Le Bharal
- Anne
- 22 déc. 2019
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Dernière mise à jour : 22 févr.
Autres noms : Pseudois nayaur - Chèvre bleue - Mouton bleu.
Mythologie :
Philippe Sagant, auteur d'un article intitulé "Les chasses rituelles. Éducation des enfants et transgression d’interdit." (In : Ateliers d’anthropologie. Revue éditée par le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, 2021, no 49) relie le mouton bleu aux chasses rituelles :
Il existe encore dans quelques populations d’Asie certaines institutions qu’on appelle « chasses rituelles » : c’est chaque année qu’elles permettent l’élection de nouveaux chefs politiques ou la réélection des anciens quand ils n’ont pas démérité ; elles visent à porter au pouvoir les hommes les plus aptes de la communauté.
Ces chasses nous viennent du fond des âges et nous tenterons de présenter le contexte de leur apparition. Elles partagent avec le chamanisme des éleveurs et des agriculteurs la notion de « sanction surnaturelle » qui leur est fondamentale. Elles semblent être nées du passage de la chasse à l’élevage. Au vu de leurs survivances et outre leur ancienneté, leur diffusion paraît avoir été très large.
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Ces chasses rituelles, au mouton bleu, au yak sauvage, etc., sont encore très présentes à notre époque dans quelques populations des confins du Tibet. Chez les Golog, par exemple, chaque année, la chasse au yak sauvage s’accompagnait d’une élection politique : celui qui tuait la bête prenait la tête de l’expédition de brigandage sur les routes de caravanes qui bordaient le grand massif montagneux de l’Amnye Mache. Il n’y a pas si longtemps, elles existaient aussi dans les mythes de fondation chez de nombreuses populations de l’Himalaya. On les retrouve, en outre, en Asie du Sud-Est, en Chine, chez les Turco-Mongols de Sibérie. Elles étaient encore présentes en Amérique. Elles l’étaient aussi en Europe et, sans doute, les chasses au cerf des aristocrates français à Chambord en sont-elles une lointaine survivance.
Partout, ces chasses semblent avoir associé les domaines du politique et de la religion. Partout, elles visent à porter au pouvoir un être qui possède quelque chose de divin. [...]
Ces chasses qui permettent de s’élever au pouvoir sont un rite a dit Przyluski. Ce ne sont plus des chasses alimentaires. Ce sont des « chasses rituelles » où les dieux rendent légitime le pouvoir des rois.
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L’homme sauvage, dans les populations d’Asie, il est d’abord présent dans les mythes d’origine, c’est l’ancêtre de la communauté, sorti tout droit de la forêt pour abattre une bête sauvage à cornes à l’endroit même où le premier village fut créé. Mais « l’homme sauvage », c’est aussi l’expression qui sert à désigner le chasseur qui, chaque année, au basculement des saisons, doit lui aussi s’enfoncer dans la forêt pour rapporter à son tour la force sauvage des origines, à l’occasion de la chasse rituelle.
II n’en demeure pas moins qu’une contradiction majeure gît au cœur même de l’institution de ces chasses rituelles. D’un côté, en effet, c’est chaque année qu’un homme, au moins, doit effectuer la chasse rituelle, aux risques clairement énoncés de voir la communauté disparaître si personne, cette année-là, n’est capable de recommencer l’exploit de l’ancêtre fondateur. Mais, en même temps, il est tout aussi vrai que ces chasses impliquent la transgression d’un interdit majeur qui se trouve l’objet d’une sanction surnaturelle. Et il existe des cas, en effet, dans chaque population, où on retrouve le chasseur abattu par la foudre, égorgé par le léopard des neiges, ou emporté par l’avalanche.
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Pourquoi les chasses rituelles sont-elles considérées comme si dangereuses ? La raison est simple : les bêtes sauvages à cornes, le cerf, le mouton bleu, le yak sauvage, c’est le troupeau du dieu de la montagne. Et le léopard des neiges, c’est le chien de garde de ce troupeau. Abattre une bête qui appartient au dieu du pays, c’est transgresser un interdit majeur. Certains, le léopard des neiges les tue. Aux autres, le dieu du pays envoie le cerf et le coup de fusil part tout seul : car ceux-là, depuis leur tendre enfance, se sont entraînés à ne jamais céder au frisson d’épouvante. Ils ont acquis les Neuf Forces de l’Homme, y compris celle de l’esprit, c’est-à-dire le courage. Stein l’a dit, autrefois : « Il faut un orgueil insensé pour oser ainsi jeter un tel défi aux dieux !
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Littérature :
Sylvain Tesson entreprend grâce à Vincent Munier une véritable quête initiatique qu'il relate dans un récit de voyage qu'il a intitulé La Panthère des neiges, (Éditions Gallimard, 2019). Ce faisant, il rencontre d'autres animaux, tout aussi emblématiques du Tibet :
Nous délogeâmes un tétraogalle, et provoquâmes le lent recul vers le nord d'un troupeau de « chèvres bleues » - Pseudois nayaur - qui avaient colonisé le fond du vallon sans que nous ne les voyions arriver. Ces caprins, que Munier affublait de leur nom tibétain, barhals, promenaient leurs cornes recourbées et le camaïeu de leur toison en jouant les chamois dans les escarpements.
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Au-dessus de lui, une chèvre bleue était plantée sur une arête, la volute de ses cornes enchâssée entre les crénelures. Ainsi, les bêtes surveillent-elles le monde, comme les gargouilles contrôlent la ville, en haut des beffrois. Nous passons à leur pied, ignorants.
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Dix barhals cotonnaient les versants. Ils s'enfuirent dans les escarpements de l'ouest. Ils déclenchaient des éboulements. Leur panique rompait l'ordre. La panthère les forçait-elle ?
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Ce matin-là, l'attaque échoua. Une chèvre bleue détecta la panthère et sa convulsion alerta l'ensemble du troupeau. A ma surprise, les caprins ne s'enfuirent pas mais se tournèrent vers le fauve, pour lui signifie que l'approche était éventée. Surveiller la menace protégeait le groupe. Leçon donnée par les chèvres bleues : le pire ennemi est celui qui se cache.
Panthère démasquée, fin de partie. Elle traversa le vallon sous l’œil des barhals qui, sans la lâcher du regard, se contentaient de reculer de quelques dizaines de mètres pour la laisser passer. Si le fauve faisait un seul mouvement, les herbivores s'égailleraient dans les pierriers.
L'once fendit le groupe, grimpa dans les blocs, gagna l'arête, apparut encore une fois, découpée dans le ciel, puis disparut de l'autre côté de la crête.
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L’écrivain-voyageur, Olivier Weber, est parti dans le royaume du Mustang à la recherche du mouton bleu. Un voyage de plusieurs semaines, avec des bivouacs dans de vieux monastères, des bergeries désaffectées, ou en pleine nature, à plus de 4000 mètres. Olivier Weber, au micro d'Emmanuel Moreau.
Partir à la recherche du mouton bleu était un vieux rêve d'Olivier Weber. L'écrivain a mis plusieurs années à monter ce voyage au Mustang, un ancien royaume interdit jusqu'en 1992, enclavé entre le Népal et la Chine.
Des semaines de marche : Olivier et ses compagnons, dont une personne aveugle, ont marché plusieurs semaines avant d'arriver dans ce royaume oublié. Ils ont dû franchir plusieurs cols, dont certains à 5 000 mètres d'altitude. Ils ont dormi tantôt dans des monastères repeuplés ou abandonnés, tantôt dans des hameaux de bergers ou parfois à la belle étoile, à 4 000 mètres.
Découverte des caves célestes : Au cours de cette expédition, l’écrivain-voyageur a pu découvrir quelques-unes des 20 000 grottes, datant de plus de 2000 ans et qui étaient habitées par des moines. Il a été ébloui par les peintures qu'elles recèlent. Percées dans la montage, sans chemin d’accès, elles restent une énigme.
Rencontre avec le mouton bleu : Après plusieurs semaines de marche, tout à la fin du voyage, Olivier Weber a pu apercevoir son mouton bleu, cette espèce de bouquetin, vivant en haute altitude et toujours prompt à disparaître.
Face à ces montagnes, ces paysages, dans la quête de ce mouton bleu, l'écrivain a compris, qu'il fallait modifier notre regard d’occidental, pour voir différemment.
Un livre : L’Arrière-pays d'Olivier Weber, un roman vrai, à paraître fin août 2020, aux éditions Calmann Lévy.
Synopsis : Avec ce livre aux allures de roman noir, Olivier Weber esquisse une fresque de la corruption sur la Côte d’Azur, à travers le personnage d’un berger attiré par les lumières de la ville.
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