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Le Masque rituel

  • Photo du rédacteur: Anne
    Anne
  • 18 déc.
  • 24 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 déc.




Étymologie :


Étymol. et Hist. A. 1. 1514 « faux visage qu'on met pour se déguiser » (Arrest contre les masques, 27 avril ds M. Félibien, Hist. de la ville de Paris, t. 4, p. 630 : faux visages appellez en commun langage masques) ; 2. 1542 « personne qui porte un masque » (Rabelais, Pantagruel, éd. V. L. Saulnier, p.109, var.) ; 3. 1599 « pièce d'étoffe dissimulant une partie du visage » (H. Hornkens, Rec. de dict. fr., esp. et lat.) ; 4. 1535 au fig. fém. « fausse apparence » (Calvin, Instit. de la religion chrétienne, Epistre au Roy, éd. J.-D. Benoît, t. 1, p. 42) ; spéc. 1598 lever le masque devant le bal (Ph. de Marnix, Differens de la religion, t. 1, IV, 7 ds Hug.) ; av. 1615 lever le masque (E. Pasquier, Les Recherches de la France, p. 461 ds IGLF). B. 1. 1540 « tête sculptée employée comme motif d'ornementation » (Comptes des bastimens du Roy ds Havard) ; 1547 (N. du Fail, Propos rustiques, éd. J. Assézat, p. 78 : masques de cheminee) ; 2. 1718 « reproduction du visage obtenue par moulage » (Ac.) ; 3. 1831 désigne le visage lui-même, son expression (Balzac, Peau chagr., p. 193) ; 4. 1836 « aspect particulier que prend parfois le visage des femmes à la fin de la grossesse » (A. Goupil, in Dict. de la conversation, XXXI, 187, s.v. grossesse ds Quem. DDL t. 8). C. 1. 1597 masque d'apiculteur (Ch. Estienne, J. Liébault, L'Agriculture et maison rustique, p. 389) ; 2. 1839 « casque en toile métallique dont on se couvre la tête pour faire de l'escrime » (Stendhal, Chartreuse, p. 226) ; 3. 1864 « appareil couvrant la bouche et le nez et permettant l'aspiration d'un anesthésique » (Jamain, Manuel de petite chirurgie, 756 ds Quem. DDL t. 8) ; 4. 1894 « appareil en toile métallique dont les ouvriers de certains corps de métier se couvrent le visage pour se protéger » (A. Layet, in J. Rochard, Encyclop. d'hygiène, VI, 330, ibid.) ; 1916 milit. masque contre les gaz asphyxiants (Bordeaux, Fort de Vaux, p. 93). D. 1845 mar. « abri sur une côte ; abri en planches protégeant les navires en construction contre le soleil et la pluie » (Besch.). Empr. à l'ital. maschera « faux visage » (dep. 1348-53, Boccace ds Batt.), d'orig. préromane. Le rad. préroman maska « noir » est à l'orig. de deux groupes de mots : a) un type masca signifiant « masque » en lat. tard., mais surtout « sorcière » ou « spectre, démon » représenté en lat. médiév. (dep. 643, Lois de Rotharis ds Nierm. ; cf. 680 en Angleterre, chez l'évêque Adhelm), en Italie (Pise, Piémont et Sicile), en gallo-roman (sous la forme du composé talamasca, att. dès le lat. médiév.) et en a. prov. (v. masque2), les notions de « noir » et de « sorcier, démon » étant étroitement associées dans l'imagination populaire ; b) un type élargi maskara, très répandu dans les domaines ibéro-roman (cat. mascara « tache noire, salissure », également vivant en aragonais, navarrais, valencien et à Majorque ; port. mascarra « tache » etc.), ital. (maschera « masque » s'expliquant par le fait que les plus anciens déguisements consistaient simplement à se noircir le visage et parfois le corps) et gallo-roman (v. mâchurer1 ; cf. appellatifs et toponymes). Voir J. Hubschmid ds Actas do IX Congr. Intern. de ling. rom., I, Boletim de Filol. t. 18, pp. 37-55 et FEW t. 6, 1, pp. 429-441.


Étymol. et Hist. 1. 1640 « maquerelle ; sorcière » (Oudin Curiositez) ; 2. 1660 « effrontée » (Molière, Sganarelle, scène 14, éd. R. Bray, p.312). Empr. à l'a. prov. masca « sorcière » (1396 d'apr. Pansier) d'orig. préromane (v. masque1).


Lire également les définitions du nom masque afin d'amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (Éditions Seghers, 1969) :


MASQUE : 1. Le symbolisme du masque, en Orient, varie selon ses usages. Ses types principaux sont le masque de théâtre, le masque carnavalesque, le masque funéraire, utilisé notamment chez les Egyptiens.


a) Le masque de théâtre — qui est aussi celui des danses sacrées — est une modalité de la manifestation du Soi universel. La personnalité du porteur n'en est généralement pas modifiée ; ce qui signifie que le Soi est immuable, qu'il n'est pas affecté par ses manifestations contingentes. Sous un autre aspect pourtant, une modification par l'adaptation de l'acteur au rôle, par son identification à la manifestation divine qu'il figure, est le but même de la représentation. Car le masque, notamment sous ses aspects irréels et animaux, est la Face divine et plus spécialement la face du soleil, que traverse le rayonnement de la lumière spirituelle. Aussi, lorsqu'on nous dit que les masques de t'ao-t'ie se sont progressivement humanisés, ne doit-on pas y voir une marque de civilisation, mais bien plutôt l'oubli croissant de la valeur du symbole.


b) Le masque extériorise parfois aussi des tendances démoniaques, comme c'est le cas dans le théâtre balinais où les deux aspects s'affrontent. Mais c'est plus encore le cas dans les masques carnavalesques, où l'aspect inférieur, satanique, est exclusivement manifesté, en vue de son expulsion ; il est libérateur ; il l'était aussi lors des antiques fêtes chinoises du No, correspondant au renouvellement de Tannée. Il opère comme une catharsis. Le masque ne cache pas, mais révèle au contraire des tendances inférieures, qu'il s'agit de mettre en fuite. Le masque ne s'utilise, ni ne se manipule jamais impunément : il est l'objet de cérémonies rituelles, non seulement chez les peuples africains, mais aussi au Cambodge, où les masques de la danse du trot font l'objet d'attentions spéciales : ils seraient, dans le cas contraire, dangereux pour les porteurs


c) Le masque funéraire est l'archétype immuable, dans lequel le mort est censé se réintégrer. II tend aussi, note M. Burckhardt, à retenir dans la momie le souffle des ossements, modalité subtile inférieure de l'homme. Ce maintien ne va pas sans danger, lorsqu'il ne s'agit pas d'un individu, qui est parvenu à un certain degré d'élévation spirituelle. Bien que ce soit selon des modalités différentes, le masque destiné à fixer l'âme errante (le houen) fut également usitée en Chine, avant l'usage de la tablette funéraire. Lui perçait-on les yeux, comme on pointe la tablette, pour signifier la naissance du défunt dans l'autre monde ? C'est ce qu'a supposé Granet.


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2. Dans la pensée dualiste des Iroquois, les danses masquées relèvent toutes du deuxième Jumeau Créateur, le Mauvais Frère, qui règne sur les Ténèbres. II y a deux confréries de masques chez les Iroquois, qui appartiennent à la grande union des sociétés secrètes. Leur fonction est essentiellement médicales ; elles préviennent et guérissent aussi bien les maladies physiques que les maladies psychiques. Dans les rites pratiqués, les nommes masqués représentent la création manquée (nains, monstres, etc.) de Tawiskaron, le mauvais frère. Au printemps et à l'automne, ils chassent les maladies des villages ; c'est- à-dire aux charnières des deux moitiés de la course solaire.

Selon Krickeberg ces danses masquées proviendraient originairement de rites de chasse. Elles seraient devenues danses de guérison, du fait de la croyance que les animaux enverraient les maladies pour se venger des chasseurs. C'est à rapprocher du fait que, chez les Pueblos, les dieux-animaux sont les chefs des Sociétés de Médecine. Les danses masquées des Indiens Pueblos célèbrent le culte des Coco Kat china, qui sont à la fois les ancêtres et les morts (MULR, 284). Ces Dieux-Animaux ne sont fêtés qu'en hiver, avec des rites particulièrement importants au solstice, ce qui relève bien du même symbolisme que les cérémonies iroquoises. Ils sont non seulement les maîtres des simples et des rites de guérison, mais aussi de la sorcellerie et de la magie noire.


3. En Afrique, l'institution des masques est associée à des rites agraires, funéraires, initiatiques. Dès la plus haute antiquité, elle apparaît à cette phase de l'évolution où les peuples deviennent agriculteurs et sédentaires. Jean Laude a écrit sur les masques, sculpture en mouvement, un des meilleurs chapitres de son livre sur Les Arts de l'Afrique Noire. Nous lui empruntons les données principales de cette note.


a) Les danses en processions masquées évoquent, à la fin des travaux saisonniers (labours, semailles, moissons), les événements des origines et l'organisation du monde, ainsi que de la société. Elles font plus que de les rappeler ; elles les répètent, afin d'en manifester la permanente actualité et de réactiver, en quelque sorte, la réalité présente, en la rapportant à ces temps fabuleux où la conçut le dieu, avec l'aide des génies. Par exemple, les danseurs masqués des Kurumba sont les gestes du héros civilisateur Yirigué et de ses enfants, descendus du ciel, porteurs de masques ; les danseurs Dogon portent les masques Kanoga (mot qui signifierait notamment : main de Dieu) et répètent par un mouvement circulaire de la tête et du buste, les gestes du dieu qui, en créant, fondu l'espace.


b) Les masques raniment, à intervalles réguliers, les mythes qui prétendent expliquer les origines des coutumes quotidiennes. D'après les symboles, l'éthique se présente comme une réplique de la cosmogénèse. Les masques remplissent une fonction sociale : les cérémonies masquées sont des cosmogonies en acte qui régénèrent le temps et l'espace : elles tentent par ce moyen de soustraire l'homme et les valeurs dont il est dépositaire à la dégradation qui atteint toute chose dans le temps historique. Mais ce sont aussi de véritables spectacles cathartiques, au cours desquels l'homme prend conscience de sa place dans l'univers, voit sa vie et sa mon inscrites dans un drame collectif qui leur donne un sens.

Dans les rites d'initiation, le masque prend un sens quelque peu différent. L'initiateur masqué incarne le génie qui instruit les hommes ; les danses masquées insufflent dans l'adolescent cette persuasion qu'il meurt à sa condition ancienne pour naître à sa condition d'adulte.

c) Les masques revêtent, parfois, une puissance magique : ils protègent ceux qui les portent contre les malfaiteurs et les sorciers ; à l'inverse, ils servent aussi à des membres de sociétés secrètes pour imposer leur volonté en effrayant.

Le masque est aussi un instrument de possession : il est destiné à capter la force vitale qui s'échappe d'un être humain ou d'un animal au moment de sa mort Le masque transforme le corps du danseur qui conserve son individualité et, s'en servant comme d'un support vivant et animé, incarne un autre être : génie, animal mythique ou fabuleux, qui est ainsi momentanément figuré, et dont la puissance est mobilisée.

Le masque remplit également la fonction de l'agent qui règle la circulation, d'autant plus dangereuse qu'elle est invisible, des énergies spirituelles éparses dans le monde. Il les piège pour empêcher leur errance. Si la force vitale libérée au moment de la mort était laissée errante, elle inquiéterait les vivants et troublerait l'ordre. Captée dans le masque, elle est contrôlée, capitalisée, pourrait-on dire, et ensuite redistribuée au bénéfice de la collectivité. Mais le masque protège aussi le danseur qui, au moment de la cérémonie, doit être défendu contre la force de l'instrument qu'il manipule. Le masque vise à maîtriser et à contrôler le monde invisible. La multiplicité des forces circulant dans l'espace expliquerait la variété composite des masques où se mêlent des figures humaines et des formes animales en des thèmes indéfiniment entrelacés et parfois monstrueux.


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d) Mais le masque n'est pas sans danger pour celui qui le porte. Celui-ci, ayant voulu capter les forces de l'autre en l'attirant dans les pièges de son masque, peut être à son tour possédé par l'autre. Le masque et son porteur s'intervertissent tour à tour et la force vitale qui s'est condensée dans le masque peut s'emparer de celui qui s'était place sous sa protection : le protecteur devient le maître. Le porteur, ou même la personne qui voudrait seulement le toucher, doit s'habiliter au préalable à entretenir un contact avec le masque et se prémunir à l'avance contre tout choc en retour : c'est pourquoi, pendant un temps plus ou moins long, il observe des interdits (alimentaires, sexuels, etc.), il se purifie par des bains et des ablutions, il célèbre des sacrifices et des prières.

C'est un peu comme une préparation à des échanges mystiques. Des ethnologues ont d'ailleurs rapproché l'utilisation du masque des méthodes pratiques d'accès à la vie mystique. Cari Einstein a défini le masque comme une extase immobile. Jean Laude suggère plus modérément qu'il pourrait être le moyen consacré de conduire à l'extase, du moment qu'il retient en lui le dieu ou le génie. Selon M. U. Beïer, qui cite quelques exemples à vrai dire peu décisifs, certains masques Yoruba manifesteraient l'expression d'un vivant déjà réuni par l'extase avec les Bazimu. Des traits du visage, proéminents et bombés (particulièrement les yeux), des formes rondes et turgescentes comme jaillissant sous l'effet d'une poussée intérieure, l'on pourrait dire qu'ils sont des expressions de la concentration et de la réceptivité, pareilles à celle qui apparaît sur le visage d'un fidèle en adoration, soit qu'i s'apprête à recevoir son dieu dans son âme, soit aussitôt après que l'union mystique avec son dieu vient d'être consommée. Notons en passant que les différentes conceptions de la mystique se situent au niveau des différentes théologies de la vie religieuse.


e) La force captée ne s'identifie ni au masque, qui n'est qu'une apparence de l'être qu'il représente, ni au porteur qui la manipule sans se l'approprier. Le masque est médiateur entre deux forces et indifférent à celui qui l'emportera dans cette lutte dangereuse entre le captif et le captateur. Les relations entre ces deux termes varient dans chaque cas, et leur interprétation avec chaque tribu. Si le langage chiffré des masques est universellement répandu, le code des significations n'est ni toujours, ni partout, ni en tout point le même.


4. Les langues celtiques ne connaissent pas de nom de masque ; elles ont emprunté le mot au latin ou au roman. Mais l'archéologie a fourni un certain nombre de masques celtiques (et de nombreuses figurations) et l'on pourrait déduire de quelques descriptions mythologiques irlandaises que certains personnages ou envoyés de l'Autre Monde portaient un masque. La disparition de tout terme celtique original après la christianisation permet de soupçonner l'existence d'une donnée traditionnelle importante qui ne nous est plus accessible !


5. Les traditions grecques, ainsi que les civilisations minoennes et mycénienne, ont connu les masques rituels des cérémonies et des danses sacrées, les masques funéraires, les masques votifs, les masques de déguisement, les masques de théâtre. C'est même ce dernier type de masque, figurant un personnage (prosopon), qui a donné son nom à la personne. Ces masques de théâtre, généralement stéréotypés (comme dans le théâtre japonais), soulignent les traits caractéristiques d'un personnage : roi, vieillard, femme, serviteur, etc. Il existe un répertoire de masques, comme de pièces de théâtre et de types humains. L'acteur qui se couvre d'un masque s'identifie, en apparence ou par une appropriation magique, au personnage représenté. C'est un symbole d'identification. Le symbolisme du masque s'est prêté à des scènes dramatiques, dans des contes, des pièces, des films, où la personne s'est identifiée à tel point à son personnage, à son masque, qu'elle ne peut plus s'en défaire, qu'elle ne peut plus arracher le masque ; elle est devenue l'image représentée. Si elle a, par exemple, revêtu les apparences d'un démon, elle s'est finalement identifiée à lui. On imagine tous les effets que l'on peut tirer de cette force assimilante du masque. On conçoit aussi que l'analyse s'exerce à arracher les masques d'une personne, pour la mettre en présence de sa réalité profonde.


Sous la forme de figurines, des divinités ou des génies en effigie sont portés sur les vêtements ou suspendus aux murs des temples.

Ils seraient l'image même — la plus expressive puisqu'ils n'étaient que visages — de la force surnaturelle à laquelle s'en remettait le fidèle.

Mais peut-être rejoindrait-on là les mythes hindous et chinois du lion, du dragon ou de l'ogre qui demandent au dieu qui les a créés des victimes à dévorer et qui entendent celui-ci leur répondre : nourrissez-vous de vous-mêmes ; ils s'aperçoivent alors qu'ils ne sont qu'un masque, qu'une apparence, qu'un désir, qu'un appétit insatiable, mais vide de toute substance.

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Michael Harner dans La Voie du Chamane (Édition originale, 1980 ; traduction française Mama Édition, 2011) évoque rapidement les masques chamaniques :


Les chamanes de la côte nord-ouest d’Amérique du Nord pratiquant de telles danses portaient souvent un masque et un accoutrement spécial, destinés à augmenter leur fusion avec les animaux de pouvoir. Chez les Tsimshian, par exemple, un chamane pouvait danser non seulement en portant le masque d’un aigle, mais également des griffes de cuivre. [...]

De la même manière, un danseur zuni portant le masque de l’un des dieux kachina fait bien plus que représenter le kachina. Transporté dans un état modifié de conscience par la danse, le son des tambours et des hochets, et le vrombissement des bullroarers, il « devient temporairement la véritable incarnation de l’esprit qui est censé résider dans le masque ». Comme un Salish de la côte le disait, « quand je danse, je ne joue pas la comédie ; suivez simplement votre pouvoir, la voie de votre pouvoir »

[...]

Ce dont parle Lame Deer n’est pas la possession incontrôlable des cultes vaudous des Caraïbes, mais plutôt une réaffirmation par le chamane de son unité avec son compagnon animal. Comme l’observe Eliade, il s’agit « moins d’une possession que d’une transformation magique du chamane en cet animal ». Chez les Indiens du Mexique et du Guatemala, l’esprit gardien est communément désigné sous le terme nagual, qui est dérivé de l’aztèque nahualli. Nagual se réfère à la fois à un esprit gardien animal et au chamane qui se transforme en cet animal de pouvoir (les mots composés dérivés du nahualli signifient « déguisé, masqué »). Au Mexique, nagual désigne également un chamane qui est capable d’une telle transformation, qu’il l’accomplisse instantanément ou non. Ainsi Castaneda, en plus de parler des plus larges ramifications du concept, présente-t-il Don Juan comme étant un nagual.

Joëlle Rostkowski, dans son article intitulé "Rites apaches de renouveau. La fête du lever du soleil et des Esprits de la Montagne." (In : Bulletin de la Société Suisse des Américanistes, 1985, no 49, pp. 7-14) explicite la fonction des masques dans le cadre particulier de la fête du soleil :


[...] Quelle que soit la facture des coiffures portées par les danseurs, elles inspirent dans l'ensemble des communautés la même révérence et ne doivent être utilisées qu'avec respect et à bon escient. C'est ainsi qu'avant d'enfiler son masque le danseur doit se tenir face au soleil levant et l'orienter successivement dans les quatre directions, dans le sens des aiguilles d'une montre. Le pouvoir du masque est réputé être si grand que les danseurs sont convaincus que s'ils en usaient autrement, ils risqueraient d'en perdre la raison.


Le masque et son pouvoir : Parmi les Apaches de la Montagne Blanche et les autres Apaches du Sud-Ouest, ainsi que dans les communautés Mescaleros et Chiricahuas, les masques jouent un rôle fondamental dans les prières adressées au supernaturel. Il est dit qu'en portant un masque, l'homme peut échapper aux hésitations, aux inhibitions et aux contradictions dont son âme est prisonnière. Grâce au masque, il se libère de lui-même, entre en communication avec les esprits et est en mesure de les contrôler. Le temps de quelques danses, l'homme qui personnifie l'Esprit de la Montagne acquiert une force plus grande, un pouvoir qui le dépasse, sans toutefois devenir l'Esprit qu'il incarne.

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Carlos Fausto, dans un article intitulé "Le masque de l’animiste. Chimères et poupées russes en Amérique indigène." (In : Gradhiva. Revue d'anthropologie et d'histoire des arts, 2011, no 13, pp. 48-67) s'interroge sur les fonctionnement des masques dans l'animisme :

[...]

Croyance et présence : Le paradoxe du masque est que tout le monde sait qu’à l’intérieur, ne se trouve pas un esprit, mais un membre de sa propre communauté ; et, cependant, un masque sans personne pour le porter reste un simple objet inerte. La question est de savoir comment un masque peut être effectif, c’est-à-dire comment le déguisement n’est pas pris à la lettre, mais, au contraire, donne lieu à une attribution de subjectivité déplacée. Comment l’absent se rend-il présent (et le présent, absent) ? Comment le visible recule-t-il pour céder la place à un invisible rendu visible par le moyen du masque ?

Pour répondre à cette interrogation, je laisse de côté le « problème de la croyance », qui nous emmènerait vers deux questions que je préfère éviter : les Amérindiens croient-ils en leurs masques ? Et si oui, comment peuvent-ils y croire ? À tenter d’y répondre, on risque de tomber dans une « ethnologie traditionnelle des croyances d’autrui » (Lenclud 1990) et d’importer artificiellement une notion tributaire des grandes religions monothéistes. Or il est nécessaire d’éviter aussi bien la définition doctrinale de la croyance (comme adhésion à un ensemble de doctrines explicites) que celle, plus spontanéiste, qui en fait l’adhésion à une vision du monde implicite. Il est plus intéressant de penser la « croyance », à la manière de Pouillon (1993), comme impliquant nécessairement le doute, et l’acte de croire comme un état mental caractérisé par une incertitude constitutive (Severi 2007 : 241). Cette piste nous oblige en effet à expliciter les conditions dans lesquelles surgissent des situations d’instabilité cognitive telles que l’interprétation d’une sortie des masques comme « étant peut-être un cas de présence d’un esprit ».

[...]

Il est au contraire nécessaire de garder à l’esprit que les masques ne sont jamais des images statiques : ils sont tridimensionnels, offrent des odeurs et des textures particulières, se présentent vêtus et animés, et sont toujours employés dans des contextes précis, dans lesquels ils produisent une instabilité cognitive, et où on ne saurait décider si l’on se trouve devant une subjectivité autre où simplement devant un objet manufacturé porté par un membre de la collectivité. Cette instabilité cognitive est produite au cours de l’interaction avec les entités-masques pendant le rituel : soit par l’impossibilité de lire dans le masque une expression faciale qui corresponde à ses actions ; soit par le doute qui pèse sur l’être qui agit en fin de compte, dans la mesure où son modus operandi est stéréotypé ; soit enfin par le fait que l’interaction, normalement sans paroles, mette entre parenthèses le régime normal de la communication.

Cependant, pour que ces mécanismes interactionnels restent efficaces, il faut que les masques mobilisent avec succès certains principes formels. L’instabilité cognitive est aussi produite par la forme qui fonctionne, ainsi que le suggère Gell, comme un « piège cognitif ».


Lire la suite :


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Jérémy Deturche, auteur de « Derrière le masque », (In : Études rurales [En ligne], n°196 | 2015) explicite une des fonctions primordiales des masques dans le chamanisme amazonien :


Dans un ouvrage récent consacré aux masques amazoniens, Masques des hommes. Visages des dieux [Goulard et Karadimas eds. 2011], plusieurs auteurs ont interrogé cet artefact, cherchant, selon la formule de Lévi-Strauss, à « démasquer les masques ». À partir d’exemples variés se dégage ainsi une image du masque amazonien, peu étudié jusqu’ici, qui précise certains aspects cosmologiques développés ces dernières décennies, tels « le perspectivisme » [Viveiros de Castro 2002], « l’animisme » [Descola 2005] ou encore « la prédation familiarisante » [Fausto 2001]. Une série de caractéristiques émerge, qui permet d’intégrer les masques amazoniens aux dynamiques sociocosmiques locales. Il en ressort que ces masques personnifient et donnent à voir des êtres cosmologiques dans des moments spécifiques d’interaction (les rituels) et sous « leurs vrais visages » [Karadimas 2011 : 290]. Dans les termes utilisés par Anne-Christine Taylor :


Les masques ont pour fonction, lorsqu’ils existent, de « présentifier », dans le cadre d’interactions fixées par un scénario rituel, des entités ordinairement invisibles, c’est-à-dire des esprits [2010 : 43].


Dans ce mouvement surgissent des problématiques amazoniennes particulières qui orientent notre compréhension des masques. Et sans que cela donne lieu à une typologie restreinte, au fil des textes se font jour des schèmes communs qui traversent la variété des artefacts et des pratiques qui leur sont associées.

Ainsi, dans le contexte amazonien où l’animisme, tel que défini par Philippe Descola comme une discontinuité des « physicalités » et une continuité des « intériorités », et le perspectivisme, selon Eduardo Viveiros de Castro, dominent les cosmologies, la problématique des masques apparaît comme différente de celle de la possession : l’humain n’étant qu’un « accessoire mécanique » [Taylor 2010 : 43] qui insuffle au masque son mouvement et ainsi un « corps » à l’esprit présent. Au-delà du masque, le corps de l’esprit se manifeste par des comportements spécifiques : danses, chants (souvent avec des voix altérées) et musique (des flûtes par exemple).

Chez les Katukina, les costumes-masques des rituels sont plutôt simples, plus proches de costumes couvrant le visage que de masques permettant une identification de l’esprit. Du reste, tous les chanteurs d’un rituel (à savoir les hommes mariés qui veulent chanter et participer) revêtent un costume-masque identique. Les esprits ainsi « encorporés » apparaissent plus comme un groupe anonyme et homogène que comme des esprits singularisés (maîtres des animaux par exemple) ou comme des entités nommées de façon précise. Et ce même si les rituels sont explicitement rattachés à un ou deux esprits parfaitement identifiés. De fait, chaque rituel est la « propriété » d’esprits (généralement deux) qui descendent de leur demeure céleste – uniquement quand les Katukina effectuent des rituels – pour boire, manger et s’assurer que les humains se comportent comme il faut, mais non pour apparaître.

Ces esprits sont appelés owei ou waik-wara (« maître-corps » du rituel). Notons que le concept « wara » est complexe et fondamental chez les Katukina et leurs voisins kanamari : il désigne aussi bien le corps (vivant) que les « chefs » (chez les Kanamari) ou encore le maître-propriétaire. C’est une relation qui implique nutrition, fabrication-production et/ou « le faire attention à » [Costa 2007 et 2010 ; Deturche 2009]. Ces esprits pourraient être de bons candidats à « l’encorporation » rituelle mais il n’en est rien. Quand ils deviennent visibles, c’est sous une forme animale (rats), pour le commun des mortels, ou sous une forme humaine, pour les chamanes (qui sont les seuls à communiquer directement avec eux), mais jamais par l’entremise des masques. Toutefois, les costumes-masques katukina sont conçus de manière à faire référence à ces esprits, telle une résonance. Par exemple, la « tête » plus grande du costume-masque du Pïda est une référence à l’esprit céleste du rituel (Pïda owei, « pïda » signifiant aussi « jaguar » : animal à grosse tête). Ainsi, les liens entre esprits et masques katukina se dédoublent et se complexifient. Les chanteurs masqués, s’ils constituent bien un groupe d’esprits, ne sont, dans tous les cas, pas les « esprits » des rituels.

[...]

Ainsi, dans le contexte katukina, au moins, est-il difficile de voir dans le costume-masque une simple « présentification » d’un esprit. On a plutôt affaire à des couches de significations variées. D’une certaine manière, on est proche de l’expression « référent multiple » employée par Carlos Fausto pour décrire les masques amazoniens, montrant justement qu’un masque n’entre pas en résonance avec une seule entité ou une seule relation :


Un masque n’est ni un animal ni une relation simple entre l’animalité et l’humanité, la physicalité et l’intériorité. D’où l’impossibilité de mettre en relation un à un l’objet et son référent. Un masque ne représente pas un animal X (ou son esprit), en tant qu’unité indivisible, mais renvoie toujours à une multiplicité de référents, souvent contradictoires [2011 : 245].

[...]

Si l’on revient au costume-masque katukina, il semble effectivement pertinent de voir dans ce masque non pas une référence unique mais un lieu de rencontre entre des subjectivités variées lui assurant sa capacité d’action. Pourtant, dans tous les cas, la référence multiple a ses limites, que l’on pourrait qualifier d’infranchissables : l’humain sous le masque ne peut entrer en résonance avec le masque. Nous avons vu que, pour Anne-Christine Taylor, l’humain sous le masque est un « accessoire mécanique » [2010] et que, pour Carlos Fausto, les rapports qui s’établissent en contexte rituel avec les masques n’incluent jamais leurs porteurs [2011 : 240]. Pour Tim Ingold, du simple fait que la figuration animique vise à révéler la « vraie face » de l’animal, toute subjectivité du porteur doit être annihilée :


In effect the identity of the human mask-bearer is not so much disguised as displaced by the mask he carries [2000 : 124].


Le porteur doit laisser la place libre pour que la subjectivité du masque, et, donc, son humanité, puisse apparaître et interagir au cours du rituel. Néanmoins, la complétude de cette disparition est, dans la pratique, partiellement feinte. Car, comme le dit Carlos Fausto, même si l’interaction avec les masques n’inclut jamais le porteur, il y a une certaine « incertitude cognitive dans l’interaction concrète avec les personnes masquées » dont on connaît l’identité [2011 : 240]. C’est un peu comme s’il s’agissait d’un bruit de fond, d’une onde parasite, qui viendrait uniquement du fait que, concrètement, il y a bien quelqu’un derrière le masque.

[...]

Masques et porteurs de masques fluides : Les hommes masqués qui entrent sur la place sont parfois appelés waik-wara. Mais, comme nous l’avons dit, ils ne sont pas les waikwara, c’est-à-dire les esprits célestes, les « vrais maîtres » du rituel. L’expression waikwara qui se réfère aux hommes masqués pourrait indiquer une sorte d’encorporation du rituel (au sens de « donner un corps au rituel »). Rituel qui ne « présentifie » pas directement un groupe d’esprits mais qui agit comme une délégation. Les hommes masqués sont comme les délégués des esprits, reproduisant ce que ces derniers leur ont enseigné. Les masques ne servent pas à donner un corps aux esprits mais à dupliquer les qualités de leurs porteurs, intermédiaires entre deux mondes. Ils servent à créer un moment où l’ensemble des relations qui composent le monde katukina est densément agroupé. Les esprits sont présents : invités, ils parcourent l’espace du rituel, prêts à agir en cas de manquement. Les hommes masqués sont un peu ces esprits et un peu eux-mêmes, ou ni l’un ni l’autre car, dans les moments du rituel, ils n’ont pas de qualités fixées. Ils sont en mouvement perpétuel : un flux. Si on voulait les qualifier, il faudrait sans doute chercher du côté des esprits auxiliaires chamaniques capturés par le chamane, qui serait ici l’esprit céleste du rituel (ce qu’ils sont effectivement dans leurs actions).

[...]

On peut aussi considérer les masques katukina comme une rencontre, un faisceau de relations faisant émerger tant les esprits impliqués que les hommes qui dansent et chantent. Le point central cesserait alors d’être les porteurs de masque et les esprits et deviendrait le masque lui-même, dans sa composition, ses mouvements et son action. Cela suppose de voir le rituel comme un moment spécifique, non pas parce qu’il met en relation des termes particuliers mais parce qu’il fait émerger divers acteurs et collectifs à partir d’une densification de relations. Le masque ne serait plus porteur de sens, d’agentivité, mais serait la matérialité même de ces relations. Le rituel ne serait plus un moment auquel on chercherait à donner du sens mais un moment qui aurait du sens du fait de son exécution. À cet égard, les difficultés que j’ai rencontrées pour obtenir, de la part des Katukina, des éclaircissements quant à leurs rituels me semblent particulièrement révélatrices : un rituel, on l’exécute ; on n’en parle pas.

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François Pannier propose un article sur des masques bien particuliers dans un article intitulé "Les masques-champignons du Népal (In : Lettre du Toit du Monde n°25, mars 2018) :


Paola von Wyss-Giacosa et Philippe Borgeaud, auteurs de "Théâtre rituel à Bali : rendre l'invisible visible." (In : Philippe Borgeaud, Jouer avec les dieux : la religion d'avant les religions. Musée international de la Réforme, 2024 : pp. 54-61) explicitent la dimension religieuse des masques utilisés de manière dramatique :


Tenus pour des représentions majeures des puissances 58 sacrées, les masques sont traités religieusement. Les prêtres les consacrent et les animent lors d'un rituel particulier. Pour les réparations, ils doivent être temporairement désacralisés. Les masques consacrés sont conservés dans des sanctuaires à l'intérieur des temples. On leur fait également des offrandes. Décorés et rituellement purifiés pour les occasions festives, ils sont présents lors des processions du temple, par exemple juste avant le Nouvel An ou pendant le sixième mois de l'année balinaise, considéré comme dangereux.

[...]

Le mot « transe » est dérivé du latin « trans-ire ». Il y a là une dimension du liminal qui peut être comprise, au sens large, comme un état de frontière surmonté, un domaine aboli, un moment de transition et de connexion rendu visible à tous les yeux. Il convient toujours de gérer cette expérience aussi au quotidien, en tenant compte de l'avant et de l'après des moments forts: d'où l'importance du rapport entretenu avec les personnes qui étaient en transe, du respect des masques, de l'attention aux lieux de seuil. Tout cela se manifeste à travers l'expérience collective du drame rituel, dans ce moment extraordinairement intense sur le plan sensoriel, où l'invisible, pensé et vécu comme toujours présent, se révèle de manière particulière, non pas sous une forme propre, quelle qu'elle soit, mais dans la somme totale de toutes et de tous, dans un ensemble rythmé, chorégraphié avec une virtuosité formelle, à la fois une et multiple. L'atmosphère dense et intense qui prévaut dans le jeu du Barong-Rangda a souvent été décrite comme l'indice de la puissance dangereuse qui, comme nous l'avons vu ici, est précisément attribuée aux masques. La tension, le sentiment de peur et l'implication des spectateurs dans le drame ne sont pas de nature intellectuelle, mais profondément émotionnelle. L'excitation et la concentration collectives sont perceptibles pour tous, même pour ceux qui regardent forcément de l'extérieur, ceux qui ont les yeux blancs. Dans leur complexité et leur globalité, la transe et le théâtre sont des instruments de la religion. C'est la mission explicite et évidente de l'art balinais, que de faire apparaître, pour un temps donné, les forces et les pouvoirs de l'invisible dans le monde du visible, grâce à des moyens et des formes d'expression tels que la peinture et la sculpture, la musique et la danse.

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Symbolisme celte :


Marcel Renard, auteur d'un article intitulé "Des sculptures celtiques aux sculptures médiévales « Têtes coupées ». (In : Latomus, 1948, vol. 7, no Fasc. 3/4, pp. 235-245) établit un lien entre masque et tête coupée :


[...] La valeur tutélaire du masque était au reste connue de toute la Celtique. C'est au moins autant avec la signification d'amulette qu'en fonction décorative que nous l'y rencontrons sur des objets de toutes sortes.

Et tout d'abord sur les pièces d'équipement et sur les armes. Dès l'époque de la Tène I, nous voyons le masque humain décorer les agrafes de ceinturon des régions rhénanes, isolé dans les exemplaires de Nierstein, de Langenlohnsheim et d'Hermeskeil ou associé à des lions ailés dans celui de Weisskirchen. Les trois masques qui ornent le fourreau d'épée de Marson (Marne), également de la Tène I, y jouent sans doute le même rôle prophylactique bien plutôt qu'ils y représentent d'authentiques « têtes coupées » comme le voulait Déchelette qui en voyait là la plus ancienne représentation.

Cette croyance au rôle protecteur du masque explique comment le pommeau sphéroïdal du poignard halstattien a pu facilement se transformer en pommeau androcéphale dans les poignards anthropoïdes de la Tène II et III, dont c'est en France qu'on a trouvé le plus grand nombre : à Chaumont (Marne), à Salon (Aube), à Tesson (Charente-Inférieure), à Corent (Puy-de-Dôme), à Mouriès (Bouches-du-Rhône). [...] Citons enfin les torses de guerriers d'Entremont (Tène II) au pectoral protégé par un masque apotropaïque.

[...] A retenir aussi des pendeloques en forme de masque barbu, à gros yeux et à cheveux bouclés dont un exemplaire provient de Vitry-lès-Reims (Marne) et dont la valeur non seulement talismanique mais en même temps funéraire est assurée par les deux exemplaires analogues découverts dans la nécropole de Saint-Sulpice (Suisse) où ils étaient attachés à une chaînette passée au cou d'un petit squelette.

[...]

Mais s'il apparaît ainsi que l'usage prophylactique du masque en forme de « tête coupée » est loin d'être dans le monde celtique une innovation des Gaulois méridionaux, il importe de relever que ce sont eux qui, les premiers de leur race, ont transposé le thème dans la sculpture proprement dite, relief et ronde bosse. Et ceci n'a pas été sans importance puisque c'est à partir du Midi qu'à l'époque gallo-romaine nous verrons se perpétuer dans la sculpture les représentations de « têtes coupées ».

Venceslas Kruta, auteur d'un article intitulé "L'Art des Celtes" (In : Valcamonica Symposium, 2007, pp. 259-266 ; Éditions Phaidon, 2015) évoque le motif des « têtes jumelées » :


[...] Ramené à ses composantes fondamentales, le fonds thématique de l’art celtique se révèle beaucoup moins varié qu’il peut apparaître à première vue. C’est plus un art de la maîtrise dans l’assemblage de ces éléments que de la création d’images exprimant de nouveaux concepts. Souvent magistrales, ces variations relèvent de quelques thèmes essentiels : la divinité solaire souveraine dont dépendent les différentes formes de vie –humaine, animale et végétale- et son indissociable complément qui règne sur le monde ténébreux, souterrain et océanique, où séjournent les morts et d’où revient la vie, dans un cycle universel illustré par l’alternance du jour et de la nuit, la périodicité mensuelle de la lune et le parcours annuel de l’astre diurne qui commande le sommeil et le réveil de la nature…

Ce principe d’alternance, source de l’espoir d’une nouvelle vie, est exprimé par des images souvent ambiguës, où l’image du dieu associe symboles et éléments qui relèvent des différentes formes de vie. Leur mode d’assemblage est au début la simple juxtaposition. Ainsi dans le cas d’une fibule figurée d’Europe centrale (fig.1)10, datable de la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C., le pied est constitué par une tête de griffon aux petites oreilles, aux yeux protubérants et au long bec recourbé dont l’extrémité rejoint l’arc. Ce monstre emprunté au répertoire méditerranéen est généralement représenté en paire, en disposition héraldique de part et d’autre de l’évocation de l’Arbre de Vie ou de la divinité qui lui est associée. Cette dernière apparaît ici sur l’arc où figurent deux masques humains divergents, soudés par leurs coiffures. Identiques à première vue, ces masques sont différenciés : celui qui est tourné vers le griffon présente de petites oreilles d’animal, l’autre des éléments foliacés qui prolongent l’œil et se terminent par une volute. Il s’agit du thème des « têtes jumelées », image des souverains indissociables des mondes des ténèbres et de la lumière. Malgré sa taille réduite et les contraintes imposées par la nature fonctionnelle du support, cette œuvre contient donc un message riche de signification

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