Anne
L'Éleusine
Étymologie :
Selon Wikipedia : Du latin Eleusina (« d’Éleusis »), ville où on célébrait les mystères de Déméter (Cérès en latin) ; en forme adjectivale, il s'agit d'un surnom donné à Déméter, adorée à Éleusis.
Autres noms : Eleusine coracana ; Éleusine ; Herbe d'oie ; Millet aux doigts ;
Eleusine indica : Éleusine des Indes ;
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Botanique :
D. B. Hoare, auteur d'un article intitulé tout simplement "Eleusine Coracana (L.) Gaertn." (In Grassland Species Profile, 2016) propose une présentation simple et succincte de ce millet particulier :
Origine et répartition géographique : E. coracana se trouve dans les régions tempérées chaudes du monde d'Afrique au Japon et aussi en Australie. Il est présent dans les archives archéologiques de l'agriculture africaine au début de l'Afrique en Ethiopie qui remonte à 5000 ans, et provient probablement de quelque part dans la région aujourd'hui Ouganda (National Research Council 1996). C'est une importante culture de base dans de nombreuses régions d'Afrique et a été cultivée en Afrique orientale et australe depuis le début de l'âge du fer. Avant l'introduction du maïs, il s'agissait de la culture de base de la région de l'Afrique australe. Il a été introduit en Inde il y a environ 3000 ans.
La description : Une herbe annuelle touffue qui atteint une hauteur de 210 à 620 mm de hauteur. Les lames sont brillantes, résistantes et difficiles à casser et ont une longueur de 220 à 500 mm et une largeur de 6 à 10 mm. Les feuilles et les abîmes sont généralement de couleur verte. Il dispose d'un système racine exceptionnellement fort et il est difficile de sortir du sol à la main (Van Wyk & Van Oudtshoorn, 1999). Les culots et les gaines de feuilles sont éminemment aplaties. La ligule est une membrane frangée. L'infestation est constituée de branches principales qui sont ouvertes ou contractées et sont numériques ou sub-numériques. Les spikelets ont une longueur de 5-8 mm et une largeur de 3-4 mm. Les épillets ne se désordonnent pas (se rompre aux articulations) à l'échéance. Les grains sont globuleux. Il existe deux sous-espèces de millet aux doigts africains, (E. coracana subsp. africana) et une forme cultivée dérivée (E. coracana subsp. coracana). Le millet de doigts africains sauvages (E. coracana subsp. Africana) est semblable à l'herbe d'oie indienne (E. indica) et peut être confondu avec celui-ci, mais celui-ci a des épilles plus petites et des grains oblongs, non arrondis. Les grains d' Eleusine sont inhabituels en ce sens que la couche externe (le péricarpe) n'est pas fusionnée et peut être facilement retirée du manteau de semence (testa) ci-dessous (Van Wyk & Gericke 2000).
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Vertus médicinales :
Selon Jan Bokdam et Andreas Frederik Droogers, auteurs de "Contribution à l'étude ethnobotanique des Wagenia de Kisangani" (In : Zaïre, No. 75-19. Veenman, 1975) :
Eleusine indica (L.) Gaertn. kalungülüngu kâ motangâ - tolungülüngu ta motangâ
Graminée de moyenne taille, trouvée aux endroits piétinés ; inflorescence : un épi composé-digité.
- La plante remédierait à la variole et à la grippe ;
- La feuille broyée est frottée sur la peau pour guérir la rougeole.
Gildas Parfait Ndjouondo et al. auteurs d'un "Inventaire et caractérisation des plantes médicinales des sous bassins versants Kambo et Longmayagui (Douala, Cameroun)." (In : Journal of Animal et Plant Sciences, vol. 25 n°3, pp. 3898-3916, 2015) relèvent un usage particulier :
Noms scientifiques Noms communs Noms vernaculaires Maladies soignées
Eleusine indica (L.) Faux gazons Poc gazon (Dschang) Pieds enflés
Goosegrass
Mode de préparation Partie utilisée Posologie
Cueillir des feuilles et Feuilles Masser la partie enflée avec les feuilles écrasées et
écraser quelques unes. attacher quelques feuilles sur la cheville.
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Usages traditionnels :
D. Lemordant, dans une "Contribution à l'ethnobotanique éthiopienne." (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 18, n°1-3, Janvier-février-mars 1971. pp. 1-35) relève l'ancienneté des usages de l'éleusine en Afrique :
L'ELEUSINE. — Eleusine coracana Schw., E. tocusso Fresen Hochst., E. abyssinica Gaert. Graminées.
Noms vernaculaires : dagussa, zângada.
Déjà signalée par Strabon dans l'Inde sous le nom de « bosmoron », l'Eleusine est une céréale des régions pauvres, originaire des hauts plateaux abyssins pour Vavilov.
R. Portères qui ajoute aux centres africains de Vavilov, un berceau ouest-africain et un berceau est-africain, considère également ce dernier comme à l'origine de Sorghum, et Pennisetum jordaniens divers et de E. coracana.
E. tocusso serait une variété culturale de E. coracana, propre à l'Ethiopie. On s'accorde actuellement pour reconnaître l'existence d'un second foyer dans l'Inde.
L'Eleusine est très utilisée en Ethiopie comme aliment, pour fabriquer la bière et l'alcool. La décoction est employée par voie orale comme antidysentérique.
L'Eleusine est cultivée en assolement avec d'autres céréales ou avec le lin et la fève. Elle succède à l'orge à partir de 1 600 m d'altitude et monte jusque vers 2 400 m. Elle est employée davantage par les musulmans, alors que le Teff est plutôt « chrétien » .
Sa composition chimique est en moyenne la suivante :
— Glucides : 75 % — Protides : 6-7 % — Lipides : 1,5 %.
On rencontre en Ethiopie d'autres variétés : E. floccifolia Spreng., E. multiflora Hochst., E. cespitosa A. Rich. Chacune, comme c'est la règle, porte un nom amharique.
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Selon D. B. Hoare, auteur d'un article intitulé tout simplement "Eleusine Coracana (L.) Gaertn." (In Grassland Species Profile, 2016) :
Les fouilles archéologiques montrent que les formes améliorées de millet aux doigts étaient autrefois l'alimentation en grains de l'Afrique australe. En Inde, c'est aujourd'hui un grain important. En Afrique de l'Est, où il est cultivé en céréale, on distingue cinq races sur la morphologie de l'inflorescence (Gibbs-Russell et al ., 1989). C'est le principal grain de céréales de l'Ouganda et est planté sur plus de 0,4 million d'hectares là-bas. Il a été cultivé avec succès aux États-Unis aussi loin que Davis, en Californie, mais avec des problèmes considérables de sensibilité aux photopériodes (National Research Council, 1996).
C'est un grain polyvalent qui peut être utilisé dans de nombreux types de nourriture. Il est mangé en broyant les grains pour le porridge ou, comme en Indonésie, mangé comme légume. Parfois, il est broyé en farine et utilisé pour le pain ou divers autres produits cuits. Les graines germées sont un aliment nutritif et facile à digérer qui est recommandé pour les nourrissons et les personnes âgées (National Research Council, 1996). Le grain peut être laissé germer pour créer du malt, très populaire en Afrique australe en raison de la douceur du malt (Van Wyk & Gericke 2000). Sa capacité à convertir l'amidon en sucre n'est dépassée que par l'orge (National Research Council 1996). En Ethiopie, une puissante liqueur distillée appelée arake est fabriquée à partir d'un millet de doigt.
En Inde, le millet aux doigts est largement apprécié en tant que grain évasé. La paille de millet de doigts fait de bons fourrages et contient jusqu'à 61% de nutriments digestibles totaux (National Research Council 1996). Il est utilisé dans la médecine traditionnelle comme remède interne pour la maladie de la lèpre ou du foie (Van Wyk & Gericke 2000). Des parties de la plante (les feuilles et les abîmes) sont utilisées pour braiser les bracelets (Gibbs-Russell et al., 1989). Des produits chimiques peuvent être obtenus à partir de la plante, E. coracana, à savoir l'acide hydrocyanique.
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Symbolisme :
Ce nom fait rêver immédiatement grâce à son lien étymologique avec les Mystères fascinants d'Éleusis mais pour l'instant je ne trouve pas pourquoi on lui a choisi ce nom alors que la plante n'est pas du tout originaire d'Europe.
Marc-Alexandre Tareau, auteur de Les pharmacopées métissées de Guyane : ethnobotanique d’une phytothérapie en mouvement. (Thèse de doctorat. Université de Guyane, 2019) illustre le fonctionnement magico-religieux de la médecine avec l'exemple de l'éleusine :
La notion d’agentivité semble particulièrement adéquate pour aborder ces questions (Gutierrez Choquevilca, 2017 ; Jacopin, 2010). Une médecine ne fonctionne pleinement que grâce à la foi que les soignés ont en elle et qui permet à l’action soignante de devenir agentive, c’est-à-dire capable d’agir sur la maladie, et d’être ainsi opérante. Les études menées en Occident sur les placebos montrent à quel point cette idée n’est pas propre qu’aux cultures non-occidentales, elle est aussi l’apanage de la biomédecine (Moerman, 1981, 2002, 2013). Il s’agirait d’un processus inconscient de renforcement neuro-immunitaire du sujet, permettant ainsi de parler d’une efficacité indirecte des remèdes. La plante – ou n’importe quel élément de la materia medica magique – soigne parce qu’elle est habitée par une entité mythique puissante et capable de soigner qui lui donne sa force thérapeutique. La plante, au final n’est que le véhicule d’une entité supranatuelle qui elle agit. Ainsi, la parole du sorcier, au-delà de son contenu sémiotique, est une parole agentive car chargée de la puissance des esprits qui l’énoncent à travers la bouche de l’officiant. C’est en ce sens que Winternitz écrit que « rien n’est plus puissant pour l’esprit primitif (1) que des mots humains » (Winternitz, 1898 ; p. 233), que Favret-Saada (1977) découvre qu’« en sorcellerie, l’acte c’est le verbe », qu’Austin, (1970) décrit les paroles mythiques comme « des actes de parole » et que Benoît (1988) évoque « une parole en situation ». En outre, ce qui fait le caractère agentif d’une parole soignante c’est également la scénographie dans laquelle elle s’inscrit, à travers un certain nombre de codes et de règles pré-définies (Yvinec, 2005). (2) De la blouse du médecin au costume cérémoniel du chamane, les habits du soignant, sa gestuelle, les objets qu’il manipule, suivent des règles précises, autant dictées par les protocoles de soin que par les rituels thérapeutiques, et donnent un cadre crédible du point de vue du système de croyances du soigné à la puissance thérapeutique de la parole soignante. L’agentivité, pour être fonctionnelle, doit répondre à un certain nombre de critères : elle s’inscrit dans un système de croyances fortes dans laquelle elle fait sens ; le soigné fait preuve d’une foi profonde en ce système de croyances ; le soignant respecte un certain nombre de codes culturels qui rendent crédibles aux yeux des initiés la « mise en scène » de la parole agentive ; la parole mythique puise sa force dans celle d’un passé puissant, toujours vivant dans les objets et les paroles magiques :
« Quand les plantes nous soignent, ce sont nos ancêtres africains qui agissent sur nous à travers elles. C’est comme toi, tu as une carte bleue, c’est juste un objet, pourtant derrière il y a de l’argent. Et bien moi, quand je porte cette herbe [Eleusine indica] sur moi, ce n’est pas juste une herbe que je porte, c’est toute l’Afrique qui habite dedans et me donne sa force. »
Homme d’origine saamaka, 35 ans, Régina.
Notes : 1) En postulant, évidemment que nous soyons tous des « primitifs ».
2) D’après Yvinec (2005), la parole agentive revêt avant tout un « aspect performatif ». Et Jacopin (2010 ; p. 26) souligne que « l’énonciation [de la parole mythique] est un acte de parole en soi. » 97 La foi dans ce système (ce que les Businenge nomment trostu) est une condition sine qua none à sa réussite. Comme le dit un homme créole interrogé : « si to pa ka krè annan tjenbwa, anyen pé pa rivé to [Si tu ne crois pas dans les mauvais sorts, rien ne peut t’arriver] ». L’« efficacité symbolique » telle que définie par Levi-Strauss (1949) prend ici encore tout son sens : tout processus magique ne peut fonctionner que si le patient est lui-même déjà intimement convaincu de la provenance extra-naturelle du mal qui l’assaille et de l’efficience de la magie pour s’en expurger. Rendre acceptable la maladie pour le patient (car cohérente dans un système de pensée mythique particulier) lui donne par la même occasion la force de la surmonter.
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Mythologie :
D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),
BALBAG'A (Eleusine Indica), nom d'une herbe védique employée dans les fêtes religieuses indiennes comme litière ; ce caractère sacré tenait peut-être au culte religieux de la vache, puisque, d'après le Yagurveda noir, cette herbe très commune, pousse partout où une vache fécondée est allée pisser. Avec cette herbe sacrée, dans l'âge védique, on tressait des paniers ; un chantre védique, d'après un hymne du Rigveda (VIII, 55), reçoit cent paniers façonnés avec le balbaga.
Igor de Garine, auteur de "Les relations symboliques entre les animaux et les hommes chez les Masa et les Musey (nord du Cameroun et sud-ouest du Tchad) (© IRD, 2007, pp. 607-628) rend compte d'un schème symbolique assez complexe :
La brousse et sa divinité Bagaona : La “brousse” goro, bagayna (mu), fulla (ma), et la “forêt” juruta (ma) sont le domaine d’une divinité masculine, Bagaona. C’est lui qui dispense le gibier mais il est aussi responsable des accidents et des morts brutales, sanglantes ou causées par le feu qui peuvent se produire dans le monde sauvage. Il apprécie les animaux et les plantes de couleur rouge tels que le guib harnaché (Tragelaphus scriptus (Pallas), Bovidae), la gazelle à front roux (Gazella rufifrons (Gray), Bovidae), le sésame rouge (Sesamum indicum L., Pedaliaceae) et l’éleusine à panicules rouges (Eleusine coracana Gaertn., Poaceae). Bagaona incarne l’un des aspects de Matna la divinité de la mort. Cette dernière affectionne les “effondrements de terrain” nirifna qui sont ses chemins ; elle aime aussi les fourmilières, les têtes des termitières (photo 2) et la faune qui les habite, les “animaux qui habitent sous la paille” hudina dont il a déjà été question. Ces animaux relèvent du domaine chtonien où l’on ensevelit les morts. Les divinités Bagaona et Matna sont néfastes au monde domestique dans lequel elles tentent de s’immiscer. Les animaux qui leurs sont liés à ces diverses divinités en sont les messagers auprès de l’homme. Une chatte de brousse qui vient mettre bas dans l’enclos d’un individu manifeste le désir du génie de la brousse d’obtenir quelque chose de celui-ci.
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Voir aussi : Millet ;