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  • Photo du rédacteurAnne

Le Kinkajou



Étymologie :


  • KINKAJOU, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1672 quincajou (N. Denys, Description géogr. et hist. des costes de l'Amérique septentrionale, t. II, p. 327 ds König, p. 123) ; 1776 kinkajou (Buffon, Quadr., Suppl. t. 3, p. 244f, ibid., p. 124). Prob. issu du croisement du montagnais karka[joo], v. carcajou et de l'algonquin gwing-[waage] « blaireau du Canada, ou carcajou ». Ce nom, donné à tort par les aut. cités supra à un petit mammifère carnivore du Canada, fut définitivement imposé dans l'usage, par Buffon (supra), bien que ce dernier ait antérieurement (1764) utilisé ce terme à bon escient ds Quadr. t. 12, p. 106 d'apr. König, p. 124 ; v. aussi FEW t. 20, p. 67b.


Lire également la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon Claude Lévi-Strauss dans La Potière jalouse (1985) citée dans Des symboles et leurs doubles (1989) :


"En Amérique du Sud, les Écureuils ne sont pas seuls à pratiquer une gymnastique qui frappe l'imagination. "Quand le Paresseux Choloepus veut descendre le long d'un tronc ou d'une branche, il se retourne et va la tête la première sans coller le corps au tronc, à la différence du Paresseux à trois doigts qui descend la queue vers le bas tantôt en s'agrippant, tantôt en se laissant glisser. 3 Un Procyonidé des tropiques, le Kinkajou, Juparà au Brésil (Potos flavus), descend des arbres la tête la première. Les Indiens Urubu en ont peur : "Ils disent que si un kinkajou défèque sur vous pendant que vous dormez dans la forêt, vous mourrez." Les Indiens Hixkaryana aussi voient en lui un annonciateur de mort prochaine, rôle dévolu à l'écureuil dans l'Ouest canadien. Pour les Campa de la Bolivie orientale, Yaanaite, esprit redoutable, a l'apparence d'un kinkajou. C'est un meurtrier, un cannibale. Quelques informateurs affirment qu'il mange par la queue (en symétrie, donc, avec le Fourmilier censé excréter par la bouche et copuler par le museau). Pourtant, les Campa appellent le Kinkajou "Fils de Dieu" et disent qu'il est le "frère de mère" d'un oiseau sacré, malheureusement non identifié. Le Kinkajou paraît donc marqué de la même ambiguïté qui caractérise l’Écureuil e Amérique du Nord. Les Makiritaré de la Guyane lui attribuent un rôle positif : il alla voler le premier manioc au ciel pour le donner aux humains.

Les paysans brésiliens redoutent le kinkajou mais pour une autre raison : "Ils croient que les kinkajous sont des sodomites. Avant de s'endormir dans la forêt, un homme fera bien de se mettre un bouchon là où il faut pour se protéger." Ainsi, le Kinkajou se conduit tantôt en perforé (déféquant, mangeant par la queue), tantôt en perforateur.

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Stéphen Rostain, auteur d'un article intitulé « Nu, sauvage et anthropologue. Où l’on se souvient de Dimitri Karadimas », (Journal de la Société des américanistes [En ligne], 104-1 | 2018) nous prévient contre nos préjugés :


[...] Quand le kinkajou vainc le jaguar On est toujours excité à l’idée d’une nouvelle exposition d’archéologie américaniste, surtout quand elle sort des sentiers battus mayas ou incas. Comment ainsi ne pas être alléché en 2016 par celle du musée du quai Branly sur les « Chamanes et divinités de l’Équateur précolombien », car elle promettait divulgation d’interprétations novatrices et exhibition de chefs-d’œuvre méconnus. C’est donc plein d’expectatives que Dimitri Karadimas et moi-même partîmes un jour dialoguer avec les cultures dans cette exposition au musée emblématique.

À l’entrée, le visiteur était accueilli par une grande figurine céramique de culture La Tolita (400 av. J.-C.-400 apr. J.-C.), désignée comme un « jaguar solennel avec ornementations et cônes latéraux » (Figure 3, page suivante). La légende précisait que « les cônes symbolisent la clairaudience, et la queue sert de balancier. Parmi les animaux sacrés, le jaguar occupait une place à part. Du fait de son adaptabilité, il pouvait représenter différents plans. On l’associait le plus souvent à un symbole solaire, lié à la fertilité des champs. Il personnifiait aussi une divinité céleste, associée à la tempête, au tonnerre et à la pluie. Sa capacité à évoluer de nuit le rattachait également à l’inframonde nocturne. Tout cela en faisait le messager des esprits ». Que de détails abracadabrantesques dans ce pathétique lorem ipsum pseudo-scientifique ! Beaucoup d’archéologues auraient rêvé obtenir un jour des informations si précises sur les cultures qu’ils étudiaient, surtout si elles avaient plus de deux millénaires et n’avaient pas laissé d’écriture. Alors, d’où pouvaient bien provenir ces données si pointues ? Il s’agissait en fait d’une compilation anarchique de poncifs, probablement fondée sur un piochage aléatoire de différentes sources ethnohistoriques, ethnologiques, ésotériques et paranormales – un « irréalisme magique » à la sauce équatorienne en quelque sorte.

Le commissaire et le conseiller scientifique de l’exposition avaient mis ici à l’honneur une regrettable nonchalance professionnelle. Ils proposaient plutôt une science de comptoir qui, faisant fi de toute démarche cognitive solide, affirmait de façon péremptoire et infondée des interprétations du tout-venant. Les auteurs s’affranchissaient allègrement d’un minimum de rigueur intellectuelle pour affirmer de candides interprétations. Une fois le sourire étonné du visiteur passé, on s’interrogeait sur l’origine de tant d’ingénuité.

Quoi qu’il en soit, l’animal représenté à l’entrée n’était en rien un jaguar, et celui-ci n’a d’ailleurs pas l’apanage des crocs dans la faune sud-américaine. Beaucoup d’autres bêtes du continent, moins impressionnantes, sont pourvues de ces dents pointues. L’une d’elles est le kinkajou (Potos flavus), petit mammifère nocturne arboricole des forêts tropicales humides de la moitié septentrionale de l’Amérique du Sud. Toutes les caractéristiques de cet animal se retrouvent dans ce type de figurines, très nombreuses dans l’art de La Tolita. Ce sont le long museau, les crocs saillants, les oreilles arrondies coniques, les yeux globuleux, le corps allongé, les pattes prolongées par cinq doigts griffus, et jusqu’à l’épaisse et longue queue préhensile. Autant de spécificités que l’on ne retrouve absolument pas chez le jaguar. La position dressée sur les deux pattes postérieures avec celles antérieures tendues devant lui est aussi propre au kinkajou, et en tout cas bien peu féline. Quant à la très longue langue pendante dont est affublé l’animal, elle ne figure pas le « rugissement puissant, qui symbolise, la manifestation sur terre du rugissement céleste » de la « divinité jaguar » comme l’indiquait l’étiquette, mais tout simplement, de façon réaliste, la très reconnaissable langue nectarivore démesurée du kinkajou, qui lui permet d’atteindre le pollen des fleurs profondes.

Alors, évidemment, le kinkajou est un doux petit animal au poil soyeux bien peu impressionnant en comparaison du tigresque jaguar, puissant mais absent de la région de La Tolita. C’est peut-être la tranquille discrétion du petit mammifère qui l’a fait ignorer au profit du redoutable félin. Ou, ne serait-ce pas, une fois de plus, ce besoin typiquement occidental de mettre en valeur la force, la férocité, le clinquant ? Pourtant, une fois de plus, le jaguar est bien peu présent dans la mythologie amérindienne, alors que le kinkajou en est souvent le héros, fréquemment associé à Vénus – lorsqu’elle est étoile du matin – dans la cosmologie du haut Amazone.

Il faut aujourd’hui s’efforcer de se débarrasser de notre carapace euro-centrique, afin de comprendre l’esprit et l’intention artistico-mythologique des Amérindiens de l’hémisphère sud. Il est compréhensible qu’il puisse être difficile à certains de reconnaître que nous avons affaire à des représentations très réalistes de simples chauves-souris, larves et chrysalides, là où nous voudrions tant voir des anacondas et des jaguars. En effet, il est vrai que la « Sainte Trinité » des jaguar/anaconda/aigle harpie est plus souvent une vue de l’esprit du chercheur, un fantasme récurrent sur les peuples indigènes du Nouveau Monde qui obscurcit le discernement.

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