La Galène
- Anne
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Étymologie :
Étymol. et Hist. 1553 (P. Belon, Observations, I, 50, éd. 1588, p. 104 ds R. Philol. fr. t. 43, p. 173). Empr. au lat. galena « minerai de plomb », gr γ α λ η ́ ν η « id. ».
Lire également la définition du nom galène afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Usages traditionnels :
Patrick Callet, auteur de « Les khôls égyptien et marocain : origine de la couleur. » (In : Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, N°42, 2000. Les couleurs de l’échange du Maroc à l’Orient. Les sensibilités dans l’espace euro-méditerranéen. pp. 177-183) explique le rôle de la galène dans le khôl :
Galène, sulfure de plomb : PbS trace gris-noir d'éclat bleuâtre, couleur gris de plomb, le minerai contient une proportion notable d'argent (jusqu'à 1 %). Clivage parfait possible pouvant donner de gros cubes spectaculaires. Utilisée en cosmétique traditionnelle en Egypte et au Maghreb ; c'est l'ingrédient majeur des khôls. On la rencontre souvent associée à la cérusite, l'anglésite ou la lanarkite. Provenance : Maroc.
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LES KHÔLS, PIGMENTS À COUCHE : Nous voilà dans le vif du sujet. La substance cosmétique appelée khôl, de façon générique, est obtenue par broyage de la galène après avoir été chauffée à une température comprise entre 400 et 600 °C pendant une durée d'environ 4 h. Philippe Walter [WAL98] a analysé des khôls égyptiens et obtenu la composition chimique de ces pigments cosmétiques toujours en usage dans le bassin méditerranéen. Le Maroc possède des mines de plomb dont le principal minerai est précisément la galène. L'origine de la couleur est expliquée par un mécanisme interférentiel, exposé au paragraphe suivant. Le chauffage de la substance provoque une diffusion de l'oxygène atmosphérique à l'intérieur du réseau cristallin cubique de la galène. Il se forme alors un composé appelé anglésite, sulfate de plomb, lors de cette réaction primaire. Si la température était augmentée, jusqu'à 750 °C, une réaction secondaire d'oxydation de ce composé démarrerait et apparaîtrait une couche superposée de lanarkite, de frontière floue avec la couche d'anglésite.
[...]
CONCLUSION : Le khôl, depuis l'Egypte Ancienne et ses usages répandus dans les pays de culture arabe ou araboberbère, pose de nouvelles questions aux scientifiques œuvrant dans les domaines des cosmétiques, du rendu des effets de couleur et également dans des domaines où la même physique est en cause comme dans les peintures métallisées ou nacrées. De nouveaux aspects de ces matières traditionnelles peuvent être alors imaginés sur ces produits euxmêmes et, de préférence, sur des produits de substitution. En effet, la toxicité de ces matières est établie (composés du plomb et du mercure) et les réglementations en matière de santé publique, en Occident, sont très strictes. La réunion des savoirs traditionnels, des technologies et sciences contemporains pourraient permettre d'inventer de nouvelles relations où les pratiques de l'esthétique corporelle conserveraient leurs racines historiques tout en préservant la santé. Les hommes n'utilisent pratiquement plus le khôl (et fort peu d'autres produits cosmétiques d'ailleurs), les femmes sont donc particulièrement exposées. L'usage médical et esthétique de l'Antiquité, continue à se propager malgré ces toxicités établies. L'histoire et la culture ont une influence déterminante sur les comportements et les usages sociaux, bien supérieures aux déclarations médicales ou scientifiques, occidentales ou non.
Adil Mandil et Aziz Amine, auteurs de "Le tagine marocain un délice... mais danger pour la santé !!! (In : Les technologies de laboratoire, 2009, vol. 4, no 15) alertent sur les risques dus à l'usage de certains tagines :
[...] La poudre (galène PbS appelée aussi khôl) utilisée par les artisans pour vernir les tajines est à l’origine du plomb lessivable. Elle contient des teneurs extrêmement élevées de plomb qui dépassent 53% pour la galène[1]. Cette quantité pourrait s’infiltrer dans la nourriture et provoquer des intoxications alimentaires des consommateurs.
Le Maroc a décidé de réagir. Une commission permanente, réunissant les ministères concernés, a été créée pour faire des propositions concrètes. Certaines mesures vont donc être prises, comme par exemple l’instauration d’un système de contrôles assermentés dans les régions de production, le lancement de campagnes de sensibilisation des artisans et surtout la mise en place du principe de certification.
Autre mesure, inciter les artisans à intégrer la certification de leurs produits auprès de laboratoires agréés. Cette opération pourra renforcer la confiance dans la qualité et la sécurité des produits qui porteront un symbole de conformité aux normes marocaines. Le département de l’Artisanat met actuellement en place des normes obligatoires pour les émaux.
Conclusion : Les résultats de nos analyses prouvent que tous les facteurs qui favorisent la migration du plomb au niveau des glaçures de tajines sont réunis dans les préparations culinaires. La quantité lessivable du plomb par les légumes acides est très élevée et constante malgré l’utilisation répétée 10 fois du même tajine.
Ce problème est dû à la galène utilisée pour l’émaillage artisanal de certaines poteries et particulièrement des ustensiles de cuisine comme les tajines. Cette quantité du plomb lessivable a un impact majeur sur la santé des consommateurs. Pour remédier à ce fléau, le consommateur n’a qu’à acheter les tajines naturels pour déguster les délicieux plats traditionnels en toute sécurité.
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Lithothérapie :
Judy Hall autrice de La Bible des Cristaux (volume 1, Guy Trédaniel Éditeur, 2011) présente la Galène :
Galène
Couleur : Gris-lilas métallique.
Aspect : Masse brillante petite ou grande, granuleuse et irrégulière.
Disponibilité : Dans les magasins spécialisés.
Source : États-Unis - Grande-Bretagne - Russie.
CARACTÉRISTIQUES. "Pierre d'harmonie", apporte l'équilibre sur tous les plans. Harmonise les plans physique, éthérique et spirituel. Pierre d'ancrage, elle centre et induit la guérison holistique. Excellente pour les médecins, les homéopathes et les phytothérapeutes. Encourage la recherche et les expérimentations. Ouvre le mental, développant les idées et dissipant les conjectures limitatives du passé.
GUÉRISON. Diminue les inflammations et les éruptions, stimule la circulation, bénéficie aux veines, accroît l'assimilation du sélénium et du zinc, profite aux cheveux.
POSITION. Placer selon les besoins. Comme la galène contient du plomb, les élixirs doivent être préparés uniquement par la méthode indirecte et appliqués sur une peau intacte.
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Symbolisme :
B. Mathieu, auteur de « Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche des systèmes chromatiques », (ENIM 2, 2009, pp. 25-52) rapporte le système symbolique des couleurs auquel se rattache la galène :
Malachite et turquoise : Wed est aussi, bien sûr, la couleur du « fard vert », nommé simplement wed , qui forme couple avec le fard noir msdm.t. Ces fards étaient obtenus à partir, respectivement, de malachite ou « chrysocolle » et de galène broyées, qui permettent, comme le soulignent des jeux de mots, d’attacher (sdm) les yeux au visage du défunt et de lui rendre son intégrité (wde) visuelle :


[...]
Le système complémentaire vert / blanc (wed / hd) : Les textes ptolémaïques précisent que le fard vert est réservé à l’œil droit (pleine lune) et le noir, logiquement, à l’œil gauche (nouvelle lune) 80. Si l’on songe au couple sélénien quartz / obsidienne rencontré dans les TP, lui aussi lié à l’œil droit et à l’œil gauche du créateur, on en déduira aisément qu’il y a équivalence entre quartz (mnw-hd) et malachite, d’une part, et obsidienne (mnw-km) et galène, d’autre part. Si l’équation entre obsidienne et galène coule de source, étant donné leur noirceur commune, celle entre quartz et malachite repose, on le voit, non sur une identité chromatique, mais sur une analogie fonctionnelle : parvenu au faîte de sa croissance et de sa clarté, l’astre lunaire est complet (wed), tout à la fois wed et hd.
Nous sommes ainsi conduits à poser l’existence d’un système complémentaire unissant ces deux « couleurs », système tout aussi cohérent que celui qui associe le noir de l’obsidienne à celui de la galène.
Frédéric Joulian, auteur d'un article intitulé « Le mollusque, la coquille, le fossile », (In : Techniques & Culture, 59 | 2012, pp. 6-11) évoque les morceaux de galène conservés par les hommes de Neandertal :
Une masselotte et un burin à la main, sous le porche d’entrée de la grotte nous attaquions la brèche laissée intacte par nos prédécesseurs du siècle passé, l’abbé Parat en l’occurrence, et tentions d’exploiter ces dépôts scellés à quelques kilomètres du site d’Arcy-sur-Cure là même où Leroi-Gourhan et son équipe avaient, quelque 25 ans auparavant, mis en évidence les artefacts et comportements originaux des groupes du Moustérien et du Châtelperronien.
Sous les coups prudents de nos ciseaux à froid nous avions autant le sentiment de sculpter, de créer, que de fouiller et libérer ces restes, fragments osseux, éclats, et même pointes à dos, enseigne de la culture châtelperronienne. Nous espérions silencieusement les objets étranges que Leroi-Gourhan avait diagnostiqués comme les plus anciens témoins des activités symboliques humaines.
Un petit bloc de galène, un morceau de grès en forme de crache de cerf et un oursin fossile se détachèrent rapidement de ces deux mètres cubes de brèche. Galène, grès, silex : objets intacts accompagnés d’outils et de quelques charbons et pointes d’ocre. Nous étions bien dans le même type d’assemblage que celui d’Arcy, avec un fragment de pyrite, un gastéropode et un polypier fossile. Nous étions tout à la fois émerveillés et désarçonnés par ces trésors croisés à travers le temps et les espèces car – nous le savons mieux à présent –, les hommes qui récoltaient ces objets étranges, ainsi que nous le faisons encore sur les grèves, appartenaient à une autre espèce que la nôtre, celle des Néandertaliens, rayés peu de temps après de la surface de la terre ; nous laissant, seuls curieux, entrés en cultures.
Dans leurs bagages, les Néandertaliens transportaient ces curiosités naturelles, longtemps considérées comme les premières évidences des activités symboliques et figuratives…
« L’art figuratif proprement dit est précédé de quelque chose de plus obscur ou de plus général qui correspond à la vision réfléchie des formes […] Sont insolites au plus haut point les objets qui n’appartiennent pas directement au monde vivant, mais qui en exhibent ou les propriétés ou le reflet des propriétés » écrivait Leroi-Gourhan (1965 : 214).
[...]
À l’inverse, ces « objets anecdotes » nous permettent d’attester l’intrication forte des domaines fonctionnel et symbolique au travers de curiosités empêcheuses de penser en rond, celles que la science quantitative réserve d’habitude aux « miscellanées ». Ces objets anecdotes ne sont pas seulement les annonces de nos cabinets de curiosités, de la pensée classificatoire ou le reflet de la curiosité insatiable du genre Homo, mais également des signes permettant de saisir ce que les outillages courants et finalisés (destinés à la chasse, au traitement des peaux par exemple) ne permettent pas d’évoquer. Pour François Poplin, ces objets d’Arcy-sur-Cure (avec une pyrite de fer), ou de Merry-sur-Yonne (avec un fragment de galène), soit deux minéraux associés à des fossiles, portent au dialogue…
« On trouve dans les deux cas un élément métallique lourd, qui parle au tact par la densité et à la vue par la couleur (rouille pour la pyrite, éclat métallique pour la galène), mais sans forme définie ; le grumeleux n’est pas une forme. Et à côté de cela, avec les fossiles, des éléments qui sont avant tout des formes, interrogeant le regard en termes de géométrie (sphère, spirale, étoile à cinq branches). Je ne pense pas que l’irrégularité extérieure de la pyrite ou de la galène ait constitué en soi un élément de distinction du reste du milieu extérieur ; alors qu’au contraire la densité aura été remarquée par la main qui soupèse » (Poplin, 1988 : 110).
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Selon Colette Roubet et Brahim Ouchaou, auteurs de « Pastoralisme néolithique initial au Maghreb », (In : Encyclopédie berbère [En ligne], 37 | 2015, document P19) on trouve le même genre d'objets en Algérie :
[...] En Algérie atlasique plusieurs sites sous abri installent une néolithisation fédératrice ; dans certains l’élevage reconnu fut pratiqué entre le VI-IIIe millénaires cal BC (5906-2465 cal BC) sans apparition d’activité agricole. Le faciès culturel qui l’a instauré est le Néolithique atlasique de tradition capsienne (Roubet 1979, EB XXVII ; EB XXXIV). Deux grottes servent de référence pour mettre en place les étapes du processus pastoral et parvenir à la reconnaissance du pastoralisme initial PNI en Algérie orientale. Ce sont pour l’Aurès* la grotte Capéletti du Khanguet Si Mohamed Tahar et pour les Némencha le Damous el-Ahmar du Dj. Anoual. Les traits de ce pastoralisme initial se découvrent lors d’une mise en synergie de biens culturels et de bio-documents sélectionnés provenant de chacune des quatre séries d’occupation de la grotte Capéletti. Sur le plan anthropologique nous savons que ce sont des Mechtoïdes, lointains héritiers des H. de Mechta-Afalou, qui inaugurent ce nouvel ordre économique et social dans les Némencha. Rien encore ne permet de préciser à la suite de quel évènement et comment ce pastoralisme parvint jusque dans ces montagnes orientales.
Le premier postulat souligne l’acquisition de biens exogènes. Certains biens culturels élaborés dans des matériaux spéciaux et rares, selon des procédés techniques et des formes réservées et rares, sont apparus typiques de créations exogènes intentionnellement introduites. Il s’agit de haches et herminettes polies, de coquilles marines, d’objet en ivoire, de galène (Roubet 1979, 2006).
[...]
Le troisième postulat concerne l’échange, les partenaires, leurs motivations. On doit aux transhumances postérieures à la première série d’occupation, et à l’apparition en grotte de la première hache polie, la mise en place des conditions d’un échange et la preuve de contacts des pasteurs avec des partenaires étrangers. Vers le Ve millénaire cal BC (4858-4330 cal BC) apparaît la première hache. D’autres spécimens apparaitront dans les 3e et 4e séries d’occupations. On a pu déduire de ces acquisitions renouvelées et de l’introduction d’objets nouveaux (coquilles marines, pièce en ivoire, galène), de multiples échanges. Leur introduction échelonnée en grotte parut être le meilleur argument d’un échange et d’un dialogue entretenu, équilibré, établi sans heurt avec divers colporteurs.
[...]
Le quatrième postulat concerne les conséquences des échanges. Prestige, pouvoir, reconnaissance d’une classe d’artisans, d’une classe de colporteurs et d’une classe de pasteurs.On doit donc aux transhumances successives couvrant une période bimillénaire dans l’Aurès et les Némencha l’opportunité d’avoir fait s’accroître et se transmettre les trésors des pasteurs et, aux grottes-conservatoires, de les avoir préservés comme tels. Une lecture « banale » de ces objets ne peut en rendre l’essentiel. On ne peut considérer haches et herminettes polies comme chargées des mêmes valeurs que celles que conservent les objets domestiques façonnés par les pasteurs. Haches et herminettes, mais aussi galène et pièce en ivoire, si rares, perdraient leur pouvoir symbolique si nous les ramenions à un statut banalisé du quotidien pastoral. Seule une analyse anthropologique permet d’entrevoir en chacun d’eux, peut être, l’essentiel d’un message insaisissable, d’une charge symbolique immatérielle, précieuse aux yeux des pasteurs. Seule approche tentant de faire réapparaitre le merveilleux palpable en chaque objet rare pour supposer le réinstaller dans l’imaginaire pastoral. Alors ainsi pourra-t-on ranimer-en-pensée le processus d’un transfert aux pasteurs de leur statut symbolique. Cette fonction symbolique intrinsèque aux objets rares que d’autres partenaires durent suggérer et vouloir transmettre aux pasteurs reste à jamais chargée du mystère ayant pu rejaillir sur les pasteurs ; ce transfert de valeur n’est intellectuellement perceptible qu’à travers cet échange ressuscité. De quoi s’agissait-il, de notoriété, de pouvoir, de prestige ? (Roubet 2010). Ces objets sont en outre révélateurs de l’existence d’habiles spécialistes représentant une classe d’artisans insoupçonnés, découverte grâce aux intermédiaires rencontrés lors des transhumances, formant peut être une classe de colporteurs itinérants. Rouages majeurs et reliés d’une société émergeante.
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Symbolisme alchimique :
Robert Ardry, dans un article intitulé Alchimie, une odeur de soufre. (In : Revue d'histoire de la pharmacie, 72ᵉ année, n°261, 1984. pp. 121-130) élucide en partie l'hermétisme de la galène :
La préparation du Vitriol : Comment obtenir un sulfate cuproferreux propre à fournir un dégagement maximal d'anhydride sulfurique dont l'hydratation donne l'acide sulfurique, pierre philosophale qui doit aider à purifier les métaux et singulièrement les métaux précieux ? Notons incidemment que cette sublimation suivie d'hydratation réunit les quatre éléments air (gaz), terre (solide sublimé), eau (liquide) et feu (propriété ardente de l'acide obtenu). L'esprit d'observation de nos prédécesseurs les engageait à retenir des minerais contenant déjà des germes de ces métaux précieux, en particulier galène et pyrite. La galène, minéral feuilleté, est d'ailleurs à l'origine de la tradition de la galette des rois, l'or ou l'argent naissant y étant représenté sous forme d'un petit bébé, ou d'une étoile, ou encore d'un sabot, allusion au chabot (le chatbotté de Perrault), qui est un des symboles du Magistère. La galène est souvent figurée par un coq, gallus, perché sur un chêne, à la manière du corbeau du fabuliste Jean de la Fontaine, lequel corbeau tenait en son bec un fromage : inutile de vous préciser ce que symbolisait ce disque doré à la senteur profonde, tenu par le noir corbeau, image symbolique du sulfure soumis au grillage. Par ailleurs, ne pas confondre le fabuliste J. de la Fontaine avec l'alchimiste natif de Valenciennes auquel on doit le poème hermétique intitulé « La fontaine des amoureux de la Science ». Toutefois, la signature du fabuliste révèle qu'il était fort instruit des données hermétistes.
Or, le grillage partiel des sulfures précités, suivi d'une lente oxydation en milieu humide, à l'obscurité, fournit cette rouille des sulfures que sont les sulfates. C'est cette opération lente et mystérieuse que voile, ce que nul n'a révélé à ce jour, l'action conjointe de la Lune et de la Rosée de Mai. Et je plains tel « alchimiste » de notre temps qui s'est astreint à recueillir la rosée du mois de mai, durant plus d'une décennie, avant de poursuivre ses recherches avec ce matériau totalement inutile.
Comme tout bon industriel, l'alchimiste chercha à améliorer le rendement et, pour éviter des purifications fastidieuses exigeant la répétition inlassable des mêmes opérations, solve et coagula, dissous et précipite, il se lance dans la synthèse. S'étant aperçu que la Pierre philosophale « ouvrait » la matière première, c'est-à-dire le sulfure, en dégageant le premier Mercure qui est l'hydrogène sulfuré, il recueille ce dernier soit pour obtenir dans l'eau un soufre naissant, le lait de la Vierge, qui sera utilisé pour la préparation du Grand Elixir et des poudres de projection, soit pour réaliser avec l'aide de Mars et de Vénus, par action directe sur le fer et le cuivre en limailles, un sulfure cuproferreux très pur auquel il fera subir la lente oxydation en atmosphère humide : du vitriol de synthèse ainsi obtenu sera dégagé le second Mercure ou Mercure des Philosophes, qui est l'anhydride sulfurique.
Une des difficultés de lecture des textes alchimiques réside dans le fait que l'on ignore, a priori, si l'auteur traite du cycle opératif en son entier ou, au contraire, d'une simple partie. Cependant, lorsqu'on connaît la tripartition de l'uvre en transformation du métal en sulfure, hydratation oxydative lente et sublimation des anhydrides sulfureux et sulfurique, on est étonné de la transparence des récits, car les mots utilisés évoquent soit un aspect, soit une propriété précise du produit décrit : ainsi la terre sainte, la matière première (et non la première matière) est un chaos, car elle est un sulfure composite ; le corbeau s'adresse à un résidu de grillage ; le premier mercure, ou hydrogène sulfuré, est un grand voyageur, un pèlerin ; le fruit vert de l'arbre métallique, l'or des Sages ou première matière, le lion vert sont autant de noms donnés au sulfate cuproferreux. La sublimation des anhydrides qui s'accompagne de fumées blanches, puis rougeâtres, en laissant un dépôt brun grisâtre, est décrite tantôt comme un sole, ou comme une cigogne (allusion à la dualité des couleurs grise et blanche), tantôt comme un cygne majestueux, oiseau d'Hermès, et, le plus souvent, comme des aigles volant bien haut. Ne craignant plus le feu, cette « vapeur ignée » qui vire au rouge devient ainsi une salamandre, un faisan, un lion rouge, un kermès, et comme elle contient les trois principes, Soufre, Mercure et Sel, son meilleur symbole est encore la patte d'oie, la Pédauque, que nous retrouvons dans les contes de la Mère l'Oye de Perrault, déjà cité à propos du chat botté Perrault qui se révèle ainsi fort curieux de la science hermétique.
Il me faudrait également parler du feu secret ; en réalité, on en compte six qui, sous le même nom, hormis l'exception du feu de roue, se rapportent soit à l'oxydation du sulfure, soit à l'activité dévorante de l'oléum.
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