-Katanga". (In : RD Congo AbcTaxa, 2017, vol. 17, pp. 1-290) mettent en garde le mycophile à propos de la ressemblance de l'Aile d'ange avec les Pleurotes comestibles :
Carpophore fragile, non taché, doux (toxique et rappelant Pleurotus) [...]
Pleurocybella porrigens est un sosie dangereux des Pleurotus qui cause de graves intoxications et de l’encéphalopathie (Saviuc & Danel 2006). Il se distingue des Pleurotus par une chair très mince rendant le chapeau translucide, des spores globuleuses et par le fait qu’il pousse sur résineux (plantations de Pinus).
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Marine Clavel, autrice de Pleurotus ostreatus : un champignon aux multiples activités thérapeutiques (Thèse de doctorat. Université de Montpellier, 2024) décrit davantage ce champignon :
Autre confusion possible [de la pleurote en huître], cette fois-ci, avec Pleurocybella porrigens ou pleurote en oreille qui est entièrement blanc et caractérisé par un chapeau spatulé, pétaloïde à linguiforme, mesurant entre 2 et 8 cm de diamètre.
Les lames sont fines, serrées, blanches à jaunâtres. Le pied est souvent excentré ou nul.
Sa chair blanche possède une odeur agréable d’amande douce. Il pousse sur les souches pourrissantes de conifères en régions montagneuses, contrairement aux autres pleurotes.
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Toxicité :
Jean-Mary Couderc, auteur de Données nouvelles sur les champignons supérieurs toxiques. (In : Sciences naturelles (Académie de Touraine), 2008, vol. 21, pp. 155-181) retrace l'historique de la découverte de la toxicité de l'Oreille de cochon :
Les nouvelles découvertes : On découvre régulièrement de nouveaux champignons toxiques, parfois considérés comme comestibles.
En octobre 2004, le forum Mycologia europaea a fait part d’empoisonnements au Japon, dont certains mortels, par Pleurocybella porrigens (= Pleurotus porrigens = Phyllotus porrigens = Pleurotellus porrigens), le pleurote étalé ou en éventail que l’on trouve aussi dans les Vosges sur des souches de résineux et qui serait consommé par certains montagnards sous le nom d’« oreille de cochon ». Or ce champignon est noté dans plusieurs manuels comme très bon comestible et dans quelques uns, comme aussi bon, sinon meilleur, que la pleurote en forme d’huître. La plupart des intoxiqués japonais se sont révélés être des insuffisants rénaux dont les symptômes ont évoqué ceux d’une encéphalopathie métabolique.
Selon P. Saviuc, auteur d'un article intitulé "Intoxication par les champignons : les syndromes émergents." (In : Congrès Urgences 2009. SFMU (Ed), 2009, vol. 46, pp. 479-487) :
Encéphalopathie convulsivante et Pleurocybella porrigens :
Une épidémie est survenue au Japon en 2004 chez des insuffisants rénaux (environ 60 cas avec 15 décès) à la suite de la consommation de cette espèce, comestible réputé ; le lien fait entre l’encéphalopathie et la consommation de cette espèce reste pour certains chercheurs controversé, malgré l’absence d’autres hypothèses. Cette espèce pousse dans l’Est de la France.
Espèces toxiques. Pleurocybella porrigens (Pleurote en oreille), consommée auparavant en tant que telle, même par des insuffisants rénaux.
Toxines et mécanismes d’action. Bêta-hydroxyvaline, lectines hémolytiques, thiocyanates et traces de dérivés cyanogénétiques isolés dans Pleurocybella porrigens sont aussi présents dans des espèces ou des aliments non reliés à une telle toxicité. Parmi les hypothèses avancées, les conditions climatiques/météorologiques propres à cette année auraient pu être propices à l’apparition d’une variété toxique.
Clinique et traitement. Quasiment tous les intoxiqués étaient porteurs d’une insuffisance rénale chronique et certains étaient dialysés. Les premiers signes sont apparus de quelques jours à 3 semaines après la consommation de quantités variables de ce champignon : dysarthrie, faiblesse des extrémités des membres, mouvements involontaires à type de tremblements, myoclonies, secousses musculaires et difficultés à la marche. Ces signes ont duré de 7 à 11 jours. À l’acmé sont survenus des troubles de conscience (jusqu’au coma) et des convulsions, résistantes au traitement, pouvant évoluer vers un état de mal convulsif. Un signe de Babinski, une ataxie, une parésie voire une paralysie, des paresthésies cutanées étaient plus occasionnels. La tomodensitométrie et l’IRM, normales les premiers jours, ont objectivé vers le 6e jour des lésions bilatérales intéressant les ganglions de la base du crâne et la substance blanche sous corticale. L’EEG montrait des décharges synchrones périodiques (PSD) et des pointes ondes. Le décès survenait dans un tableau de détresse respiratoire. Parmi les autres intoxiqués, les troubles de conscience pouvant persister plus d’un mois et des séquelles ont été rapportées ; la guérison ad integrum n’est survenue que dans 4 cas sur 10. La gravité de l’intoxication a été reliée non pas à la quantité ingérée mais à la sévérité de l’insuffisance rénale préexistante. Le traitement est symptomatique.
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Marine Clavel, autrice de Pleurotus ostreatus : un champignon aux multiples activités thérapeutiques (Thèse de doctorat. Université de Montpellier, 2024) développe les connaissances sur ce syndrome :
Il s’agit d’une espèce toxique provoquant une encéphalopathie aigüe d’évolution mortelle dans la plupart des cas. Ce syndrome a été décrit pour la première fois au Japon en 2004 où cette espèce, aussi connue sous le nom de Sugihiratake, est largement consommée en raison de sa saveur appréciée. Des conditions climatiques très chaudes ont pu favoriser la pousse de cette espèce et entraîner sa consommation en quantité et en fréquence proportionnelle à son abondance, révélant un toxidrome non identifié jusqu’à présent. Il se développe entre 1 et 31 jours après la consommation et survient presque exclusivement chez des personnes atteintes d’insuffisance rénale. Il se caractérise par des signes neurologiques, apparaissant dans un délai moyen d’une semaine, tels que des troubles de la conscience, des tremblements, des difficultés d’élocution, une myoclonie, une dysarthrie, une ataxie et dans les cas les plus graves par un coma et des convulsions. Des lésions diffuses dans les noyaux gris centraux et de multiples lésions dans le cortex cérébral, caractéristiques d’une encéphalopathie, sont observées par imagerie à résonance magnétique (IRM).
À ce jour, ce champignon a provoqué 59 intoxications dont 17 décès. Cependant, ces chiffres sont certainement plus élevés en réalité en raison des cas d’intoxication n’ayant jamais été déclarés, dont la cause n’a pas été élucidée ou qui ont potentiellement fait l’objet d’un diagnostic différentiel pouvant inclure une encéphalopathie métabolique, un accident vasculaire-cérébral, une encéphalite virale ou une éventuelle intoxication médicamenteuse. Cela pourrait notamment s’expliquer par une période de latence particulièrement longue, des signes non spécifiques ainsi que par l’absence de troubles digestifs et hépatiques qui sont généralement caractéristiques d’une intoxication par les champignons.
Dans la plupart des cas, l’hémodialyse ne s’est pas révélée efficace dans la prévention de l’encéphalopathie. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la capacité d’élimination a été dépassée par la quantité ingérée, par une taille moléculaire des toxines trop importante ou encore par le fait que les toxines aient pu traverser la barrière hémato-encéphalique et ainsi devenir inaccessibles pour la dialyse.
Il n’existe à ce jour aucune certitude quant à la toxine responsable de ce syndrome. Cependant, des travaux de recherche ont mis en évidence la présence de certains composés tels que le cyanure et les thiocyanates qui s’accumuleraient respectivement dans les érythrocytes et le plasma des patients hémodialysés, ainsi que l’aziridine qui provoquerait une démyélinisation.
Les résultats de l’étude réalisée par Akiyama et al. en 2015 chez des rats atteints de maladie rénale chronique suggèrent que le glycoside cyanogène contenu dans P. porrigens est absorbé et métabolisé en cyanure par la β-glucosidase pour être ensuite distribué dans les organes ou les tissus, puis transporté vers le sang et le cerveau. On sait par ailleurs que le cyanure est métabolisé en thiocyanate par la rhodanèse qui est une enzyme mitochondriale présente dans divers organes tels que le foie et les reins. Il s’avère que l’excrétion urinaire est la principale voie d’élimination du cyanure, sous forme de thiocyanate. La présente étude suggère donc que les patients souffrant d’insuffisance rénale et qui ont consommé ce champignon ont présenté une accumulation de cyanure et de thiocyanate en raison d’une importante diminution de l'excrétion urinaire. Cependant, la capacité humaine de détoxification du cyanure et du thiocyanate résultant de l'exposition alimentaire chez les patients hémodialysés n'a pas été entièrement étudiée.
De surcroît, le thiocyanate améliorerait l’action du glutamate pour une sousclasse de récepteurs neuronaux du glutamate, nommés AMPA, responsables de dommages sélectifs aux neurones dans le cortex moteur. Des recherches supplémentaires sont cependant nécessaires pour clarifier le mécanisme d'apparition de l'encéphalopathie par l'ingestion de glycosides cyanogènes.
D’autre part, une étude de Kawagishi et al. réalisée en 2023 considère que trois composés présents dans le champignon sont potentiellement responsables de ce toxidrome, à savoir la pleurocybelline, une lectine de P. porrigens et la pleurocybellaziridine. En effet, la pleurocybelline présente une activité mortelle chez la souris et son association avec la lectine de P. porrigens provoquerait la formation d’un complexe présentant une activité protéolytique et perturbant la barrière hématoencéphalique. La pleurocybellaziridine, quant-à-elle, présenterait une toxicité envers les oligodendrocytes qui constituent la gaine de myéline du cerveau, entraînant sa démyélinisation à l’origine de l’encéphalopathie. D’autant plus que la pénétration de la pleurocybellaziridine dans le cerveau, plus particulièrement dans l’hippocampe, serait permise par l’augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique causée par le complexe pleurocybelline-lectine. L’ensemble de ces résultats permet de conclure que l’encéphalopathie serait provoquée par la combinaison de ces trois composés.
Même si aucun cas d’intoxication par ce champignon n’a été décrit à ce jour en France, il convient de rester vigilant. En cas de doute quant à l’identification, il convient de solliciter un pharmacien ou un mycologue.
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Usages traditionnels :
Jean Després, dans les Champignons comestibles du Québec-Les connaître, les déguster. (Éditions Michel Quintin, 2017) déclare :
ce champignon connu comme "excellent comestible à travers le monde" (p. 45).
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