Étymologie :
SÈVE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1. 1er quart xiiie s. [ms.] « suc nourricier des plantes » (G. Schessinger, Die altfr. Wörter im Machsor Vitry, n°157, p. 73) ; 1re moit. xiiie s. pomme cuite sanz seve (De la fole et de la sage ds Nouv. Rec. Fabliaux, éd. A. Jubinal, t. II, p. 76) ; mil. xiiie s. fig. « le sens symbolique » De l'E vous conterai le seve (Huon de Cambrai, ABC, 71 ds T.-L.) ; 2. 1413 « force, vigueur, ici en parlant d'un adolescent » (Christine de Pisan, Livre des faits et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. S. Solente, I, 9, p. 24) ; 1697 « principe vital » (Boss., Etats d'orais., V, 9 ds Littré) ; 3. 1538 « qualité distinctive de certains vins » (Est.). Du lat. class. sapa « vin cuit (jusqu'à réduction de la moitié, selon Varron, ou des deux tiers, selon Pline) » ; devait signifier propr. « suc, sève ».
Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.
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Sagesse populaire :
Selon Charles Talon, auteur de "Quelques formulettes patoises (Ain, Isère, Rhône )." (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°2/1973. pp. 35-38) :
Formulette récitée ou chantonnée en faisant des sifflets.
Quand, en avril, la sève qui monte dans les saules et les frênes éclaircit la couleur de l'écorce, il est temps de faire des sifflets. On humecte de salive et l'on frappe du manche de sa serpette cette écorce pour l'aider à glisser sur l'aubier... Une formulette qu'on fredonne en cadence facilite l'opération. Même si le français s'émaille de patois et de termes ésotériques, , la sève se montre sensible à la rime ou à l'assonance.
save, save pied de bou (bœuf),
quatre-vingt et dix-nou (dix-neuf),
save, save pied de vache,
la cornache.
Saint-Maurice-l'Exil 1950. (Isère), Clonas (Isère), Le Péage-de-Roussillon (Isère)
Version de Courtenay (Isère) :
sâ'va, sâ'va sibô'lè (sifflet)
su lo ku de la matyô'lè (prénom de femme).
Dans certaines localités (Nattages (Ain), Saint-Germain-les-Paroisses (Ain)...], la formule débute par :
sâ'va, sâ'va savenyon...
Or, dans ces deux localités et dans d'autres villages du Bugey (Arbignieu, Armix, Marignieu, Pollieu, Vongnes...) le mot désigne le cornouiller sanguin dont l'écorce saule fournissait, paraît-il, des sifflets, au même titre que le frêne ou le saule. A Innimont (Ain), on utilisait cette formule bien que dans ma jeunesse on ne fît pas usage du cornouiller pour les sifflets.
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Symbolisme :
Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982)
"La sève est la nourriture du végétal, sa liqueur de vie, son essence même ; le mot sanskrit rasa signifie à la fois sève et essence. D'où le symbolisme purement végétal de l'ambroisie et du nectar chez les Grecs, le second étant plus spécialement le suc de la fleur, du haoma chez les Mazdéens, du soma chez les Hindous. C'est moi qui, pénétrant la terre, dit Krishna dans la Baghavad Gîtâ, soutiens par ma force dans tous les êtres, moi qui nourris toutes les plantes, étant le soma, la sève par excellence (15, 13). Il faut toutefois entendre que le soma est un symbole non le breuvage d'immortalité lui-même : celui-ci ne s'obtient que par une action spirituelle, par une véritable transsubstantiation das sucs végétaux, laquelle ne s'achève que dans le monde des dieux. Soma s'identifie à la Lune, qui est la coupe de l'oblation. L'extraction du soma de la plante est elle-même une démarche rituelle, symbole du dépouillement de l'enveloppe corporelle, de la libération, du jaillissement du Soi hors de son écorce. Il est encore dit du soma qu'il aurait été perdu à une certaine époque, et remplacé par des succédanés - dont le vin, lui-même essence végétale - ce qui pourrait n'être pas sans rapport avec le mythe de Dionysos.
Élixir de vie et d'immortalité, le soma est identifié par le yoga à la liqueur séminale qu'il s'agit de faire remonter et de transmuer dans le corps, à la manière de la sève dans la plante. En Occident même, le symbolisme de la sève, s'applique à l'obtention de la perfection spirituelle et de l'immortalité : Raymond Lulle n'assure-t-il pas que la pierre philosophale apporte la vie aux plantes ? Cette régénération végétale est associée au printemps, et nous retrouvons là une notion de cycle saisonnier chère à la tradition chinoise : le rythme universel, celui de l'alternance du yin et du yang qu'on observe dans la croissance des plantes et le circuit de la sève, doit être respecté dans la mise en mouvement des fluides vitaux corporels, souffle et semen. Ainsi le microcosme se conforme-t-il à l'harmonie macrocosmique et peut-il s'intégrer à elle.
La sève divine (mâddat) d'Ibn al-Walid, c'est la colonne de lumière, l'énergie surnaturelle dérivée du Principe suprême, et aussi la gnose, nourriture de l'intelligence, qui permet d'accéder directement à la vie divine."
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Littérature :
Jean Giono, dans Les Grands Chemins (Éditions Gallimard, 1951, collection folio n°311) est très attentif à toute la vie qui sourd, bruisse et luit dans la nature :
En cette saison, la sève des châtaigniers descend et rentre sous terre. Elle suinte de toutes les égratignures que l'été a élargies dans l'écorce. Elle a cette odeur équivoque de pâte à pain, de farine délayée dans de l'eau. Un faucon file en oblique, très bas à travers les arbres, poursuivi par une nuée de mésanges. La chaleur de midi est sur mes pieds et mes genoux comme un édredon. Je laisse pousser ma barbe pour des questions de froid universel. Aimer, vivre ou craindre, c'est une question de mémoire.
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