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Le Charbon

Dernière mise à jour : 18 mars 2024


Étymologie :


  • CHARBON, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. a) Début xiie s. « braise, charbon de bois » (Psautier de Cambridge, ps. 17, v. 12, éd. F. Michel : charbuns de fou [carbones ignis]) ; b) 1251 « charbon de terre » (Règlement concernant l'exploitation des houillières, Arch. de l'Etat à Mons, Quaregnon 15, Cart. de Hainaut, Chron. belges ds Gdf. Compl.), supplanté par houille au xixe s. ; c) av. 1200 « chose détruite par le feu ou calcinée » (Première continuation de Perceval, éd. W. Roach et R. H. Ivy, t. 2, p. 123, v. 4220-21) ; 2. a) 1635 « charbon à dessiner » (P. Monet, Abrégé du parallèle des lang. françoise et latine, Genève) ; b) 1821 charbon animal (J.-B. Kapeler, J.-B. Caventou, Manuel des pharmaciens et des droguistes, t. 1, p. 181) ; c) 1868 méd. (Deschamps d'Avallon, Compendium de pharmacie pratique, p. 218 : charbon pastilles de) ; d) 1888 électr. (Lar. 19e Suppl.). Du lat. class. carbo « charbon de bois ; ce qui résulte de la combustion ; charbon destiné à l'usage graphique », lat. médiév. « charbon de terre » (carbones ferrei en 1201 ds Du Cange, t. 2, p. 160b).


  • COKE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1758 coucke (De Tilly, Mémoire sur l'utilité du charbon minéral, 25-6 ds Quem.) ; av. 1769 coaks ce qui se prononce cokes (Jars [✝ 1769], Voyages métallurgiques, t. 1, 1774, p. 328) ; 1827 coke (Dufrenoy-Beaumont, Voy. Métallurg. en Anglet., p. 462 ds Bonn.). Angl. coke, coak, cowke, attesté dep. le xviie s., répertorié à cette époque comme terme du nord de l'Angleterre (v. NED), et qui semble représenter une var. de l'angl. du Nord colke « cœur, partie centrale (d'un fruit, d'un objet) », d'orig. obscure.


  • HOUILLE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. a) 1510 oille (doc. ds Gdf. Compl.) ; b) 1590 ouille (G. Coquille, Œuvres, I, 503, ibid., s.v. houillere) ; 1611 houille (Cotgr.) ; 2. 1906 houille blanche (L'Illustration, 20 janv. 48d ds Quem. DDL t. 4). Mot de l'a. liégeois hulhes 1278 et 1295 hulhes ou cherbons (Haust, Étymol., p. 161, note 3), d'où le wallon mod. hoye, la houille ayant été découverte en Hesbaye vers 1195 (cf. ibid., p. 160, note 1 et la forme latinisée hullae en 1198 ds Du Cange). Il représente prob. l'a. b. frq. *hukila « tas, monceau, motte », dimin. de *hukk- (cf. le m. néerl. hokke « tas », l'all. Hocke « moyette »), lequel est attesté dans les dial. néerl. sous les formes heukel, eukel « veillote » ; cf. FEW t. 16, pp. 258b-259.


Lire aussi la définition des noms charbon, coke et houille afin d'amorcer la réflexion symbolique.

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Expressions populaires :


Claude Duneton, dans son best-seller La Puce à l'oreille (Éditions Balland, 2001) nous éclaire sur le sens d'expressions populaires bien connues :


Aller au charbon : Aller au charbon c'est aller au travail - avec la connotation d'une corvée pénible, mais obligée. Ce n'est pas une expression de mineurs - pas plus que les laboureurs ne disent aller à la terre, ou les forgerons aller au fer. Il s'agit même d'une expression d'argot véritable, attirée par la clarté apparente de son image dans le langage usuel, au cours des deux dernières décennies du Xe siècle. On a vu un premier ministre déclarer publiquement, par manière de provocation médiatique, qu'il allait envoyer ses ministres « au charbon », pour signaler qu'ils allaient « bosser dur » !

A vrai dire la locution date des années 1930, dans le milieu parisien de la prostitution, où aller au charbon signifiait « exercer un métier régulier » (Esnault, 1939).

L'expression s'est répandue dans le monde du théâtre après la guerre 1940-1945, pour dire « se dépenser en scène sans compter » (idem 1955). Gaston Esnault ne voit dans cette image que le fait salissant et fatigant de coltiner du charbon dans des sacs (à a manière des "bougnats") - à l'époque de l'entre-deux-guerres, Paris est encore exclusivement chauffé au charbon, le charriage à dos d'homme se voit partout. En 1929 un carbi (argot pour charbon) est « un débardeur qui coltine du charbon à la journée » (Esnault).

Avant de se banaliser à partir de 1980 dans le sens de « travail ordinaire », la locution s'employait plutôt dans les milieux de la délinquance au sens de « métier honnête. » : « Avant, quand tu commences à entrer dans l'illégalisme, dans le vol, t'as pas cinquante choix : ou tu vas au charbon, ou tu vas sur les braquages, et la plupart du temps, tu entrevois pas tellement de troisième solution. Le problème est posé de cette manière-là : soit l'usine, soit le braquage ! » (Paroles de bandits, 1976).

Aller au chagrin s'emploie dans le même sens, en dérivation de l'expression précédente, par jeu expressif fondé sur l'allitération avec « charbon », au sens d'aller « à la peine ». « J'irai sans doute au chagrin, histoire de faire autre chose ; mais sans pour cela avoir un patron. » (Paroles de bandits, 1976).

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Croyances populaires :


Selon Jacques Albin Simon Collin de Plancy, auteur du Dictionnaire infernal, ou bibliothèque universelle, sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses: qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyants merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles. (Tome troisième. La librairie universelle de P. Mongie aîné, 1826) :


HOUILLE DE LIÉGE. - Le charbon de terre qui se trouve dans le pays de Liège, et que l'on y brûle communément, comme à Londres, porte le nom de houille, à cause d'un certain maréchal nommé Prudhomme Houilleux, qui, dit-on, en fit la première découverte ; et des doctes assurent qu'un fantôme, sous la figure d'un vieillard habillé de blanc, lui montra où était la mine et disparut.




Symbolisme :


D'après le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont : 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,


Le charbon est un "symbole du feu caché, de l'énergie occulte ; la force du soleil dérobée par la terre est enfouie en son sein ; réserve de chaleur. Un charbon ardent représente une force matérielle ou spirituelle contenue, qui chauffe et éclaire, sans flamme et sans explosion ; parfaite image de la maîtrise de soi chez un être de feu. Le charbon noir et froid ne représente que des virtualités : il a besoin d'une étincelle, d'un contact avec le feu, pour révéler sa vraie nature. Il réalise alors la transmutation alchimique du noir au rouge. Il est une vie éteinte, qui ne peut plus se rallumer par elle-même, s'il reste noir."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Le charbon de bois, « symbole du feu caché, de l'énergie occulte », est bénéfique et protecteur : en porter un morceau dans sa poche ou son sac à main éloigne la malchance. Il absorbe les mauvaises influences et a le pouvoir de combattre le mauvais œil et les maléfices, notamment si on s'y prend de la manière suivante :

  1. Enfermez dans un sac de tissu noir fermé par une coulisse quelques morceaux de charbons de bois.

  2. Suspendez le sac à votre cou, et portez l'ensemble durant sept jours. La nuit, posez le sac près de vous sur votre table de nuit.

  3. Les sept jours étant écoulés, enlevez le charbon de bois du sac en renversant le sac sur un morceau de papier (vous ne devez pas toucher le charbon avec vos doigts) ; et allez le jeter dans une rivière ou dans un fleuve (dans une eau courante).

  4. Placez dans le sac prévu à cet effet un nouveau morceau de charbon de bois que vos porterez encore durant sept jours (il faut renouveler toute opération quatre fois en cas de malchance persistante).

  5. Vous avez porté durant sept jours le quatrième morceau de charbon de bois Débarrassez-vous, en même temps, du charbon et de son enveloppe protectrice en jetant le tout dans une rivière ou un fleuve (dans une eau courante).

Ces opérations auront le plus grande efficacité si elles débutent et se terminent dans la nuit du vendredi au samedi.

Placer, durant sept jours, sous le lit d'un malade une soucoupe contenant du charbon l'aide à se rétablir. En Russie, une personne malade par maléfice est aspergée avec de l'eau contenant du charbon et du sel ; en Pologne, elle fait des « ablutions avec une eau dans laquelle on a plongé trois fois neuf charbons ardents ».

Trouver du charbon par terre est de très bon augure : il faut toujours le ramasser et, pour avoir de la chance toute la journée et se débarrasser des « petits maléfices », procéder ainsi : « Arrêtez-vous, joignez les talons, baissez-vous, ramassez le morceau de charbon de la main droite, et jetez-le par-dessus votre épaule gauche. Continuez votre route sans vous retourner. » Attention à ne pas lancer trop fort le morceau : si, avant de retomber sur le sol, il touche un arbre, une personne, un mur, etc., « vous récupérez tous les maléfices dot le charbon venait de vous débarrasser ». Les Anglais recommandent en ture de cracher sur le charbon et de faire un vœu, avant de le jeter par-dessus l'épaule.

Du charbon trouvé en bord de mer doit être donné à un marin qui évitera grâce à lui la noyade : un morceau de ce combustible fait partie des fétiches particulièrement appréciés des marins anglais.

Pour les Anglo-saxons, introduire du charbon dans une nouvelle maison, avant même d'y installer ses meubles, attire la prospérité et chasse les esprits mains. Il est bon également d'en avoir sur soi quand on passe un examen. Selon le Times (7 août 1954), au début de la Première Guerre mondiale, un Britannique, avant de se rendre à Ypres (Belgique), alors sévèrement bombardé, se vit offrir par un officier irlandais un petit morceau de charbon qu'il portait sur lui en guise de protection.

Signalons aussi qu'en Grande-Bretagne, à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle-ci les cambrioleurs mettaient souvent un morceau de charbon dans leur poche pour se porter chance dans leurs expéditions ; quand ils avaient eu affaire à la police ou à la justice, ils s'empressaient, avant de recommencer leurs méfaits, de troquer leur vieux charbon pour un nouveau.

Selon un rite britannique, la première personne à entrer dans une maison le jour de l'an pour attirer la prospérité, apporte des présents de bon augure, dont un morceau de charbon, qui promet argent, richesse et chaleur pour toute l'année. Toujours en Angleterre, le bas de Noël contient traditionnellement du charbon, qu'on brûle le 25 décembre en formulant un vœu qui a toutes les chances de se réaliser. Mais le matin de Noël, il ne faut pas donner de charbons ardents à un cousin même s'il en a besoin pour allumer son feu (cette croyance découle de l'interdit général en Europe de donner du feu de sa cheminée de Noël au jour de l'an). Une autre croyance très répandue veut que donner à autrui un charbon enflammé chasse la chance de sa maison.

Les Irlandais prétendent que prendre un charbon ardent dans la maison où une femme accouche nuit gravement à la naissance et expose même la parturiente à la mort.

En Russie, le 1er janvier, on fait brûler autant de morceaux de charbon qu'il y a de membres dans la famille (ou de têtes de bétail) ; s'ils mettent longtemps à se consumer, c'est un signe de bonne santé pour tous ; s'ils s'éteignent vite, la maladie ou la mort guette l'un d'eux.

En Aunis en Saintonge, « on se préserve du mal de dents en tenant un charbon allumé dans sa bouche pendant toute la semaine de Pâques ».

Retourner un charbon en attisant le feu porte malheur et attire le chagrin ou entraîne la pauvreté. Pour une femme de marin, cela équivaut à retourner le bateau de son mari parti en mer.

Rêver de charbon est un présage de richesse.


A l'article houille, on peut lire :

De même que le charbon de bois, le charbon de terre ou houille porte chance et combat les maléfices :

  1. Prenez un tas de charbon un petite morceau d'environ un ou deux centimètres cube.

  2. Cousez une petite enveloppe de soir noire.

  3. Retournez le tissu de façon que l'intérieur de l'enveloppe se trouve momentanément à l'extérieur. Frottez soigneusement toute la surface de l'enveloppe avec du savon sec.

  4. Retournez l'enveloppe de soie de façon que la surface savonnée se trouve à l'intérieur.

  5. Glissez dans l'enveloppe le morceau de charbon.

  6. Fermez l'enveloppe par une couture.

Il suffit alors de porter cette amulette dans sa poche ou son sac à main.

Selon diverses légendes, ce combustible minéral aurait été découvert grâce à des interventions surnaturelles. Dans le Hainaut et la région de Liège, c'est un fantôme ou un ange, apparu sous la forme d'un vieillard vêtu de blanc (un gnome ou un gobelin dans d'autres traditions), qui indiqua, au XIe siècle, la première mine à un maréchal nommé Prudhomme le Houilleux. C'est du nom de ce personnage que fut baptisée la houille. Un autre récit met en scène un maréchal nommé Hullos qui, à Plennevaux, vivait honnêtement mais durement en alimentant sa forge au charbon de bois, fort coûteux. Un jour, un vieil homme lui conseilla de prendre (à la montagne du Moine) une pierre noire (de la houille), et de la brûler. Ce personnage était Dieu.

Une croyance des bords du Rhin affirmait, quant à elle, que le « pain noir de l'industrie » (houille) était un « présent diabolique offert par Satan à l'humanité, un jour de belle humeur ».

Donner de la houille porte malheur (Pays-Bas).

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Selon Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012), le charbon et ses cendres sont des porte-bonheur très appréciés.


"Tirés du feu de la Saint-Jean ou de la bûche s'étant consumée la nuit de Noël, ces résidus de bois auraient une heureuse influence sur notre destin. Nous conseillons vivement à tous les inquiets excessifs de garder ne permanence sur eu un morceau de charbon. Car la superstition l'affirme, vous n'aurez plus rien à craindre des examens, des noyades, des maléfices, de la guerre ni de quelconque autre malheur ! Et si, par un heureux hasard, vous trouvez un charbon en chemin, pensez, tout en vous baissant pour le ramasser de la main droite, à garder vos pieds joints. Jetez le morceau de bois par-dessus votre épaule gauche en essayant de ne toucher aucun obstacle puis avancez sans un regard en arrière. Le lancer de charbon est un rituel commun à plusieurs superstitions. Ainsi, en Franche-Comté était-il d'usage, par temps d'orage, de jeter par-dessus le toit de sa maison un charbon de la bûche de Noël pour écarter la foudre. Dernière petite astuce pour ceux qui souhaitent se démarquer le jour de l'an. tout en franchissant le seuil de vos hôtes après minuit, offrez-leur une pièce de monnaie, du sel et un charbon. Selon la coutume anglaise, ce dernier présent symbolise tous vos vœux de chaleur pour l'année à venir."

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


"Le charbon que le mineur extrait des entrailles de la terre condense en sa noirceur les résidus d'une vie végétale qui fut intense. La matière qui compose ces strates brillantes fut autrefois des troncs élancés vers le ciel, des frondaisons avidement déployées à la rencontre des rayons solaires. Elle recèle une énergie qui se libérera dans le feu, ce grand mystère de la physique. Séismes et cataclysmes ont englouti des forêts dont la terre, au long d'une gestation millénaire, a fait cet enfant noir que le mineur amène à la lumière.

Quelles sont les ruptures , les désillusions, qui ont engendré les charbons de l'âme ? Car le charbon du rêve, comme celui de la terre, témoigne d'aspirations brisées. La mine onirique est toujours un lieu sombre où se meuvent des êtres noirs. Mutants à peine dégagés du règne minéral, ils apparaissent souvent sous les formes les moins affinées de l'animalité. Le charbon, dans l'imaginaire, se rencontre au profond de la terre, en des lieux clos où s'agitent des animaux hybrides, voire d'êtres à corps humain surmonté d'une tête de cochon ou d'âne. Lorsqu'il s'agit de créatures proches de l'homme ou de ceux-là mêmes, ils ont la peau incrustée de poussière noire. Tous sont esclaves, depuis longtemps résignés. Quel sens donnera-t-on à l'image de ces êtres qui usent leur énergie prisonnière contre l’énergie captive dans la houille ? Il est à redouter qu'elle exprime le conflit entre les pulsions de l'ombre - au sens jungien du terme - et les instances répressives du Surmoi.

L'imaginaire se plaît à insister sur l'aspect rudimentaire des éléments u décor dans lequel il place le charbon. Comme s'il ne suffisait pas de mettre en scène des caricatures animales aux formes à peine ébauchées, telle rêveuse insistera, par trois fois, sur la grossièreté d'un grognement émis par une sorte de cochon. S'agissant de créatures humaines, d'autres rêveurs préciseront que celles-là utilisent un langage inaccessible, aux consonances primitives...

Au terme de ses investigations dans les scénarios de rêve éveillé où gît le charbon, le chercheur ressent d'abord une grande perplexité. Tant de scènes oniriques proposent des indices qui désignent ces passages dans les galeries charbonneuses comme des représentations de la naissance, qu'il ne peut éviter d'admettre l'hypothèse dans laquelle ils traduiraient des revécus d'épisodes natals désastreux. Se pourrait-il, même, que le bébé en gestation fût en risque d'être déçu par un monde qu'il ne connaissait pas encore , L'écoute de certains rêves rend la proposition plausible !

La corrélation la plus constante, autour du charbon, est l'image de la mine, de la galerie souterraine, du boyau dans lequel le corps ne peut avancer qu'en rampant, du tunnel étroit au bout duquel se devine une promesse de lumière. Mais le noir domine, un noir souligné, un noir épais, un noir de rêve noir !

Si le noir, au commencement d'un scénario, peut être traduit comme le terreau dans lequel germeront les images du rêve, le noir de la mine, le noir charbonneux, renvoie à l'un de ces événements catastrophiques qui menacent tout enfant au long de son développement. Le charbon rêvé est trace, témoignage. Il est le résultat de ce qui fut calciné, brutalement calciné. dans le règne des images, le charbon est le signe antonymique de la perle. Le charbon est un malheur assumé, un désespoir fossilisé dans la chair, un repli dans la matière. La perle est un malheur sublimé, un choc oublié qui cherche une issue dans la transcendance. Leurs effets contradictoires se répercutent sur les visages, dans le rêve : le charbon incrusté dans la peau d'un mineur absorbe la lumière, l'anéantit. La perle, qui suggère un rayonnement lumineux, provoque les images de la transfiguration. L'un et l'autre en relation avec la croissance fœtale, le ventre maternel, pourraient bien exprimer deux modes de réaction opposés par rapport à de douloureux ressentis du temps prénatal. Beaucoup de scénarios légitimeraient cette interprétation qui mérite attention.

Nous aurions été tentés de privilégier cette traduction si plusieurs patientes n'avaient pas mis en images, non le charbon, mais le processus même de la carbonisation symbolique. Quand l'imaginaire livre ainsi l'enchaînement des causes et de l'effet, lorsqu'il expose l'événement traumatisant et restitue l'instant de la carbonisation d'un fragment plus ou moins important de la psyché, élucider le sens du charbon onirique devient un exercice simple. La carbonisation est à la psyché ce que l'infarctus est au muscle cardiaque. la proposition trouve sa limite dans le fait que la nécrose du muscle est irréversible alors que le rêve peut dissoudre la névrose.

Avant de montrer le mécanisme de la carbonisation symbolique, nous souhaitons illustrer la résonance de vie embryonnaire dont vibrent les rêves de la mine. ne séquence du dixième scénario de Thérèse établira cette relation :

"... C'est un champ immense... des personnages dansent... ce sont des personnages très grossiers, en terre, mais ils bougent... ils parlent en dansant lourdement... ils n'ont pas le même langage que moi... Maintenant, mes pieds collent à la terre... ils s'enracinent, vraiment !... En fait, je devines un arbre, avec son feuillage, son tronc, ses racines... et, peu à peu, je m'enfonce dans la terre... et je m'enfonce vraiment, à l'endroit le plus profond de la terre, le plus rouge et le plus chaud... dans une espèce de brasier... je soufre beaucoup, je suis brûlée, je sens le feu à toutes mes branches et surtout au tronc... mon tronc, maintenant, est tout noir et le feu s'éteint... et je deviens une couche de charbon... un tronc noir au milieu d'un magma de choses brûlées... et je reste couchée sous la terre, prisonnière, comme cela, très longtemps... je deviens du charbon... de l'eau filtre jusqu'à moi... je suis très profondément dans la terre... cela dure très, très longtemps... et, un jour... je sens comme une fissure... alors je bouge... j'essaie de l'élargir... c'est difficile... je serre les épaules pour passer... c'est un effort monstrueux... je sors... c'est très éblouissant car je n'ai pas vue la lumière depuis le feu... le paysage est très riche, très verdoyant..."

Parmi tant de scénarios dans lesquels rêveurs et rêveuses plongent dans le noir de la mine, comment ne pas insister sur cet extrait dans lequel Thérèse s"identifie à l'arbre, s'enfonce dans la terre, devient charbon puis renaît dans la lumière ? A travers ces étapes de l'historie d'un charbon, la rêveuse ne reproduit-elle pas sa propre histoire ?

Le nombre 8 est fréquemment présent dans les séquences où le rêveur sort du ventre charbonneux de la terre. Dans l'article consacré à la figure 8, nous montrons que cette forme est en corrélation avec les ressentis qui ont accompagné la séparation du corps de l'enfant de celui de la mère. Un bon exemple de cette association est inséré dans l'article consacré à la perle. Cet exemple confirme la vocation du charbon et de la perle à représenter deux modes contraires de réponse aux ressentis douloureux de la période de gestation.

Une séquence du quatorzième scénario de Véronique expose la situation œdipienne avec une telle clarté que chacune de ses images devient exemplaire. De ce fait, cette séquence est reprise dans plusieurs articles. Les quelques phrases qui suivent suffiront pour nourrir la démonstration :

"... Je suis encore trop butée pour vouloir discuter avec mes parents... et mes parents sont encore trop rigides aussi... tout d'un coup, le soleil se met à briller très, très fort... et tout commence à fondre dans le désert... Tout se mélange au sable... et je me retrouve grain de sable... et là, j'ai l'impression de voir beaucoup mieux et même d'être un œil... de voir et de comprendre beaucoup mieux... il se met à pleuvoir très fort et tout commence à germer dans le désert... et à pousser... je devines une fleur, une graine de fleur... j'ai beaucoup une sensation de bien-être... mais brusquement, la nuit tombe et et toutes les plantes se recroquevillent et deviennent noires, carbonisées... et partout, tout le sol est noir... les fleurs ont l'air d'être mortes, et la nuit devient très froide... il y a juste la lune qui éclaire, qui brille très fortement dans le ciel et qui fait une impression de froideur..."

A ce stade de la cure, Véronique s'autorise à "voir et comprendre beaucoup mieux". La jeune fille réalise qu'en s'identifiant au tournesol, "ce truc qui se tourne vers le soleil", elle admet son désir de monopoliser l'attention du soleil-père. Le bien-être attendu de cette relation incestueuse fantasmatique entraîne la sanction immanente : l'attitude hostile de la lune-mère. Le tournesol est carbonisé, refoulé dans un univers froid, dur, noir, minéral. Ainsi se forment les charbons de l'âme.

La culpabilité qui découle naturellement de l’œdipe n'est pas la seule cause susceptible de déclencher la carbonisation. Il semble bien que chacune des origines possibles des composantes de la problématique est apte à provoquer le même phénomène. Le charbon du rêve est un gisement de pulsions inlassablement refoulées depuis un choc psychologique lointain.

Le sens global du symbole étant ainsi élucidé, le processus générateur de la carbonisation étant découvert, il reste à s'interroger sur les conséquences de celle-là ! De quel poids ces houilles oniriques chargent-elles la psychologie qui les abritent ?

Certes, le charbon est trace, résultat, contenant d'une vie résiduelle transformée. Mais il est aussi énergie potentielle, réserve, puissance disponible au sein de la matière ! Une réserve d'énergies primitives, inemployées, écrasées dans les zones les plus obscures de l'être, cela désigne la libido dans sa forme la plus élémentaire. Si l'analyse, abandonnant alors les images, se déplace vers les rêveurs qui ont produit les scénarios soumis à l'étude, elle se trouve placée devant une observation significative : 85% de ces personnes étaient, lorsqu'elles ont rencontré le charbon dans leur rêve, soit en état d'impuissance sexuelle, partielle ou totale, soit, de leur fait ou de celui d'un partenaire, en situation de privation sur ce plan.

La remarque se trouve renforcée par une constatation corollaire : dans ces rêves, les patientes sont confrontées à des représentations masculines caricaturales, grossières, les patients rencontrent des figures idéalisées, écrasantes, de la femme. Au fond d'une galerie, Nicolas voit des mineurs-forçats pousser vers lui un wagonnet plein de charbon sur lequel une courtisane en or est allongée sur un lit de vers ! Et le rêveur déclare : "Ils me la présentent pour que je la sauve." Étrange composition que cette image d'anima à la fois survalorisée (l'or), sexualisée (la courtisane), figée (la statue), et culpabilisée (le charbon, les vers).

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L'imaginaire entraîne le rêveur ou la rêveuse au fond de la mine de charbon pour leur permettre de renouer avec des énergies bloquées, de libérer des forces instinctuelles réprimées. La tâche du praticien qui accueille ces images sera d'abord de tenter d’identifier l'événement lointain qui fut à l'origine de la carbonisation.

S'il se trouve en présence des conséquences de ressentis antérieurs à la naissance, la seule ressource thérapeutique sera de faire confiance au cheminement de l'imaginaire. Dans toutes les autres situations, la relation aux images parentales devra faire l'objet d'une observation attentive : le plus souvent elle recèle la clef de la traduction.

Conjugué au passé, le charbon du rêve exprime un naufrage. Au présent, il rappelle des potentialités.

Il n'a de futur que pour celui qui s'ouvre aux réalisations ardentes."

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Alchimie :


Selon un message posté par "Ludivine le Sam 31 Juil 2010, 08:26" sur le site http://ora-et-labora.frenchboard.com/t324-le-charbon :


  1. "Le charbon est parfois utilisé allégoriquement en alchimie comme symbole de la matière première, parce qu'il présente bien des critères correspondant à ce qu'on peut lire au sujet de la materia prima. Pour l'obtenir, il faut "visiter l'intérieur de la Terre" (V.I.T.R.I.O.L.), puisqu'on l'extrait d'une mine. Cette ressource minière fait bien sûr songer à la "minière" qui est dite nécessaire pour débuter les travaux du Grand Œuvre.

  2. Le charbon est un minéral qui pourtant provient du végétal (pétrification de résidus de l'époque Carbonifère).

  3. Il contient un "feu secret", lequel, lors de la combustion, restitue l'énergie solaire emmagasinée il y a des millions d'années.

  4. Comme dit par certains auteurs au sujet de la materia prima, le charbon est friable (cassant), noir, carboné, ligné (lignite) et peut "s'igner" ; (on relèvera le jeu de mots entre "s'igner" et "signer", allusions aux signes).

  5. Le charbon le plus vil et le plus quelconque est pourtant très exactement de la même matière que le plus pur des diamants : seule la géométrie de l'arrangement des atomes diffère.

  6. Laborer, travailler, n'est-ce pas "aller au charbon", comme dit l'expression populaire ?

  7. La fabrication du charbon de bois par combustion lente en atmosphère pauvre en oxygène (dans un four) consiste en fait en une extraction de l'humidité du bois (une "eau qui ne m'houille pas" !). Par certains aspects cela évoque la pré-préparation. De plus, la tourbe (des philosophes ?) est une des matières pouvant servir à produire du charbon de bois."

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