L'Uranie
- Anne

- 27 mars 2018
- 13 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 nov.
Étymologie :
URANIE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1810 zool. (Latreille, Considérations gén. sur l'ordre naturel des animaux, p. 356). Empr. au lat. sc. urania (1807, Fabricius ds Neave), formé prob. sur le gr. ο υ ̓ ρ α ́ ν ι ο ς « céleste ; merveilleux, prodigieux, très grand ».
Autres noms : Urania fulgens -
Urania leilus - Chinois vert -
Urania sloanus - Uranie de Sloane
Zoologie :
Jean Alphonse Boisduval, auteur de Considérations sur des lépidoptères envoyés du Guatemala à M. de l'Orza. (Typographie Oberthur & fils, 1870) décrit sommairement le genre Urania :

Les Urania sont des Lépidoptères d'une ravissante beauté ; rien n'égale l'éclat soyeux de leurs bandes d'un vert doré métallique. Au premier coup d'œil on les prendrait, comme l'ont fait les anciens auteurs, pour de véritables papillons du groupe des Equites de Linné, à cause de la queue de leurs ailes inférieures ; mais leur organisation anatomique est complétement différente et leurs chenilles ne ressemblent en rien à celles des Papilio ; elles auraient plutôt quelque analogie avec celles des Hespérides ; mais elles sont plus raccourcies et n'ont pas le col étranglé comme ces dernières. Celles que l'on connaît vivent sur des arbres de la famille des Euphorbiacées, tels qu'Omphalea triandra et Diandra. Elles se tiennent cachées entre les feuilles ; arrivées à leur croissance, elles filent une petite coque légère dans leur berceau, où elles restent peu de temps avant d'éclore.
Urania Fulgens, BOISD.
Elle est de la taille de la Sloanus de la Jamaïque. Elle se distingue de toutes les autres espèces connues en ce que ses ailes supérieures sont dépourvues de bandes vertes sur leur partie postérieure.
Elle se trouve communément au Guatemala, au Mexique et en Colombie. Il paraît qu'à certaines époques de l'année, elle est si abondante que l'on pourrait en prendre des centaines en très-peu de temps.
Serge Berthier, dans un ouvrage intitulé Iridescences, les couleurs physiques des insectes. (Springer Science & Business Media, 2003) explique avec minutie le phénomène d'iridescence des Uranies dont nous retiendrons :
Les Papillons « types » à structures convexes : Chrysiridia madagascariensis, Urania leilus et Prépona.
Interférences et diffraction sont certainement les deux phénomènes physiques conduisant aux effets d'iridescence les plus spectaculaires. Ils se produisent chez de nombreuses espèces de Papillons de par le monde mais rarement ave autant d'éclat que dans la grande famille néotropicale des Morphidae et la famille plus retreinte des Uraniidae représentée par les espèces malgaches Chrysiridia madagascariensis et sud-américaine Urania leilus.
Pour des raisons pratiques - ce sont des papillons de grande taille, présentant des zones relativement homogènes en teinte et se prêtant bien aux mesures spectroscopiques de routine - l'étude des effets colorés a depuis fort longtemps été menée sur ces deux familles au point que l'on parle maintenant d'écailles de type Urania ou de type Morpho. Pourquoi déroger à la règle quand la tradition vient au secours de la facilité !
[...]
Effets colorés : Nous l'avons dit, les écailles structurales sont généralement très ordonnées. Cela se voit particulièrement bien dans le cas des structures convexes en éclairage direct. Les crêtes des écailles éclairées en incidence quasi normale, forment alors de longues bandes très brillantes, se détachant sur le fond toujours plus bleu constitué par la base et l'apex des écailles éclairées en incidence rasante.
La couleur verte des Uranidae en particulier, est due à un mélange, non pas pointilliste mais par bandes, de jaune-vert sur les crêtes et de bleu dans les creux.
Chez tous les papillons à écailles convexes, seule une partie de l'écaille réfléchit de la lumière dans une direction donnée ce qui conduit à une coloration par bande.
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Paul-André Calatayud, , Frédéric Marion-Poll, et Denis Thiéry, auteurs de "La réception sensorielle chez les insectes." (In : Interactions insectes-plantes, chapitre 8, (Quae, 2013) : pp. 137-149) révèlent un es modes de communication de l'Uranie :
LA COMMUNICATION SONORE CHEZ LES INSECTES : Les insectes furent les premiers du règne animal à utiliser des signaux acoustiques pour communiquer. Le mode de transmission de ces signaux est aérien, et ces sons sont souvent audibles par l'homme. Ce mode de transmission peut égaIement s'établir, pour les insectes de petite taille, au travers des substrats où ils vivent, s'alimentent et se reproduisent. Dans ce dernier cas, les sons sont souvent beaucoup moins audibles, parfois pas du tout, car ils se propagent au travers du sol, du sable, des feuilles et des tiges de plantes et même au travers d'un plan d'eau. Beaucoup d'espèces d'insectes possèdent des appareils émetteurs de signaux acoustiques et de récepteurs ad hoc. La signification de ces signaux est avant tout sexuelle, les mâles attirant les femelles, mais dans certains cas, comme chez les Isoptères et certains papillons de nuit, ils peuvent servir de système d'alarme en cas d'agression de la colonie ou de présence de prédateurs. Ils peuvent égaIement servir à défendre un territoire, comme chez les criquets et les mâles d'un papillon de nuit du genre Hecatesia (Lepidoptera, Agaristidae), ou tout simplement à communiquer entre les individus d'une même colonie chez des insectes sociaux comme les abeilles. Il existe une grande diversité de moyens pour produire ces signaux ou ces sons (Chapman, 1998 ; Ewing, 1989; Hoy et Robert, 1996; Michelsen et Larsen, 1985). La détection des sons par les insectes est décrite plus loin dans ce chapitre.
La friction : La friction est réalisée par le frottement de régions spécialisées du corps de l'insecte placées sur les élytres, le thorax, l'abdomen ou les pattes. Le frottement des deux élytres constitue un appareil de type élytro-élytral.
[...]
La plupart des sons produits par friction sont audibles par l'homme. [...]
Cependant, souvent, les sons ne sont pas audibles par l'homme. C'est le cas, par exemple, des sons émis par certains Lépidoptères du genre Urania (Lepidoptera, Uraniidae), qui possèdent un peigne d'écailles aiguisées le long du fémur capable de frotter l'extrémité de la patte pour produire un son d'une fréquence de 25-30 kHz (fréquence située à la limite supérieure audible par l'homme, qui est estimée à environ 20 kHz).
Claude Marcel Hladik auteur d'un article intitulé "Un changement probable de plante-hôte chez Chrysiridia rhipheus (Drury, 1773) de Madagascar (Lepidoptera : Uraniidae)." (In : Lépidoptères, 2014, vol. 23, no 59, pp. 135-136) explique une stratégie de défense du papillon ainsi que la migration qui en découle :
[...], la chenille de C. rhipheus s’alimente sur le feuillage d’arbres du genre Omphalea (famille des Euphorbiacées) dont on connaît bien les composés secondaires toxiques (alcaloïdes inhibiteurs des glucosidases) qui protègent la plante contre la plupart des insectes (LEES & SMITH, 1991). Cette toxicité est mise à profit par les chenilles et reste acquise aux imagos que les oiseaux apprennent rapidement à éviter. Une population de C. rhipheus se multiplie ainsi sur un petit Omphalea (O. occidentalis) dans les forêts sèches de la côte occidentale de Madagascar. Il est intéressant de remarquer qu’à ce stade le lépidoptère est considéré comme une véritable peste qui pullule et consomme tout le feuillage de l’arbre. Les habitants des villages proches des petits blocs forestiers évitent de s’approcher de ces arbres couverts des chenilles dont les poils sont particulièrement irritants. Cependant les cycles de vie des lépidoptères ne sont guère connus localement et, lorsque nous avons présenté des photos du papillon Chrysiridia rhipheus, nommé lolonandriana, il était le plus souvent considéré comme un animal agréable et favorablement évalué sur les échelles des préférences pour les espèces animales locales.
Des migrations d’ouest en est à travers Madagascar des populations de Chrysiridia rhipheus étaient déjà bien connues lorsque René CATALA a effectué ses travaux expérimentaux qu’il a publiés sous forme de Thèse d’État (CATALA, 1940). Il explique ces longues migrations sur plusieurs centaines de kilomètres par le fait que les arbres nourriciers de la côte occidentale, qui ont été souvent totalement défoliés par les chenilles de C. rhipheus, ne suffisent plus à nourrir une large population de ces lépidoptères. Les papillons qui arrivent sur la côte orientale trouvent, dans les forêts humides, un grand arbre du genre Omphalea (O. oppositifolia) sur lequel les pontes peuvent s’effectuer et les chenilles se développer. Ce sont ces chenilles que R. CATALA a fait collecter pendant plusieurs années afin de déterminer les variations possibles de forme et de couleur du papillon lorsque la chrysalide est soumise à des variations des conditions physiques (principalement la température).
Des migrations d’ouest en est à travers Madagascar des populations de Chrysiridia rhipheus étaient déjà bien connues lorsque René CATALA a effectué ses travaux expérimentaux qu’il a publiés sous forme de Thèse d’État (CATALA, 1940). Il explique ces longues migrations sur plusieurs centaines de kilomètres par le fait que les arbres nourriciers de la côte occidentale, qui ont été souvent totalement défoliés par les chenilles de C. rhipheus, ne suffisent plus à nourrir une large population de ces lépidoptères. Les papillons qui arrivent sur la côte orientale trouvent, dans les forêts humides, un grand arbre du genre Omphalea (O. oppositifolia) sur lequel les pontes peuvent s’effectuer et les chenilles se développer. Ce sont ces chenilles que R. CATALA a fait collecter pendant plusieurs années afin de déterminer les variations possibles de forme et de couleur du papillon lorsque la chrysalide est soumise à des variations des conditions physiques (principalement la température).
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Symbolisme :
Claude Marcel Hladik, auteur de "Le prix n'est pas la seule valeur d'existence chez les Uraniidae de Madagascar." (In : Lépidoptères-Revue des Lépidoptéristes de France, 2012, vol. 21, no 52, pp. 82-83) évoque des pistes symboliques relatives à l'Uranie de Madagascar, à approfondir :
Lors d’une de mes dernières missions dans les forêts sèches de la côte ouest de Madagascar, j’ai découvert avec surprise les restes d’un lépidoptère à demi consommé (par un oiseau?) que j’ai immédiatement reconnu comme Urania madagascariensis, l’ancien nom qui lui était attribué dans les collections de la grande galerie du Muséum où j’allais admirer ces merveilles de la nature, bien avant la fermeture de ce bâtiment et sa réhabilitation sous sa forme actuelle de Grande Galerie de l’Evolution.
Ce papillon aux ailes chatoyantes, de la famille des Uraniidae, est désormais répertorié sous le nom de Chrysiridia rhipheus. Il s’en vend des exemplaires entre 20 et 120 euros sur internet et il est proposé (beaucoup moins cher) aux touristes, dans les boutiques d’Antananarivo. J’en avais moi-même acquis quelques beaux spécimens, bien présentés sur un fond de velours bleu nuit, lors de précédents voyages à Madagascar.
Cependant je pensais que cette espèce venait exclusivement des forêts humides de la côte orientale de Madagascar, où se trouvent des élevages (ou plus exactement des écloseries) dans lesquels les imagos, obtenus à partir de cocons collectés, sont immédiatement préparés dans un parfait état de conservation. D’où ma surprise de découvrir ce lépidoptère à Antrema, une forêt sèche sur sol sableux de la côte Ouest, proche de Majunga, où je participe, avec mes collègues du Muséum national d’histoire naturelle, à des inventaires et des recherches sur les adaptations des espèces à ce milieu périodiquement très sec où vit ce rare primate, le propithèque couronné, Propithecus coronatus (PICHON et al., 2010).
Sachant que la chenille de Chrysiridia rhipheus se nourrit des feuilles d’un arbre du genre Omphalea (famille des Euphorbiacées), nous avons rapidement repéré sa plante-hôte dans la forêt décidue, un arbuste pionnier abondant en lisière, Omphalea occidentalis, parmi les 150 espèces ligneuses répertoriées dont certaines sont encore nouvelles pour la science. Il existe par ailleurs de nombreuses références aux migrations en masse de C. rhipheus vers la côte orientale où le grand arbre O. oppositifolia abonde dans les forêts sempervirentes. Mais il était surprenant de découvrir les restes de ce papillon, d’abord parce que ce n’était pas la bonne saison, ensuite en raison de sa toxicité due aux alcaloïdes inhibiteurs des glucosidases de la plante-hôte (LEES & SMITH, 1991) procurant au papillon une protection contre des oiseaux qui ne peuvent pas manquer de remarquer la vivacité et le contraste de ses couleurs. S’agissait-il, dans ce cas, du manque d’expérience d’un prédateur vis-à-vis d’une proie relativement rare ? En fait, il nous faut envisager la problématique sur les animaux et leurs milieux dans un cadre plus vaste incluant les populations humaines car l’homme fait partie des écosystèmes.
Les valeurs d’existence des espèces et la population Sakalava : Dans le cadre des recherches en cours, en vue d’obtenir des données sur les possibles systèmes de gestion durable, il faut situer les différentes espèces végétales et animales en fonction des pratiques et des systèmes de représentation des populations des différentes régions. Lorsqu’il s’agit du Chrysiridia rhipheus vendu à partir des collectes de chrysalides réalisées dans les forêts humides de la façade orientale de Madagascar, nous devons d’abord analyser les différents circuits commerciaux et évaluer leurs impacts respectifs sur les espèces commercialisées. Un informateur qui a vécu parmi les revendeurs nous a parlé de 20.000 à 200.000 papillons vendus chaque année (éventuellement exportés vers l’Indonésie), ce qui pourrait affecter l’espèce dans son ensemble, comme cela est déjà le cas en Guyane pour certains arthropodes recherchés par les amateurs. Il nous faudra préciser dans quelle mesure des élevages à partir de plantations d’O. oppositifolia permettent de préserver la ressource, comme les plantations de mûriers (Morus bombycis) nécessaires à la production de la soie. C’est un problème simple en apparence mais qu’il faut cependant envisager en fonction des traditions Betsimisaraka de ces régions, sans oublier que le nom malgache de C. rhipheus (lolonandriana) évoque la sortie de l’imago comme celle de l’esprit d’un mort sortant de sa sépulture.
Sur la côte Ouest de Madagascar d’où part une partie de ces papillons migrateurs, beaucoup de Sakalava (ou Sakalaves) seraient certainement très surpris d’apprendre leur prix de vente dans les grandes villes. Il n’est pas impossible que le commerce de papillons naturalisés puisse un jour compléter les revenus monétaires locaux qui, en dehors du commerce des aliments, se limitent généralement aux vanneries. Mais le contexte Sakalava relatif aux espèces vivantes est fort différent des seules valeurs marchandes. Toutes les espèces sont perçues comme la propriété des anciens rois et, localement, les propithèques sont des animaux sacrés et vénérés à tel point que nul ne pourrait les chasser hors de sa maison s’il a eu l’imprudence de laisser une fenêtre ouverte (HARPET et al., 2000).
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Mythologie :
Selon Pierre Commelin, dans Mythologie grecque et romaine (Paris : Éditions Garnier Frères, 1960, 516 pages. Collection : “Classiques Garnier”) :
"Les Muses étaient filles de Jupiter et de Mnémosyne ou Mémoire. Au même titre que les Grâces, elles ont leur place dans l'Olympe, dans les réunions, les festins, les concerts, les réjouissances des dieux. Toutes sont jeunes, également belles, quoique différentes dans leur genre de beauté. Selon Hésiode elles sont au nombre de neuf, et, sur la Terre, comme dans l'Olympe, chacune a ses attributions, sinon distinctes, du moins déterminées : [...]
URANIE (du grec Ouranos “ ciel ”) présidait à l'Astronomie. On la représente vécue d'une robe de couleur d'azur, couronnée d'étoile, et soutenant des deux mains un globe qu'elle semble mesurer, ou bien ayant près d'elle un globe posé sur un trépied, et plusieurs instruments de mathématiques. Selon Catulle, Bacchus la rendit mère de l'Hyménée. [...]
Non seulement les Muses furent considérées comme des déesses, mais on leur prodigua tous les honneurs de la divinité. On leur offrait des sacrifices en plusieurs villes de la Grèce et de la Macédoine. Elles avaient à Athènes un magnifique autel ; à Rome elles avaient plusieurs temples. Ordinairement le temple des Muses était aussi celui des Grâces, les deux cultes étaient communs ou rarement séparés.
On ne faisait guère de festins sans les invoquer et sans les saluer la coupe en main. Mais personne ne les a tant honorées que les poètes qui ne manquent jamais de leur adresser une invocation au commencement de leurs poèmes.
Le Parnasse, l'Hélicon, le Pinde, le Piérus étaient leur demeure ordinaire. Le cheval ailé, Pégase, qui ne prête son clos et ses ailes qu'aux poètes, venait paître habituellement sur ces montagnes et aux environs. Parmi les fontaines et les fleuves, l'Hippocrène, Castalie et le Permesse leur étaient consacrés, ainsi que, parmi les arbres, le palmier et le laurier. Quand elles se promenaient en chœur, Apollon, couronné de laurier, et la lyre en main, ouvrait la marche et conduisait le cortège.
On les surnommait, à Rome, Camènes, expression qui signifie “ agréables chanteuses ”. Leur surnom de Piérides vient de ce qu'elles fréquentaient le mont Piérus en Macédoine. Mais certains poètes donnent à ce mot une autre explication.
Piérus, roi de Macédoine, disent-ils, avaient neuf filles. Toutes excellaient dans la poésie et la musique. Fières de leur talent, elles osèrent aller défier les Muses jusque sur le Parnasse. Le combat fut accepté, et les nymphes de la contrée, désignées pour arbitres, se prononcèrent pour les Muses. Indignées de ce jugement, les Piérides s'emportèrent en invectives et voulurent même frapper leurs rivales. Mais Apollon intervint, et les métamorphosa en pies. À cause de leur victoire dans ce concours, les Muses auraient pris le nom de Piérides.
Le surnom de Libéthrides, donné aussi aux Muses, leur vient soit de la fontaine Libéthra, en Magnésie, soit du mont Libéthrius, lesquels leur étaient consacrés.
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Littérature :
"C'est ainsi qu'au hasard des lectures je fis connaissance avec les uranies. Sans doute les avait-on mentionnées devant moi dans un cours, le nom ne m'était pas étranger. Mais je ne savais rien de leur robe ni de leurs habitudes. Grande comme une main d'enfant, striée de vert métallique, de noir brillant, parfois aussi de rouge orangé, avec, à l'arrière, un liséré blanc, l'uranie peut s'observer dans diverses régions du globe, du Pacifique à Madagascar, de l'Inde à l'Amazonie. L'espèce qui a retenu plus particulièrement mon attention est celle que l'on connaît sous l'appellation d'Urania ripheus, et que l'on rencontre notamment en Amérique tropicale.
Les savants qui s'y sont intéressés ont pu observer un phénomène surprenant et spectaculaire : certains jours de l'année, ces uranies se rassemblent par dizaines de milliers dans des lieux où la forêt touche à l'océan, puis elles s'envolent droit devant elles, sur des centaines de milles marins, jusqu'à ce que, ne trouvant nulle île où se poser, elles tombent d'épuisement et se noient.
Certaines femelles déposent leurs œufs dans la forêt avant la migration, ce qui assure la survie de l'espèce : mais la plupart s'envolent encore grosses, entraînant leur progéniture dans leur suicide collectif.
Le vol des uranies me fascina dès l'instant où j'eus sous les yeux le compte rendu des premières observations. Je me demandais si ce voyage vers le néant reflétait une "panne" de l'instinct de survie, un dérèglement génétique, une tragique "erreur de transmission" dans les signes codés qui semblent régir ces migrations ; on pouvait multiplier les hypothèses.
Instant béni dans l'existence d'un chercheur que celui où il se découvre une nouvelle passion. A cette étape de mon itinéraire, j'en avais besoin.
[...]
Nous avons pu formuler certaines hypothèses. Elles ont fait l'objet d'une monographie que les circonstances ne m'ont pas donné le loisir de publier et qui se trouve encore dans mes tiroirs. J'y exprime l'opinion que le comportement des uranies ne résulte pas d'une perte de l'instinct de conservation, mais, au contraire, de la survivance d'un réflexe ancestral qui conduit encore ces bestioles vers un lieu où elles se reproduisaient autrefois, peut-être une île qui aurait disparu ; ainsi, leur suicide apparent serait un acte involontaire causé par une mauvaise adaptation de l'instinct de survie à des réalités nouvelles ; ces idées avaient séduit mes étudiants, mais certains collègues s'étaient montrés sceptiques quant à la formulation."
Extrait de Le premier siècle après Béatrice , chapitre T de Amin Maalouf (1992)
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