L'Esprit du Tambour
- Anne
- 15 févr. 2015
- 20 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.
Kodo : Spirit of Taïko
Étymologie :
Empr. soit au persan tabι ̄r « tambour » (Devic ; FEW t. 19, pp. 177-178 ; Bl.-W. ; Cor., s.v. tambor), peut-être avec infl. de l'ar. ṭunbūr « instrument à cordes, ordinairement formé d'un corps creux sur lequel est tendue une peau », soit à l'ar. ṭubūl, plur. de ṭabl « tambour » (Lammens), peut-être également avec infl. de l'ar. ṭunbūr (EWFS ; Klein Etymol.).
Lire également la définition du nom tambour pour amorcer la réflexion symbolique.
Croyances populaires :
Selon Jacques Albin Simon Collin de Plancy, auteur du Dictionnaire infernal, ou bibliothèque universelle, sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses : qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyants merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles. (Tome troisième. La librairie universelle de P. Mongie aîné, 1826) :
LAPONS.- Les Lapons sont faits autrement que les autres hommes. [...]
Ils se servent souvent du tambour, pour les opérations de leur magie. Par exemple, quand ils ont envie d'apprendre ce qui se passe en pays étrangers, un d'entre eux bat ce tambour, mettant dessus, à l'endroit où l'image du soleil est dessinée, quantité d'anneaux de laiton, attachés ensemble avec une chaîne de même métal. Il frappe sur ce tambour avec un marteau fourchu, fait d'un os, de telle sorte que ces anneaux se remuent. Ils chantent en même temps d'une voix distincte, une chanson que les Lapons nomment jonke, et tous ceux de leur nation qui sont présents, hommes et femmes, y ajoutent chacun la leur, exprimant de temps en temps le nom du lieu dont ils désirent savoir quelque chose. Le Lapon ayant frappé quelque temps, le met sur sa tête d'une certaine façon et tombe aussitôt par terre, immobile, et sans donner aucune marque de vie. Les assistants continuent de chanter jusqu'à ce qu'il soit revenu à lui ; car si on cesse de chanter, l'homme meurt, ce qui lui arrive également si quelqu'un essaie de l'éveiller en le touchant de la main ou du pied. On éloigne même de lui les mouches et les autres animaux qui pourraient le faire revenir.
Quand il est revenu à lui, il répond aux questions qu'on lui fait sur le lieu où il a été envoyé. Quelquefois il ne se réveille qu'au bout de vingt-quatre heures, selon que le chemin qu'il lui a fallu faire a été long ou court ; et pour ne laisser aucun doute sur la vérité de ce qu'il raconte, il rapporte du pays où il a été, la marque qu'on lui a demandée, comme un couteau, un anneau, un soulier, ou quelqu'autre chose.
Les Lapons se servent aussi du même tambour, pour savoir la cause d'une maladie, ou pour faire perdre la vie ou la santé à leurs ennemis.
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Symbolisme :
Lire également la page du site consacrée au tambour.
Dans Dieu d'eau, entretiens avec Ogotemmêli (Librairie Arthème Fayard, 1975) de Marcel Griaule, on peut lire le témoignage suivant :
"Dans le brouhaha, l’entretien avait pu reprendre. Ogotemmêli exposait l’octroi de la troisième parole incluse dans les travaux de culture et de résurrection.
— Le plus important de tous les tambours, dit-il, est le tambour d’aisselle. C’est le Nommo qui l’a fait.
Il s’agit de deux coupes hémisphériques de bois reliées en leur pôle par un cylindre de petit diamètre. Il rappelle un sablier dont l’étranglement serait très allongé. Plaçant l’instrument entre le bras gauche et l’aisselle, le joueur, en appuyant plus ou moins fortement sur la cage de lanières ainsi formée, exerce une tension plus ou moins forte sur les peaux, modifiant la tonalité.
— C’est le Nommo qui l’a fait. Il en a donné l’image avec ses doigts, comme font aujourd’hui les enfants avec les jeux de ficelles.
Écartant les mains, il passa dix fois le fil dans chacun des quatre doigts, le pouce n’étant pas utilisé. Il obtint ainsi dans chaque main quarante boucles qui faisaient quatre-vingts fils, nombre même des dents d’une de ses mâchoires. Ses mains, palmées, figuraient les peaux des extrémités. Symboliquement, frapper sur le tambour, c’est frapper sur les mains du Nommo. Mais que représentent-elles ? Plaçant les deux paumes en cornet derrière ses oreilles, Ogotemmêli rappela que le génie n’avait pas de pavillons, mais seulement des trous auditifs :
— Ses mains lui servent d’oreilles, dit-il, pour entendre, il les place toujours de chaque côté de sa tête. Battre le tambour, c’est battre les mains palmées du Nommo, c’est battre ses oreilles.
Tenant devant lui le jeu de ficelles qui figurait une trame, le génie, à l’aide de sa langue, fit passer dans les fils une sorte de chaîne sans fin composée d’une mince bande de cuivre ; il la fit tourner en hélice, lui donnant quatre-vingts spires et durant tout ce travail il parlait comme il avait fait lors de l’enseignement du tissage.
Mais sa parole était nouvelle ; elle était la troisième qu’il révélait aux hommes. Car la technique de construction du tambour était semblable à celle du tissage et, dans la main de l’artisan, le poinçon pour percer le bord des peaux et faire passer la corde de tension est le symbole de la navette et de la langue du génie. Et frapper le tambour est aussi tisser : le son, sous les coups de la baguette, bondit d’une peau à l’autre à l’intérieur du cylindre, comme glissent la navette et son fil d’une main à l’autre entre les deux plages croisées par les lices.
— Mais pourquoi les spires de cuivre ? Les tambours ordinaires n’en comportent pas.
— Le tambour avec l’enroulement de cuivre se fait mieux entendre du Nommo. Il est réservé à la chefferie des Arou et ne se trouve pas entre les mains des autres gens. De plus, il n’est battu qu’en de rares occasions. Quant au rôle de ce cuivre en hélice, il est de conduite du son, de conduite de la parole. Battre la peau anime le cuivre et le verbe que le Nommo a pris dans les entrecroisements des tendeurs et de la bande de métal. Du cuivre, le son va au tambour ; puis il revient dans la bande et de là se répercute dans les oreilles du génie déjà alertées du fait que les peaux les représentent. Mais le tambour n’était pas seulement destiné à relier les hommes au Nommo ; il leur apprenait la nouvelle parole complète et claire des temps modernes. Or le tambour d’aisselle ne pouvait suffire pour l’enseignement de cette parole qui devait être multiforme et répondre aux besoins divers des hommes. Chaque chef des huit familles, sur les indications du Nommo Septième, confectionna un tambour propre à son groupe.Pour la taille du sien et la tension de la peau, le forgeron de la première famille prit modèle sur son soufflet. Le corps donna l’idée de la caisse sonore et le cuir de soufflerie, avec son système d’attache, servit d’exemple pour la peau à battre.
Ainsi fut fait le tambour en demi-fruit de baobab sur lequel était tendue une peau de batracien. Il ressemble à un sein et son bruit imite celui que fait l’enfant tétant sa mère.Sur ce tambour, le forgeron battit les premiers rythmes qu’il avait trouvés sur la double peau du soufflet lorsqu’il animait son feu, au temps de la résurrection souterraine du Nommo.
La seconde famille eut un tambour d’aisselle de petit modèle. La troisième reçut celui qui avait été enseigné par le Nommo. La quatrième confectionna une caisse cylindrique rappelant la petite taille des premiers hommes. La cinquième fit de même dans un tronc plus grand. Elle obtint ainsi une voix puissante comme celle du lion. La sixième tendit une peau sur l’ouverture d’une grande calebasse sphérique, image d’un ventre de femme. Le son qu’elle donne rappelle les plaintes de la parturition. La septième tailla une caisse dans un tronc, lui donnant une dimension ne correspondant pas à celle de la cinquième. La huitième eut la plus grande caisse. Elle ressemble au ventre de la vache et du fait de sa taille donne un grand roulement .A chaque tambour correspondit une voix particulière. Ainsi chaque famille reçut son langage propre et c’est ce qui explique les langues diverses d’aujourd’hui.
Les deux premières familles, établies au sud, parlèrent deux toro, assez proches, la troisième le mendéli, la quatrième le sanga, la cinquième un autre toro, la sixième le bamba, la septième l’iréli. Enfin la huitième reçut une langue comprise dans toute la falaise.
— De même que le huitième tambour domine tous les autres, de même la langue est entendue en tous pays.
Ainsi les hommes reçurent la parole définitive, complète et multiple qui convenait aux temps nouveaux. Elle était intimement liée, comme les deux premières, et plus qu’elles, à des matériels. Et le Nazaréen se faisait à part lui une curieuse remarque :La première parole, fruste, était associée à une technique simple sans doute la plus archaïque, qui avait donné le vêtement élémentaire : la fibre. Cette fibre non nouée, non tissée, se coulait selon une ligne serpentante, selon, pourrait-on dire, une seule dimension.
La seconde parole, plus déliée, émanait du tissage, poursuivi sur une chaîne large recevant des fils perpendiculaires, selon une surface, c’est-à-dire deux dimensions.
Enfin la troisième parole, claire et parfaite, se développait dans un réseau cylindrique au travers duquel passait un serpentin de cuivre, c’est-à-dire selon un volume, selon trois dimensions. L’étranger pensait aussi que ces trois techniques dont la ligne ondulée ou en chevrons était le cheminement fondamental, étaient marquées chacune par trois phénomènes :
— humidité des fibres, garantissant la fraîcheur nécessaire à la procréation,
— lumière du tissage, travail diurne interdit de nuit sous peine d’aveuglement,
— sonorité du tambour.
On passait aussi, du point de vue matériel, de l’écorce dégrossie au fil de coton, du fil aux lanières de cuir et au ruban de cuivre."
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D'après le Dictionnaire des symboles (1969, édition revue et corrigée 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
"le bruit du tambour est associé à l'émission du son primordial, origine de la manifestation, et plus généralement au rythme de l'univers. Tel est son rôle comme attribut de Shiva (damaru) ou de la Dâkini bouddhique. Dans ce second cas , le rythme est lié à l'expansion du Dharma, à propos duquel le Bouddha évoque le tambour d'immortalité. Le damaru est en forme de sablier : le point commun aux deux cônes opposés est le bindu, germe de la manifestation, à partir duquel se développent, se déroulent les rythmes cycliques.
Dans la Chine ancienne, le tambour est associé à la course apparente du soleil et, ce qui n'est pas différent, au solstice d'hiver : le solstice est l'origine de cette course dans sa phase ascensionnelle, le début de la croissance du yang. C'est aussi pourquoi le roulement du tambour accompagne le tonnerre. Dans la même perspective, on l'associe à l'eau, élément du nord et du solstice hivernal, à l'outre céleste, à la foudre, à la forge, au hibou, ces derniers symboles étant liés au solstice d'été, donc au point maximum de la dominante yang. Il est de fait qu'au Laos l'usage rituel du tambour appelle la pluie bienfaisante, la bénédiction céleste. Mais selon le bois utilisé, l'époque de fabrication, la conformité rituelle, l'effet peut en être bénéfique ou maléfique, les influences qu'il évoque n'étant pas uniformément favorables. Le tambour africain appelle évidement de manière analogue la descente des faveurs célestes.
L'usage du tambour de guerre est aussi, fort naturellement, en rapport avec le tonnerre et la foudre, sous son aspect destructeur. En Inde, il est en conséquence associé à Indra.
Le tambour est le symbole de l'arme psychologique, qui défait de l'intérieur toute résistance de l'ennemi ; il est considéré comme sacré, ou comme le siège d'une force sacrée ; il gronde comme la foudre ; il est oint ; il est invoqué, il reçoit des offrandes :
Va dire à nos ennemis le manque de courage
et la désespérance, ô tambour !
révolte, trouble, effroi, voilà ce que nous lui insufflons :
abats-les, ô tambour !
Toi qui es fait de l'arbre et de la peau des vaches rouges,
Ô bien commun à tous les clans,
va dire l'alarme à nos ennemis...
... Que les tambours hurlent à travers l'espace
lorsque s'en vont défaites les armées ennemies,
qui s'avançaient par lignes !
(Attharva Véda, 5-21)
Non seulement il sonne l'alarme et l'offensive, mais il est aussi la voix même des puissances protectrices, de qui viennent les richesses de la terre : Toi qui es fait de l'arbre et de la peau de la vache rouge... Comme pour Arès et Mars des traditions grecques et romaines, le tambour se rattache au Dieu de la guerre, Indra, qui est en même temps le Dieu protecteur des moissons.
Des tambours magiques sont utilisés par les chamans des régions altaïques pour les cérémonies religieuses. Ils répètent le son primordial de la création et introduisent à l'extase. Ils semblent représenter deux mondes, séparés par une ligne ; parfois un arbre de vie traverse cette ligne ; le monde supérieur est céleste et apaisé, ou dansant ; le monde inférieur semble celui des combats entre hommes, de la chasse, de la cueillette ; le tambour sert probablement aux initiations et scande les rites de passage, qui introduisent l'homme dans la sécurité, plus fort et plus heureux, plus proche de la puissance céleste. Le tambour est comme une barque spirituelle, faisant passer du monde visible à l'invisible. Il se rattache aux symboles de la médiation entre le ciel et la terre. Le chaman façonne son tambour avec une branche de l'Arbre cosmique, au cours d'un rêve initiatique. Chaque fois qu'il se sert de son tambour, le chaman est donc en communication avec l'Axe du monde, ce qui lui permet de pénétrer dans un monde divin. Le tambour, orné de figures symboliques, est, à lui seul, un microcosme : il est le cheval du chaman et c'est lui qui le transporte dans ses voyages mystiques. Il rythme les séances de magie du chaman ; il est vraiment un instrument de l'extase.
Chez les Lapons le tambour sert aussi à la divination, chez les anciens Samoyèdes, le tambour portait le nom d'arc : arc musical, arc d'harmonie, symbole de l'alliance entre les deux mondes, mais aussi arc de chasse qui lance le chaman comme une flèche vers le ciel.
Chez les Maya-Quiché, il est la représentation symbolique du tonnerre, puissance de mort et de fécondité.
Dans le Soudan central et oriental, c'est un tambour qui contient les animaux et les graines des plantes qu'un Dieu apporte aux hommes. Il est le symbole de la fécondité, la graine des graines.
Mais, bien plus, il est en Afrique étroitement associé à tous les événements de la vie humaine. Il est l'écho sonore de l'existence.
Instrument africain par excellence, disent des spécialistes du Continent noir, le tambour est au sens plein du mot le Logos de notre culture, s'identifiant à la condition humaine dont il est l'expression, à la fois roi, artisan, guerrier, chasseur, jeune homme à l'âge de l'initiation ;, sa voix multiple porte la voix de l'homme, avec le rythme vital de son âme, avec tous les remous de son destin. Le tambour récapitule également la dimension féminine de l'homme. Il s'identifie à la condition de la femme et seconde la marche de son destin. Aussi n'est-il pas étonnant de voir, dans certaines fonctions spéciales, le tambour naître avec l'homme, pour mourir avec lui.
Dans toutes les cultures, on peut donc dire du tambour qu'il est une cratophanie ouranienne (mâle) ou chtonienne (femelle) et associé, en ce dernier cas, au symbolisme de la caverne, de la grotte, de la matrice : on dit du son du tambour qu'il prend au ventre.
Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes (Larousse Livre, 2000) :
Il semble bien que l'origine de ce mot nous renvoie à la Perse antique, non pas pour désigner un instrument en bois creux ou en terre cuite, creuse également, sur lequel on a posé une peau d'animal séchée et distendue par la chaleur du Soleil, comme l’était et l'est toujours le fameux tam-tam d'Afrique, mais un instrument à cordes plus proche de la cithare que l'instrument à percussion, donc. Il est vrai que, de nos jours encore, dans divers pays du monde, les musiciens donnent souvent le rythme ou marquent le tempo en frappant sur leurs instruments à cordes. De fait, on confond souvent tambour et tam-tam. Pourtant , le premier est n instrument de guerre et de mort, tandis que le second est l'ancêtre de tous nos instruments de communication modernes. En effet, en schématisant, on pourrait dire que le tam-tam africain ou indien était une sorte de téléphone portable, pouvant transmettre un message à n'importe quel individu, sur de très longues distances.
Ainsi, entendre le tambour ou le tam-tam dans un rêve n'a pas du tout la même signification. S'il s'agit du tambour, c'est souvent un signe de crise, conflit, désaccord dans la vie du rêveur, ou d'un danger qui le menace, et dont il peut déjà percevoir les premiers symptômes, comme l'indique clairement son rêve, car le tambour s'entend de loin. Tandis que s'il s'agit d'un tam-tam, le rêveur doit s'attendre à recevoir une nouvelle importante, un message le prévenant d'un fait ou d'une situation le concernant personnellement qu'on va lui délivrer très rapidement. Ou alors, le tam-tam toujours symbolise parfois la rumeur qui court..."
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Angeles Arrien, autrice de Les Quatre Voies de l'initiation chamanique (Harper San Francisco, 1993 ; Éditions Vega 2004 pour la traduction française) fait du tambour l'emblème musical de l'archétype du Guérisseur :
Dans Entrer dans le Jardin Sacré, Un guide pour voyager dans les monde spirituels (2003, traduction française Ariane Éditions Inc. 2004) ), Hank Wesselman apporte un éclairage précieux qui prend en compte les connaissances actuelles du monde moderne :
"Il est bien connu également que le stimulus physique intense procuré par le son monotone du tambour et du hochet, combiné à un rituel et à une cérémonie culturellement significatifs, comportant prière, chant, psalmodie et danse, peut amener la conscience à un mode de perception visionnaire. Il n'est pas étonnant que l'emploi des tambours et des hochets chez les adeptes du sacré soit presque universel. [...]
Certaines personnes répondent mieux au tambour et d'autres, au hochet.
La fréquence de ce rythme corresponde à ce que les neurophysiologues appellent le rythme thêta des ondes cérébrales, qui comporte, chez l'humain, de quatre à sept impulsions lancées à la seconde par le cerveau. On a enregistré de telles ondes cérébrales chez les yogis et les maîtres zen pendant qu'ils étaient en profonde méditation. On a en a également enregistré chez des chamans pendant leurs transes de vision. Cela permet de supposer que la vibration sonore des instruments serait la "souris" qui double-clique sur le programme. [...]
Je relaxe mon corps physique par quelques respirations profondes et le rejet de toute tension, puis je me laisse porter par le son du tambour ou du hochet en commandant à mon inconscient, que les autochtones hawaïens appellent "l'âme inférieure", d'ouvrir le passage intérieur qui s'y trouve. C'est là, en effet, que se trouve la porte du monde spirituel.
Un psychologue forme en Occident vous affirmera probablement avec conviction qu'une telle porte intérieure n'existe que si vous y croyez, alors qu'un chaman vous affirmera avec la même conviction que cette porte a toujours été là et qu'il suffit de l'ouvrir pour voyage dans le monde invisible. Comme j'ai découvert son existence ne moi tout à fait par accident, je penche naturellement pour l'affirmation des chamans. Dorénavant, j'écoute tout simplement le tambour ou le hochet en déplaçant l'attention de ma conscience de l' "ici" au "là-bas", où que ce là-bas soit. Alors, la porte s'ouvre et je pars.
J'aimerais préciser ici que le chaman est toujours conscient, dans une certaine mesure, de ce qui se passe physiquement autour de lui quand il est dans un état de transe visionnaire. Cela veut dire que vous entendrez le son du tambour ou du hochet pendant votre "voyage". En fait, c'est ce son qui vous mènera à destination et vous ramènera. C'est lui qui assurera le lien entre votre corps physique et le monde spirituel. Tant que vous l'entendrez, vous ne vous perdrez pas. [...] Rappelez-vous que le son du tambour ou du hochet n'est pas seulement la souris qui double-clique sur votre programme, mais aussi l'agent qui sert de lien entre l' "ici" et le "là-bas".
Annie Pazzogna, auteure de Totem, animaux, arbres et pierres, mes frères, Enseignement des Indiens de Plaines, (Le Mercure Dauphinois, 2008, 2012 et 2015), s'interroge sur l'origine du Tambour, dans la tradition des Indiens des Plaines et en particulier du peuple Lakota :
Lien entre l'animal et l'arbre
Qui se souvient de l'origine du tambour ?
Les Anciens perçurent très tôt qu'en évidant un tronc d'arbre et en recouvrant les deux extrémités de peaux crues mouillées qui prennent forme en séchant et en les reliant, un son s'amplifiait lors de la frappe. Ce son connectant les deux hémisphères du cerveau humain, les hommes peuvent alors joindre l'Univers comme avant la modification du monde primordial.
Le lien entre l'"animal et l'arbre existant, par l'espèce et l'essence choisies, le ton interpelle les esprits intercesseurs. Les animaux, eux, n'ont jamais été séparés du Grand Mystère.
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David Carson, auteur de Communiquer avec les animaux totems, Puisez dans les qualités animales une aide et une inspiration au quotidien (Watkins Publishing 2011 ; traduction française Véga 2011) précise à son tour ces quelques données sur le tambour du chaman :
"Au fil des siècles, les chamans ont raconté l'histoire du "don du cheval", le tambour, appelé souvent "cheval" du chaman. Le son de ce cheval-tambour pouvait ressembler à des sabots galopants et à d'autres rythmes percussifs altérateurs de conscience. Le Battement du tambour est considéré comme masculin et le silence entre ces battements, féminin. Le chaman produisait ce son et était transporté vers d'autres mondes où il rencontrait des esprits animaux et d'autres êtres surnaturels.
Chaque tambour a sa propre vibration et résonance, et tous les tambours chamaniques sont sacrés. Ils'agit d'un cercle de cuir étiré et attaché à une forme de bois creuse. Cette forme représente l'univers et comme elle est en bois, elle nous relie à l'Arbre Monde, qui est au centre de la vie. Le tambour est circulaire et représente aussi bien l'infini que le cercle humain. Les attaches symbolisent les divers clans, liés entre eux de façon sacrée. Le tambour est généralement décoré, conception et dessin ayant été inspirés à son propriétaire lors d'une vision ou d'un rêve. On trouve parfois aussi des disques de métal, fétiches animaux, cordons de tabac ou autres objets fixés sur l'instrument."
Alberto Villoldo, Colette Baron-Reid et Marcela Lobos ont imaginé un jeu de cartes intitulé L'Oracle du chaman mystique (Éditions Véga, 2019) dans lequel une carte concerne le Tambour :

La signification : Le rythme du tambour vous met en harmonie avec le cœur battant de l'univers. Son cadre en bois vous relie au arbres et vous aide à voyager vers le monde d'en bas à travers ses racines et vers le monde d'en haut à travers ses branches. La peau du tambour donne au chaman les pouvoirs du règne animal. Frapper sur le tambour appelle la puissance du tonnerre et le grondement du tremblement de terre. Le tambour vous fait entrer dans un état de transe dans lequel la guérison et la prophétie se réalisent.
L'interprétation : Le Tambour vous invite à entreprendre la prochaine étape cruciale qui se présente sur votre parcours. Les forces du Ciel et de la Terre sont alignées derrière vous et vous aident à agir sans effort. Ce n'est pas le moment d'aller à contre-courant - le flot vous emmènera exactement où vous voulez aller, une fois que vous vous déciderez à vous jeter à 'eau ! Rassemblez toutes vos forces et votre courage, car le voyage promet d'être périlleux et fantastique. Laissez-vous porter par le rythme de ce qui est vraiment essentiel dans votre vie.
La stratégie : Vous voyagez au rythme d'un tambour différent. Il est temps de reconnaître que vous en correspondez pas à un moule, un rôle ou une relation qui n'est pas en harmonie avec vous. Trouvez votre propre rythme et répondez au battement du tambour lointain. Le prix que vous payez en vous attardant devient plus élevé chaque jour qui passe. Il est maintenant temps de tourner la page !
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Contes et légendes :
Et Corbeau créa tambour
Mythe koriak
Au commencement du monde, Ñaniñinen, l'Esprit-Créateur, avait conçu le Ciel, la Terre et le monde souterrain. Il en avait brossé les grandes lignes et ne s'était pas embarrassé des détails. Certains prétendent que sa création est mal faite car il aurait bâclé ce harassant travail tant il avait hâte d'aller se reposer avec sa femme céleste au Pays d'En Haut. Et là, il aimerait, paraît-il, jouer avec elle toutes sortes de jeux divins propres à maintenir l'harmonie des mondes.
Des initiés affirment qu'en réalité il aurait agi avec une grande sagesse et une infinie bienveillance. Il créa en effet Kujkynnjaku. Grand-Père Corbeau, qu'il plaça sur la terre avec la responsabilité d'y achever sa création. Et il lui confia quelques-uns de ses pouvoirs. L'Esprit-Créateur aurait donc agi comme un bon père qui souhaite que ses enfants deviennent responsables et trouvent leur propre chemin dans le grand jeu de sa création. Un pari fou. Mais ce qui ravirait le plus le Créateur, ce serait justement d'être surpris par ses créatures, pour le meilleur et pour le pire. Histoire de ne pas s'ennuyer.
Kujkynnjaku fut donc tout à la fois le premier animal, le premier homme et le premier chamane. Sa tâche était colossale car la terre était encore invivable. Grand-Père-Corbeau dut la remodeler, y creuser des vallées pour drainer les eaux, aplanir de grandes surfaces pour que lui et ses descendants, les hommes, puissent se déplacer et s'établir plus aisément. Il dut aussi percer avec son bec le grand dôme du ciel afin que la lumière d'en haut éclaire et réchauffe le monde d'ici-bas. Les petits trous sont les étoiles, les deux plus grands, la Lune et le Soleil. C'est aussi lui qui enseigna aux hommes comment survivre, chasser, se chauffer, construire sa yarangue, sa tente d'été, ou sa hutte d'hiver, sur le modèle du cosmos.
Mais Ñaniñinen, le Grand Esprit, n'avait pas donné tous ses secrets à Kujkynnjaku qui, souvent, s'en rendait compte à ses dépens.
Depuis des jours et des jours, la pluie ne cessait de tomber. La terre était boueuse, toutes les affaires de Grand-père-Corbeau et de ses enfants étaient mouillées. Leurs habitations semi-enterrées étaient inondées, les provisions commençaient à moisir.
- Je ne sais pas à quoi joue là-haut le Créateur, ronchonna Kujkynnjaku. Il faut que j'aille voir ce qu'il fabrique. Il enfila son manteau de plume et s'envola. Il passa par un trou dans le ciel et atterrit tout trempé près de la maison céleste de Ñaniñinen. Un grand vacarme en sortait, pareil à des coups de tonnerre Mais quand le Corbeau s'en approcha, le barouf cessa et la pluie aussi. Il regarda par le trou à fumée et aperçut le Grand Esprit qui semblait somnoler près de son épouse, Femme-Nuage. N'osant pas les déranger, et comme il s'était arrêter de pleuvoir, Kujkynnjaku fit demi-tour. Mais à peine avait-il fait quelques pas que la pluie recommença avec le tapage. Il s'approcha de nouveau de la maison et le barouf s'arrêta.
- C'est toi, Kujkynnjaku ? Entre, dit le Créateur omniscient.
Grand-Père Corbeau descendit par le trou à fumée dans la maison céleste.
- C'est gentil de nous rendre visite. As-tu besoin de quelque chose ?
- Je ne sais pas ce qu'il se passe mais il pleut tout le temps sur la Terre. Un vrai déluge ! C'est insupportable. Tout est mouillé et en train de pourrir. Si ça continue, tout sera noyé.
- Ah bon ? répondit sur un ton innocent Ñaniñinen. c'est bizarre ça ! Il doit y avoir quelque chose de détraqué.
- Oui, c'est vraiment bizarre. Et quand il pleut, on entend du raffut qui semble sortir d'ici.
- Tiens, quelle curieuse coïncidence ! Serait-ce le couvercle de la marmite quand elle bout ? Ou bien quand ma femme fait la vaisselle ? C'est sûrement ça. Elle doit utiliser trop d'eau et avec tous ces trous que tu as faits dans le ciel, c'est devenu une vraie passoire ! Chérie, utilise moins d'eau à l'avenir, tu inondes les voisins du dessous !
- Bon, merci pour les explications et excusez-moi du dérangement.
Corbeau s'envola par le trou à fumée et s'éloigna à grands pas tout en réfléchissant, les ailes croisées dans le dos :
- Le Créateur me cache quelque chose. Il faut absolument que je surprenne son secret.
A peine s'était-il éloigné que le tintamarre reprit avec la pluie.
Kujkynnjaku se changea en moucheron pour tromper la clairvoyance du Grand Esprit et pénétra incognito dans la demeure céleste. Il vit alors Ñaniñinen jouer d'un tambour ovale. Il n'en crut pas ses yeux quand il s'approcha et découvrit que le Créateur se servait de son pénis en guise de baguette pour frapper une peau tendue sur la vulve de sa femme. Et du sexe de Femme-Nuage s'échappait un ruisseau qui s'écoulait par les trous du ciel. Le couple divin semblait y prendre un plaisir extrême. Voila donc pourquoi la pluie ne cessait pas.
- Il faut absolument que j'arrête ça,s e dit Corbeau.
Il provoqua des incantations. Le Créateur et sa femme finirent par sombrer dans un profond sommeil. Kujkynnjaku reprit sa forme de Corbeau, cisailla d'un coup de bec le pénis et découpa la vulve qu'il suspendit ensuite au-dessus du foyer, de façon à les faire sécher. Il activa le feu et reprit son apparence de moucheron afin de vérifier si son plan fonctionnait.
Quand le couple céleste se réveilla, quelle ne fut pas leur surprise de voir pendre leurs sexes au-dessus de l'âtre !
- Ah, s'écria le Créateur, voilà encore un tour de Corbeau !
Il décrocha son pénis qui ressemblait maintenant à une saucisse et la vulve de sa femme qui était toute sèche. Il se remit aussitôt à battre du tambour, mais le son n'était plus le même. C'était beaucoup plus aigu, plu sec, quoi. Et l'eau ne coulait plus. Au contraire, les battements du tambour chassaient les nuages. Le couple divin trouva ça moins agréable et finit par se lasser. Chacun remit son sexe à sa place,. Au bout de quelques jours, ceux-ci avaient retrouvé leur humidité naturelle et le Créateur se remit à battre du tambour pour son plus grand bonheur et celui de Femme-Nuage. De nouveau ce fut le déluge sur la Terre.
Corbeau remonta dans le ciel refaire son opération magique et la pluie cessa quelques temps. Tous les deux ou trois jours il devait recommencer. Il finit par en avoir assez de tous ces allers-retours. Alors il eut l'idée de fabriquer une réplique du tambour du Créateur pour pouvoir réguler d'en bas la météo divine. Quand il pleuvait, il chauffait son tambour et la sonorité aiguë chassait les nuages. et quand c'était la sécheresse, parce que les parents célestes avaient une baisse de libido, il remettait peau et pilon en place pour les réhydrater. Le premier tambour fut donc la première climatisation !
Corbeau, le chamane primordial, lui découvrit aussi d'autres propriétés. Il en fit le premier véhicule pour voler dans les airs et aller d'un monde à l'autre. C'était moins fatigant qu'à tire-d'aile. Il avait aussi la vertu de chasser les mauvais esprits.
Voilà comment est né le premier tambour chamanique, qui à l'origine était ovale. Bien sûr, les chamanes d'aujourd'hui, moins puissants que ceux d'autrefois, ne peuvent couper leur sexe et le recoller à volonté. Ils se contentent d'imitations en bois et en peaux animales. A moins que certains ne nous cachent encore des choses dans des rites très secrets..."
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