La Mère du vinaigre
- Anne
- 11 nov. 2023
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Dernière mise à jour : 11 mai
Autres noms : Gluconacetobacter europaeus - Bactérie acétique - Mère de vinaigre -
Biologie :
Dounia Hammouda-Bousbia, dans un mémoire intitulé "Biologie des produits végétaux et Bio-industrie." (Master II : Biotechnologie et Génomique végétal, Université Constantine 1, Algérie, 2020-2021) nous rappelle brièvement comme est créé le vinaigre :
La fabrication de vinaigre : Le vinaigre est obtenu par la fermentation acétique qui transforme en acide acétique l'alcool d'un vin sous l'effet des bactéries Acetobacter. C'est l'acide acétique qui donne au vinaigre son acidité caractéristique et en fait un conservateur efficace.
C'est Pasteur qui en 1865 découvre le responsable de l'acétification et le processus : les bactéries, transportées par les poussières de l'air transforment le vin en vinaigre par oxydation de l'alcool qu'il contient. Petit à petit, ces bactéries remontent à la surface en forment un voile blanchâtre qu'on appelle " la mère de vinaigre". Lorsque cette accumulation devient trop importante, les bactéries meurent et tombent au fond de la cuve. Il en est ainsi jusqu'à épuisement de l'alcool présent dans le milieu.
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Usages traditionnels :
Le Dr Lucien-Marie Gautier, auteur de Les Champignons considérés dans leurs rapports avec la médecine, l'hygiène publique et privée, l'agriculture et l'industrie (Librairie J. B. Baillière et fils, 1884) mentionne :
Un autre ferment, le Mycoderma aceti, est l'agent de la fermentation acide ; il se produit à la surface du vin exposé à l'air, sous forme d'une gelée, appelée mère du vinaigre, et qui sert à transformer le vin en vinaigre (1).
Note : 1) Le ferment est classé tantôt parmi les Champignons, tantôt parmi les Algues ; il appartient aux Champignons, puisqu'il est constitué par une spore, mais il manque du second caractère distinctif de cette classe, le mycélium. Aussi quelques cryptogamistes proposent de faire des ferments et autres Champignons douteux un groupe nouveau, sous le nom de MYCOÏDES.
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Croyances populaires :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
VINAIGRE. C'était un préjugé parfaitement établi jadis, qu'Annibal, afin de se frayer un passage à travers certains endroits des Alpes, avait dissous la roche au moyen de vinaigre. On citait tel ou tel chimiste en renom, qui avait répété l'expérience en petit dans son laboratoire, avec un plein succès, et douter de ce fait merveilleux, c'était s'avouer un véritable idiot. Quelques-uns, cependant, osaient bien se demander en secret quel était cet océan d'acide acétique que le général carthaginois avait pu diriger sur ces formidables remparts de granits mais ils se gardaient bien d'exprimer tout haut leur audacieux scepticisme. Aujourd'hui, on connaît l'effet que produit l'acide sulfurique sur le calcaire, mais on ne s'aviserait pas de songer à en faire emploi pour attaquer aucune roche.
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Symbolisme :
Guillaume E. Lopez, auteur de Le Génie méconnu et discret des champignons (Éditions Albin Michel, 2024) explicite le sens du processus qui conduit à la formation du vinaigre :
Dans le kombucha de la vie, ou comment ne pas tourner au vinaigre ? [...]
En fait, la Nature se stabilise dans des interactions cycliques qui débutent à partir de trois acteurs, il n'y a alors plus d'actions, mais des interactions. Ainsi, au Canada, les armillaires ouvrent des trous dans la canopée de conifères, permettant aux arbres feuillus de s'implanter. En retour, les feuillus produisent une ombre tamisée favorable au développement des jeunes conifères, qui reviennent alors sur les terres de leurs ancêtres avant qu'un nouveau cycle ne recommence. Dans ce cadre appelé « compétition cyclique », la mort est une condition de la vie, et supprimer la mort signifie retirer la vie. C'est un jeu de pierre-feuille-ciseaux, où les organismes se maintiennent en harmonie par une régulation mutuelle.
Préparation du kombucha : un processus bien rôdé. Cette dynamique est en fait celle que l'on reproduit dans un kombucha ou un vinaigre. Ces liquides sont habités par des populations de bactéries, acétiques et lactiques, ainsi que par des levures. Chaque population y va de son avantage compétitif pour trouver un état d'harmonie que l'on appelle un SCOBY, symbiotic culture of bacteria and yeast, c'est-à-dire un consortium (ou une communauté) symbiotique de bactéries et de levures. Dans le SCOBY, les levures tendent à transformer le sucre en alcool, quand les bactéries lactiques, elles, préfèrent en faire de l'acide lactique. Lorsque l'alcool est produit, il inhibe la prolifération des bactéries lactiques, tout en permettant à une population de bactéries acétiques, d'exister en convertissant l'alcool des levures en vinaigre. Ces bactéries acétiques sont aussi capables de fabriquer de la cellulose bactérienne extrêmement pure qui forme le radeau que l'on voit flotter à la surface : la mère de vinaigre ou de kombucha.
Seulement voilà, les bactéries lactiques préfèrent un peu de chaleur et pas trop d'oxygène, qu'elles n'utilisent pas, quand les levures, elles, préfèrent plus de frais et d'oxygène pour produire de l'alcool. Les bactéries acétiques, quant à elles, aiment surtout l'alcool et ont également besoin d'oxygène pour le convertir en vinaigre. Dans votre bocal de kombucha, vous donnez une ressource limitée en sucre à tout ce beau monde, vous forcez toutes ces populations de micro-organismes à trouver un point d'équilibre alors qu'elles sont toutes globalement en compétition pour les mêmes ressources.
Au bout d'un certain temps, si les paramètres de l'environnement extérieur sont stables, les populations microbiennes du bocal le deviennent aussi. Chacune prend sa place dans sa niche : les bactéries acétiques et les levures se mettent à la surface sur le radeau de cellulose pour accéder plus facilement à l'oxygène, quand les bactéries lactiques prennent place au fond du bocal. Après avoir hardiment bataillé pour le sucre disponible, les micro-organismes se nourrissent du mince et continu flux de matière provoqué par la mort de leurs concurrents et de leurs semblables.
Les levures produisent l'alcool qui ralentit les bactéries lactiques, mais l'alcool est mangé par les bactéries acétiques qui acidifient le milieu et favorisent les bactéries lactiques et ralentissent les levures. L'harmonie s'opère enter les acteurs du bocal, qui, devenus interdépendants ne peuvent pas tirer la couette trop à eux. Seul l'oxygène est consommé par tous ces processus, raison pour laquelle le kombucha comme le vinaigre ne sont pas faits dans des contenants hermétiques, sans quoi la réaction tournerait à la lactofermentation.
Et le SCOBY de la vie ? Nous, les hommes, vivons également dans un grand SCOBY, bien plus complexe, mais aussi limité. Il nous faut trouver l'harmonie dans notre bocal, sans quoi nous nous évincerons du cycle qui nous permet de vivre. Souhaitons-nous réellement être les rois d'une planète vide comme celle que visite le Petit Prince ? Ou prendrons-nous nos responsabilités, desquelles découle notre place dans le SCOBY de la vie ? La solution n'est certainement pas de s'extraire du cycle, comme le proposent de nombreuses technologies et pensées actuelles qui voient la solution au déracinement dans toujours plus de déracinement. N'oublions pas que la stabilité de notre planète dépend aussi de nous, que nous avons un rôle à jouer dans la partition du vivant dans sa génération et sa dégénération. Que nous le voulions ou non, la recherche avance en montrant le caractère sensible de tous les êtres de cette planète, et peut-être même de la planète elle-même. Il nous faut, pour y participer, prélever et accepter d'être prélevé.
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