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La Tarentule




Étymologie :


  • TARENTULE, subst. fém.

Étymol. et Hist. Ca 1298 zool. tarantule, tarantole sens incertain « araignée venimeuse » ou « lézard » (Marco Polo, éd. L. F. Benedetto, p. 190, 36, 38) ; 1552 tarantole id. (Rabelais, Quart Livre, éd. R. Marichal, chap. 64, p. 260, 121 [dans une énumération]) ; 1568 tarantule « grosse araignée venimeuse » (J. Grévin, Deux livres des venins, p. 125). Empr. à l'ital. tarantola « lézard » (dep. xive s., trad. ital. de Marco Polo d'apr. DEI) et « grosse araignée venimeuse » (dep. 1544, Mattioli, ibid.), dér. de taranta « id. ». Cf. tarente.


Lire également la définition du nom tarentule afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Expressions populaires :


Claude Duneton, dans son best-seller La Puce à l'oreille (Éditions Balland, 2001) nous éclaire sur le sens d'expressions populaires bien connues :


Être piqué de la tarentule : Cette expression un peu désuète en notre début de millénaire se dit en dérision de quelqu'un qui est dans un état d'agitation violente, mais pas dangereuse pour le voisinage : un doux dingue.


Il s'agit là d'un dérangement d'esprit historique ; la tarentule est une grosse araignée venimeuse et méditerranéenne, lycosa tarentula, qui doit son nom à la ville de Tarente en Italie, dont elle a longtemps agacé les habitants… Il a même existé le mot « tarentisme », désignant une « affection nerveuse causée par la morsure de la tarentule », lequel a eu son heure de célébrité au XIXe siècle, ainsi qu'un adjectif, « tarentule » : piqué par une tarentule.

« C'est au XIVe siècle que la tarentisme paraît s'être communiqué en Italie », explique le lexicographe La Châtre en 1854, un moment où il était beaucoup question de la bestiole. « A la fin du XVe, il s'est répandu au-delà des limites de la Pouille. Il inspirait alors une frayeur excessive, car l'opinion générale voulait que les personnes attaquées de la tarentule fussent vouées à la mort Le nombre des tarentati devint tel qu'à certaines époques il y eut des concerts destinées à leur soulagement, concerts qui devinrent l'origine de véritables fêtes. » En effet, malgré son caractère funeste, c'était une maladie somme toute assez gaie : « Quelques malades étaient pris d'accès de joie ; ils restaient longtemps éveillés riaient, chantaient, dansaient, et présentaient une exaltation remarquable de sensibilité ; d'autres, au contraire, tombaient dans un état de torpeur. C'est au XVIIe siècle, poursuit le chroniqueur, que le tarentisme atteignit son plus haut degré. La maladie gagna des étrangers et prit un caractère contagieux effrayant. Telle était l'influence de l'imagination dans cette maladie, qu'on vit elle femme renouveler ses dames durant trente ans, sous l'empire de la croyance que le venin n'était pas extirpé. »

Aux grands maux, les grands remèdes ; Pierre Larousse l'explique en 1875 : « Le remède n'est pas moins singulier que le mal ; il consiste à faire danser à outrance celui qu'a mordu la tarentule. Pour cela on lui fait entendre les symphonies qui lui plaisent le plus ; on essaye divers instruments, on lui joue des airs de différentes modulations, jusqu'à ce qu'on en trouve un qui le flatte ; alors, dit-on, il saute brusquement de son lit et se met à danser au son de la musique médicinale jusqu'à ce qu'il soit en nage et hors d'haleine ; ce qui le guérit. Ces contes, poursuit Larousse, prudent, ont toujours trouvé, et trouvent encore beaucoup de croyants bénévoles. Quelques médecins crédules ont même noté les airs qu'ils croient convenir le mieux aux tarentules. On voit encore, dans la Pouille, des vagabonds qui se disent piqués par une tarentule, dansent au son de la musique, en apparence pour se guérir, mais en réalité pou soutirer quelque argent aux badauds. » (Grand Dictionnaire Universel).

Cela dit, on se demande, toute honte bue, ce qui pouvait tant faire danser ces Italiens de jadis ? Quelle origine toxicologique à une pareille hystérie musicale et collective ? Des nourritures, terrestres mais suspectes, dans cette région pauvre de la botte ? Faut(il imaginer des champignons particuliers, à défaut de la tarentule qui, quoique impressionnante bête, était en dernière analyse accusée à tort ?

Quoi qu'il en soit, on comprend ce que Voltaire voulait dire quand il écrivait : « tous les premiers historiens des croisades semblent mordus des mêmes tarentules que les croisés. » L'image une fois lancée, fit fureur, ce qui est bien naturel. En 1839 on vit représenter à l'Opéra de Paris un ballet-pantomime intitulé La Tarentule, dans lequel la piqûre de l'araignée fabuleuse servait d'intrigue à un mélodrame.

Littré atteste le premier l'expression figurée en 1872 :

« Piqué de la tarentule, animé par quelques vive passion. »

Il n'est pas invraisemblable que la locution qui devrait plutôt avoir été formée sur « mordu » par la tarentule, se soit trouvée influencée dans sa syntaxe par le déjà populaire et antérieur « pas piqué des vers ». Ce serait dans l'ordre des choses...

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Croyances populaires :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


TARENTULE. Araignée qui était jadis l'objet d'une grande célébrité, alors qu'on prétendait que sa piqûre causait une fièvre dont le délire se manifestait par une danse particulière, et qu'on ne pouvait guérir qu'au moyen de la musique. Aujourd'hui, on croit avoir reconnu que cette piqûre n'est dangereuse que pour les insectes auxquels elle fait la guerre, et l'on range généralement parmi les fables son influence chorégraphique ; cependant, on cite encore quelques médecins qui affirment l'exactitude de ce qu'ont dit nos pères à ce sujet. Quoi qu'il en soit, au temps où tout le monde était convaincu du danger qu'il y avait à être piqué par la terrible araignée, on appelait tarentisme la maladie que l'on supposait causée par cette piqûre ; on donnait le nom de tarentolati à ceux qui en étaient atteints, et les airs qu'il était d'usage de jouer pour rendre soi-disant le malade à la santé, furent notés par Samuel Hafeureffer, dans un traité qu'il publia sur les maladies de la peau.

Nous venons de dire que plusieurs médecins ne doutent pas des effets pernicieux produits dans l'organisme humain par la piqûre de la tarentule. Le fameux Baglivi a rapporté un certain nombre d'exemples de ses effets. Un autre du nom de Saint-André, a fait connaître aussi l'observation suivante qui établirait que le venin de la tarentule, une fois infusé dans la masse du sang, y demeure presque toujours :

« l y avait au régiment de la Marne, infanterie, un soldat napolitain qui avait été mordu de la tarentule ; quoiqu'il eût été alors guéri, ses accès le reprenaient tous les ans, à une époque fixe. On voyait ce soldat tomber dans une mélancolie profonde ; son teint devenait plombé, sa vue égarée, sa respiration difficile, entrecoupée de hoquets et de soupirs ; on le voyait tomber à terre sans mouvement, sans aucun sentiment, sans connaissance et presque sans pouls et sans respiration, rendant le sang par le nez et par la bouche ; et on l'aurait vu mourir peu après, s'il n'eût été secouru sur-le-champ. Pour le tirer de cet état, on était obligé de faire venir promptement des violons qui approchaient leurs instruments de ses oreilles et les touchaient à grands coups d'archets. Les esprits agités par le son de ces instruments commençaient à le ranimer aux mains qu'il remuait d'abord, pour marquer la cadence , puis aux pieds qui faisaient le même mouvement ; il se levait ensuite, prenait un de ses camarades par la main, et dansait avec une agilité et une justesse égale à celle des meilleurs danseurs. Cette danse durait deux fois vingt-quatre heures, presque sans interruption. Lorsqu'il était fatigué, on lui faisait prendre un peu de vin, et quelquefois un œuf frais en lait . Quand on s'apercevait qu'il retombait, on faisait recommencer les violons, et il reprenait la danse comme auparavant. J'ai vu ce soldat danser, le sabre nu en main, et retomber dans son premier état, quand les violons cessaient, ou que quelque corde se rompait ; je l'ai vu se prosterner devant un miroir, croyant y voir l'araignée qui l'avait piqué. Ce malheureux mourut dans un accès, n'ayant pu être secouru à temps. »

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Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Les Araignées inspirent à beaucoup, surtout aux femmes, de la crainte et de l'aversion. Toute piqûre d'origine inconnue est attribuée le plus souvent à une Araignée.

Il y a environ un siècle, les Tarentules étaient l'objet d'une grande crainte dans les régions méditerranéennes, surtout en Italie et en Espagne. Elles mordaient les gens des campagnes, et l'issue était fatale, disait-on, si l'on n'appliquait le remède suivant : on faisait venir des musiciens qui jouaient des airs d'un rythme déterminé. Les malades se levaient, se mettaient à danser jusqu'à épuisement et ils étaient guéris.

La Tarentule existe toujours mais ne cause aucun accident grave, il s'agissait donc d'une curieuse illusion collective, entretenue peut-être par l'amour de la danse, et le plaisir d'appliquer un remède si agréable. De fait, les Araignées ont du venin et peuvent l'inoculer avec leurs pinces, mais son effet est nul, ou à peu près, pour celles de nos régions. Une petite gêne locale, sans enflure et de faible durée, tel est l'effet des piqûres de nos Araignées. Citons encore ce proverbe bien connu : Araignée du matin, chagrin, Araignée du soir : espoir.

 

Dans son article intitulé "Corps à corps de bêtes et de gens : envenimation et représentations du corps dans le folklore français (XIXe-XXe siècles)", paru dans la Revue Ruralia, 09/2001 (Édition électronique URL : http://ruralia.revues.org/244), Corinne Boujot s'intéresse à une catégorie animale particulière :


"Dans la région de Rennes, partie orientale et de la Bretagne dite “ Pays gallo ”, on appelle v’lin — ou “ venin ” — un groupe d’espèces animales qui peut paraître hétéroclite. Il réunit, en effet, des reptiles, des batraciens, des arachnides et différents insectes dont ceux pourvus d’un dard. On y trouve donc aussi bien la couleuvre que la vipère ou l’anguille, le lézard vert, la salamandre, le crapaud ou encore l’araignée, la guêpe, le frelon ainsi que la libellule... Dans cette catégorie, v’lin, c’est aussi le nom plus spécifique du crapaud (Bufo bufo) qui, en tant qu’animal éponyme, apparaît doté d’une valeur emblématique. C’est en travaillant sur la pratique d’un guérisseur, panseur (ou “ passeur ”) de venin, que j’ai découvert l’existence de cette catégorie animale directement corrélée à une classe générique de symptômes, dits aussi “ vlin ”, sur lesquels porte l’intervention du panseur. Nous sommes là dans une problématique de l’envenimation : celle-ci se manifeste par le gonflement, la destruction des tissus, la purulence et, souvent, la brûlure.

Dans les Pouilles italiennes où Ernesto de Martino étudia le tarentisme, il mit en lumière l’existence, sous le nom de “ tarentule ”, d’un regroupement d’espèces fort proche de celui qui vient d’être évoqué. Quoi que l’araignée retienne particulièrement son attention, Ernesto de Martino fait état de l’élargissement du nom “ tarentule ” aux serpents et autres animaux venimeux, autrement appelés “ animaux de Saint-Paul ” “ c’est-à-dire, les serpents, les scorpions, les scorzoni, les tarentules et autres bêtes rampant sur le sol dont la morsure empoisonne ” (tandis que le don exercé sur le venin en Bretagne était placé sous l’égide de ce même saint). On retrouve également une classe particulière de symptômes interprétés comme autant de signes d’une envenimation imputée, cette fois, à la tarentule (lycosa tarentula). Elle se traduit, ici, par des états de crise qui empruntent la plupart des caractères du latrodectisme (intoxication par latrodectus mactans, ou “ veuve noire ”).

[...]

On a vu, dans la région de Rennes comme dans celle de Tarente, que différents venimeux semblaient réunis sous le nom d’un animal érigé en emblème de la problématique de l’envenimation, ici le crapaud, là l’araignée. Dans l’exorcisme musical de la tarentule par la tarentelle — la danse de l’araignée — il s’agit pour les musiciens thérapeutes de retrouver la musique de l’araignée, celle qui va la mettre en mouvement, la faire danser (en la personne du tarentulé). Chaque araignée, en effet, émet, dit-on, une petite musique en mordant. En haute Bretagne — où il n’y a pas d’araignée toxique pour l’homme non plus qu’impressionnante comme peuvent l’être respectivement la veuve noire ou la tarentule toutes deux présentes dans le bassin méditerranéen —, Paul Sébillot recueillait cette croyance selon laquelle l’araignée fredonne une petite musique en tissant sa toile et une autre en attrapant les mouches. Rien de plus, et pourtant : il s’agit bien de la même proposition. Mais où l’araignée est un venimeux moins investi de sens, le trait est estompé, tandis qu’en Italie du sud il est tout à fait central et majoré. Dans le folklore français, ce sont les serpents, crapauds et salamandres qui ont ce rôle “ révélateur”.

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