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Le Lagopède

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    Anne
  • il y a 2 heures
  • 7 min de lecture



Étymologie :


Étymol. et Hist. a) 1759 lagopode (Dict. raisonné et universel des animaux, II, 583 a d'apr. Arveiller ds R. Ling. rom. t. 45, p. 252) ; b) 1771 lagopède (Buffon, Hist. nat. des oiseaux, t. 2, p. 264). Empr. au lat.lagopus, lagopodis « sorte de duc » (transcr. du gr. λ α γ ω ́ π ο υ ς proprement, « patte-de-lièvre » de λ α γ ω ́ ς « lièvre » et π ο υ ́ ς « pied, patte », v. J. André, Noms d'oiseaux, pp. 97-98) ; pour b finale d'apr. l'élém. -pède*.


Lire également la définition du nom lagopède afin d'amorcer la réflexion symbolique.

Michel Desfayes, dans "Un recueil de noms alpins d'oiseaux." (In : Bulletin de la Murithienne, 1969, no 83, pp. 68-78) recense différents noms du Lagopède alpin :


Lagopède alpin : Lagopus mutus : arbeine Nendaz ; arbegne Hérens, Anniviers ; erbegne Fey, Fully ; arbenne Conthey, Val d'Illiez ; srbaye Fully ; pidri blanc Nendaz. La racine arb signifie « blanc». De la même racine viennent le latin albus, le suisse alémanique elp (cygne), les Alpes et même le mot Helvète (à ce sujet voir Celtic origins and the Arthurian cycle par Charles Muses, Celticum XII, supplément à Ogam, Tradition celtique No 98, p. 362, 1965).

Gaston Tuaillon, auteur de Survivances du patois savoyard. (In : Cahiers de civilisation alpine, 1983, vol. 1, pp. 11-25) nous apprend un autre nom du Lagopède alpin :


Les plus nécessaires de ces mots régionaux sont ceux qui désignent des plantes ou des animaux de montagne. On peut, parler du lagopède des Alpes en l’appelant, comme les zoologues, le lagopède : ça fait pédant et on risque de ne pas être compris. On peut utiliser la périphrase française qui a été forgée pour les livres de discription des Alpes : la perdrix des neiges, bien que cet oiseau ne soit pas une perdrix. Beaucoup de Savoyards emploient encore le mot patois auquel ils ont donné une forme française : une arbine, mot qui vient très régulièrement de l’adjectif féminin ALBINA « la blanche », qui, en latin tardif, a été dérivé à partir de ALBA. De même, le lièvre variable, le Lepus timidum des zoologues, est appelé un blanchon ou un blanchot. Pourquoi le français n’adopterait-il pas ces mots bien faits, plus clairs que les périphrases actuellement en usage dans les livres sur la montagne ? Littré disait des mots provinciaux qu’ils étaient de bon aloi et qu’il fallait les admettre. Que de mots provinciaux utiles ont été laissés à la porte des dictionnaires français, si hospitaliers par ailleurs à des américanismes que tant de Français s’acharment à prononcer, en se tordant la gueule ! Blanchon et arbine n’auraient pas demandé autant de contorsions. Que les montagnards continuent longtemps à employer ces mots simples et clairs, même si les dictionnaires français n’accordent pas leur visa d’entrée à des mots qui déplaisent encore pour la seule raison peut-être qu’ils ont été d’abord patois.


Autres noms : Lagopus muta - Arbine - Lagopède des rochers - Perdrix des neiges - Ptarmigan -

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Zoologie :


François-Bernard Mâche, auteur d'un article intitulé "Mais où est donc le chef d’orchestre". (In : Le Grand Orchestre des Animaux, The great animal orchestra, catalogue of the exposition. Paris : Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2016. pp. 143-150) nous rappelle les piètres qualités de chanteur du Lagopède :


Que certains oiseaux imitent le chant d’autres espèces, parfois à la perfection, est connu depuis des millénaires, mais reste surprenant. Chez les oiseaux, le chant a deux fonctions principales : affirmer la possession d’un territoire en le claironnant sur toutes ses frontières, et séduire une femelle pour avoir une progéniture. Mais de nombreuses espèces d’oiseaux, comme le lagopède alpin, ne chantent pas. D’autres n’ont qu’un chant rudimentaire et stéréotypé. Et pourtant, avec un simple cocorico, elles se reproduisent aussi bien que celles qui manifestent une invention individuelle, laquelle est parfois comparable à celle de nos compositeurs.




Croyances populaires :


Philippe Glardon, auteur de La connaissance des gallinacés sauvages du XIIe au XVIe siècle. (In : L'homme et la nature au Moyen Âge. Paléoenvironnement des sociétés occidentales. Actes du Ve Congrès international d'Archéologie Médiévale (Grenoble, 6-9 octobre 1993) Caen : Société d'Archéologie Médiévale, 1996. pp. 157-165. (Actes des congrès de la Société d'archéologie médiévale, 5) étudie l'image du Lagopède alpin :


Le lagopède alpin : On connaît cet oiseau depuis l'Antiquité. C'est incontestablement le lagopus de Pline, qui en fait deux espèces, la blanche, en plumage d'hiver et une seconde, jaune, en plumage d'été (HN X, 133-134). Le lagopus disparaît ensuite des sources jusqu'au Xllle siècle, au moment où Thomas de Cantimpré, entendant parler d'un oiseau aux pieds de lièvre, pense à celui de Pline (213-214). Il paraphrase alors L'Historia naturalis comme le fera Albert le Grand (302), et tous deux y ajoutent un élément tiré d'observations récentes : le lagepus (sic) vit caché dans un trou, et n'en sort que pour chercher sa pitance. On devine ici les habitudes de l'oiseau, mal interprétées : se laisser recouvrir par la neige pour se protéger du froid, ou nicher blotti entre des rochers (Bille, 156-157). La seconde version de Thomas est plus significative. La particularité des pattes emplumées lui fait rapprocher le lagopus d'un grand rapace nocturne dans une description pittoresque bien plus spectaculaire : le voilà de la grandeur de l'aigle, prédateur diabolique au sens littéral, affublé d'une tête immense et de cornes qui terrifient ceux qui le voient (214). Voilà qui illustre bien la fragilité de la notion d'espèce et de la transmission des informations au Moyen Age. A partir d'un trait morphologique et de mœurs mal connues, on dérive vers une espèce totalement différente, le Hibou grand-duc, comme le reconnaît Thomas lui-même, qui souligne que son lagepus est "de génère bubonis" (loc. cit.). Mais peu importe la vraisemblance, seule compte l'interpretatio. L'imaginaire s'empare du fait biologique, le déforme, l'amplifie, lui donne sa signification morale, la seule légitime.

On retrouve un lagopus plus proche de l'espèce réelle chez Sebastian Munster, qui décrit quelques animaux des Alpes dans sa Cosmographia universalis (350), dont s'inspireront Stumpf, Gessner puis Aldrovandi. Le fond est le même que chez Pline, et Munster y ajoute une description de la capture de l'oiseau par les montagnards : on construit un long muret le long duquel on tend un filet (des collets chez Stumpf, f. 292 r°-v°). Comme l'oiseau ne vole pas volontiers, il va suivre l'obstacle jusqu'à ce qu'il se prenne dans le piège. Notons que la pratique était encore répandue en Savoie au XIXe siècle (Bailly, 91).

Dans les chapitres consacrés aux oiseaux de montagne, des expressions reviennent sans cesse : on "récite que", "les montagnards disent que", "on rapporte que". Ce sont autant d'allusions à une tradition orale vernaculaire qui dépasse l'intérêt purement utilitaire et cynégétique. Il est vrai que, par rapport à ce qu'on possède sur le Grand tétras on n'a trouvé que peu de chose sur les croyances populaires liées au lagopède : dans le Tyrol, on se protège contre l'intrusion des souris dans les greniers d'alpage en y plaçant ses œufs (Handwôrterbuch, t. VI, art. Maus, col. 50). Mais cela tient à la difficulté plus grande d'observer les mœurs du lagopède, par ailleurs moins spectaculaire. Tout est ainsi loin d'être clair au XVIe siècle : Munster prétend que l'oiseau est blanc en été et gris en hiver, Gessner à qui des chasseurs ont décrit la mue de l'oiseau, distingue pourtant deux espèces, un lagopus blanc (Schneehùn) et un lagopus varia taché de brun (Steinhùn) qu'il ne se résout pas à réunir (554-556), pas plus que Belon (240-242 et 259-260).

Ces descriptions de mode de chasse sont cependant déjà précieuses en elles-mêmes, et il était temps qu'on les mît par écrit : elles font remonter à des traditions qu'il n'est peut-être pas exagéré de qualifier de millénaires, et qui vont peu à peu disparaître, supplantées par la chasse à l'arme à feu, triste et uniforme, mais tellement plus rentable.

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Symbolisme :


Frédéric Laugrand rend hommage à "Michèle Therrien (1945-2017). L’ethnographe des mots à l’écoute de la langue et de la culture inuit." (In : Journal de la Société des américanistes, 2019, vol. 105, no 105-1, pp. 163-174) :


Attachée à replacer humains et animaux sur le même pied, Michèle Therrien fait remarquer que le terme de nillipuq (« émettre un son »), s’applique autant à l’humain qu’à l’animal, une série d’analogies venant confirmer cette parenté. Ainsi niksaapuq signifie à la fois le cri du lagopède et le rot de l’homme, qavaqtut, les bruits du lagopède et ceux des femmes qui jacassent ; [...]  Ces observations la conduisent à poser une question majeure pour l’anthropologie, « Mais qui imite qui ? » Sa réponse souligne que les humains empruntent visiblement beaucoup aux animaux qu’ils imitent. En témoignent, par exemple, ces katajjait, ces chants haletés des femmes qui reproduisent le son des oies au moment de la pariade (1987b, p. 108-109). Mais ce n’est pas tout, l’ethnolinguiste mettra en lumière toutes ces paroles amicales, ces demandes de clémence, ces paroles de séduction, ces mots affectueux que les chasseurs prononcent à l’endroit de leurs proies, y compris ces paroles sacrées et ces précautions langagières que les humains utilisent pour interagir avec les animaux. Bien qu’ils les chassent pour vivre, les Inuit leur reconnaissent en effet de multiples compétences dont ils ont tout à apprendre : capacité du plongeon à indiquer là où se trouvent des caribous mais aussi à prévenir de l’imminence d’une tempête, etc. Michèle Therrien conclut au « caractère indissociable de ces êtres vivants, différents et pourtant si proches l’un de l’autre » en raison des aptitudes psychiques qu’ils partagent, les animaux pouvant comme les humains penser, imaginer, choisir et parler.



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Mythologie :


Selon Emmanuel Désiveaux, auteur de "L’héritage d’Alfred Kiyana et l’énigme des paquets cérémoniels meskwaki. (in : Journal de la Société des américanistes, 2010, vol. 96, no 96-1, pp. 107-133) :


Chez les Ojibwa septentrionaux de Big Trout Lake, dont le territoire se situe à l’extrême nord par rapport aux Algonquin centraux, nous avions recueilli naguère une courte série de mythes qui nous semblaient ne pas avoir d’équivalents dans la littérature et pouvaient à ce titre passer pour un hapax ethnographique. Ces récits relatent le destin de héros dont l’existence matérielle (soit la nourriture, la parure et l’habitat) dépend d’une seule espèce animale. Ils ne chassent qu’elle. L’homme-aux-hiboux figure parmi ces étranges personnages que sont l’homme-aux-lagopèdes, l’homme-aux-porcs-épics et l’homme-aux-loutres. À chacun s’impose une limite dans la prédation. Il ne doit tuer qu’un nombre prescrit d’individus de l’espèce avec laquelle il a partie liée, en tant que corps comme substance vivante. Dans le cas du hibou, la prescription porte sur quatre individus, dans le cas du lagopède de dix individus et, dans les deux autres cas, d’un seul.


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