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Le Singe hurleur



Étymologie :


  • ALOUAT(T)E, (ALOUATE, ALOUATTE), subst. masc.

Étymol. ET HIST. − 1741 zool. (Barrère, Essai sur l'hist. nat. de la France, p. 150 ds Buffon, d'apr. Rey-Debove, Rey, Cottez, ds Fr. mod., t. 36, n°4, p. 328 : ce singe alouate est un animal sauvage, rouge bai, fort gros, qui fait un bruit effroyable). Mot caraïbe (formes aláoüata, aluáta, alawáta citées par Fried. 1960, p. 57, s.v. araguata), passé aussi à l'esp. aluato, au port. aluata, à l'ital. aluatta, à l'angl. aluatte.


Lire également la définition du nom alouate afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Alouatta caraya ; Hurleur noir ;

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Symbolisme :


données perdues...



Mythologie :


Jacques Soustelle auteur d'un article intitulé "Les idées religieuses des Lacandons." (In : Revue d’Ecologie, Terre et Vie, Société nationale de protection de la nature, 1935, pp. 170-178.) désigne le singe hurleur comme animal totem chez les Lacandons :


Le Totémisme. Les Lacandons se divisent en groupes, dont chacun se rattache à un animal que nous appellerons le « totem » de ce groupe. En langue indigène, on dit « wonen », c'est-à-dire « parent ». A l'heure actuelle les groupes ou « clans » totémiques sont presque uniquement des groupes locaux, c'est à-dire que tous les hommes vivant au même endroit portent généralement le même nom d'animal ou nom totémique. Je n'ai guère vu qu'une exception à cette règle, mais explicable : l'individu portant nu nom totémique différent avait été chassé de son propre groupe el recueilli par un autre.

Il existe donc un clan « singe », maas, (a), un clan « sanglier » (k'ek'en) un clan « singe à tête blanche » (sanhol), un clan « faisan » (k'âmbul), un clan « singe hurleur » (akmas) (b). Toute la partie nord-ouest du territoire Lacandon est peuplée uniquement de « singes » et de « sangliers », divisés en plusieurs sous-groupes locaux ; ces indigènes ne connaissent que par ouï-dire les autres totems, et ne les situent que très vaguement. Mais outre celle division, il en existe une autre qui se superpose à la première : celte division comporte deux groupes, les classiques « phratries » de Durkheim très probablement, et chacune de ces phratries englobe à son tour plusieurs totems simples. Les phratries portent respectivement les noms de « karsiya, », « kalsiya » et de « koho » ; or les totems singe et singe-hurleur sont rapportés au premier groupe, et les totems sanglier et faisan au second, de sorte que l'on parvient à un tableau de ce genre :

I

(kalsiya karsiya)

singe (maas) singe hurleur (akmas)

Il

(kobo)

sanglier faisan

(k'ek'en) (k'âmbul)

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Marie Fleury dans un article intitulé "Du "piment de l'agouti" à la" fiente d'aigle harpie": les animaux entre aliments, maux et remèdes chez les Wayana (Guyane française) (2007, pp. 835-859) analyse un mythe wayana qui concerne les singes hurleurs :


Mythe d’origine de la plante “fiente d’aigle harpie” pija wet

« Le mythe est vrai car il est l’expérience vécue, dans les profondeurs de l’être, des significations profondes des choses » (Bastide 1968 : 1062).

Ce récit nous a été conté en forêt par Sintaman, pour nous expliquer l’origine du nom de “fiente d’aigle harpie” pija wet (Harpia harpyja (L.) Accipitridae) attribué à une Aracée épiphyte, à longues racines aériennes (Philodendron sp., Araceae). Il illustre l’origine animale d’un végétal, et souligne parallèlement la nécessité de respecter les interdits.

« C’est ainsi qu’il fit : Un homme aperçoit une fille. Celle-ci est en train de faire cuire de la cassave, de se servir de la platine (1). Un peu plus tard, l’homme attrape la fille qui se met à rire.

— « Ah ! C’est donc toi ! » dit-il.

— « Oui, c’est moi. Je suis en train de faire cuire ta cassave parce que tu es tout seul et qu’il n’y a personne pour te le faire. »

Et elle reste longtemps dans ce village. Un jour, peut-être un an plus tard, ils entendent des “singes hurleurs” alawata (Alouatta seniculus (L.), Cebidae).

— « Ah ! C’est mon père qui danse, ce sont les miens qui dansent », dit la fille.

Le lendemain, elle répète la même chose.

— « Ah ! C’est mon père qui danse, que j’aimerais le voir ! »

— « Allons donc le voir, moi aussi j’ai hâte de les voir, je veux voir comment dansent tes parents » dit l’homme.

— « D’accord, seulement tu ne riras pas d’eux, quand mon père ira enlacer sa femme. Lorsqu’ils vont danser, tu ne te moqueras pas d’eux (2). Sinon je t’abandonnerai ! Je partirai avec mes parents. Et là, qu’est-ce que tu feras ? Tu ne viendras pas avec moi, tu resteras seul ! »

Mais, plus tard, l’homme rit lors de la danse. Alors fâchés qu’on se soit moqué d’eux, les singes hurleurs s’enfuient ailleurs. Et, la femme part avec ses parents. L’homme reste seul, abandonné sur un grand arbre etekele (Pseudopiptadenia sp., Caesalpinioidae : Mimosaceae). Et là, il est envahi de tristesse parce qu’il ne peut pas redescendre. Un peu plus tard, les oiseaux le découvrent à cet endroit, sur le grand arbre. Le “pic” wetu (Dryocopus lineatus (L.), Picidae) lui demande :

— « Qu’est-ce que tu fais là ? »

— « Ce sont les singes hurleurs qui m’ont abandonné, ils m’ont laissé sans moyen de redescendre » explique-t-il.

D’autres oiseaux viennent, des petits. Mais rien n’y fait : leur pilam (lanière en cercle utilisée pour grimper sur les arbres) est trop courte. Vient ensuite la “martre à tête grise” këlëpukë (Eira barbara barbara (L.), Mustelidae) (3). Puis vient un autre animal, rien n’y fait, sa lanière est toujours trop petite pour les pieds de l’homme.

— « Fais comme nous » lui disent-ils.

— « Non, je ne peux pas, je ne suis pas habitué, je vais tomber ! » répond-il.

Beaucoup d’oiseaux se rassemblent, des toucans, etc. Tous viennent le voir.

— « Notre maître est là. Lui peut sûrement te donner un moyen de retourner au sol ».

Un peu plus tard, un aigle harpie arrive.

— « N’aie pas peur ! » lui disent les oiseaux.

— « Il ne va pas te manger. C’est nous qui l’avons convoqué, dit un autre oiseau. »

C’est le “grimpar” makahoho (4) et le pic qui disent cela. Et tous les animaux répètent, c’est-à-dire tous ceux qui ont une lanière : le grimpar, la martre à tête grise, le “coati” sijeu (Nasua nasua vittata (Schreber), Procyonidae) (5). Puis l’aigle harpie se pose. Et pour la dernière fois, il dit qu’il va lui donner un moyen de redescendre de l’arbre. Alors, l’aigle défèque. Quand il a fini, sa fiente devient une sorte d’échelle puisqu’elle est tombée jusqu’au sol et prend racine. Lorsque cette échelle improvisée arrive au sol :

— « Vas-y, cette fois c’est pour de bon », dit-il.

Mais l’homme répond toujours : — « Comment puis-je y aller ? »

Ensuite, un peu plus tard, c’est la martre à tête grise qui lui donne sa lanière, de même que le coati.

— « Bon, cette fois-ci, descends ! » lui dit l’aigle harpie.

Et, il redescend le long de la “fiente de l’aigle” pijawet. Les animaux sont nombreux à le soutenir. Par exemple, le grimpar et le pic aussi, ainsi que tous ceux qui volent, et tous ceux qui grimpent dans les arbres par petits bonds. Alors l’homme redescend.

— « Bon, pars ! Ton village est par ici ! » lui disent-ils.

Il met pied-à-terre, sur le sol ferme. Il est devenu très maigre et il a très faim. Oui, il mange, et il remange. Peut-être boit-il aussi ? Peut-être mange-t-il de la nourriture, peut-être des bananes, peut-être est-ce de la cassave, qu’il mange ? Il mange beaucoup, beaucoup… Alors, tout ce qu’il a mangé s’entasse parce qu’il n’a fait qu’avaler.

Et plus tard, il meurt, il meurt à cause de son ventre qui est surchargé, à cause des aliments qui se sont entassés. Il ne peut plus respirer et il meurt. C’est pour cela qu’il est mort : il n’aurait jamais dû manger, parce qu’il était vraiment très maigre. Et il est mort, étouffé par la nourriture… ».


Analyse du mythe : Ce récit peut être résumé en différentes parties :

— Un homme épouse une guenon : c’est un thème récurrent dans la mythologie wayana où les mariages entre humains et animaux sont fréquents. À l’époque mythique des transformations, les espèces animales, végétales et humaines pouvaient se transformer l’une en l’autre.

— Il assiste aux danses de sa belle-famille chez les singes hurleurs : les sociétés animales sont décrites avec des comportements sociaux proches de celles des hommes.

— C. Lévi-Strauss (1964 : 128) cite plusieurs mythes où le rire est réprimé sous peine de mort, notamment un mythe mundurucu Le gendre des singes : Un homme ayant épousé une femelle de singe hurleur, se moque de ses beaux-parents qui l’abandonnent en haut d’un arbre. Ce sont les abeilles et les guêpes qui aident l’homme à redescendre, et celui-ci, pour se venger, tuera tous les singes, sauf sa femme enceinte. Celle-ci par union incestueuse avec son fils, donnera naissance à tous les singes hurleurs (Lévi-Strauss 1964 : 129).

— Il est abandonné au sommet d’un arbre : ce châtiment doit être considéré comme une sanction liée au rire, à la moquerie, qui avait été interdite par les singes hurleurs. Cette sanction met l’homme dans une situation délicate, entre la vie et la mort, comme toute maladie liée à une rupture d’interdit.

— Les oiseaux et animaux grimpeurs tentent de le secourir : en fait tous les animaux cités dans cette histoire sont d’excellents grimpeurs et sont capables d’atteindre la cime des arbres. La lanière pilam symbolise leur habilité dans ce domaine, habilité qu’ils essayent, en vain, de transmettre, en déployant leurs différentes techniques de grimpe à l’homme qui est au sommet de l’arbre.

— L’aigle harpie émet une déjection sous forme de la liane “fiente d’aigle” [...]

— L’homme réussit à descendre avec l’aide des animaux grimpeurs : ce mythe est aussi une façon de raconter comment les hommes ont appris, en observant les animaux, à grimper aux arbres, par saccades, avec les lianes encerclant les pieds et le tronc (pilam).

— Il se jette sur la nourriture et il en meurt étouffé : le thème de la voracité est souvent abordé dans les récits amérindiens, et toujours très réprimé. Il symbolise ici le risque pris en avalant de la nourriture sans respecter les règles et les interdits alimentaires.


Notes : 1) Le manioc amer (Manihot esculenta Crantz, Euphorbiaceae) constitue la base de l’alimentation des Wayana, comme de la plupart des Amérindiens du plateau des Guyane, qui le consomment sous forme de galettes (cassaves) cuites sur une platine en fonte (autrefois en céramique).

2) Avant de pousser son cri, le singe hurleur défèque et urine.

3) La tayra ou martre à tête grise est un excellent grimpeur qui progresse le long des troncs par saccades, avançant alternativement les pattes avant puis les pattes arrières (Charles Dominique 1987).

4) Nom générique pour désigner les grimpars (Dendrocolaptidae), oiseaux particulièrement bien adaptés à la vie arboricole. Les grimpars, comme les pics, se déplacent par petits sauts le long des troncs et des branches en prenant appui sur l’extrémité de leur queue rigide terminée par des pointes incurvées (GEPOG 2003 : 256)

5) Le coati, espèce carnivore, est également un bon grimpeur. Il se sert de sa queue non préhensile comme d’un simple balancier et peut descendre rapidement des arbres, la tête dirigée vers le bas, en retournant les chevilles (Charles-Dominique 1987).

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