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L'Arachide

Dernière mise à jour : 1 mai 2021




Étymologie :

  • ARACHIDE, subst. fém.

ÉTYMOL. ET HIST. − [1794 date donnée par BL.-W.5sans attest.] ; 1801 bot. « plante légumineuse dont les fruits contiennent une, deux ou trois graines rougeâtres, vulgairement nommées pistaches de terre » (C.r. de l'exposition : Deux cents ans de révolution agricole, ds Midi Libre, 15 mars 1957 ds Quem. : Le 9 frimaire an X [1-12-1801] le préfet du Vaucluse écrivait au préfet du Gard « sur le traitement de l'arachide dit parfois cacahuète ou pistache »). Empr. au lat. arachidna « sorte de gesse », Pline, 21, 89 ds TLL s.v., 391, 75 ; lui-même empr. au gr. α ̓ ρ α ́ χ ι δ ν α, Théophraste, Hist. plant., 1, 1, 7 ds Bailly; forme de α ́ ρ α χ ο ς ou α ́ ρ α κ ο ς « sorte de pois chiche à deux fruits » ; Trév. 1752 mentionne la forme arachydna « id. » donnée comme mot fr. Cf. Arveiller ds Fr. mod., t. 31, pp. 94-95.

  • CACAHUÈTE, CACAHOUÈTE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1801 cacahuète (Compte rendu de l'exposition « Deux cents ans de révolution agricole » dans Midi Libre 15 mars 1957, dans Quem., s.v. arachide). Empr. à l'esp. cacahuete « arachide », attesté sous cette forme dep. 1750-65 (Terreros d'apr. Cor.), auparavant cacaguate (dep. 1653, d'apr. Cor.) et tlacacahuatl (dep. 1575, d'apr. Fried et Cor.), empr. au nahuatl (Mexique) tlacacahuatl, composé de tlalli « terre » et cacahuatl « cacao » (v. Fried. et FEW t. 20, p. 81).


Lire également la définition des noms arachide et cacahuète afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Arachis hypogaea ; Pinotte ; Pistache de terre ; Pois de terre

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Botanique :

Yves Péhaut dans un article intitulé "L'arachide en Afrique occidentale." (In : Cahiers d'outre-mer. N° 179-180 - 45e année, Juillet-décembre 1992. Les plantes américaines à la conquête du monde. pp. 387-406) montre l'origine américaine de l'arachide =>

 

Jean-Marie Pelt, dans son ouvrage intitulé simplement Des fruits (Librairie Arthème Fayard, 1994), brosse le portrait de l'Arachide :


La cacahuète - de l'aztèque tlacacahuatl - est le fruit d'une herbe : l'arachide. Cette dernière se singularise par ses fleurs jaune orangé, de petite taille, dont l'ovaire minuscule est posé sur un court support : le gynophore. La plupart des fleurs sont stériles ; chez les fleurs fertiles, après fécondation, le gynophore s'allonge de plusieurs centimètres, se courbe vers la terre et enfonce graduellement dans le sol le jeune ovaire fécondé situé à son sommet. Aux Antilles, on l'appelle « pistache de terre ». Cet ovaire mûrit dans le sol et se transforme en une gousse nommée « cacahuète », contenant deux ou trois graines à tégument mince, d'une coloration allant du rose saumon au brun acajou. L'amande, blanchâtre, est formée de deux gros cotylédons huileux enter lesquels se trouve le minuscule embryon.

Originaire du Brésil, l'arachide a été ensuite introduite dans toutes les régions tropicales du globe. On en a découvert des graines dans d'anciens tombeaux péruviens, mais elle n'a pénétré dans l'Ancien Monde, qu'après la découverte de l'Amérique. Elle s'est propagée d'abord en Afrique, puis en Inde.

Les graines d'arachide contiennent de 40% à 50% de lipides, constitués d'acides gras monoinsaturés et d'acides gras saturés, notamment l'acide arachidique ; on y trouve aussi 25% de protides - caractéristique propre aux graines de légumineuses - et des teneurs importantes en phosphore, d'où une forte valeur nutritive.

Si l'arachide est principalement cultivée pour l'huile qu'on en extrait, les cacahuètes sont aussi couramment consommées crues, rôties, nature ou salées, en accompagnement des apéritifs, par exemple.

 


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Bienfaits alimentaires et thérapeutiques :


Propriétés de l’arachide

La diète humaine nécessite trois éléments nécessaires à son équilibre et à la production de l’énergie nécessaire à son bon développement: les hydrates de carbone, les matières grasses et les protéines (Baker, 1970 :95). Les légumineuses, dont l’arachide fait partie, contiennent généralement des proportions plus ou moins variables de ces trois éléments. En fait, ils constituent même les principaux éléments nutritifs de l’arachide.

Ainsi, les gousses produites par la plante arachide ont une valeur nutritive extrêmement élevée, plus spécifiquement les graines ou amandes présentes à l’intérieur de ces gousses. Tout comme l’avocat, l’arachide contient un taux très élevé de matières grasses, à savoir un pourcentage variant entre 45 et 54 %. Les protéines qui sont très riches en acides aminés représentent environ 20 à 26 % alors que les hydrates de carbones, qui apportent une part substantielle d’amidon et de sucre, sont présents à un pourcentage variant de 9 à 12 % (Savaria, 1977 :150). À l’exposition de ces pourcentages, il apparaît donc clairement que l’arachide bénéficie d’une valeur nutritive exceptionnelle (125 ml ou 78 g d’arachide équivaut à trois gros œufs cuits durs en terme d’apport protéinique) et que son ajout dans une diète peut aisément balancer cette dernière par son apport considérable en protéines.

L’apport en protéines est d’ailleurs un des plus importants dans la diète humaine, puisqu’il est extrêmement condensé. Lorsque les populations humaines avaient un mode de vie plus nomade et une diète axée principalement sur la chasse et la pêche, l’apport en protéines, fourni par les résultats de la chasse et de la pêche, était généralement plus que suffisant. Par contre, lorsque la population humaine s’est intensifiée et que l’être humain a changé son mode d’approvisionnement pour un mode de vie plus sédentaire et une subsistance où l’agriculture prenait de plus en plus de place, l’apport en protéines fourni par les produits carnés et les produits de la pêche a donc diminué considérablement. C’est alors qu’il fut nécessaire que les plantes cultivées et constituant cette nouvelle diète plus axée vers le végétarisme, puissent apporter un important apport protéinique pour contrebalancer la lacune laissée par la diminution de consommation des produits de la chasse. L’intérêt pour l’arachide et les légumineuses en général, puisqu’elles sont une riche source de protéines, est probablement lié à celle nécessité.

Cette richesse des légumineuses comme l’arachide est due, en partie à tout le moins, aux nodules présents sur les racines des plantes et qui aideraient à la nutrition de cette dernière. Baker fait d’ailleurs une bonne description du fonctionnement de ce mécanisme :


« The richness of leguminous plants in protein can be attributed in part, to their special methods of nitrogen nutrition. Usuaily, plants in this family bear nodules on their roots. These nodules contain bacteria, [...] they have the power of turning (or “fixing’ atmospheric nitrogen into usefui amino acids, which are the building blocks of proteins. The bacteria receive the carbohydra tes and other nutritive substances ftom the host plant, and this may be looked upon as an example of mutualism. One important consequence of this relationship is that leguminous plants can grow in sous that are deficient in natural nitrates, and, if the romains of these plants are plowed in afier the pods and seeds have been (J hatvested, the soils can be enriched significantly. Consequently, for a long time, leguminous plants have had a place in crop rotation.» (Baker, 1970:95-96)


Cette citation permet aussi de comprendre comment les différentes composantes de l’arachide sont formées lors de sa croissance. De plus, elle nous informe qu’au lieu d’épuiser les sols dans lesquels elles sont cultivées, ces dernières, au contraire, enrichissent les sols lors de leur croissance pour les laisser plus riches pour les prochaines récoltes. Cette caractéristique partagée par les légumineuses pourrait être une des principales raisons pour lesquelles l’arachide, par exemple, aurait été adoptée par les différentes populations agricoles depuis l’époque précolombienne.

L’arachide, en plus de constituer un aliment riche en valeur nutritive, est généralement facile à digérer pour la plupart des personnes (Hammons, 1994 ; Valis, 1996 : 268). Les noix peuvent être consommées de plusieurs manières, mais entre autre, elles peuvent être consommées crues, ce qui les rend accessibles à la majorité des sociétés, et ce, peu importe le niveau technologique qu’elles ont atteint. Ce qui rend par le fait même celle légumineuse favorable aux différentes populations précolombiennes. De plus, leur forte teneur en matières grasses (plus de la moitié du poids des noix est constitué d’huile), permet d’en extraire une huile qui est riche en protéines et facile à entreposer, tout comme les noix en tant que telles, vue leur faible teneur en eau (Baker, 1970 : 97 ; Savaria, 1977 : 150).

Finalement, il n’y a pas que les noix de l’arachide qui peuvent être consommées ou utilisées. En effet, la paille d’arachide et la coque de la gousse peuvent être, elles aussi, réutilisées. Elles peuvent fournir un très bon fourrage d’appoint pour les animaux domestiques. Elles peuvent aussi fournir un fertilisant très riche, principalement la coque de la gousse qui, tout comme les noix, est aussi très riche en protéines et en hydrates de carbone (hémicellulose) (Gillier et Silvestre, 1969 : 44 ; Savaria, 1977 : 150). La plante arachide est donc une plante qui fournit un excellent apport protéinique dans l’alimentation, qui contre certaines lacunes laissées par une diète tournée vers le végétarisme depuis l’adoption de l’agriculture, qui comble certains manques au point de vue de la nutrition des animaux domestiques, qui régénère les sols épuisés par une culture intensive de plante comme le maïs, et qui fournit un fertilisant d’appoint. Elle est aussi très facile à entreposer, puisqu’elle ne contient que très peu d’eau et qu’elle peut tout aussi bien rester dans le soi pour une période allant jusqu’à plus d’un an après sa maturité de croissance, qui dure généralement entre quatre et six mois.

Il est donc clair que l’arachide fournit de grands intérêts pour tes populations agricoles précolombiennes, comme les Moche de la côte nord péruvienne par exemple. Elle semble fournir un potentiel nutritif non négligeable pour des populations principalement orientées vers la culture du maïs, en plus d’être facilement conservée et offrir plus d’une opportunité à ceux qui la cultivent. Une question demeure toutefois : quelle énergie demande cette plante pour sa culture ?

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Symbolisme :


Selon Julie Fournier auteure d'une thèse intitulée "Le rôle de l'arachide dans la société Moche du Pérou précolombien: son importance dans l'économie étatique et sa symbolique au sein de l'idéologie Moche." (Université de Montréal, 2004) :


Il semble que l’arachide avait une certaine notoriété ou valeur symbolique au sein de la société Moche. Néanmoins, sa présence en tant qu’offrande alimentaire dans les contextes funéraires n’est pas aussi fréquente que nous le pensions. Plusieurs facteurs peuvent bien sûr venir biaiser ces résultats : la préservation des restes botaniques, le pillage qui perturbe les contextes et les publications. Effectivement, il est très fréquent que les auteurs mentionnent la présence d’offrandes alimentaires ou botaniques au sein des contextes funéraires sans en préciser la nature. Malheureusement, il est difficile d’avoir accès à ces données. C’est ainsi que seules trois mentions d’offrandes d’arachides ont été trouvées dans la littérature.


Symbolisme de l’arachide

6.1 Symbolisme et idéologie

Dans les cultures sans écriture, comme celle des Moche, l’art est un moyen souvent utilisé pour faire circuler l’information et pour légitimer les dogmes politiques et religieux de l’élite au pouvoir (Arsenault, 1994 : 150-151 ; Shimada, 1994 : 227). Les rituels et cérémonies complètent l’art en permettant une diffusion des conventions sociales qui sont approuvées ou désapprouvées par l’État (Arsenault, 1994 : 150-151 ; Shimada, 1994 : 227). Ainsi, l’idéologie véhiculée par l’art peut devenir une importante source de pouvoir social lorsque l’on peut lui donner une forme matérielle qui est contrôlée par l’élite dirigeante (DeMarrais et al., 1996 : 15). Les symboles, incluant les icônes, les rituels, les monuments, de même que les textes écrits dans certains cas, transmettent de l’information et un sens ou une croyance, ils matérialisent donc l’idéologie véhiculée à ceux qui voient ou qui entrent en contact avec ces objets (DeMarrais et al., 1996 : 16). La matérialisation de l’idéologie permet aussi d’obtenir un certain contrôle des élites éloignées du centre par l’élite centrale. Cette dernière, en contrôlant la production des objets à valeur symbolique, manipule par le fait même l’idéologie véhiculée sur tout le territoire, incluant les élites dans les régions éloignées (DeMarrais et al., 1996 : 23).

La culture Moche ne fait pas exception ; elle ne possède pas de système d’écriture, mais plutôt un système représentationnel diversifié et élaboré. Ce système iconographique est cohérent et complexe. Il traite principalement des mythes et des nombreux aspects de l’idéologie religieuse et rituelle (Benson, 1998 : 46 ; Bourget, 1994 : 13 ; Lumbreras, 1974 : 108 ; Shimada, 1994 : 18). D’ailleurs, l’iconographie Moche peut être perçue comme une forme de communication qui permettrait une meilleure compréhension de certains aspects de l’univers symbolique et culturel Moche (Bourget, 1994 : 13). L’iconographie, que l’on trouve principalement sur la céramique dite rituelle, est possiblement produite sous contrôle de l’État par des artisans spécialistes. L’État aurait droit de regard tant sur la production du support que sur le message véhiculé, diffusé à la grandeur du territoire sous gouverne de l’élite centrale Moche. Ce système idéologique peut nous permettre de faire un lien entre les recherches archéologiques et l’univers symbolique des Moche en associant ce qui est trouvé sur le terrain avec les différentes scènes iconographiques.

Cette association entre les objets trouvés lors de fouilles archéologiques et les différentes représentations de ces objets aide à établir la valeur d’un objet, de même que la vision que les Moche en avaient. En effet, l’artiste qui représente des objets et crée des motifs, des images figuratives et des scènes, ne reproduit pas l’information reçue par son œil, mais plutôt selon la compréhension culturellement et socialement informée qu’il a de la chose perçue (Arsenault, 1994 : 141). Ainsi, dans toute scène reproduite, l’artiste représente les objets en leur donnant la valeur symbolique qui y est attachée au sein de l’idéologie Moche.

[...]

6.2 Symbolisme de l’arachide

[...]

L’arachide est une des plantes qui étaient régulièrement reproduite, soit à l’état naturel soit de manière stylisée, sur différents supports. Elle faisait partie des cultigènes importants dans la diète Moche, avec le maïs, la courge, le coton, la calebasse et les haricots (Pozorski, 1979 : 176). Ses qualités nutritionnelles et botaniques lui ont d’ailleurs value un certain rôle au sein de l’économie Moche (voir chapitre 4). La valeur utilitaire de ce cultigène est renforcée par les représentations de ce dernier en association avec d’autres cultigènes importants, comme le maïs, de même qu’en contexte quotidien. Ainsi, les représentations céramiques d’assiettes-gourdes remplies d’arachides rappellent les scènes de marché et d’entreposage. Ces assiettes-gourdes remplies d’arachides peuvent aussi avoir une autre signification dans l’univers symbolique Moche.

Ces représentations ont été récupérées à plusieurs reprises en contexte funéraire. Une question est alors posée par plusieurs chercheurs (Arsenault, 1994 : 306 ; Bernier, 1999 : 85) :

« Ces contenants céramiques à effigie de plats de nourriture solide constituaient-ils des substituts symboliques devant remplacer les offrandes « réelles » de nourriture ? » (Arsenault, 1994 : 306)

Nous pensons que plusieurs significations étaient symbolisées par ces assiettes gourdes remplies d’arachides en écales. La première est le dépôt de ces reproductions dans la tombe d’un individu afin de palier à un certain manque de disponibilité des arachides au moment de l’enterrement. Cet individu devait être accompagné d’arachides lors de son voyage vers le monde des morts et des ancêtres, alors en remplacement de vraies offrandes botaniques, on aurait déposé ces vases avec lui.

Une deuxième signification attachée à la présence de ces représentations d’assiettes-gourdes remplies d’arachides dans les enterrements Moche se réfère au concept de dualité. Lorsque ces vases étaient déposés en tant qu’offrandes dans un enterrement Moche en association avec des offrandes botaniques d’arachides, ils représentaient la dualité. La dualité est un des principes fondamentaux de l’idéologie Moche tout comme dans l’idéologie de plusieurs sociétés précolombiennes. La dualité est la coexistence de deux éléments opposés mais complémentaires. Les principaux concepts de dualité sont: le jour et la nuit, la vie et la mort, le vivant et l’ancêtre, le soleil et la lune, le masculin et le féminin, la droite et la gauche, le négatif et le positif, la nature et la culture, l’éphémère et la durabilité (Alva, 1994 : 112 ; Bernier, 1999 : 85 ; Bourget, 1994 : 105). La présence de véritables arachides et de représentations de cette dernière, nous rappelle donc l’opposition entre l’éphémère et le durable, l’éternel.

Une des valeurs symboliques attribuées à l’arachide est le thème de la fertilité. Ce thème évoque plusieurs concepts: le renouvellement, la germination et la croissance (Bernier, 1999 : 83 ; Uceda Castillo, 1997 : 112). L’arachide symboliserait donc la régénération (Alva, 1994 : 216). L’arachide possède plusieurs propriétés dont la possibilité de régénérer les sols de par sa simple culture. En rapport avec l’idée énoncée précédemment faisant référence aux propriétés naturelles de plantes en lien avec leur signification symbolique, cette propriété de l’arachide évoque effectivement le renouvellement. Que ce soit la régénération du sol, le renouvellement des récoltes, de la vie ou du pouvoir, l’arachide symboliserait effectivement le renouvellement.

En gardant le concept de régénération et de renouvellement en tête, une deuxième propriété de l’arachide nous mène au thème de la fertilité. Les arachides poussent et se développent dans la terre, endroit où les Moche déposaient leurs morts (Bourget, 1994 : 96 ; Hocquenghem 1997 : 169). Un parallèle entre l’arachide et sa présence dans les enterrements Moche existe donc ; l’acte d’enterrer en relation avec l’acte de semer (Bernier, 1999 : 83 ; Uceda, 1997 : 112). L’arachide n’est bien sûr pas le seul cultigène à pousser et à se développer sous terre qui était cultivé par les Moche. On peut penser au manioc et à la pomme de terre. Ces deux cultigènes étaient aussi représentés sur divers supports par les Moche. La symbolique discutée se réfère principalement à l’arachide, mais le parallèle avec ces deux cultigènes pourrait probablement être établi.

Ainsi, l’acte d’enterrer les morts et les temples dans la société Moche était perçu comme l’accomplissement de la reproduction sociale (Uceda, 1997 : 112). Alors que la reproduction naturelle qui se réalisait à travers l’enterrement des (J graines dans la terre et par l’agriculture en fait, est le lien idéologico-symbolique entre l’acte de semer l’arachide et l’acte d’enterrer les morts, tous deux symboles de fertilité et de renouveau, Il y a deux des représentations présentées dans le chapitre précédent qui viennent appuyer le thème de la fertilité. Il s’agit premièrement du vase illustrant deux souris des champs qui copulent alors que la souris mâle tient dans sa patte une arachide en écale (figure 5.12). L’acte de copuler est un acte de reproduction, donc de fertilisation. L’arachide peut donc symboliser les récoltes à venir, tout comme elle peut être associée tout simplement à l’acte de reproduction en tant que symbole de fertilité. La deuxième représentation est celle du vase illustrant un être squelettique enveloppé dans une écale d’arachide (figure 5.19). L’observation de ce vase indique clairement que l’arachide est associée à la mort. Le faciès squelettique adopté par l’arachide sur certaines représentations fait donc référence à cette fertilité agricole (Bernier, 1999 :85; Bourget, 1994 : 101). Afin de mieux comprendre les liens avec la mort, l’enterrement et l’arachide en tant que symbole de renouveau et de fertilité chez les Moche, une meilleure compréhension de leur vision du monde et de la mort s’impose.

Chez les Moche, tout comme dans la cosmologie andine en générale, il existe trois mondes : soit le monde des vivants, le monde des morts et le monde des ancêtres (Hocquenghem, 1979). Ces trois mondes sont interreliés et dépendent l’un de l’autre. Les ancêtres ont une influence et une importance incontournable sur le monde des vivants alors que le monde des ancêtres semblerait être le lieu à atteindre ultimement, car c’est à partir de ce monde que la renaissance se fait. Les Moche vouaient un véritable culte à leurs ancêtres. Le passage vers le monde des ancêtres est donc très important. Ce passage s’effectue en deux étapes, soit du monde des vivants vers le monde des morts et du monde des morts vers le monde des ancêtres. La mort est utilisée comme moyen de passage ou comme véhicule aux personnes pour atteindre et entrer dans le monde des ancêtres. La tombe est donc un symbole très important, puisqu’elle devient alors une capsule intemporelle permettant le passage vers le monde des ancêtres. Les Moche pourvoyaient le défunt, jouant alors le rôle d’un voyageur, d’un important mobilier funéraire destiné à l’accommoder durant son périple et d’assurer son arrivée à destination, de même que son retour dans le monde des ancêtres. On peut donc en dégager que les comportements funéraires des Moche envers leurs morts présentent une valeur beaucoup plus significative que le seul hommage rendu à ces derniers, mais que par l’aide du mobilier funéraire et à travers le rituel, les Moche tenteraient d’honorer les ancêtres, d’où le pouvoir et le renouvellement est originaire. Une façon d’ailleurs de démontrer la matérialisation du renouvellement du pouvoir était exprimée par l’enterrement des temples et des personnages religieux (Bourget, 1994 : 44, 237, 1995 : 18 ; Donnan, 1978 ; Hocquenghem, 1979, 1987 ; Uceda, 1997 : 102, 112, 115).

Le cycle que fournit le passage des personnes entre ces trois mondes est d’ailleurs très bien représenté dans le graphique réalisé par Bourget (1995 : 18). lI est repris ici à la figure 6.1. On peut y observer le rôle et le symbolisme de chaque composante de la cosmovision Moche, de même que la perception et le symbolisme de la fertilité présent dans l’idéologie du monde Moche.

La tombe étant une étape importante dans le maintien de l’ordre et le renouvellement de la vie, une attention particulière devait donc être portée au mobilier funéraire qui était déposé dans cette dernière. Chaque objet devait être choisi avec soin pour ses propriétés, ses attributs et sa symbolique au sein de l’idéologie Moche. On peut donc comprendre que l’arachide, symbole du renouvellement et de la fertilité, soit choisie pour faire partie de ce mobilier à plusieurs reprises et sous différentes formes, que ce soit en offrandes botaniques, en représentations naturelles ou surnaturelles. Le collier du Sefior de Sipân, illustré à la figure 5.22, comportait plusieurs associations symboliques avec la dualité et la fertilité. Ainsi, dans ce simple collier, toute l’essence du passage entre les deux mondes, la fertilité et le renouveau est présent.

Comme nous l’avons vu, l’enterrement semblait être un rituel très important au sein de la société Moche. Que ce soit l’enterrement des morts ou bien l’enterrement des temples, cet acte permet le renouvellement de la vie et du pouvoir dans la société Moche. Cet acte d’enterrement est aussi symbolisé par l’acte de semer les différentes semences qui permettront la survie du peuple et le renouveau de la vie à partir des nouvelles récoltes. La fertilité des plantes est donc un prérequis et une préoccupation majeure puisqu’elle permet sa survie. La fertilité agricole n’est cependant pas la seule fertilité nécessaire à la survie de l’humain. Effectivement, sa survie passe d’abord et avant tout par la fertilité sexuelle. Selon Bonavia, certaines plantes, symboles de fertilité, seraient aussi symbole de la semence masculine. Cette semence est aussi symbole de fertilité, puisque sans elle l’humain ne peut se reproduire et survivre. Les plantes identifiées par Bonavia et représentant ce symbole de fertilité masculine sont les suivantes t la calebasse, l’aj!, l’arachide et le manioc (Bonavia, 1991 : 210). On en revient donc au vase illustrant deux souris copulant, dont la souris mâle tient une arachide dans sa patte (figure 5.12). Par contre, qu’en est-il des deux représentations (figures 5.20 et 5.21) figurant une arachide anthropomorphe dormant la tête sur une pomme de terre et ayant les attributs féminins ? Ce vase symbolise probablement la fertilité. Deux cultigènes cultivés par les Moche sont ici illustrés, si l’arachide symboliserait la fertilité masculine, il est possible que la pomme de terre symboliserait la fertilité féminine. On aurait donc encore dans ce vase un lien entre l’arachide et la fertilité, le renouvellement.


6.3 L’arachide et l’élite Moche

[...]

[Certaines] représentations associent un certain statut à l’arachide. Les premières représentations qui confèrent un certain statut à l’arachide sont les représentations d’arachides anthropomorphes musiciennes présentées aux figures 5.16 à 5.18. La musique est associée aux festivités, aux cérémonies chez les Moche. Ces activités 74 sont généralement associées à l’élite (Arsenault, 1992 : 62 ; Donnan and McClelland, 1999). En fait, lorsqu’il est question de rituel, l’élite Moche est généralement impliquée.

La deuxième catégorie de représentations associant l’arachide à l’élite Moche est celle où l’arachide est représentée en tant qu’élément de parure. Il y a premièrement les scènes de combat rituel où les guerriers portent des éléments de parure, soit des boucles d’oreilles ou des pendentifs (figures 5.28 à 5.31). Ces scènes où la guerre illustrée est plutôt rituelle que réelle nous amènent à penser qu’elles faisaient parties de l’idéologie véhiculées par l’élite dans son territoire. La présence de l’arachide en tant qu’élément de parure au sein de ce « message » indique qu’elle avait une certaine valeur aux yeux de l’élite.

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Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :


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