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  • Photo du rédacteurAnne

Célébrer la beauté des champignons




Dans son Histoire des champignons comestibles et vénéneux (Fortin, Masson et Cie Libraires-Éditeurs, 1841) le Dr Joseph Roques, célèbre la variété des formes et des couleurs des champignons :


Que de variété dans leurs formes, leurs dimensions, leurs nuances , leur parfum, leur saveur ! Les uns s'élancent du sein des bruyères, comme de petites pyramides ; les autres étalent, au milieu des bois, leurs chapiteaux de pourpre mouchetés de pellicules semblables à des perles ; telle on voit la fausse- oronge, dont le poison subtil fait perdre la raison, et quelquefois la vie. D'autres se colorent d'un léger incarnat : ceux- là imitent les teintes du saphir et de l'améthyste ; ceux-ci, les nuances du tigre et de la couleuvre. Quelques-uns sont comme diaprés, ou rayés de couleurs diverses ; d'autres, parsemés de zones livides, imprégnés d'un suc qui s'échappe en gouttes de lait ou de sang par la plus légère pression, inspirent un sentiment de défiance, et peut- être ont-ils servi jadis aux conjurations de quelque génie malfaisant.

Certaines espèces se dessinent en parasol, en rameaux de corail, ou bien prennent la forme d'un globe, d'une mitre, d'une coupe élégante ; d'autres se contournent d'une manière bizarre, se hérissent de pointes ou d'écailles, se couvrent d'un doux coton, ou se parent de collerettes soyeuses. D'autres encore, véritables protées, changent, dans leur développement, de structure, de forme et de couleurs. Ceux-là se présentent dans une nudité parfaite ; ceux-ci, recouverts d'un voile blanc dans leur enfance, sont ensuite tout rayonnants d'or en brisant leur prison ; ainsi paraît l'oronge, champignon d'un goût exquis, dont les Romains étaient si friands, et que Néron appelait l'aliment des Dieux.

Ici de petits champignons, enveloppés de mousse, exhalent un doux parfum qui s'envole avec le léger souffle des airs ; là d'autres espèces répandent au loin une odeur nauséeuse ou fétide, narcotique ou enivrante. Les uns sont doux, sucrés, aromatiques ; les autres ont une saveur acide, âcre ou amère.

On en voit d'une ténuité extrême, d'un tissu si délicat, si fin , qu'ils se dissolvent et s'évanouissent, pour ainsi dire, au moindre contact ; d'autres ressemblent à de fortes massues, et peuvent résister aux plus puissants efforts. Ceux-ci croissent solitaires ; ceux-là se rassemblent en formant des traînées ou des cercles symétriques ; d'autres se groupent, se réunissent en touffes et vivent en famille. La plupart végètent sur la terre, quelques-uns se cachent dans son sein ; d'autres pullulent au pied des arbres ; il en est qui règnent à leur sommet, où ils déploient des formes gigantesques. Certaines espèces croissent d'une manière lente, insensible, et n'atteignent leur entier développement qu'au bout de quelques années ; beaucoup d'autres naissent avec une rapidité inconcevable ; il suffit de quelques heures, de quelques instants, pour en voir paraître de nouveaux : c'est surtout après une pluie fécondante qu'on les voit éclore par milliers. Quelques espèces sont précoces, et se montrent aussitôt que le soleil de mars a ranimé leurs germes ; d'autres se développent pendant l'été et une partie de l'automne, et fixent nos regards par leurs formes pittoresques ; d'autres, enfin, lorsque la plupart des plantes perdent leur parure , viennent embellir la solitude des forêts par l'éclat et la diversité de leurs couleurs. (*)


Note : *) Les champignons de nos provinces méridionales, et surtout ceux d'Italie, se font remarquer par la richesse de leurs nuances. On en voit de couleur aurore et d'un bleu d'azur magnifique ; d'autres ont la surface du chapeau sillonnée de bandes dont la teinte brune tranche admirablement sur un fond cramoisi ou gris de perle.

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Jean-Louis Etienne, dans son ouvrage intitulé Persévérer : On ne repousse pas ses limites, on les découvre (Éditions Paulsen, 2015) loue la beauté du règne fongique :


Les champignons, ces modestes émergences de la terre, déclament leurs poèmes dans le silence des sous-bois. Leur vie, éphémère et mystérieuse, se déroule en secret, tissant des versets dans la trame du sol. Ils sont les troubadours de l’humus, les poètes de l’obscurité.

Sous les feuilles mortes, ils naissent, timides et discrets, leurs chapeaux frémissant comme des strophes murmurées. Leurs pieds, tels des vers libres, s’enfoncent dans la terre, cherchant la mélodie des racines. Leurs lamelles, comme des rimes, s’étirent et se déploient, captant la rosée du matin.

Ils sont les gardiens des secrets, les gardiens des cycles. Leur poésie est celle du renouveau, de la décomposition et de la renaissance. Ils se dressent, solennels, dans la lueur pâle de l’aube, puis s’effacent, laissant derrière eux des strophes de spores, des versets de vie.

Chaque champignon est un haïku, une brève éternité inscrite dans la terre. Leur silence parle aux âmes attentives, révélant les mystères de la forêt. Ils sont les poèmes de la terre, les versets de la nature, et leur fugace beauté nous rappelle que la vie, même cachée, est une éternelle création.

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