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Le Chervis




Autres noms : Sium sisarum ; Berle des bergers ; Berle des potagers ; Cherui ; Chiroui ; Chirouis ; Eschervys ; Girole ; Racine à sucre ;



Botanique :


Selon Alphonse de Candolle, auteur de l' Origine des plantes cultivées. (G. Baillière et cie, 1883) :


Chervis - Sium Sisarum, Linné.

Cette Ombellifère vivace, pourvue de plusieurs racines divergentes en forme de carotte, est considérée comme venant de l'Asie orientale. Linné indiquait avec doute la Chine, et Loureiro, la Chine et la Cochinchine, où, disait-il, on la cultive. D'autres ont mentionné le Japon et la Corée, mais il y a dans ces pays des espèces qu'il est aisé de confondre avec celle-ci, en particulier le Sium Ninsi et le Panax Ginseng. M. Maximowicz, qui a vu ces plantes au Japon et en Chine, et pour lequel les herbiers de Saint-Pétersbourg ont été très instructifs, ne reconnait comme patrie du Sium Sisarum spontané que la Sibérie altaïque et la Perse septentrionale. Je doute beaucoup qu’on la découvre en Chine ou dans l'Himalaya, attendu que les ouvrages modernes sur la région du fleuve Amour et sur l'Inde anglaise ne la mentionnent pas.

Il est douteux que les anciens Grecs et Romains aient connu cette plante. On lui attribue le nom Sisaron de Dioscoride, Siser de Columelle et de Pline. Certainement le nom italien actuel Sisaro, Sisero est à l'appui de cette idée ; mais comment les auteurs n'auraient-ils pas noté que plusieurs racines descendent du bas de la tige, tandis que dans toutes les autres Ombellifères cultivées en Europe il n'y a qu'une racine pivotante ? A la rigueur, le Siser de Columelle, plante cultivée, était peut-être le Chervis ; mais ce que dit Pline du Siser ne lui convient pas. Selon lui, « c'était une plante officinale » (inter medica dicendum). Il raconte que Tibère en faisait venir d'Allemagne, chaque année, une grande quantité, ce qui prouve, ajoute-t-il, qu'elle aime les pays froids.

Si les Grecs avaient reçu la plante directement de la Perse, il est probable que Théophraste l'aurait connue. Elle est peut être venue de Sibérie en Russie et de là en Allemagne. Dans ce cas, l'anecdote sur Tibère s'appliquerait bien au Chervis. Je ne vois pas, il est vrai, de nom russe ; mais les Allemands ont des noms originaux Krizel, ou Grizel, Görlein ou Gierlein qui indiquent une ancienne culture, plus que le nom ordinaire Zuckerwurzel, qui signifie racine sucrée. Le nom danois a le même sens : Sokerot, d'où les Anglais ont fait Skirret. Le nom Sisaron n'est pas connu dans la Grèce moderne ; il ne l'était même pas au moyen âge, et la plante n'est pas cultivée actuellement dans ce pays. Ce sont des motifs pour douter du vrai sens des mots Sisaron et Siser. Quelques botanistes du XVIe siècle ont pensé que Sisaron était peut-être le Panais, et Sprengel appuie cette idée.

Les noms français Chervis et Girole apprendraient peut-être quelque chose si l'on en connaissait l'origine. Littré fait dériver Chervis de l'espagnol Chirivia, mais il est plus probable que celui-ci dérive du français .Jean Bauhin indique, dans la basse latinité, Servillum, Chervillum ou Servillam, mots qui ne sont pas dans le Dictionnaire de Ducange. Ce serait bien l'origine de Chervis, mais d'où venait Servillum soit Chervillum ?

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P. Hariot dans Le Naturaliste : journal des échanges et des nouvelles, (1892, vol. 14, p. 180.) propose un article assez complet sur le Chervis :


[...] Quelle en est l'origine ? C'est ici que la question s'embrouille. Les uns y voient une plante asiatique introduite seulement depuis moins de quatre cents ans ; d'autres en font remonter la connaissance à l'époque gauloise. Poiret affirme que Tibère, ayant eu occasion de déguster les racines du Chervis, pendant son séjour en Allemagne, les trouva tellement de son goût qu'il en exigea une certaine quantité comme tribut annuel. Voici d'ailleurs ce que dit Pline, par la plume de son traducteur Littré : « Le Siser (Chervis, Sium Sisarum L. ), a été mis en réputation par l'empereur Tibère qui, tous les ans, en faisait venir de Germanie. C'est à Gelduba, nom d'une forteresse placée sur le Rhin, que se trouve le meilleur, ce qui montre que cette plante se plaît dans les contrées froides. Le Siser a dans sa longueur une nervure qui s'enlève après la cuisson ; néanmoins il y reste une grande partie de l'amertume : ce goût amer, à l'aide d'un mélange de vin miellé, devient même agréable dans les mets. La même nervure existe dans le grand panais, mais seulement dans celui d'un an. On sème le Siser en février, mars, avril, août, septembre, octobre. »

On a prétendu que le Siser des anciens n'était que le Panais. Il me semble pourtant que la description de Pline est suffisamment exacte. Ce caractère tiré « de la nervure qui s'enlève après la cuisson » parait être pour tant très net. C'est là en effet le principal désagrément que présente le Chervis, qui existe encore de nos jours comme il existait à l'époque où Pline rédigeait sa vaste compilation. A moins de consommer de très jeunes racines, on trouve dans le Chervis une partie centrale ligneuse et dure que la culture arriverait peut-être, par suite de semis intelligents et successifs, à faire disparaître.

Pendant longtemps nous n'avons connu le Chervis que de réputation. La difficulté de se le procurer ne nous avait pas permis de l'expérimenter. Il y a quelques années seulement, nous avons eu l'occasion de le rencontrer cultivé en grande quantité dans un jardin d'Étampes et, depuis cette époque nous l'avons dégusté à plusieurs reprises et toujours avec plaisir. Nous ne connaissons guère en France actuellement d'autres localités, où la plante soit cultivée sur une certaine étendue, qu'à la Grande-Chartreuse, dans le jardin des Révérends Pères qui en servent sur la table des visiteurs.

Le Chervis se reconnaitra aux caractères suivants : c'est une plante vivace à longues racines cylindriques ou fusiformes réunies en un paquet abondamment fourni, blanches intérieurement et d'une odeur aromatique agréable qui rappelle un peu celle du Panais. "Les tiges sont hautes de 40 à 50 centimètres ; les feuilles sont pennatiséquées, quelquefois légèrement découpées au sommet ; les fleurs sont petites, blanches avec un involucre à 5 folioles réfléchies et paraissent en juillet. [...]

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Claude-Charles Mathon auteur d'un article intitulé "Potagères autrefois répandues et aujourd'hui disparues, suggestions pour une typologie" (in A.I.C.P.C . / A.C.F.E.V. / B.R.G. —La diversité des plantes légumières. 1986) nous offre l'historique des mentions du Chervis qui rendent son identification particulièrement complexe :


CHERVIS, Eschervys, Cherui, Chiroui, Berle, Girole, Sium sisarum L., Ombellifère vivace tubérifère.

La plante cultivée est d'origine inconnue, réputée méditerranéenne ou polytopique sud-est-européenne est-asiatique (Japon, Corée, Chine).

La forme sauvage : Sium lancifolium (Bieb.) Thell.non Schr. = S. sisaroïdeum DC. existe en Europe (de la Hongrie et la Bulgarie au centre et au sud-est de la Russie).

Mention de la culture du Chervis est donnée à la fin du XIe siècle par Ibn Bassal de Tolède dans s "Livre de l'Agriculture".

Attesté dans le Ménagier de Paris (ca. 1393), Rabelais le cite (escherviz), entre autres, en fin d'offrande dans le chap. 60 : "Comment ès jours maigres entrelardez, à leur Dieu sacrifient les Gastrolätres" de son Quart Livre (1552).

On le retrouve dans trois recettes du "Cuisinier françois" de la Varenne (1651).

Le "Calendrier des jardiniers qui enseigne ce qu'il faut faire dans le Potager" de Bradley (traduit de l'anglais, 1737/1750) cite abondamment le Chervis.

De Combles dans son "Ecole du jardin potager" en parle également (1749).

La "Cuisinière bourgeoise" de Menon (1774) en donne une recette.

Il disparaît peu à peu du potager français à partir de la fin du 18ème siècle, malgré ce qu'en dit P.J. Chomel (1782) : "Tout le monde sait que de toutes les racines qui se mangent au printemps, celle Chervis est une des meilleures et des plus agréables au goût".

Parmentier (1781) déclare : "Entre nos plantes potagères, il n'en est point qui n'ait autant de réputation que le Chervis. Sa racine accommodée au lait et au bouillon paraissait sur les meilleures tables, mais elle n'est plus autant d'usage qu'autrefois".

Et la "Flore économique des plantes qui croissent aux environs de Paris, an VII - 1798/1799" semble l'achever : "Cette racine est venteuse ..."

Plus tard, Decaisne et Naudin (1862) disent "Les goûts sont', très partagés sur la valeur de ce légume qui n'est guère cultivé à Paris et plus au nord que dans quelques jardins particuliers. Beaucoup de personnes le repoussent à cause de sa saveur qu'elles trouvent trop, sucrée ; d'autres en font le plus grand cas et le maintiennent pour un excellent légume d'hiver", et P. Fournier : "On le cultivait encore fréquemment dans le Centre et en Auvergne vers 1870".

En 1891, Vilmorin-Andrieux en traite encore.

L'identification du Chervis dans les textes anciens fait problème. Il se peut que le silumdu du Capitulaire de villis (interprété généralement comme étant le Sermontain : Laserpitium siler L. = Silermontanum Crantz., Ombellifère vivace montagnarde sud-européenne à odeur d'anis mêlée de coriandre - les fruits surtout - dont les racines, bien qu'amères, sont consommées) soit le Sium sisarum L. ? Il en serait de même du gerla d'Hildegard ?

Je trouve in Oscar Bloch et W.v. Wartburg (Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, 1932) ; "Carvi, emprunté au latin médiéval carvi, emprunté lui-même de l'arabe karâwiya (qui vient du grec karon, d'où d'autre part, le latin carum). Une première fois introduit en français sous la forme chervi(s), 1539, antérieurement eschervys, 1409 (non ! 1393 - Mathon) par l'intermédiaire de l'espagnol chirivia".

Et chez S. J. Honnorat (Dictionnaire provençal-français, Digne, 1846-1847) on a : Chervis, Cherui, Chervi, Escarabida, Escarabili, Charavi, Estaravi, Carvi pour Carum carvi L. ! Mais Cherbi ou Escarabila du même Auteur est le "nom toulousain de la Berle chervi, Sium sisarum" !

Dans le Ménagier de Paris, pour "escheroys", Jeanne Bhurin, 1983, croit devoir traduire par salsifis, négligeant le fait que ceux-ci ne donnent qu'un pivot, 'alors que le texte médiéval précise plusieurs racines. Une erreur (?) de lecture ou/et d'écriture du copiste, a donné "escherQys" pour "eschervys" où "eschervis" = chervis.

Je note, dans l'édition Demerson, au Seuil (1973), des Œuvres complètes de Rabelais, en note infrapaginale due au Commentateur (p. 745, 4, 60) une identification de 1"'escherviz" : "Panais, sorte d'anis" !!!

De plus, la Carotte et le Panais ont pu porter le nom de Chervis !

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Usages traditionnels :


Dans le Dictionnaire universel des plantes, arbres et arbustes de la France, Volume 1 (Éditions Lacombe, Paris, 1770) de Pierre Joseph Buchoz on peut lire les informations suivantes :


Ces racines passent pour être apéritives, nourrissantes ; elles excitent l'appétit & provoquent l'urine ; on les conseille comme spécifiques pour modérer une trop grande salivation causée par le mercure. Boerrhave recommande la racine de Chervis dans les crachemens & pissemens de sang, & pour la plupart des maladies de poitrine ; il la prescrit dans le lait, le petit lait & les bouillons ; il la conseille encore dans la strangurie , le tenesme, la dysenterie & les flux de ventre ; si on en croit Cæsalpin, cette même racine pousse les urines : on lui attribue aussi une vertu vulnéraire : malgré le sentiment de cet auteur respectable, nous pensons qu'elle est meilleure en aliment qu'en médicament.

De toutes les racines qu'on mange au printemps, celle de Chervis est la plus agréable au goût, Cordus dit qu'elle est très utile pour la santé ; Dodonée assure qu'elle ne fournit pas beaucoup d'aliment, quoique cependant elle se digère très aisément. Cette racine est venteuse ainsi que tous les légumes. Pour être bonne, il faut la choisir tendre, facile à rompre, & d'un goût sucré. Plusieurs personnes rejettent cette plante à cause de la faveur douceâtre, tandis que d'autres l'aiment avec passion : suivant Pline le naturaliste, l'empereur Tibère exigeoit des racines de Chirouis des Allemands, en forme de tribut annuel.

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Le Naturaliste : journal des échanges et des nouvelles, (1892, vol. 14, p. 180.) propose un article sur le Chervis, écrit par P. Hariot :


Le Chervis peut s'accommoder de bien des manières. En 1656, d'après MM. Pailleux et Bois, le jus d'orange était sa vraie sauce ; on le mangeait aussi en salade ou en beignets. Ces deux dernières recettes nous semblent peu pratiques en raison du cylindre ligneux qui occupe le centre des racines. La meilleure façon de l'accommoder, d'après nous, consiste à le faire frire. Peut-être, faut-il ajouter, qu'en 1656, époque où on le cultivait couramment, connaissait-on des variétés tendres, non ligneuses, variétés qui se seraient perdues depuis et qu'il faudrait retrouver ou créer de nouveau de toutes pièces.

Si l'on nous demandait quel est le goût du Chervis, nous serions fort embarrassés pour répondre. On y trouve un mélange de panais et de cerfeuil bulbeux, assez intimement combinés pour produire quelque chose de spécial et de caractéristique. Nous préférons la racine du Chervis à celle du Cerfeuil bulbeux, légume excellent d'ailleurs, mais tellement gorgé de fécule qu'il en est incommodant. Quoi qu'il en soit, nous recommandons vivement la culture du Chervis au point de vue de l'alimentation. P. HARIOT.

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Symbolisme :


Selon Philippe-François-Nazaire Fabre, dit Fabre d’Églantine, auteur du rapport , Rapport fait à la Convention nationale dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française :


Dans le calendrier républicain, le Chervis est le nom attribué au 16e jour du mois de brumaire.

 




Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


SIUM NINSI. — Nom scientifique d’une plante qui pousse sur les côtes méridionales de l’Adriatique ; on la vendait autrefois dans la Terre d’Otrante à un prix élevé : sa racine était censée prolonger la vie.


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